Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150428


Dossier : IMM-943-14

Référence : 2015 CF 537

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

OTTO BALAZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Otto Balaz (le demandeur) a présenté une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention au sens de l’article 96 de la LIPR, ni une personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.                Faits et procédures

[3]               Le demandeur est un citoyen de la Slovaquie âgé de 63 ans. Il est arrivé au Canada le 19 mai 2012 avec quatre membres de sa famille éloignée. Leurs demandes d’asile ont d’abord été présentées conjointement, mais celle du demandeur a ensuite été séparée des autres. Le demandeur affirme qu’il risque d’être persécuté en Slovaquie en raison de son origine rom.

[4]               Des questions ont été soulevées au sujet des documents que le demandeur a remplis au point d’entrée (PDE), particulièrement en ce qui a trait au Formulaire de renseignements personnels modifié que son conseil a soumis après que sa demande d’asile eut été séparée des autres. Le demandeur a déclaré qu’étant donné qu’il voyageait avec les autres demandeurs d’asile, la mère avait assumé la responsabilité de raconter leur histoire et il n’avait pas pensé à donner plus de détails sur sa propre situation. Ce n’est qu’après que sa demande d’asile eut été séparée des autres qu’il a compris la nécessité de donner des détails sur le risque de persécution auquel il était exposé personnellement. C’est pourquoi l’exposé circonstancié original fourni au nom du demandeur ne faisait qu’évoquer la discrimination que le demandeur subissait lorsqu’il postulait des emplois, et un incident au cours duquel il n’avait pas été payé pour son travail. Au cours de cet incident, le demandeur et deux collègues de travail avaient été battus lorsqu’ils avaient demandé à être payés. Des policiers avaient ensuite conduit les victimes à l’hôpital et leur avaient dit que la police ne les aiderait pas davantage.

[5]               Dans son exposé circonstancié modifié, le demandeur a parlé de façon générale de la persécution dont sont victimes les Roms en Slovaquie depuis 1985, et de façon plus détaillée de son expérience personnelle au cours des deux années ayant précédé sa demande d’asile. L’incident au cours duquel il a été battu par les « hommes de main » d’un employeur a été mentionné de nouveau, mais de façon plus détaillée. Quatre autres incidents où il a été battu ont été relatés, dont un au cours duquel le demandeur a été enlevé et détenu pendant deux jours. Il a déclaré que des « Blancs » lui extorquaient de l’argent en lui faisant des menaces de mort. Le demandeur est allé à la police à trois reprises, mais celle‑ci a refusé d’enquêter. Il a été conduit à l’hôpital deux fois, et s’est vu refuser des soins médicaux l’une de ces fois.

[6]               La Commission a exprimé des doutes au sujet de l’exposé circonstancié du demandeur parce qu’il était rédigé en anglais, n’était pas accompagné d’un certificat de traduction et n’était pas signé par le demandeur. Le conseil du demandeur a expliqué que l’exposé circonstancié avait été consigné avec l’aide d’un interprète, et le demandeur a confirmé sous serment qu’il était vrai, exact et complet.

[7]               Dans son témoignage devant la Commission, le demandeur a déclaré qu’il avait demandé l’aide de la police après avoir été enlevé, mais il n’a pas mentionné ce détail dans l’exposé circonstancié modifié parce qu’il a estimé qu’il était répétitif. Le demandeur a ajouté qu’il avait été dépossédé illégalement de sa maison par le groupe qui lui extorquait de l’argent. Il y avait également d’autres contradictions entre l’exposé circonstancié modifié et le témoignage du demandeur devant la Commission, principalement quant aux dates auxquelles les incidents s’étaient produits.

[8]               Dans sa décision datée du 28 novembre 2013, la Commission a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié ni une personne à protéger. La Commission a cru que le demandeur avait été battu. Cependant, en raison des nombreuses contradictions entre les documents remplis au PDE, son exposé circonstancié modifié et son témoignage de vive voix, et de l’absence d’éléments de preuve corroborants, la Commission a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité et a conclu que les passages à tabac n’équivalaient pas à de la persécution. En se fondant sur son analyse des rapports sur les conditions dans le pays, elle a aussi conclu que les Roms étaient effectivement victimes de discrimination en Slovaquie, mais que la présomption de la protection de l’État n’avait pas été réfutée en l’espèce.

