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Date : 20150422


Dossier : T-825-13

Référence : 2015 CF 523

Montréal (Québec), le 22 avril 2015

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

YACINE AGNAOU

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Monsieur Yacine Agnaou demande la révision judiciaire de la décision de la Commission de la fonction publique du Canada [la Commission] du 16 avril 2013 ayant d’une part accepté le Rapport d’enquête concluant à la présence d’erreurs dans un processus de nomination externe et ayant d’autre part, à titre de mesure corrective, ordonné aux gestionnaires visés de suivre le cours PO15, Aperçu de la Directive sur le réaménagement des effectifs, École de la fonction publique.

[2]               Suite à la lecture du dossier des parties et ayant considéré leurs représentations orales et écrites, la demande de révision judiciaire sera accueillie pour les raisons exposées ci-dessous.

I.                   Le contexte

[3]               En 2009, M. Agnaou, alors à l’emploi du Service des poursuites pénales du Canada [SPPC], quitte son poste pour un congé d’études.

[4]               Le 1er novembre 2010, le poste occupé par M. Agnaou est doté pour une période indéterminée. Du 1er novembre 2010 au 3 janvier 2013, M. Agnaou bénéficie d’un droit de priorité en vertu de l’article 41 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22, [LEFP].

[5]               En septembre 2011, le Bureau du registraire de la Cour suprême du Canada [BRCSC] mène simultanément deux processus de nomination afin de pourvoir à deux postes de conseiller juridique.

[6]               Ainsi, suivant la réception de l’autorisation par la Commission, le BRCSC avait annoncé deux processus de nomination, l’un interne (11-SUC-IA-1221) et l’autre externe (11-SUC-EA-1181).

[7]               M. Agnaou est identifié comme prioritaire dans le cadre du processus interne. Cependant, en octobre 2011, ce processus interne est annulé en raison de l’identification d’une situation justifiant le recours au mécanisme de dotation prévu à l’article 43 de la LEFP, et l’évaluation de la candidature prioritaire de M. Agnaou n’est donc pas complétée. Ce poste est ultimement pourvu par Mme Geneviève Domey, une personne déjà à l’emploi de la Cour suprême du Canada[CSC].

[8]               Par ailleurs, M. Agnaou n’est pas identifié comme prioritaire dans le cadre du processus externe, et le 3 novembre 2011, Mme Renée Thériault reçoit l’offre d’emploi pour le poste de conseiller juridique dans ce processus de nomination externe (11-SUC-EA-1181).

[9]               À l’automne 2011, M. Agnaou manifeste son mécontentement au BRCSC quant au traitement de sa candidature, et demeure insatisfait des commentaires qu’il reçoit.

[10]           Ainsi, le 4 mars 2012, M. Agnaou dépose sa plainte à la Commission alléguant la violation, par le BRCSC, de son droit de priorité.

[11]           Le 29 juin 2012, M. Denis Bilodeau, vice-président de la Direction générale des enquêtes [DGE] de la Commission, informe M. Agnaou par lettre que la Commission a accepté les motifs du BRCSC pour annuler le processus de nomination interne en ayant recours à l’article 43 de la LEFP, mais qu’une enquête sera tenue quant au processus de nomination externe. M. Agnaou ne conteste pas la décision de la Commission de ne pas enquêter sur le processus de nomination interne.

[12]           Les premières entrevues de l’enquête sur le processus de nomination externe, conduite par M. Errico Urbani [l’enquêteur], se tiennent en septembre 2012. M. Urbani rencontre notamment Mme Karen McCallum, conseillère en Ressources humaines, Direction générale des ressources humaines, CSC et Mme Julie Terrien, avocate-conseil, Direction générale du droit, CSC et gestionnaire d’embauche déléguée.

[13]           En substance, Mme McCallum indique à M. Urbani que le défaut de considérer la candidature de M. Agnaou dans le cadre du processus externe résulte simplement d’un oubli. Mme Terrien indique quant à elle à M. Urbani qu’il ne s’agissait pas d’un oubli, mais d’un facteur de « timing » puisque les discussions avec Mme Thériault étaient déjà en marche.

[14]           Pendant l’enquête, Mme Anne-Marie Larivière, directrice, Direction générale des ressources humaines à la CSC propose à M. Agnaou d’évaluer sa candidature, mais ce dernier refuse, ayant perdu toute confiance dans le processus.

