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Date : 20150506


Dossier : IMM-250-14

Référence : 2015 CF 590

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2015

En présence de monsieur le juge Shore

Entre :

OBSE MOHA MUSE (représentée par sa tutrice à l’instance
SUSAN WOOLNER)

demanderesse

et

Le ministre de la citoyenneté

et de l’immigration

défendeur

Jugement et motifs

I.                   Aperçu

[1]               La Cour conclut que la situation et les vulnérabilités particulières de la demanderesse commandent une vigilance accrue en ce qui a trait à l’équité procédurale (voir Benitez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 1 RCF 107, au paragraphe 113 [Benitez]).

[2]               Il n’en demeure pas moins qu’il incombe à la demanderesse d’établir son identité et le bien‑fondé de sa demande (voir l’article 106 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]).

[3]               La question de savoir si d’autres explications seront présentées dans les faits est une question de conjecture en ce qui a trait à ce que sera l’issue de la SPR. Les principes d’équité procédurale exigent cependant que la demanderesse doit, à tout le moins, avoir la possibilité de fournir des réponses. Ainsi, l’examen de la demande d’asile de la demanderesse et la compréhension qui lui sera accordée refléteront l’équité procédurale, compte tenu de sa situation particulière (relativement aux problèmes mentaux reconnus, outre les cicatrices et les brûlures sur son corps comme le montre la preuve, qui doivent être pris en compte de façon adéquate conformément à l’arrêt Singh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 RCS 177 [Singh]).

II.                Introduction

[4]               Il s’agit d’une demande fondée sur le paragraphe 72(1) de la LIPR dans laquelle la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a refusé l’asile au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

III.             Contexte factuel

[5]               La demanderesse est une citoyenne de l’Éthiopie âgée de 30 ans qui demande l’asile sur le fondement de son origine ethnique oromo et de ses présumées opinions politiques. La demanderesse allègue que les faits suivants ont mené à sa demande d’asile.

[6]               En 2001, le père de la demanderesse, un membre bien connu et respecté de la collectivité oromo à Jimma, en Éthiopie, a été faussement accusé de participer au Front de libération oromo [le FLO] et a été détenu par les autorités.

[7]               La demanderesse soutient que depuis ce moment, les membres de sa famille et elle ont été ciblés par les autorités dans le cadre d’une persécution généralisée de la communauté ethnique oromo.

[8]               En 2001, la demanderesse, ses frères et sœurs et leur mère ont été détenus pendant six mois sans procès à la suite d’une plainte qu’ils avaient déposée auprès des autorités concernant la détention du père de la demanderesse.

[9]               Alors que la demanderesse était détenue, les gardiens de la prison l’ont menacé de violence sexuelle, l’ont blessée et l’ont interrogée à propos de sa présumée participation au FLO.

[10]           Après que les membres de la famille eurent été libérés, les policiers leur ont rendu visite à de nombreuses reprises pour les interroger, les harceler et les accuser de participer au FLO. À une occasion, la mère de la demanderesse a été arrêtée et détenue pendant cinq mois, période pendant laquelle la demanderesse et ses frères et sœurs ont vécu avec leur grand‑mère dans une autre ville, par crainte d’être harcelés par la police.

[11]           La demanderesse a cessé de fréquenter l’école parce qu’elle souffrait de dépression et de problèmes de santé mentale liés à la façon dont elle avait été traitée pendant sa détention et en raison du stress et de l’anxiété liés à la situation de son père.

[12]           En 2004, la demanderesse et sa mère sont retournées au poste de police pour se renseigner sur l’endroit où se trouvait le père de la demanderesse. À la suite d’une altercation verbale avec les policiers, la demanderesse et sa mère ont été arrêtées et détenues pendant huit mois. Pendant sa détention, la demanderesse a été interrogée à propos du FLO et a été attaquée par les gardiens de la prison. Après la remise en liberté de la mère et de la demanderesse, la police a continué de perquisitionner la maison de la demanderesse.

