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Date : 20150429


Dossier : T-1599-14

Référence : 2015 CF 542

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

PETER TATICEK

demandeur

et

AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Peter Taticek (le demandeur) présente une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue le 18 juin 2014 au dernier palier de la procédure de règlement des griefs par Louis-Paul Normand, vice-président intérimaire de la Direction générale de l’information, des sciences et de la technologie de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). M. Normand a rejeté le grief du demandeur au motif que la défenderesse avait agi raisonnablement et conformément aux conditions de règlement auxquelles le demandeur et cette dernière avaient souscrit le 1er avril 2009.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à la défenderesse pour qu’elle propose le redressement qui convient.

II.                Les faits

[3]               C’est la deuxième fois que le litige sous-jacent à cette affaire est soumis à la Cour. Dans Taticek c Canada (Agence des services frontaliers), 2014 CF 281 (la première instance), la juge Strickland a expliqué ainsi la situation :

2.         Le 30 décembre 2008, il a déposé auprès du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le TDFP) une plainte concernant un processus de nomination annoncé au niveau interne, qui avait été initié en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22, articles 12 et 13 (la LEFP), pour un poste de chef d’équipe au groupe et niveau CS-03. Le demandeur affirmait que le président de l’ASFC avait abusé de son pouvoir en prolongeant une nomination intérimaire au poste de chef d’équipe CS-03, conférant ainsi au titulaire intérimaire un avantage injuste, c’est-à-dire la possibilité pour lui d’acquérir une expérience dans le poste.

3.         Les parties ont participé à une médiation concernant la plainte, ce qui a débouché sur la signature d’un document intitulé « Conditions de règlement » (l’arrangement amiable), daté du 1er avril 2009, où l’on pouvait lire qu’il constituait un [traduction] « règlement complet et définitif des questions et conditions précises liées à la plainte du plaignant ». Le document précisait ensuite que les parties reconnaissaient que tous les aspects de l’affaire avaient été résolus à leur satisfaction conformément à ses modalités. Le deuxième article de l’arrangement amiable est en litige. Il est ainsi rédigé :

[traduction]

2.         pourvoir tout poste PL vacant actuel intérimaire [sic] en recourant au prochain processus de sélection d’un CS-03 intérimaire, puis au prochain processus de sélection d’un CS-03 permanent, en tenant compte de la qualification essentielle et de la qualification constituant un atout pour chacun des postes.

4.         La rature du mot « intérimaire » fut paraphée par chacune des parties. Le demandeur a retiré sa plainte après la signature de l’arrangement amiable.

5.         Quelque temps après, l’ASFC a muté un employé de l’Agence du revenu du Canada dans un poste vacant CS-03 et a pourvu deux autres postes vacants CS-03 en procédant à des mutations internes. Le demandeur a réagi en déposant deux griefs, plus tard joints, dans lesquels il affirmait que les mutations contrevenaient à l’arrangement amiable. Il voulait que l’ASFC respecte l’arrangement amiable, qu’elle remédie aux manquements et qu’elle prenne les autres mesures nécessaires pour rectifier la situation.

[4]               La décision contrôlée dans le cadre de la première instance a été décrite en ces termes par la juge Strickland :

7.         Le 29 mars 2012, Mme Rachel Stanford, conseillère principale en relations de travail à l’ASFC, a organisé une consultation sur le grief au dernier palier, à la suite de quoi elle a rédigé un « Précis concernant le grief au dernier palier » (le Précis) dans lequel elle analysait le grief. Son analyse est résumée ci-après :

L’arrangement amiable réglait une question de dotation en personnel concernant un bassin de candidats qui n’existait plus puisqu’il avait expiré à l’automne de 2010;

Il y avait un malentendu sur l’interprétation de l’arrangement amiable. La direction croyait que la clause visée ne s’appliquait qu’aux nominations promotionnelles ou aux postes intérimaires de plus de quatre mois. Le demandeur et le syndicat croyaient que « tout » poste vacant devait être pourvu par recours aux bassins existants de candidats et que cela comprenait toutes les nominations intérimaires, de courte durée ou de longue durée, ainsi que les nominations pour des périodes indéterminées;

Le TDFP n’examinerait pas la situation parce que la plainte avait été retirée et que le dossier était clos. Nulle disposition de la LEFP ne prévoyait d’ailleurs le dépôt d’une nouvelle plainte à raison du non-respect d’une médiation ou d’un arrangement, comme on pouvait le lire dans la décision Howarth;

Comme l’arrangement amiable ne disait pas clairement à quel genre de nominations ou d’opérations de dotation en personnel il fallait recourir pour ces postes, « il semblerait qu’il y a eu un regrettable malentendu » entre le demandeur et la direction.

