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Date : 20150507


Dossier : IMM-4706-13

Référence : 2015 CF 598

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 mai 2015

En présence de monsieur le juge O’Keefe

ENTRE :

J.M.

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

(Les motifs confidentiels du jugement et jugement ont été rendus le 21 avril 2015)

[1]               La demande d’asile du demandeur a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Il demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi).

[2]               Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision défavorable et renvoyant l’affaire à un autre commissaire pour qu’il rende une nouvelle décision.

I.                   Le contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka d’origine ethnique tamoule. Il a grandi à [caviardé], à Jaffna, dans la province du Nord.

[4]               Au cours des années quatre-vingt-dix, le demandeur et sa famille ont commencé à avoir des problèmes lorsque les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET) ont pris le contrôle de Jaffna. Des pressions ont été exercées sur le frère aîné du demandeur pour qu’il se joigne aux TLET, et, lorsque la famille du demandeur a été déplacée à [caviardé] en 1995, son frère a disparu et n’a plus jamais été revu.

[5]               En 1996, le demandeur et sa famille sont retournés à [caviardé]. Entre 1997 et 1999, les parents du demandeur ont été interrogés au sujet de la disparation de son frère. En 2001, le demandeur a quitté l’école secondaire et a travaillé à la ferme familiale jusqu’en juillet 2012.

[6]               Le 3 [caviardé] 2009, six individus qui semblaient être des paramilitaires se sont présentés au domicile du demandeur et, après que leur demande d’argent eut été refusée, ils ont battu le père du demandeur. Le 4 [caviardé] 2009, le père du demandeur a signalé l’incident à la police. Le 5 [caviardé] 2009, on a trouvé le corps du père du demandeur [caviardé]. L’autopsie pratiquée sur la dépouille du père du demandeur a révélé qu’il avait été battu. Le demandeur croyait que les individus appartenaient au Parti démocratique populaire de l’Eelam (l’EPDP). Plus tard, une poursuite a été intentée auprès du Tribunal des magistrats de [caviardé].

[7]               L’affaire a traîné en longueur et la police n’a vraisemblablement donné aucune suite après la séance d’identification. Le demandeur a été harcelé par des sympathisants de l’EPDP qui souhaitaient qu’il abandonne la poursuite intentée relativement à son père. De fausses accusations ont été portées contre lui, mais elles ont par la suite été abandonnées lorsqu’il a pu invoquer un alibi.

[8]               Pour pouvoir réussir à faire progresser l’affaire, les membres de la famille du demandeur ont retenu les services d’un avocat, nommé [caviardé]. Au début de 2012, l’affaire a été déférée à la Cour suprême, qui a exercé davantage de pressions sur la police pour organiser une séance d’identification.

[9]               [Caviardé] En juillet [caviardé], 2012, quatre individus se sont présentés au domicile du demandeur et ont dérobé de l’argent et des bijoux. Dans l’heure qui a suivi, des soldats sont venus interroger le demandeur au sujet de l’identité de ces individus et pour savoir si le demandeur leur avait donné de l’argent. L’armée a ensuite détenu le demandeur pendant huit jours. Pendant sa détention, le demandeur a été battu, et on lui a dit qu’il serait relâché s’il laissait tomber la poursuite concernant son père. Le huitième jour de sa détention, la mère du demandeur est venue lui rendre visite et lui a demandé de laisser tomber les accusations. Le demandeur a accepté et a été remis en liberté, mais il a dû revenir au camp militaire chaque jour pour signer une fiche de présence, et ce, pendant une vingtaine de jours.

[10]           [Caviardé] En août [caviardé], 2012, le demandeur s’est rendu à Colombo et a pris des dispositions pour quitter le Sri Lanka. Le [caviardé] août 2012, il a quitté le pays et s’est rendu aux États‑Unis en passant par Singapour, le Japon et le Mexique, sans demander l’asile dans aucun des pays en question. Comme il se trouvait illégalement aux États‑Unis, il a été détenu du [caviardé] octobre 2012 jusqu’au [caviardé] janvier 2013.

[11]           Le [caviardé] janvier 2013, le demandeur a franchi la frontière en invoquant une exception à l’Entente sur les pays tiers sûrs en raison de sa sœur, qui est une résidente permanente du Canada, et il a présenté une demande d’asile au point d’entrée dès son arrivée au Canada.

II.                La décision faisant l’objet du présent contrôle

[12]           L’audience de la Commission a eu lieu à Toronto, en Ontario, les [caviardé] et [caviardé] mars 2013. La Commission a rendu le [caviardé] juin 2013 une décision écrite dans laquelle elle a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention, au motif qu’il ne craignait pas avec raison d’être persécuté au Sri Lanka pour l’un des motifs prévus par la Convention, et elle a également refusé de lui reconnaître la qualité de personne à protéger. Acceptant l’identité du demandeur et reconnaissant ses problèmes de santé mentale, la Commission a analysé la crédibilité du demandeur et son profil résiduel en tant que jeune tamoul originaire du Nord du Sri Lanka.