[13]           En 2008, la demanderesse s’est mariée et a fui sa ville natale pour aller à Addis‑Abeba afin d’échapper au harcèlement de la police. Toutefois, pendant que la demanderesse vivait dans cette ville, sa mère l’a informé que la police la recherchait.

[14]           Après avoir vécu dans la peur à Addis‑Abeba pendant deux ans, la demanderesse a économisé suffisamment d’argent pour se rendre en Égypte munie de faux documents. L’expérience de la demanderesse en Égypte s’est révélée difficile, car elle a eu de la difficulté à trouver du travail et a survécu à une tentative de viol et de vol qualifié. Une riche Égyptienne ayant quatre enfants [l’employeuse] a ensuite engagé la demanderesse comme aide ménagère et bonne d’enfants. Même si l’employeuse faisait preuve de violence à son égard, la demanderesse avait le sentiment de n’avoir nulle part où aller. De plus, l’époux de la demanderesse l’a informé que les autorités la recherchaient toujours en Éthiopie.

[15]           L’employeuse a demandé à la demanderesse de voyager avec elle afin de s’occuper de ses enfants et de faire du travail ménager au cours d’un voyage au Canada, ce à quoi la demanderesse a acquiescé.

[16]           À son arrivée à l’aéroport de Toronto, la demanderesse a fui son employeuse et a demandé l’asile auprès d’un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC].

[17]           En réponse au diagnostic de la demanderesse selon lequel elle souffre d’un trouble schizo‑affectif à forme dépressive qui influe sur sa capacité à se souvenir des événements, de leur chronologie et de leur durée, Mme Susan Woolner a été nommée en qualité de représentante désignée de la demanderesse. Madame Woolner a aidé la demanderesse à remplir son Formulaire de renseignements personnels [le FRP] et agit à l’heure actuelle en qualité de tutrice à l’instance de la demanderesse.

[18]           La SPR a instruit la demande d’asile de la demanderesse le 29 octobre 2013.

IV.             Décision contestée

[19]           Le 17 décembre 2013, la SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse pour des motifs liés à l’identité, à la crédibilité et à l’absence du bien-fondé de sa crainte d’être persécutée.

A.                Identité

[20]           Dans sa décision, la SPR relève de nombreux problèmes concernant l’identité de la demanderesse et conclut qu’elle « n’est pas persuadé[e] que la demandeure d’asile est nécessairement celle qu’elle affirme être et qu’elle est citoyenne de l’Éthiopie » (décision de la SPR, au paragraphe 10).

[21]           Premièrement, la SPR souligne que les documents présentés par la demanderesse ne comportent pas d’éléments de sécurité fiables.

[22]           Deuxièmement, la SPR se dit préoccupée par le fait que la photo qui figure sur la carte d’identité nationale de la demanderesse, soit celle d’une femme portant un hijab, est la même photo que celle qui figure sur son relevé de notes, qui remonte à cinq ans. La SPR indique également que la photo de la demanderesse prise au point d’entrée [le PDE] montre une femme sans hijab et, à l’audience, la demanderesse a aussi comparu sans hijab.

[23]           Troisièmement, la SPR conclut que la demanderesse a fourni des dates contradictoires concernant son mariage, selon ce qui est indiqué sur son certificat de mariage et dans son FRP et selon ce qu’elle a déclaré dans son témoignage. La SPR conclut que la demanderesse n’a pas fourni d’explication valable justifiant cette divergence.

[24]           Quatrièmement, la SPR indique que la preuve concernant le passeport que la demanderesse a utilisé pour venir au Canada est contradictoire. Plus particulièrement, la demanderesse a témoigné qu’elle avait utilisé un passeport égyptien délivré à son propre nom. Toutefois, dans une entrevue avec un agent de l’ASFC au PDE, elle a allégué que son employeuse avait conservé son passeport parce qu’elle craignait que la demanderesse ne s’enfuie. La SPR a conclu qu’il était invraisemblable que l’employeuse retienne le passeport de la demanderesse dans le but de la dissuader de s’enfuir.