[15]           Le 7 octobre 2012, M. Agnaou communique avec l’enquêteur par courriel pour l’informer que son droit de priorité échoira le 3 janvier 2013.

[16]           Le 23 octobre 2012, l’enquêteur  transmet le « Rapport factuel » à M. Agnaou et aux autres personnes concernées, et le 30 octobre 2012, M. Agnaou soumet ses commentaires en réponse audit Rapport factuel.

[17]           En décembre 2012, M. Agnaou demande à M. Denis Desharnais, directeur général, Ressources humaines du SPPC, si les avantages liés à son droit de priorité peuvent être protégés en attente de l’aboutissement de l’enquête de la Commission. Il copie M. Bilodeau sur cette demande. M. Desharnais informe M. Agnaou que le SPPC ne peut accéder à sa demande et M. Agnaou lui répond avoir fait le nécessaire pour protéger son droit de priorité et lui demande de bien vouloir l’aviser si des étapes supplémentaires s’avèrent nécessaires à cet égard.

[18]           Le 3 janvier 2013, le droit de priorité de M. Agnaou arrive à terme.

[19]            Le 1er février 2013, la DGE de la Commission transmet à M. Agnaou son Rapport d’enquête et, le 13 février 2013, l’invite à lui faire parvenir ses commentaires.

[20]           Ce Rapport d’enquête conclut que « Mme McCallum a commis une erreur qui a influé sur le choix de la personne nommée en ne vérifiant pas auprès de la CFP s’il y avait d’autres personnes bénéficiant d’un droit de priorité de nomination avant la nomination de Mme Thériault. De plus, Mme Terrien a commis une erreur qui a influé sur le choix de la personne nommée en nommant Mme Thériault sans évaluer ou considérer la candidature prioritaire de M. Agnaou ». La DGE de la Commission propose dans la lettre du 13 février 2013 que Mme Terrien et Mme McCallum suivent le cours PO15, Aperçu sur le réaménagement des effectifs, École de la fonction publique, à titre de mesure corrective.

[21]           Par lettre datée du 25 février 2013, M. Agnaou conteste le Rapport d’enquête et la mesure corrective proposée.

[22]           Le 16 avril 2013, la DGE de la Commission transmet une « Note d’information à la Commission » afin d’obtenir son approbation finale concernant le Rapport d’enquête et la mesure corrective. Sous le titre « Recommandation finale », cette note opine que la Commission n’a pas l’autorité légale de prolonger la période de priorité de M. Agnaou, et mentionne que ce dernier a refusé que sa candidature soit évaluée par le BRCSC pendant l’enquête, alors que son droit de priorité était toujours en vigueur.

[23]           Le 16 avril 2013, la Commission produit son Rapport de décision qui accepte le Rapport d’enquête et ordonne la mesure corrective précitée.

[24]           M. Agnaou demande la révision judiciaire de ce Rapport de décision du 16 avril 2013.

II.                Questions en litige

[25]           En l’espèce, les questions en litige peuvent être formulées comme suit :

1)                  La Commission a-t-elle violé l’équité procédurale dans la poursuite de son enquête?

2)                  La décision de la Commission respecte-t-elle l’objet de la LEFP, en particulier celui de l’article 66?

III.             Norme de contrôle

[26]           Il n’est pas nécessaire d’effectuer une analyse exhaustive de la norme de contrôle applicable aux questions en litige puisque celle-ci a été établie d’une manière satisfaisante par la jurisprudence pour les catégories de questions soulevées en l’espèce (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 62 [Dunsmuir]).

[27]           Ainsi, la première question concernant de possibles manquements à l’équité procédurale doit être analysée sous la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Seck c Canada (Procureur général), 2012 CAF 314 au para 55 [Seck]).

[28]           Par ailleurs, la deuxième question traite de l’interprétation de la LEFP et se trouve au cœur du mandat et de l’expertise de la Commission.  Conséquemment, une telle question doit être analysée sous la norme de décision raisonnable (MacAdam v Canada (Attorney General), 2014 FC 443 aux para 49-50). En outre, la Commission possède un large pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 66 de la LEFP afin de « prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées » et une telle discrétion appelle à la déférence dans la révision de cette décision.

IV.             Position des parties

A.                M. Agnaou

[29]           M. Agnaou soutient que l’enquête tenue par la Commission a violé l’équité procédurale puisqu’elle n’a pas satisfait aux attentes minimales de neutralité et de rigueur et que la Commission a omis de considérer plusieurs éléments de preuve importants.