[13]           En ce qui concerne les conclusions défavorables qu’elle a tirées quant à la crédibilité, la Commission a formulé des observations sur les points suivants : i) les risques auxquels le demandeur serait exposé au Sri Lanka; ii) la poursuite intentée au sujet de la mort du père du demandeur; iii) l’absence de connaissances du demandeur quant à sa participation au dossier.

III.             Les conclusions quant à la crédibilité

[14]           En premier lieu, la Commission a conclu que les allégations formulées par le demandeur relativement aux risques auxquels il serait exposé au Sri Lanka en raison de sa participation à l’affaire pendante devant les tribunaux au sujet du meurtre de son père manquaient de crédibilité. La Commission a fait observer qu’au point d’entrée, le demandeur avait mentionné la mort de son père, sans toutefois mentionner l’instance judiciaire qui lui avait causé des problèmes personnels au Sri Lanka. Il avait plutôt attribué ses problèmes à des demandes d’extorsion d’argent.

[15]           Aussi, le demandeur n’avait pas mentionné qu’il avait accepté de ne plus témoigner dans l’instance judiciaire relative à la mort de son père pour obtenir sa remise en liberté, comme il l’avait fait à l’audience et dans les motifs invoqués au soutien de sa demande d’asile. Il n’a pas fourni de détails au sujet de sa détention par l’armée sri-lankaise en 2012 dans l’un des formulaires d’immigration qu’il avait remplis au point d’entrée.

[16]           La Commission a jugé déraisonnable que ces détails aient été omis au point d’entrée parce qu’ils constituaient l’essence même de la demande d’asile du demandeur et qu’ils n’étaient pas négligeables. Rappelant les mises en garde formulées par la Cour fédérale au sujet de l’importance qu’il convient d’accorder aux omissions faites au point d’entrée, la Commission a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur.

[17]           En deuxième lieu, la Commission a déclaré que, bien que la preuve fournie par le demandeur démontre que son père était mort, elle ne corroborait pas le risque allégué auquel le demandeur serait exposé en raison de l’affaire. La Commission a fait observer que le rapport d’autopsie déclarait que la cause de la mort était la noyade. Interrogé quant à savoir pourquoi le rapport n’avait pas mentionné que le père avait été battu, le demandeur a répondu que c’était parce que son père avait subi des blessures internes. La Commission a signalé que ce détail aurait raisonnablement dû se trouver dans la dizaine de pages que comptait le rapport d’autopsie.

[18]           La Commission a ensuite fait observer que la lettre de l’officier du Grama Seva et les deux lettres de l’avocat de la famille du demandeur indiquaient que l’affaire avait été déférée à la Cour suprême. La Commission avait fait observer que ce fait contredisait la prétention du demandeur que la police faisait traîner l’affaire en longueur.

[19]           La Commission a ensuite fait observer que, bien que le demandeur ait fourni des documents provenant de l’enquête initiale ouverte au sujet de la mort de son père en 2009, il n’avait présenté aucun document judiciaire plus récent démontrant que l’affaire était toujours active et pendante. La Commission a conclu que, si la mère du demandeur avait réussi à obtenir les documents de 2009 au début de 2013, la cour aurait également fourni des documents plus récents. La Commission a par conséquent conclu que cette absence d’éléments de preuve corroborants minait la crédibilité du demandeur.

[20]           Troisièmement, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas été en mesure de fournir des détails dans ses réponses aux questions qui lui avaient été posées au sujet du traitement de l’affaire et que son ignorance concernant l’état d’avancement du dossier était déraisonnable. À l’audience, le demandeur avait déclaré que l’affaire en cours en était une de meurtre et que les accusés étaient des membres de l’EPDP; il ignorait toutefois leur identité. La Commission a estimé qu’il s’agissait là d’une incohérence et déclaré : [traduction] « ou bien l’affaire piétine et n’avance pas parce que les suspects n’ont pas été identifiés ou bien les suspects ont été identifiés et l’affaire suit son cours devant les tribunaux ». La Commission a par ailleurs fait observer que les autres éléments de preuve soumis par le demandeur manquaient de précision au sujet de l’affaire en question. La Commission a par conséquent jugé défavorablement la crédibilité du demandeur.

IV.             Le profil résiduel

[21]           La Commission a ensuite analysé le profil résiduel du demandeur en tant que jeune Tamoul du Nord. Elle a cité les Principes directeurs relatifs à l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile originaires du Sri Lanka du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (les Principes directeurs du HCR) et a conclu que tous les habitants des zones sous le contrôle des TLET avaient nécessairement des contacts avec les TLET et son administration civile, mais le fait d’être originaire d’une région ayant déjà été sous le contrôle des TLET ne se traduirait pas nécessairement par la nécessité d’une protection internationale en tant que réfugié. Elle a souligné que le demandeur n’avait pas allégué et démontré l’existence de liens spéciaux avec les TLET au sens des Principes directeurs du HCR qui pourraient l’exposer à un risque plus élevé, selon la prépondérance des probabilités.