III.             Questions en litige

[9]               La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

A.    la question de savoir si les conclusions de la Commission quant à la crédibilité du demandeur étaient raisonnables;

B.     la question de savoir si la conclusion de la Commission concernant l’absence de persécution du demandeur était raisonnable;

C.     la question de savoir si la conclusion de la Commission selon laquelle il existait une protection de l’État adéquate était raisonnable.

IV.             Analyse

[10]           Les trois questions soulevées en l’espèce sont susceptibles de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008]1 RCS 190).

A.                La crédibilité du demandeur

[11]           Les critiques du demandeur portent principalement sur les paragraphes 24 et 25 de la décision de la Commission, qui traitent d’une contradiction entre son exposé circonstancié modifié et son témoignage de vive voix. L’exposé circonstancié modifié dit que la police n’aiderait pas le demandeur et ses collègues de travail, tandis que le demandeur a déclaré à l’audience que les policiers leur avaient également dit qu’ils avaient eu ce qu’ils méritaient compte tenu de leur origine ethnique.

[12]           Il s’agit, j’en conviens, d’une petite contradiction, et si c’était la seule raison pour laquelle la Commission a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité, la décision aurait pu être déraisonnable. Toutefois, l’examen de la longue analyse détaillée que la Commission a faite de la crédibilité du demandeur confirme que ce n’était qu’une contradiction parmi tant d’autres. La Commission a clos son analyse par l’observation suivante (au paragraphe 34) :

Je suis consciente qu’aucun des doutes soulevés en l’espèce ne peut à lui seul justifier le rejet des demandes d’asile. Cependant, le cumul de ces doutes fait en sorte que je ne dispose pas d’une preuve suffisamment crédible, vraisemblable et digne de foi pour conclure que le demandeur d’asile a qualité de réfugié au sens de la Convention.

[13]           À mon avis, il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que le cumul de plusieurs petites contradictions minait la crédibilité du demandeur (Cuentas Peralta c Canada (MCI), 2014 CF 962, 245 ACWS (3rd) 410; Karakaya c Canada (MCI), 2014 CF 777, 242 ACWS (3rd) 908; Shah c Canada (MCI), 2013 CF 280, 227 ACRS (3rd) 525). Prise dans son ensemble, la décision de la Commission sur ce point est crédible, transparente, et peut se justifier au regard des faits et du droit.

B.                 La persécution

[14]           La Commission a conclu que, bien que le demandeur ait été victime de discrimination en Slovaquie, cela n’atteignait pas le seuil de la persécution. La Commission a aussi conclu que certains des incidents décrits dans l’exposé circonstancié modifié avaient été embellis.

[15]           En se fondant sur son appréciation défavorable de la crédibilité du demandeur, la Commission a conclu que les expériences de discrimination qu’il avait vécues « ne constituent pas, séparément ou collectivement, un préjudice suffisamment grave pour être qualifié de persécution ». Compte tenu de la preuve, il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion de fait, et rien ne permet donc à la Cour d’intervenir légitimement.

C.                 La protection de l’État

[16]           Dans la décision Kina c Canada (MCI), 2014 CF 284, 239 ACWS (3d) 172, à la page 24, le juge Russell a conclu que l’application du critère approprié en matière de protection de l’État est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte, mais que l’application du critère aux faits est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable. En l’espèce, on allègue que la conclusion de la Commission n’était pas étayée par la preuve, ce qui la place dans cette dernière catégorie et commande l’application de la norme de la décision raisonnable.

[17]           Le demandeur s’appuie sur la décision Cervenakova c Canada (MCI), 2012 CF 525, 217 A.C.W.S. (3d) 947 pour affirmer que, même si la Commission procède à une analyse détaillée de la protection de l’État, cette analyse peut être faussée si l’accent est mis sur les efforts qui sont faits pour améliorer la protection de l’État plutôt que sur les résultats. Il cite également la décision que j’ai récemment rendue dans l’affaire Juhasz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 300, 2015.