[30]           M. Agnaou soutient que la Commission a aussi violé l’équité procédurale en « prenant son temps » pour mener son enquête et en ne rendant sa décision qu’une fois son droit de priorité échu. Il soutient avoir présenté sa plainte dans le délai imparti et n’avoir provoqué aucun retard dans le processus d’enquête ou de décision.

[31]           De plus, M. Agnaou soutient que la Commission a erré en concluant qu’aucune mesure de redressement ne pouvait être prise en sa faveur puisque son droit de priorité était échu, l’article 66 de la LEFP et l’économie de la loi ne supportant pas une telle conclusion. La Commission détient plutôt un pouvoir discrétionnaire lui permettant de prononcer des mesures correctives, pouvoir qui doit être exercé en conformité avec la nature et l’objet de la loi lui attribuant ce pouvoir, en l’occurrence, la LEFP. Selon M. Agnaou, la Commission a agi « arbitrairement, en fonction de motifs injustifiés et pour des considérations dépourvues de pertinence ».

[32]           M. Agnaou soutient de plus que la position de la Commission selon laquelle elle n’est pas habilitée à enquêter sur des allégations de conduite irrégulière de la nature d’une fraude est erronée, mais qu’au contraire, l’article 66 permet à la Commission de tirer des conclusions sur des comportements frauduleux.

[33]           M. Agnaou demande à la Cour de révoquer les nominations aux postes de conseiller juridique dans les processus de nomination 11-SUC-EA-1181 et 11-SUC-IA-1221, d’ordonner à la Commission que des mesures disciplinaires soient prises contre les responsables de son sort et d’ordonner que le BRCSC le nomme à un poste LA-2A si l’évaluation juste et équitable de sa candidature indique qu’il satisfait aux qualifications essentielles. Il est à noter que la révocation de la nomination de Mme Domey, demandée par M. Agnaou, n’est pas traitée dans le Rapport de décision précité du 16 avril 2013 puisque cette dernière a été nommée dans le cadre du processus de nomination interne (11-SUC-IA-1221). Cette nomination ne fait donc pas partie de l’analyse de cette Cour dans le contexte du présent contrôle judiciaire.

[34]            Finalement, M. Agnaou soutient qu’il a droit à un verdict imposé, un tel verdict étant nécessaire pour obtenir le seul résultat raisonnable en l’espèce.

B.                 Le défendeur

[35]           De son côté, le défendeur soutient que l’enquête de la Commission a été menée de façon conforme aux principes de justice naturelle et qu’elle ne présente pas de déficiences.

[36]           Le défendeur soutient que l’enquête a été exécutée conformément aux exigences prescrites par l’article 66 de la LEFP, lequel permet d’enquêter sur tout processus de nomination externe et de prendre des mesures correctives. Par ailleurs, le défendeur précise que l’enquête, justement initiée sous l’égide de l’article 66 de la LEFP, ne portait pas sur de possibles comportements frauduleux, régis par l’article 69 de la LEFP, mais visait plutôt à déterminer si la nomination de Mme Thériault a été fondée sur le mérite et visait à vérifier qu’aucune erreur, omission ou conduite irrégulière n’ait pu influer sur le choix de cette nomination.

[37]           La Cour doit faire preuve de déférence quant à l’étendue et la profondeur de l’enquête de la Commission.

[38]           Le défendeur note aussi que la Commission a identifié deux erreurs commises par le BRCSC.

[39]           Le défendeur soutient que la mesure corrective ordonnée est raisonnable et que la Commission ne pouvait pas, en l’instance, ordonner la prise de mesures disciplinaires, celles-ci étant régies par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22, art 2.

[40]           Le défendeur soutient aussi que la Commission ne pouvait envisager un nouveau processus de nomination à titre de mesure corrective puisque le droit de priorité de M. Agnaou était expiré au moment où la décision a été rendue, qu’il n’était plus un « fonctionnaire » et que la LEFP ne contient aucun mécanisme pour prolonger ce droit de priorité. En effet, l’article 41 de la LEFP fixe le droit de priorité à la période au cours de laquelle le fonctionnaire est en congé et à l’année qui suit, et aucune disposition ne prévoit la possibilité de le prolonger.

[41]           Le défendeur confirme que la durée de l’enquête est tout à fait normale.