[22]           La Commission a par conséquent conclu que le demandeur n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que son profil faisait en sorte qu’il serait exposé à un risque personnel parce qu’il répondait à l’un des facteurs énumérés à l’article 96 ou au paragraphe 97(1) de la Loi.

V.                Les questions en litige

[23]           Le demandeur soulève les quatre questions suivantes :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                  La Commission a-t-elle commis une erreur de fait et de droit dans son appréciation de la crédibilité du demandeur?

3.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en tirant des conclusions voilées quant à la crédibilité contre l’avocat du demandeur au Sri Lanka et contre l’officier du Grama Seva qui a écrit une lettre pour appuyer le dossier du demandeur?

4.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve dont elle disposait et dans son application des articles 96 et 97 à la demande d’asile du demandeur?

[24]           Le défendeur affirme que le demandeur n’a pas démontré l’existence d’une question de droit défendable lui permettant d’obtenir gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire proposée.

[25]           À mon avis, les questions en litige sont les suivantes :

A                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

B                   La décision de la Commission était-elle raisonnable?

C                   La Commission a-t-elle manqué à l’équité procédurale?

VI.             Les observations écrites du demandeur

[26]           Le demandeur affirme que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable dans le cas des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit, et celle de la décision correcte pour les questions de droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 50 et 51 (Dunsmuir)). Le demandeur cite également à l’appui de sa thèse Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 (Newfoundland Nurses); Canada (Procureur général) c Kane, 2012 CSC 64, [2012] 3 RCS 398; Pathmanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 353, [2013] ACF no 370).

[27]           Le demandeur structure son argumentation en fonction de deux grandes catégories : 1) conclusions quant à la crédibilité; 2) appréciation de son profil résiduel en tant que jeune Tamoul du Nord.

[28]           Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de sa crédibilité. Il affirme tout d’abord que les divergences sur lesquelles la Commission se fonde doivent être véritables (Rajaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 1271, 135 NR 300 (Rajaratnam); Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 444, 99 NR 168 (Attakora); Owusu-Ansah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 442, 98 NR 312 (Owusu-Ansah)) et que la Commission ne doit pas se livrer à une analyse microscopique de la preuve (Attakora). Il affirme qu’en l’espèce, la Commission s’est fondée sur des divergences mineures qui n’étaient pas importantes pour se prononcer sur sa crédibilité. Il s’oppose au fait que la Commission s’est fiée aux notes prises au point d’entrée et fait valoir qu’il a bel et bien mentionné l’instance judiciaire au point d’entrée, mais que l’agent qui l’interrogeait a répondu qu’il avait déjà suffisamment de renseignements. Le demandeur soutient que la Commission doit accepter les explications raisonnables qui lui sont fournies pour expliquer les omissions faites au point d’entrée et que la Cour a mis en garde contre la coutume consistant à utiliser les notes prises au point d’entrée comme motif permettant de conclure à un manque de crédibilité (Cetinkaya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 8, [2012] ACF no 13, au paragraphe 51 (Cetinkaya); Sawyer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 935, [2004] ACF no 1140, aux paragraphes 6 et 7 (Sawyer); Samarakkodige c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 301, [2005] ACF no 371, au paragraphe 50 (Samarakkodige); Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1035, 98 ACWS (3d) 648, au paragraphe 8 (Ali); Kanapathipillai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1110, 81 ACWS (3d) 859, au paragraphe 8 (Kanapathipillai); Thambirasa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 205, au paragraphe 3 (Thambirasa)).

[29]           Deuxièmement, le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur dans le sort qu’elle a réservé au rapport d’autopsie en affirmant qu’il était déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur explique les résultats du rapport et qu’elle aurait dû tenir compte des éléments que le rapport d’autopsie contenait et qui corroboraient la mort du père du demandeur.

[30]           Troisièmement, le demandeur affirme que la Commission a fait preuve d’un zèle excessif pour trouver des exemples de contradiction (Attakora) et il affirme qu’il ne s’agissait pas de véritables contradictions. La conclusion d’incohérence tirée par la Commission au sujet de l’instance judiciaire était déraisonnable parce qu’elle ne tenait pas compte de l’explication suivant laquelle l’affaire piétinait, mais qu’une nouvelle impulsion lui avait depuis été donnée. Le demandeur cite la directive donnée par le juge Max Teitelbaum au sujet de la corroboration dans Ahortor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 705, 65 FTR 137, au paragraphe 45, suivant laquelle l’omission de soumettre les documents ne peut entamer la crédibilité du demandeur à défaut d’éléments de preuve contredisant les allégations. En l’espèce, le demandeur a bel et bien offert des éléments de preuve corroborants et, en l’absence d’une preuve contraire, la conclusion défavorable tirée par la Commission quant à la crédibilité est donc déraisonnable.