[25]           Enfin, la SPR conclut que la demanderesse n’a pas établi sa nationalité éthiopienne. Elle indique que la connaissance de la langue oromo que possède la demanderesse n’est pas suffisante à elle seule pour l’identifier comme citoyenne éthiopienne parce que cette langue est également parlée par des personnes originaires de la Somalie et du nord du Kenya.

[26]           La Cour souligne que même si la SPR affirme que la connaissance de la langue oromo que possède la demanderesse « suffit à établir qu’elle est citoyenne de l’Éthiopie », il s’agit manifestement d’une erreur de formulation, compte tenu de l’analyse de la SPR qui précède. En effet, la SPR a clairement rejeté la connaissance de la langue oromo que possède la demanderesse comme facteur suffisant pour établir son identité (décision de la SPR, au paragraphe 15).

B.                 Crédibilité

[27]           La SPR a relevé de nombreuses incohérences dans le témoignage et la preuve de la demanderesse qui minent sa crédibilité.

[28]           Premièrement, la SPR conclut que le récit que la demanderesse a présenté à l’agent de l’ASFC quant aux mauvais traitements de la part de son employeuse et de son abandon par celle‑ci à l’aéroport dans le but d’éviter de payer quatre mois de salaire à la demanderesse est invraisemblable.

[29]           La SPR reconnaît que la demanderesse avait peur, était anxieuse et avait de la difficulté à comprendre l’interprète au PDE. La SPR prend également en compte les observations des avocates de la demanderesse qui précisent que peu de poids devrait être accordé aux notes prises au PDE en raison de l’état mental de la demanderesse. La SPR conclut néanmoins que la demanderesse avait auparavant déclaré et confirmé dans son FRP, de même qu’auprès de l’agent de l’ASFC, qu’elle comprenait l’amharique qui est, point important, la langue dans laquelle l’entrevue au PDE s’est déroulée et non en oromo, ce que la SPR estime problématique. Il est important pour l’identité de la demanderesse que l’amharique soit pris en compte en raison de l’endroit où il est parlé et des personnes qui le parlent.

[30]           La SPR indique également que la demanderesse n’a pas inscrit sa deuxième détention dans son formulaire de demande d’asile au Canada (IMM5611), ce qui mine encore sa crédibilité.

C.                 Bien-fondé de la crainte de la demanderesse

[31]           La SPR estime qu’il n’y a pas suffisamment de preuve pour conclure que les symptômes psychologiques ressentis par la demanderesse découlent de sa persécution et de ses détentions alléguées, plutôt que d’une maladie mentale causée par d’autres circonstances. Bien que la SPR reconnaisse que la demanderesse a vécu un traumatisme, elle n’est pas convaincue que les actes de persécution décrits par la demanderesse ont eu lieu.

[32]           La SPR conclut que même si la preuve de la demanderesse devait être déclarée crédible, elle n’établit pas que cette dernière a raison de craindre d’être persécutée ou d’être blessée ou arrêtée par la police à son retour en raison de sa présumée participation au FLO.

[33]           En outre, la SPR accorde peu de poids aux lettres que la mère, un oncle et un camarade de classe de la demanderesse ont fournies, dans la mesure où elles ne sont pas datées et puisqu’on a jugé qu’elles manquaient de crédibilité parce que leur authenticité était incertaine.

[34]           Enfin, la SPR conclut que les déménagements de la demanderesse, d’abord à Addis‑Abeba, puis en Égypte et, enfin, au Canada, étaient motivés par un désir d’améliorer sa situation financière plutôt que par la nécessité de fuir la persécution (décision de la SPR, au paragraphe 30).

V.                Dispositions législatives

[35]           Les dispositions suivantes de la LIPR s’appliquent à la décision de la SPR relativement à la demande d’asile de la demanderesse :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

      (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

      (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

      (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

      (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

      (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

      (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

      (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

      (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

VI.             Questions en litige

[36]           La demanderesse a soulevé les questions suivantes :

a)      La SPR a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale?

b)      La SPR a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions quant à la crédibilité?

c)      La SPR a-t-elle commis une erreur dans son examen du bien-fondé de la demande d’asile de la demanderesse?