[42]           Le défendeur soutient finalement que le fait pour M. Agnaou de détenir un droit de priorité ne lui confère pas un droit d’être nommé au poste convoité, d’autant plus qu’il a refusé l’offre que le BRCSC lui a présentée, de l’évaluer pendant que son droit de priorité était encore en vigueur.

[43]           Finalement,  rien ne justifie en l’espèce de rendre un verdict imposé.

V.                Analyse

[44]           La Cour limitera son analyse à l’examen de la mesure corrective choisie puisqu’elle permet de disposer de la présente demande.

A.                Cadre législatif

[45]           Le préambule de la LEFP en énonce les attendus, parmi lesquels figure l’énoncé suivant :

Attendu :

[...]

 « qu’il demeure avantageux pour le Canada de pouvoir compter sur une fonction publique non partisane et axée sur le mérite et que ces valeurs doivent être protégées de façon indépendante ».

[46]           La Commission a donc essentiellement pour mission de protéger la probité du processus de nomination à la fonction publique (Préambule, LEFP; Seck aux para 24, 49).

[47]           Suivant les Lignes directrices – Sélection et nomination de la Commission et la section 2.4 de la Série d’orientation – Évaluation, sélection et nomination de la Commission, documents appuyés par la LEFP et les articles 5 et ss. du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, DORS/2005-334, un gestionnaire ne peut nommer une personne sans avoir préalablement évalué ou considéré les personnes bénéficiant d’un droit de priorité de nomination intéressées au poste à pourvoir, afin de déterminer si celles-ci possèdent les qualifications essentielles du poste.

[48]           Le droit de priorité d’un fonctionnaire en congé est prévu à l’article 41 de la LEFP et s’échelonne sur la période pendant laquelle le fonctionnaire est en congé et l’année qui suit. La LEFP ne prévoit pas la prolongation de la période de validité du droit de priorité.

[49]           Par ailleurs, l’enquête dans le présent dossier a été menée en vertu de l’article 66 de la LEFP, qui se lit comme suit :

Nominations externes

66. La Commission peut mener une enquête sur tout processus de nomination externe; si elle est convaincue que la nomination ou la proposition de nomination n’a pas été fondée sur le mérite ou qu’une erreur, une omission ou une conduite irrégulière a influé sur le choix de la personne nommée ou dont la nomination est proposée, la Commission peut :

a) révoquer la nomination ou ne pas faire la nomination, selon le cas;

b) prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées.

External appointments

66. The Commission may investigate any external appointment process and, if it is satisfied that the appointment was not made or proposed to be made on the basis of merit, or that there was an error, an omission or improper conduct that affected the selection of the person appointed or proposed for appointment, the Commission may

(a) revoke the appointment or not make the appointment, as the case may be; and

(b) take any corrective action that it considers appropriate.

[50]           Ainsi, l’alinéa 66(a) de la LEFP accorde à la Commission le pouvoir de révoquer une nomination.

[51]           L’alinéa 66(b) de la LEFP accorde quant à lui à la Commission un large pouvoir discrétionnaire pour prendre les mesures correctives appropriées.

B.         Choix de la mesure corrective

[52]           En l’espèce, M. Aganou bénéficiait du droit de priorité prévu à l’article 41 de la LEFP et l’enquête de la Commission a confirmé que des erreurs ont été commises par Mmes McCallum et Terrien. Cependant, la Commission a limité la mesure corrective à une ordonnance enjoignant à Mmes Terrien et McCallum d’aller suivre une formation. La DGE de la Commission a indiqué dans une note d’information à la Commission datée du 16 avril 2013 qu’« [é]tant donné que ce droit de priorité a pris fin le 3 janvier 2013 et que la Commission n’a pas l’autorité légale de prolonger cette période, la Direction générale des enquêtes ne recommande aucune mesure corrective concernant M. Agnaou ».

[53]           Bien que les mesures correctives prises par la Commission soient évaluées sous l’angle de la décision raisonnable, cela ne signifie pas que le pouvoir discrétionnaire de la Commission à cet égard soit sans limites. La mesure corrective prise par la Commission doit respecter l’essence du préambule de la LEFP, soit la sauvegarde du principe du mérite et de la probité du processus de nomination à la fonction publique. L’atteinte d’un tel objectif nécessite la prise de mesures correctives permettant de remédier à des erreurs commises lorsque, tel qu’en l’espèce, celles-ci ont influé sur le processus de nomination en ce qu’une candidature prioritaire n’a pas été évaluée. Une décision quant à la prise de mesures correctives sera jugée déraisonnable lorsque la mesure corrective adoptée n’est pas en lien avec la violation constatée (Royal Oak Mines Inc c Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 RCS 369 au para 60).