[31]           En quatrième lieu, le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en tirant des conclusions voilées quant à la crédibilité. Il affirme que les lettres provenant de l’avocat de sa famille expliquent le contexte de l’affaire ainsi que l’état d’avancement du dossier. Il soutient que la conclusion de la Commission suivant laquelle les lettres ne contenaient pas suffisamment de détails était déraisonnable et que cette conclusion indique que la Commission ne croyait pas qu’il y avait une affaire devant les tribunaux et qu’en accordant peu de poids aux lettres en question, la Commission n’a pas cru l’avocat. Le demandeur affirme par ailleurs que la lettre de l’officier du Grama Seva avait été réclamée par la mère du demandeur pour confirmer les faits et que c’est la raison pour laquelle l’officier n’est pas entré dans les détails, puisqu’on ne le lui avait pas demandé. Le fait que la Commission a accordé peu de poids à cette preuve indique également qu’elle a tiré des conclusions voilées quant à la crédibilité.

[32]           Le demandeur affirme par conséquent que la Commission a commis une erreur en appréciant la preuve dont elle disposait et qu’elle a commis une erreur dans la façon dont elle a appliqué les faits à son analyse relative à l’article 96 et à l’article 97 de son profil résiduel. Il relève de nombreux éléments de preuve dont la Commission a fait abstraction.

[33]           En premier lieu, le demandeur soutient que la Commission n’a pas examiné la question de savoir si le harcèlement, la détention et la torture équivalaient de façon cumulative à de la persécution (Alfred c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 463, 76 FTR 231; Rahman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 ACF 945, [2009] ACF no 945, au paragraphe 67). Il affirme également que la Commission ne s’est pas livrée à une analyse de la question de savoir si son profil l’exposait à un risque en cas de retour au Sri Lanka. Plus précisément, le demandeur affirme que la Commission n’a pas, comme elle le devait, examiné et appliqué les Principes directeurs du HCR, parce qu’elle a fait fi des éléments de preuve qui démontraient qu’il était perçu comme un éventuel sympathisant des TLET, notamment les éléments de preuve concernant la disparition de son frère et ceux relatifs aux accusations selon lesquelles il avait donné de l’argent aux TLET au cours de sa détention au camp militaire.

[34]           Deuxièmement, le demandeur affirme qu’il existait au dossier des éléments de preuve tendant à démontrer que les personnes qui revenaient des pays occidentaux étaient susceptibles d’être perçues comme des sympathisants des TLET, et ce, qu’elles aient ou non effectivement des liens avec cette organisation (Cartable national de documentation, article 9.5, Freedom from Torture, Out of Silence: New Evidence of Ongoing Torture in Sri Lanka 2009-2011) (le CND).

[35]           Troisièmement, le demandeur souligne que la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve suivant lesquels il répondait au profil des témoins de violations des droits de la personne, une catégorie de personnes qui selon le HCR [traduction« sont susceptibles d’avoir besoin de la protection internationale en tant que réfugiés en raison des opinions politiques qui leur sont imputées » (dossier du demandeur, à la page 297). Il soutient que la Commission n’a pas tenu compte des risques de torture, d’exécution sommaire, d’arrestation arbitraire, de détention et plus spécialement des risques auxquels il serait exposé de la part du groupe de paramilitaires que constitue l’EPDP et qui sont documentés par le CND.

[36]           Enfin, le demandeur soutient que la Commission n’a pas abordé la question de savoir s’il serait exposé à un risque en tant que demandeur d’asile débouté qui, suivant une organisation non gouvernementale australienne, risque d’être interrogé et détenu pendant des mois.

VII.          Les observations écrites du défendeur

[37]           Le défendeur affirme que la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision raisonnable et que la Cour ne devrait pas intervenir pour modifier la décision de la Commission, étant donné que celle‑ci appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Newfoundland Nurses, au paragraphe 15; Dunsmuir, aux paragraphes 47, 53, 55 et 62; Khosa, au paragraphe 59; Mwaura c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 748, [2008] ACF no 951, aux paragraphes 10 et 11; Mejia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 354, [2009] ACF no 438, aux paragraphes 25 à 29 (Mejia)). Il affirme que la Section de la protection des réfugiés est un tribunal spécialisé et que la Commission a le droit de décider de la valeur à accorder à chaque élément de preuve (Medarovik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 61, [2002] ACF no 64, aux paragraphes 15 et 16; Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 809, [2012] ACF no 820, au paragraphe 30; Mejia).

[38]           En premier lieu, le défendeur soutient que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer le bien-fondé de sa demande. Dans le cas qui nous occupe, la preuve présentée par le demandeur manquait de crédibilité en raison des incohérences relevées entre, d’une part, les motifs invoqués au soutien de sa demande d’asile et les notes prises au point d’entrée et, d’autre part, ses déclarations et la preuve documentaire. Le défendeur insiste pour dire que la Cour devrait lire les motifs de la Commission dans leur ensemble (Newfoundland Nurses, aux paragraphes 15 et 18).