[18]           En l’espèce, la Commission a conclu de façon raisonnable que le demandeur ne s’était pas toujours prévalu de la protection de l’État. En se fondant sur son analyse de la crédibilité, ainsi que sur l’admission du demandeur selon laquelle il n’avait pas toujours signalé les incidents, la Commission a conclu que le demandeur ne s’était vu refuser l’aide de la police qu’une seule fois, soit lors de l’incident mentionné dans les documents remplis au PDE. Bien qu’ils aient refusé d’enquêter sur cet incident, les policiers n’en avaient pas moins aidé les trois victimes roms en les conduisant à l’hôpital. Dans la décision Vagner c Canada (MCI), 2014 CF 224, 239 A.C.W.S. (3d) 175, le juge Manson a fait remarquer que la décision Cervenakova s’attachait moins aux efforts du demandeur pour obtenir une protection qu’au refus manifeste de la police d’aider.

[19]           Comme le juge en chef Crampton l’a écrit dans la décision Ruszo c Canada (MCI), 2013 FC 1004, 2013 CF 1004, [2013] ACF no 1099 :

Néanmoins, la mauvaise compréhension ou la mauvaise application du critère de la « protection adéquate de l’État » n’est pas nécessairement fatale dans les cas où, comme en l’espèce, la SPR a conclu de façon raisonnable, pour d’autres motifs, que les demandeurs n’avaient pas réussi à réfuter la présomption de protection adéquate de l’État au moyen d’« éléments de preuve clairs et convaincants de l’incapacité de l’État à les protéger ». En l’espèce, ces motifs étaient le défaut des demandeurs de démontrer qu’ils avaient pris toutes les mesures objectivement raisonnables en vue de se prévaloir de la protection de l’État et de fournir une preuve convaincante pour expliquer le défaut de faire plus que d’essayer une seule fois d’obtenir la protection de la police. Comme nous le verrons, il ressort de toute évidence de diverses parties de la décision qu’il s’agissait de considérations très importantes pour la SPR et que, en fait, elles constituaient un autre fondement de sa décision. Eu égard aux conclusions de la SPR sur ces points, sa décision n’était pas déraisonnable.

[20]           De plus, comme le juge Mosley l’a affirmé dans la décision Minyuova c Canada (MCI), 2013 CF 314, 226 A.C.W.S. (3d) 1137, aux pages 6 et 7 :

Chaque cas doit être tranché selon les faits qui lui sont propres, tels qu’ils sont établis par la preuve. Il ne s’agit pas d’une affaire comme Cervenakova c Canada (MCI), 2012 CF 525, où la Commission avait omis d’apprécier comme il se devait les éléments de preuve documentaire, où son analyse était vague et où la conclusion relative au caractère adéquat ne se justifiait pas.

[21]           En l’espèce, la Commission a effectué une analyse prospective du risque de persécution auquel était exposé le demandeur et a examiné correctement la preuve contradictoire contenue dans les rapports sur les conditions dans le pays. La Commission a reconnu qu’il y avait des lacunes dans la protection offerte aux Roms en Slovaquie, mais a néanmoins conclu que le demandeur n’avait pas réussi à réfuter la présomption de la protection de l’État.

[22]           À mon avis, compte tenu de la preuve dont elle disposait, il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion. Il est bien établi en droit que la Commission n’est pas tenue de faire état de chaque élément de preuve étayant sa décision. Rien n’indique que la Commission a fait abstraction des éléments de preuve qui contredisaient ses conclusions, et son analyse était approfondie et rationnelle.

[23]           J’estime donc que l’analyse que la Commission a faite de la protection de l’État était raisonnable.

V.                Conclusion

[24]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier aux fins d’un appel, et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-943-14

 

INTITULÉ :

OTTO BALAZ c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 MARS 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFs :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Micheal Crane

POUR LE DEMANDEUR

 

Leanne Briscoe

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.