8.                   Mme Stanford a recommandé le rejet des griefs.

9.                   Le 29 juin 2012, Mme Therriault-Power, vice-présidente de la Direction générale des ressources humaines de l’ASFC, a communiqué une « réponse au grief » en rejetant les griefs [pour les motifs suivants] :

[traduction]

Je crois comprendre que, selon l’interprétation donnée par la direction, le mémoire d’entente ne s’appliquait qu’aux nominations promotionnelles pour des périodes indéterminées. Puisque l’arrangement ne disait pas précisément à quel genre de nominations ou d’opérations de dotation en personnel il fallait recourir pour ces postes, je suis d’avis qu’il y a eu un regrettable malentendu entre vous-même et la direction. Vos griefs sont donc rejetés.

 En outre, le redressement que vous souhaitez obtenir ne peut pas être appliqué, et aucune autre mesure corrective ne sera donc envisagée.

[5]               La juge Strickland a rendu une décision favorable au demandeur dans l’instance précédente en se fondant sur l’analyse suivante :

55.       À mon avis, les mots « tout poste PL vacant actuel intérimaire [sic] » sont de portée plutôt large et, à première vue, et en l’absence d’une politique ou ligne directrice applicable indiquant le contraire, on pourrait y inclure les mutations.

[…]

58.       Ainsi, même si la direction et le demandeur étaient fondés à exprimer leurs convictions respectives quant à ce que devait réaliser l’arrangement amiable, la preuve de l’intention subjective d’une partie est sans intérêt en l’occurrence. La Cour suprême du Canada s’était exprimée ainsi dans l’arrêt Eli Lilly, précité :

L’intention des parties contractantes doit être déterminée en fonction des mots qu’elles ont employés en rédigeant le document, éventuellement interprétés à la lumière des circonstances du moment. La preuve de l’intention subjective d’une partie n’occupe aucune place indépendante dans cette décision.

[…]

60.       La décideuse aurait dû plutôt fonder sa décision sur une interprétation des termes de l’arrangement amiable et sur le contexte dans lequel cet arrangement avait été conclu. Même si le libellé n’était pas clair, et si pour cette raison il était acceptable de s’appuyer sur une preuve extrinsèque, il n’y a, lorsque l’interprétation préconisée par une partie n’est a priori pas meilleure que celle préconisée par l’autre, aucune raison d’adopter tout simplement celle de la direction.

61.       Par conséquent, selon moi, la présente affaire devrait être renvoyée parce que la décideuse a commis une erreur en fondant sa décision uniquement sur la manière dont la direction avait interprété l’arrangement amiable, une interprétation qui n’était pas suffisamment étayée par le dossier. […] (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 48; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 14).

[6]               C’est M. Normand qui a réexaminé le grief du demandeur. Il a conclu que les mesures prises par la direction étaient conformes à l’article 2 :

[traduction] Après examen, je conclus que les mesures prises par la direction étaient raisonnables et conformes au libellé de l’article 2 des CDR. Je note que la direction vous a rencontré, ainsi que votre représentant syndical, et vous a indiqué qu’à son sens, les CDR avaient pour but de vous offrir une opportunité équitable de promotion. Ceci consistait notamment à apporter des précisions, dans l’arrangement amiable, concernant les prochains processus de sélection d’un CS‑03, pour que votre candidature puisse être examinée aux fins de toutes les nominations promotionnelles susceptibles d’être pourvues par le biais de ces processus imminents.

Je note aussi que la direction vous a rencontré, ainsi que votre représentant syndical, après avoir été informée que vous estimiez qu’elle ne s’était pas conformée aux conditions de l’arrangement amiable, afin de discuter de vos préoccupations. Elle en a pris note, et s’est efforcée de vous expliquer et de vous communiquer, ainsi qu’à votre représentant syndical, les raisons sur lesquelles ses mesures reposaient.