[39]           Deuxièmement, le défendeur soutient que les conclusions tirées par la Commission quant à la crédibilité ne sont pas déraisonnables. Il affirme que la Cour ne devrait pas modifier l’appréciation que la Commission a faite de la crédibilité parce que la Commission a pu elle‑même entendre et voir directement les témoins à l’audience. De plus, dès lors que le dossier permettait raisonnablement à la Commission de tirer ses inférences et ses conclusions, la Cour ne devrait pas intervenir (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732, 160 NR 315 (Aguebor); Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 551, 49 Imm LR (2d) 161 (CAF) , au paragraphe 7 (Chen); Ambros c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 299, 78 ACWS (3d) 778, aux paragraphes 1 et 2 (Ambros); Karanja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 574, [2006] ACF no 717, au paragraphe 8 (Karanja); Krishnapillai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 563, [2007] ACF no 760 (Krishnapillai); Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 751, [2008] ACF no 954, au paragraphe 21 (Li); Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 335 (Ramirez)). Il soutient également que la Commission peut tirer des conclusions raisonnables en se fondant sur le bon sens et la logique.

[40]           Troisièmement, le défendeur soutient que la preuve présentée par le demandeur était insuffisante et incohérente au point de soulever un doute au sujet de son témoignage et de permettre à la Commission de tirer une conclusion défavorable générale quant à la crédibilité (Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 238, [1990] ACF no 604, au paragraphe 8). Le défendeur soutient que le défaut de soumettre des documents qui auraient pu être obtenus pour appuyer une demande par ailleurs douteuse peut avoir un impact négatif sur la crédibilité (Reyna Flores c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 874, [2010] ACF no 1081, au paragraphe 9 (Reyna Flores)). Il soutient qu’en l’espèce, l’incapacité du demandeur d’expliquer le fait qu’il n’a pas fourni de renseignements à jour sur l’instance judiciaire a eu des incidences défavorables sur sa demande d’asile.

[41]           De plus, le défendeur affirme qu’il était loisible à la Commission de tenir compte des contradictions relevées entre les notes prises au point d’entrée et les motifs invoqués au soutien de la demande d’asile et que, ce faisant, la Commission a tenu compte de la prudence avec laquelle il convient de traiter les omissions constatées dans les notes prises au point d’entrée. Le défendeur souligne que, comme il ne mentionnait pas que le père du demandeur avait été battu à mort, le rapport d’autopsie était par conséquent quelque peu incompatible avec la version des faits avancée par le demandeur pour expliquer la cause de la mort. Enfin, le défendeur soutient qu’il n’était pas déraisonnable de la part de la Commission d’accorder peu de poids aux lettres de l’avocat et à celle de l’officier du Grama Seva, parce que ces lettres n’étaient pas suffisamment précises pour corroborer le témoignage du demandeur.

[42]           Quatrièmement, le défendeur affirme que le demandeur n’a pas démontré que sa crainte de l’EPDP et de l’armée sri-lankaise était justifiée ou qu’elle était de nature prospective. De plus, la Commission avait le droit de préférer la preuve documentaire suivant laquelle, du seul fait qu’il était un jeune Tamoul du Nord, le demandeur n’avait pas démontré qu’il craignait avec raison de subir un préjudice à l’avenir (Doka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 449, [2004] ACF no 554, aux paragraphes 37 et 38 (Doka); Szucs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1614, 100 ACWS (3d) 6501614, au paragraphe 11 (Szucs)).

VIII.       Les observations complémentaires du demandeur

[43]           Le demandeur reprend les observations qu’il a formulées dans son premier mémoire et affirme dans sa réplique que la décision de la Commission n’appartient pas aux issues possibles et acceptables.

[44]           Sur la question de la crédibilité, le demandeur soutient qu’il n’y a pas lieu de faire preuve d’un degré élevé de déférence envers la Commission en l’espèce, parce que la Commission a commis une erreur en fondant ses conclusions quant à la crédibilité sur des considérations non pertinentes et qu’elle a fait fi d’éléments de preuve corroborants. Il cite Burgos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1537, [2006] ACF no 1924, au paragraphe 23 (Burgos), suivant lequel « les juges des faits ne sont pas en meilleure position pour juger de la crédibilité sur des critères extrinsèques au témoignage ».

[45]           En ce qui concerne ses omissions au point d’entrée, le demandeur soutient que le simple fait que la Commission a pris acte de la mise en garde formulée par la Cour ne signifie pas pour autant qu’elle l’a effectivement respectée. De plus, on ne devrait pas s’attendre à ce que l’entrevue effectuée au point d’entrée renferme tous les détails de la demande d’asile. Quant à la preuve documentaire, le demandeur affirme que la preuve ne contredisait pas sa demande d’asile et qu’il a fourni une quantité importante d’éléments de preuve corroborants.

IX.             Analyse et décision

A.                Première question – Quelle est la norme de contrôle applicable?

[46]           Le demandeur a soulevé deux grandes questions en l’espèce : 1) le caractère raisonnable de la décision; 2) l’équité procédurale en lien avec les conclusions voilées quant à la crédibilité.

[47]           En premier lieu, le caractère raisonnable de la décision de la Commission est assujetti à la norme de contrôle de la décision raisonnable parce qu’il porte sur des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit. La norme de contrôle de la décision raisonnable signifie que je ne devrais pas intervenir si la décision de la Commission est transparente, justifiable et intelligible et qu’elle appartient aux issues acceptables (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[48]           Dans le cas qui nous occupe, je ne vais annuler la décision de la Commission que si je ne puis comprendre comment elle est parvenue à ses conclusions ou en quoi les faits de l’espèce et les règles de droit applicables appuient le résultat (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Khosa, aux paragraphes 59 et 61, le tribunal qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne peut substituer l’issue qui serait à son avis préférable et elle ne peut soupeser à nouveau les éléments de preuve.