VII.          Norme de contrôle

[37]           Les conclusions de la SPR quant à l’identité et la crédibilité, qui constituent des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit et qui sont au cœur de l’expertise de la SPR, donnent lieu à l’application de la norme de la décision raisonnable (Liu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 377; Diarra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 123, au paragraphe 18).

[38]           Conformément à la jurisprudence, la norme de contrôle de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale.

VIII.       Analyse

[39]           La demanderesse soutient qu’elle a été privée de ses droits de participation dans la mesure où la SPR ne lui a pas donné la possibilité de répondre à ses préoccupations concernant les éléments de preuve présentés, y compris les réponses sur les questions de temps et de lieu que la demanderesse a fournies. Fait important, la demanderesse ne connaîtrait pas le calendrier grégorien par opposition au calendrier éthiopien, un élément qui mérite d’être pris en compte.

[40]           Plus particulièrement, la demanderesse soutient que la SPR a tiré des conclusions défavorables quant à son identité et sa crédibilité sur le fondement de contradictions qui ne lui ont pas été signalées, notamment les suivantes :

a)      La SPR a tiré une inférence défavorable du fait que les photos sur les pièces d’identité de la demanderesse montraient une femme portant un hijab, tandis que sur la photo de la demanderesse prise au PDE, et à l’audience, la demanderesse ne portait pas de hijab.

La demanderesse fait valoir que cette observation est inexacte parce qu’elle portait un hijab à l’audience et au PDE. La demanderesse aurait très bien pu expliquer que l’agent de l’ASFC lui avait demandé de retirer son hijab pour la prise de la photo au PDE.

La demanderesse soutient que le défaut de la SPR de la confronter à cette contradiction évidente équivaut à un manquement à l’équité procédurale.

b)      La SPR a conclu que la preuve relative aux documents de voyage de la demanderesse était contradictoire. La SPR a conclu que les notes de l’agent prises au PDE indiquent que la demanderesse voyageait avec un passeport au nom de Zeneba Musadik Mohamed, que la demanderesse n’a pas reconnu lorsque l’agent de l’ASFC le lui a montré au PDE.

La demanderesse soutient que la SPR ne l’a pas confrontée à ces contradictions évidentes découlant des notes de l’agent de l’ASFC, la privant ainsi de la possibilité de répondre valablement aux préoccupations de la SPR. De plus, la demanderesse fait valoir qu’elle a présenté un témoignage cohérent lorsqu’elle a déclaré qu’elle ne connaissait pas la nature et le contenu de son passeport utilisé pour voyager au Canada parce que son employeuse le conservait avec elle pendant les voyages.

c)      La SPR a conclu que la connaissance de la langue oromo que possède la demanderesse ne suffisait pas à établir son identité en tant que femme oromo venant d’Éthiopie parce que l’oromo est une langue également parlée en Somalie et dans le nord du Kenya.

La demanderesse soutient que la SPR ne l’a jamais confrontée à l’incohérence évidente concernant l’établissement de son identité et que la SPR n’a pas tenu compte de son témoignage concernant ses connaissances de la collectivité, des coutumes, de la culture et de la géographie des Oromos.

d)     La demanderesse soutient également que la SPR n’a pas tenu compte des explications qu’elle a fournies concernant les différentes dates de mariage, soit celle qui apparaît sur son certificat mariage et celle déclarée dans son FRP, en raison du calendrier éthiopien et du calendrier grégorien, respectivement. La demanderesse fait valoir que la SPR a commis une erreur en concluant que la demanderesse « n’a pu fournir aucune explication » pour justifier cette contradiction évidente.

[41]           Le contenu de l’obligation d’équité procédurale est variable et tributaire du contexte particulier de chaque cas (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 21 [Baker]).