Quoiqu’il soit regrettable que vous ne partagiez pas la position de la direction, je suis convaincu qu’elle a respecté le sens et l’esprit des CDR. Je ne vois aucune raison d’intervenir et me dois de rejeter vos griefs.

[7]               La décision de M. Normand était appuyée par un mémoire interne, ou précis, préparé par une conseillère principale en relations de travail à l’ASFC. Dans l’instance précédente, la juge Strickland a conclu qu’un mémoire interne de cette nature peut être considéré comme faisant partie des motifs :

44.       [U]n précis ou un mémoire interne contenant des recommandations à l’intention du décideur peut tenir lieu de motifs (Wanis c Agence canadienne d’inspection des aliments, 2013 CF 963, au paragraphe 21; Miller c Canada (Solliciteur général), 2006 CF 912, [2007] 3 RCF 438, au paragraphe 62). En l’espèce, la décideuse s’est fondée sur le Précis pour arriver à sa décision, et le contenu du Précis devrait donc être considéré comme partie des motifs de la décision définitive.

[8]               Le mémoire interne préparé à l’intention de M. Normand dans la présente instance contenait les observations suivantes :

[traduction] Selon la direction, les courriels de Mme Billey datés de décembre 2009 illustrent clairement son interprétation des CDR et de l’article 2. Mme Billey estimait que la fonction de ce document était de fournir à M. Taticek une opportunité équitable d’obtenir une promotion, et non de restreindre sa capacité à pourvoir certains postes avec flexibilité. D’après la direction, l’arrangement ne s’appliquait qu’aux nominations promotionnelles et aux nominations intérimaires de plus de quatre mois, mais non aux nominations intérimaires à court terme et aux mutations […]

Le raisonnement de M. Taticek, quoique passionné et méthodique selon lui, est déraisonnable, et son point de vue sur les implications de l’article 2 est intéressé. Quoique l’intérêt personnel n’ait pas à lui seul un caractère déraisonnable, sa thèse doit être envisagée à travers le prisme de la médiation dont le but était de parvenir à une règlement, mutuellement acceptable, entre les parties […] concernant la plainte qu’il a déposée devant le TDFP. Selon la prépondérance des probabilités, il est plus probable que le contraire que si elle avait connu la thèse de M. Taticek, Mme Billey, qui participait à la médiation avec l’aide d’un représentant en dotation, n’aurait pas signé les CDR.

Il est plus probable que le contraire, compte tenu de la présence d’un représentant en ressourcement, qu’elle a signé les CDR en vue de maximiser les chances de M. Taticek de bénéficier (ici) d’une opportunité équitable de promotion […]

[9]               D’après le mémoire interne fourni à M. Normand dans le cadre de la présente instance :

[traduction] L’opinion de la direction est plus raisonnable et appelle une plus grande retenue parce qu’elle est plus conforme à la LEFP et au Règlement. Sous le régime de cette loi, les nominations intérimaires à court terme (affectations intérimaires de moins de quatre mois) et les mutations ne sont pas des promotions, mais constituent une autre forme de dotation dont peut se prévaloir la direction.

III.             Questions à trancher

[10]           Les questions soulevées dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire sont analogues à celles qu’a examinées la juge Strickland lors de l’instance précédente :

A.                Quelle est la norme de contrôle appropriée?

B.                 En décidant de rejeter les griefs, M. Normand a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle justifiant l’intervention de la Cour?

C.                 Si la demande de contrôle judiciaire est accueillie, quel est le redressement approprié?

IV.             Analyse

A.                Quelle est la norme de contrôle appropriée?

[11]           La juge Strickland a conclu dans l’instance précédente que l’interprétation par la direction des conditions de règlement devait être examinée par la Cour selon la norme de la raisonnabilité :

33.       À mon avis, bien que certains facteurs puissent militer en faveur de l’application de la norme de la décision correcte, par exemple la nature informelle du mécanisme de règlement des griefs dans la présente affaire, et le fait que ce mécanisme n’est pas indépendant de l’employeur, la mise en balance de ces facteurs ainsi que l’analyse contextuelle favorisent l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable […]

[12]           Je souscris à cette conclusion. Je note qu’aucune partie à la présente instance ne conteste la norme de contrôle appliquée par la juge Strickland dans l’instance précédente.

B.                 En décidant de rejeter les griefs, M. Normand a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle justifiant l’intervention de la Cour?