[49]           En second lieu, en ce qui concerne la question des conclusions voilées quant à la crédibilité, il s’agit d’une question d’équité procédurale. Comme il s’agit d’une question de droit, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique, suivant l’arrêt Khosa, au paragraphe 43.

B.                 Deuxième question – La décision de la Commission était‑elle raisonnable?

[50]           Le demandeur affirme que la décision de la Commission est déraisonnable à deux égards : 1) en ce qui concerne les conclusions tirées par la Commission quant à la crédibilité; 2) en ce qui concerne l’appréciation qu’a faite par la Commission du demandeur en tant que jeune Tamoul du Nord pour l’application de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi. Mon analyse se concentrera sur ces deux aspects.

[51]           En ce qui concerne les conclusions tirées quant à la crédibilité, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que ces conclusions sont raisonnables.

[52]           Dans le cas qui nous occupe, la Commission a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur en se fondant sur les éléments de preuve suivants : les notes prises au point d’entrée, le rapport d’autopsie, les lettres de l’officier du Grama Seva, les lettres de l’avocat de la famille du demandeur et les documents judiciaires portant sur l’affaire liée au père du demandeur. D’une part, le demandeur estime que les contradictions relevées entre ces documents et sa demande sont microscopiques et, en ce qui concerne les notes prises au point d’entrée, que la Commission n’aurait même pas dû utiliser ces notes pour se prononcer sur sa crédibilité. D’autre part, le défendeur est d’avis que je ne devrais pas modifier ces conclusions, parce que la Commission a pu voir et entendre personnellement les témoins à l’audience et que, dès lors que le dossier lui permettait raisonnablement de tirer ses inférences et ses conclusions, je ne devrais pas les modifier.

[53]           Lorsqu’elle examine la preuve, la Commission ne devrait pas l’analyser de façon microscopique (Attakora) et les incohérences sur lesquelles elle se fonde doivent être réelles (Rajaratnam; Attakora; Owusu-Ansah). Le juge en chef Edmond Blanchard a déclaré dans l’arrêt Burgos, au paragraphe 23, que la Cour n’est pas tenue de faire preuve d’un degré élevé de retenue envers la conclusion de crédibilité tirée par la Commission lorsqu’elle repose sur des critères extrinsèques au témoignage :

La Cour d’appel fédérale a, par ailleurs, déterminé qu’il existait une différence dans le traitement des conclusions sur la crédibilité selon qu’elles se fondent sur des contradictions dans la preuve ou sur des invraisemblances. En effet, quoique la Commission puisse conclure à l’invraisemblance d’une histoire, « sa conclusion doit reposer sur la totalité des éléments de preuve et doit être clairement appuyée dans ses motifs ». De plus, la Cour agissant en révision judiciaire n’a pas à faire preuve d’autant de déférence, puisque les juges des faits ne sont pas en meilleure position pour juger de la crédibilité sur des critères extrinsèques au témoignage (Leung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F., no 774 (C.A.F.) (QL); Giron c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 481 (C.A.F.) (QL)).

[Non souligné dans l’original.]

[54]           Premièrement, l’examen des notes prises au point d’entrée révèle que, bien que le demandeur n’ait pas mentionné l’affaire relative à son père lorsqu’il a été interrogé pour la première fois au sujet des raisons pour lesquelles il craignait de retourner au Sri Lanka, il a par la suite mentionné la mort de son père dans les questions connexes suivantes. La Commission devrait faire preuve de prudence lorsqu’elle utilise les notes prises au point d’entrée pour apprécier la crédibilité (Cetinkaya; Samarakkodige; Ali; Kananpathipillai; Thambirasa). Dans le cas qui nous occupe, j’estime qu’il n’était pas raisonnable de la part de la Commission de considérer qu’il s’agissait d’une omission cruciale, d’autant plus que le demandeur a bel et bien mentionné la mort de son père dans les réponses qu’il a données aux questions subséquentes qui lui ont été posées au cours de l’entrevue au point d’entrée. Ce fait à lui seul ne suffit pas à rendre toute la décision déraisonnable.

[55]           Deuxièmement, concernant le rapport d’autopsie, la Commission a constaté que les détails des coups donnés étaient absents du rapport et qu’on se serait raisonnablement attendu à ce que ces détails s’y trouvent. La Commission a jugé insatisfaisante l’explication donnée par le demandeur. Il lui était loisible de s’interroger sur la teneur de la preuve et, comme elle avait entendu directement les explications données par le demandeur, je m’abstiens de remettre en question sa conclusion.