[42]           Le droit à une audience dans le contexte d’une demande d’asile exige qu’une personne ait une possibilité valable de présenter entièrement et équitablement sa position et a droit « à ce que les décisions touchant [ses] droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision » (Baker, précité, aux paragraphes 28 et 30).

[43]           Ce droit est compatible avec le principe selon lequel les instances fondées sur la LIPR qui pourraient entraîner une atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne visée et qui sont fondées sur une évaluation de la crédibilité doivent se dérouler conformément aux principes de justice fondamentale qui, en l’espèce, exigent une audience impartiale complète (Singh, précité).

[44]           La Cour a conclu que lorsque le demandeur n’a pas présenté de documents acceptables permettant d’établir son identité, la SPR doit examiner la preuve dans son ensemble. La SPR doit aussi examiner si le demandeur a raisonnablement justifié l’absence de tels documents ou s’il a pris les mesures voulues pour s’en procurer (Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2009] ACF 848, aux paragraphes 6 et 7).

[45]           Il n’en demeure pas moins qu’il incombe à la demanderesse d’établir son identité et le bien‑fondé de sa demande d’asile (voir l’article 106 de la LIPR).

[46]           La Cour conclut que la situation et les vulnérabilités particulières de la demanderesse commandent une vigilance accrue en ce qui a trait à l’équité procédurale (voir Benitez, précitée, au paragraphe 113).

[47]           Plus particulièrement, la preuve précise clairement que la demanderesse souffre d’un trouble schizo‑affectif à forme dépressive en raison d’expérience passée traumatique et qu’elle a déjà eu des comportements suicidaires, ce qui exige la prise en compte des directives contenues dans les Directives numéro 8 du président : Procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR et dans les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (rapport d’évaluation psychologique de Gerald M. Devins, Ph. D., daté du 4 août 2012, dossier certifié du tribunal).

[48]           La Cour n’est pas convaincue que la SPR a fait part de ses principales préoccupations à la demanderesse et que cette dernière a eu une possibilité valable de présenter des observations pour dissiper les doutes de la SPR à l’égard de son identité, comme l’exigent les principes d’équité procédurale. Par exemple, comme elle ne savait pas vraiment si la demanderesse portait un hijab au PDE, la SPR a conclu que la femme portant un hijab sur les pièces d’identité de la demanderesse pouvait ne pas être la demanderesse, contrairement à la prétention de la SPR. Il est révélateur que la preuve au dossier indique que la demanderesse portait bel et bien un hijab à son audience devant la SPR. Cet aspect de la demande d’asile de la demanderesse exige un examen plus approfondi.

[49]           La question de savoir si d’autres explications seront présentées dans les faits est une question de conjecture en ce qui a trait à ce que sera l’issue finale de la SPR. Les principes d’équité procédurale exigent cependant que la demanderesse ait, à tout le moins, la possibilité de fournir des réponses. Ainsi, l’examen de la demande d’asile de la demanderesse et la compréhension qui lui sera accordée refléteront l’équité procédurale, compte tenu de sa situation particulière (relativement aux problèmes mentaux reconnus, outre les cicatrices et les brûlures sur son corps comme le montre la preuve, qui doivent être pris en compte de façon adéquate conformément à l’arrêt Singh, précité).

[50]           Puisque le caractère raisonnable des conclusions de la SPR quant à la crédibilité repose sur les questions d’équité procédurale, il n’est pas nécessaire que la Cour les examine à tour de rôle.

IX.             Conclusion

[51]           Compte tenu de ce qui précède, la demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle audience.

 


JUGEMENT

la cour statue que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


cour fédérale

avocats inscrits au dossier


Dossier :

IMM-250-14

 

Intitulé :

OBSE MOHA MUSE (représentée par sa tutrice à l’instance SUSAN WOOLNER) c le ministre de la citoyenneté et de l’immigration

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 MAI 2015

 

Comparutions :

Erin Bobkin

Alyssa Manning

 

Pour la demanderesse

 

Amy King

 

Pour le défendeur

 

Avocats inscrits au dossier :

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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