[13]           Dans l’instance précédente, la juge Strickland a déclaré :

37.       La règle cardinale de l’interprétation des contrats est que [traduction] « le sens littéral doit être donné au texte du contrat, à moins qu’il n’en résulte une absurdité ». On peut recourir au contexte pour montrer l’objet de la disposition contractuelle en cause, non pour modifier le sens des mots d’un contrat écrit (Gerald H. L. Fridman, The Law of Contract in Canada (Carswell), pages 437- 438). La preuve de l’intention subjective d’une partie n’est pas pertinente, et les preuves extrinsèques ne devraient pas être prises en compte lorsque le contrat est clair et sans ambiguïté (arrêt Eli Lilly and Co c Novopharm Ltd, [1998] 2 RCS 129, aux paragraphes 54 à 59 [arrêt Eli Lilly]).

[14]           Dans la présente instance, la défenderesse s’appuie sur l’affidavit de la directrice du demandeur, Diane Billey, qui affirme que [traduction« en souscrivant au paragraphe 2 de l’arrangement amiable, j’entendais qu’il ne s’applique qu’aux nominations intérimaires de quatre mois ou plus et aux nominations promotionnelles ». Mme Billey ne dit pas que son intention a été communiquée au demandeur ou à son représentant avant que les conditions de règlement ne soient arrêtées. Elle dit plutôt que son interprétation de l’article 2 a été confirmée [traduction« dans un courriel du 16 décembre 2009 », c’est-à-dire environ huit mois après la signature des conditions de règlement le 1er avril précédent.

[15]           Le demandeur a déposé l’affidavit de Philip Wang, qui a pris part à la médiation pour le compte de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) en qualité d’agent négociateur pour le demandeur. M. Wang dépose ce qui suit :

[traduction

7.         Je puis confirmer qu’à aucun moment durant les négociations de règlement ayant abouti à la signature de l’arrangement amiable, l’un ou l’autre des représentants de l’employeur n’a laissé entendre que les conditions de règlement ne visaient qu’à offrir à M. Taticek une opportunité de promotion équitable. Je peux également confirmer qu’aucun des représentants de l’employeur n’a laissé entendre que les conditions de règlement se limitaient aux nominations promotionnelles.

8.         À mon avis, l’arrangement amiable est clair à première vue. Il s’applique à toutes les dotations de postes CS‑03, y compris par voie de nominations intérimaires et de mutations. À aucun moment, M. Taticek et moi-même n’avons été amenés à croire autre chose durant les négociations de règlement ayant abouti à la signature de l’arrangement amiable.

[16]           M. Normand ne disposait d’aucun de ces deux affidavits lorsqu’il a réexaminé le grief du demandeur, mais ces documents confirment simplement ce que le dossier démontre déjà : dans la mesure où la défenderesse voulait que l’article 2 des conditions de règlement transcende le sens ordinaire de son libellé, le demandeur n’en a jamais été informé.

[17]           Dans l’instance précédente, la juge Strickland a conclu que l’expression « tout poste PL vacant actuel intérimaire [sic] » avait à première vue une portée assez large pour englober les mutations. La défenderesse ne conteste pas que les postes finalement pourvus par voie de mutation étaient des postes vacants au sens de l’article 2. Conformément aux conditions de règlement, la défenderesse a accepté de pourvoir ces postes [traduction] « en recourant au prochain processus de sélection d’un CS-03 intérimaire, puis au prochain processus de sélection d’un CS-03 permanent, en tenant compte de la qualification essentielle et de la qualification constituant un atout pour chacun des postes ». En clair, la défenderesse n’a pas respecté cet engagement.

[18]           Lorsqu’elle a accueilli la précédente demande de contrôle judiciaire, la juge Strickland a reconnu qu’il était possible de modifier le sens ordinaire des conditions de règlement par « une politique ou ligne directrice applicable indiquant le contraire ». Les dispositions de la LEFP invoquées par la défenderesse ne contredisent pas les conditions de règlement. Il est vrai que cette loi accorde à la défenderesse une très grande latitude pour ce qui est du choix des mesures de dotation. Cependant, en l’espèce, la défenderesse a volontairement restreint cette latitude en acceptant les conditions de règlement. Elle ne prétend pas que la LEFP empêche toute restriction du pouvoir discrétionnaire par un accord volontaire; sa propre interprétation des conditions de règlement suppose d’ailleurs des restrictions à la latitude de la direction dans l’attribution des postes vacants. L’avocat de la défenderesse a qualifié le choix des termes de l’article 2 de [traduction« malheureux », mais cela ne change rien à leur sens.