[56]           Troisièmement, en ce qui concerne la lettre de l’officier du Grama Seva et les lettres de l’avocat, je vais tout d’abord examiner l’argument formulé par le demandeur au sujet de la conclusion voilée quant à la crédibilité. La Commission a conclu que ces lettres manquaient de détails au sujet du dossier relatif au père du demandeur. Le demandeur soutient que la lettre de l’officier du Grama Seva avait été réclamée pour confirmer l’existence de l’affaire devant les tribunaux et le fait que le demandeur avait dû s’enfuir du pays. En refusant la lettre, la Commission l’a essentiellement jugée non crédible. Je ne suis pas de cet avis. Dans le cas qui nous occupe, la Commission a accordé peu de poids à cette lettre parce qu’elle n’était pas convaincue que cet élément de preuve corroborait la demande d’asile du demandeur. Il ne s’ensuit pas pour autant que la Commission n’a pas jugé la lettre crédible. On peut en dire autant des lettres de l’avocat de la famille du demandeur.

[57]           Le raisonnement suivi par la Commission pour accorder peu de poids à ces lettres est toutefois troublant. La Commission a jugé qu’elles n’étaient pas suffisamment corroborantes parce que les détails des lettres contredisaient l’affirmation du demandeur suivant laquelle la police bloquait l’avancement du dossier. Le demandeur soutient à juste titre que la conclusion d’incohérence tirée par la Commission au sujet de l’instance judiciaire était déraisonnable parce que la Commission n’a pas tenu compte de l’explication suivant laquelle le dossier stagnait, mais qu’il avait depuis repris son cours. Par conséquent, le raisonnement suivi par la Commission pour conclure à l’incohérence est déraisonnable. Toutefois, compte tenu des conclusions cumulatives tirées par la Commission quant à la crédibilité, cette erreur à elle seule n’est pas suffisante pour rendre toute la décision déraisonnable.

[58]           Quatrièmement, en ce qui a trait aux documents judiciaires concernant l’affaire relative au père du demandeur, je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il appartient au demandeur de produire des éléments de preuve suffisants. D’une part, le demandeur soutient que le défaut de présenter des documents ne peut être lié à sa crédibilité à défaut d’éléments de preuve permettant de contredire ces allégations (Ahortor, au paragraphe 45). D’autre part, le défendeur est d’avis que le défaut de fournir des documents qui pourraient être obtenus pour appuyer une demande par ailleurs douteuse peut avoir des incidences défavorables quant à la crédibilité (Reyna Flores, au paragraphe 9).

[59]           En l’espèce, l’examen de la transcription révèle que le demandeur a eu l’occasion de s’expliquer, mais qu’il n’a pas avancé de raison satisfaisante pour expliquer pourquoi les documents demandés n’avaient pas été communiqués. Le demandeur s’est contenté d’affirmer que, lorsque sa mère avait réclamé les documents judiciaires, on ne lui avait transmis que ceux‑ci. Je ne considère pas qu’il s’agisse de savoir s’il existait des éléments de preuve permettant de contredire le témoignage du demandeur, mais plutôt qu’il s’agisse de se demander si la Commission disposait de suffisamment d’éléments de preuve pour croire le demandeur.

[60]           Le juge Roger Hughes a expliqué le rôle des éléments de preuve corroborants dans Reyna Flores, au paragraphe 9 :

Quant à la corroboration, l’avocat des demandeurs a soutenu que, particulièrement depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi en 2001, la corroboration n’est pas essentielle. Cependant, lorsqu’il y a des doutes sur les éléments de preuve soumis, la Commission peut demander une corroboration ou de tenir compte d’un manque de corroboration dans le cadre de l’appréciation de la crédibilité.

[61]           Il me semble qu’en l’espèce, la Commission avait des doutes au sujet de l’affaire relative au père du demandeur. Par conséquent, j’estime qu’il était déraisonnable de la part de la Commission de ne pas exiger des documents judiciaires plus récents pour démontrer que le dossier du père du demandeur était toujours actif et en cours.

[62]           Il est nécessaire de lire les motifs de la Commission comme un tout (Newfoundland Nurses, aux paragraphes 15 et 18). En l’espèce, en tirant des conclusions défavorables quant à la crédibilité, la Commission s’est fondée sur ce qui suit : les allégations de risque au Sri Lanka formulées par le demandeur en raison du meurtre de son père manquaient de crédibilité; bien que la preuve fournie par le demandeur démontrait la mort de son père, elle ne corroborait pas que les risques qu’il alléguait se rapportaient à cette affaire; le demandeur n’avait pas été en mesure de fournir des détails au sujet de l’état d’avancement de l’affaire et son manque de connaissances à ce sujet n’était pas raisonnable. Même en tenant compte des erreurs commises par la Commission, j’estime que celles‑ci ne sont pas suffisamment importantes pour rendre sa décision sur la crédibilité du demandeur déraisonnable de façon cumulative.

[63]           En ce qui concerne l’appréciation du profil résiduel du demandeur par la Commission, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la décision de la Commission est raisonnable.