[54]           La Cour est d’avis que l’ordonnance de la Commission en l’espèce n’est pas raisonnable en ce qu’elle ne tend pas à protéger l’intégrité du processus de nomination de la fonction publique. En effet, l’ordonnance prise par la Commission n’offre aucun remède à M. Agnaou, malgré le manquement relevé dans le processus de nomination (voir Plato c Canada (Agence du Revenu) 2013 CF 348, au para 21 [Plato]). Au surplus, la Commission n’explique pas en quoi la nomination demeure valide malgré les erreurs commises dans le processus de nomination. Il en résulte que la décision de la Commission ne satisfait pas le critère de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir au para 47).

[55]           Tel que notre Cour l’a affirmé dans Plato au para 19 :

Bien que l'éventail des décisions acceptables que l'ARC puisse prendre en matière de réparation soit fort large dans une affaire comme celle dont nous sommes saisis, il n'est toutefois pas illimité. En dernière analyse, il doit toujours y avoir un certain lien logique entre la réparation choisie et le manquement auquel elle est censée remédier. En l'absence de tout lien, la mesure de réparation n'appartiendra pas aux issues possibles acceptables. Comme la juge Gagné l'a récemment fait remarquer dans Backx c Agence canadienne d'inspection des aliments, 2013 CF 139, lorsqu'il s'agit d'apprécier le caractère raisonnable d'une décision faisant suite à un grief en matière de dotation, la décision sera annulée si elle "ne répond pas à la prétention du demandeur et qu'elle ne lui offre aucune mesure de réparation valable" (au paragraphe 24). De manière assez semblable, les tribunaux reconnaissent depuis longtemps la nécessité d'un lien rationnel entre le manquement constaté par d'autres types de tribunaux du travail et la réparation prévue par l'ordonnance (voir, p. ex., Royal Oak Mines Inc c Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 RCS 369, à la page 409). [nos soulignements]

[56]           En l’espèce, M. Agnaou a été privé de l’opportunité de voir sa candidature évaluée sérieusement par le BRCSC dans le cadre du processus de nomination interne. La situation dans laquelle se retrouve M. Agnaou peut être comparée à celle du demandeur dans Backx c Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2013 CF 139. En effet, la Cour note, au paragraphe 25 :

Rien ne donne à penser que l'offre de l'ACIA remédierait de quelque façon à l'occasion que le demandeur a manquée, ni que l'ACIA a pris des mesures raisonnables pour offrir au demandeur une mesure de réparation convenable dans son cas en particulier. Il est loisible à l'ACIA de choisir comme bon lui semble de quelle manière remédier à la perte que le demandeur a subie, mais elle est tenue de le faire de manière raisonnable et valable.

[57]           Malgré la conclusion à laquelle en arrive la Cour, il n’est pas possible d’accéder à la demande de M. Agnaou d’ordonner un verdict dirigé puisque le pouvoir de révoquer une nomination relève du pouvoir discrétionnaire de la Commission; cette dernière peut prendre toute mesure corrective lors du constat d’un processus de nomination déficient. De même, un verdict dirigé ne serait pas opportun puisque la candidature de M. Agnaou n’a pas été évaluée et qu’au surplus, le dossier de la Cour ne permet pas de savoir si un poste de niveau LA-2A est disponible auprès du BRCSC.

[58]           En somme, la Cour conclut que M. Agnaou a été privé du bénéfice de son droit de priorité et que la Commission doit adopter une mesure corrective ayant un lien logique avec les manquements constatés dans son Rapport d’enquête et apportant à M. Agnaou une réparation valable.

[59]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’elle décide d’une nouvelle mesure corrective conformément aux motifs du présent jugement. Les dépens sont accordés à M. Agnaou.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens contre le défendeur.

2.      Le dossier est renvoyé à la Commission de la fonction publique pour une nouvelle détermination de la mesure corrective conformément aux motifs du présent jugement.

« Martine St-Louis »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-825-13

 

INTITULÉ :

YACINE AGNAOU c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 novembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LA JUGE ST-LOUIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 avril 2015

 

COMPARUTIONS :

Yacine Agnaou

 

pour le demandeur

(Pour SON PROPRE COMPTE)

Agnieszka Zagorska

 

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

 

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