[19]           En fin de compte, la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie essentiellement pour les mêmes motifs que la précédente. Le réexamen du grief du demandeur par la défenderesse n’a pas respecté les directives formulées par la juge Strickland. Les conditions de règlement et le contexte dans lequel elles ont été acceptées n’ont pas fait l’objet d’un véritable effort d’interprétation. L’interprétation de la direction a été adoptée sans avancer de fondement raisonnable, sinon en acceptant ses intentions subjectives. Il s’agit d’une erreur susceptible de contrôle justifiant l’intervention de la Cour.

C.                 Quel est le redressement approprié?

[20]           Je ne pense pas qu’il soit indiqué de renvoyer la présente affaire à l’ASFC pour que les conditions de règlement soient interprétées et appliquées raisonnablement. La norme de contrôle appliquée par la Cour est celle de la raisonnabilité. Cependant, sous réserve de la mise en garde de la juge Strickland concernant les politiques ou les directives à l’effet contraire (dont il n’est pas question ici), aucune interprétation raisonnable de l’article 2 des conditions de règlement n’autorise la défenderesse à écarter son sens manifeste et à pourvoir des postes vacants par voie de mutation plutôt que par les processus de sélection spécifiés. En pourvoyant des postes vacants par voie de mutation, la défenderesse a clairement contrevenu aux conditions de règlement.

[21]           Dans l’instance précédente, la juge Strickland a déclaré ce qui suit au sujet des redressements ouverts au demandeur si sa demande de contrôle judiciaire était accueillie :

67.       Il est impossible de savoir si le demandeur aurait été le candidat retenu, mais le décideur au dernier palier a le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts pour l’« occasion manquée » d’obtenir l’un des trois postes convoités (Ontario (Ministry of Community, Family and Children’s Services) c. OPSEU, [2004] OGSBA no 192 (Commission de règlement des griefs des employés de l’État), paragraphes 14 à 21; Alberta Health Services c Alberta Union of Provincial Employees (arbitrage McGinnis), [2011] AGAA no 42 (arbitre Sims, c.r.), aux paragraphes 37 à 47; OPSEU c Ontario (St Lawrence Parks Commission), [2010] OGSBA no 113 (arbitre Herlich), aux paragraphes 14 à 27; Grand Yellowhead Regional Division No 35 c CUPE, Local 1357 (grief Proulx), [2010] AGAA no 47 (arbitre Tettensor), aux paragraphes 16 à 21). La jurisprudence arbitrale accorde des dommages-intérêts pour l’occasion manquée d’obtenir une promotion, selon les mêmes principes que les dommages-intérêts accordés en common law pour occasion manquée (arrêt Chaplin c. Hicks, [1911] 2 KB 786 (CA), et les règles applicables aux dommages-intérêts accordés pour occasion manquée sont appliquées par les tribunaux canadiens (arrêt Eastwalsh Homes Ltd c. Anatal Developments Ltd, [1993] OJ no 676 (QL), au paragraphe 42 (CA Ont)).

[…]

76.       [P]uisque je suis arrivée à la conclusion que la présente affaire devrait être renvoyée pour nouvel examen, il appartiendra au décideur, si nécessaire, à ce moment-là, de concevoir un redressement adéquat (décision Backx, précitée, au paragraphe 25).

[22]           La défenderesse est la mieux placée pour déterminer comment remédier à la violation des conditions de règlement, par exemple en accordant des dommages-intérêts ou en offrant des opportunités comparables à celles envisagées par les conditions de règlement. Les parties peuvent convenir autre chose. C’est là leur prérogative.

[23]           Le présent litige aurait pu être évité si la défenderesse avait suivi plus étroitement la décision de la juge Strickland dans l’instance précédente. Le demandeur a droit à ses dépens conformément à la colonne IV du tarif B.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens selon la colonne IV du tarif B.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1599-14

 

INTITULÉ :

PETER TATICEK c AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 8 avril 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge FOTHERGILL

 

DATE DU JUGEMENT ET MOTIFS :

LE 29 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Steven Welchner

POUR LE demandeur

 

Lesa Brown

POUR LA défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Steven Welchner

Welchner Law Office

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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