[64]           Le demandeur affirme que, pour rendre sa décision, la Commission a fait fi des éléments de preuve concernant le harcèlement, la détention, la torture et la persécution cumulative. En revanche, le défendeur est d’avis que la Commission a le droit de préférer des éléments de preuve documentaire pour procéder à son analyse. À mon avis, le demandeur met en doute les raisons pour lesquelles la Commission s’est fondée sur la preuve documentaire plutôt que sur les autres éléments de preuve qu’il lui avait soumis.

[65]           Il est de jurisprudence constante qu’un agent n’est pas tenu de mentionner chaque élément de preuve dans son analyse (Akram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 629, [2004] ACF no 758). Dans le cas qui nous occupe, la Commission a estimé que, suivant des éléments de preuve documentaire objectifs tels que les Principes directeurs du HCR, le demandeur n’avait pas allégué et démontré qu’il avait des liens spéciaux avec les TLET qui pouvaient l’exposer à un risque plus élevé, selon la prépondérance des probabilités. Ce faisant, la Commission n’a pas mentionné tous les éléments de preuve soumis par le demandeur et elle n’a pas expliqué la raison pour laquelle elle préférait la preuve documentaire aux autres éléments de preuve soumis par le demandeur. J’estime toutefois que la Commission n’avait pas l’obligation de mentionner tous les éléments de preuve ou de leur accorder la même valeur.

[66]           Dans Doka, aux paragraphes 37 et 38, le juge James Russell a examiné la question de l’utilisation des éléments de preuve documentaire de préférence aux éléments de preuve subjectifs fournis par le demandeur :

37        À mon avis, le demandeur soulève sur ce point les mêmes objections que celles qui avaient été soulevées dans l’affaire Pehtereva c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1995] A.C.F. n° 1491 (1re inst.), et dont avait disposé ainsi le juge MacKay :

13.       En dernier lieu, la décision du tribunal ne précise pas pourquoi il a préféré certaines preuves documentaires à d’autres éléments de preuve, mais cela ne constitue pas une erreur. En l’espèce, la préoccupation de la requérante portait principalement sur le fait que la preuve documentaire et autre présentée par l’AA avait été invoquée sans qu’on précise pourquoi celle de la requérante ne l’avait pas été. Mais cette préférence du tribunal se rapportait à la preuve de la situation générale au sein de l’Estonie, dont l’expérience de la requérante n’était qu’un exemple. La situation générale fondée sur la preuve documentaire provenant de sources reconnues permettait d’apprécier objectivement la crainte exprimée par la requérante. À mon avis, le tribunal n’a pas eu tort de méconnaître la preuve présentée par la requérante ni d’omettre de donner les motifs de sa préférence pour d’autres sources de preuve, particulièrement dans la recherche d’un aperçu de la situation en Estonie. Je ne suis pas non plus persuadé que le tribunal a mal interprété ou mal exposé les preuves de la requérante d’une façon qui influe, dans une grande mesure, sur sa conclusion définitive que la requérante n’était pas une réfugiée au sens de la Convention, parce qu’il n’a trouvé aucune sérieuse possibilité ni aucun risque possible qu’elle soit persécutée, dans l’éventualité de son retour, pour un motif énuméré dans la définition de réfugié au sens de la Convention

38        Essentiellement, le demandeur voudrait que la Cour apprécie de nouveau les témoignages présentés à la Commission, puis arrive à une conclusion différente. Cependant, les propos suivants du juge Blanchard, dans l’affaire Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. n° 520 (1re inst.), expliquent avec élégance et concision pourquoi la Cour devrait refuser de se livrer à un tel exercice :

18. La jurisprudence de cette Cour a clairement établi qu’il était de la compétence spécialisée de la SSR de décider quel poids accorder à la preuve. Il est également bien établi que la SSR a le droit de se fonder sur une preuve documentaire de préférence à un témoignage rendu par un revendicateur. En outre, le tribunal a également le droit d’accorder plus de poids à la preuve documentaire, même s’il considère que le demandeur est digne de foi et crédible. [Zhou c. Canada (M.E.I.), [1994] A.C.F. n° 1087 (C.A.F.) en ligne : QL.]

[Non souligné dans l’original.]

[67]           De même, en l’espèce, le demandeur me demande d’apprécier à nouveau la preuve pour parvenir à une conclusion différente. Il ne m’appartient pas de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve. Il est de jurisprudence constante que la Commission a le droit d’accorder plus de valeur à la preuve documentaire. Je suis par conséquent convaincu que l’appréciation que la Commission a faite du profil résiduel du demandeur était raisonnable.

C.                 Troisième question – La Commission a-t-elle manqué à l’équité procédurale?

[68]           Comme je l’ai déjà précisé dans mon analyse, la Commission n’a tiré aucune conclusion voilée quant à la crédibilité en ce qui concerne la lettre de l’officier du Grama Seva et les lettres de l’avocat de la famille du demandeur. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que j’examine la question de savoir s’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

[69]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a souhaité me soumettre une question grave de portée générale en vue de la certification.

[70]           La demande de contrôle judiciaire sera par conséquent rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« John A. O’Keefe »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


ANNEXE

Les dispositions législatives pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

[…]

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4706-13

 

INTITULÉ :

JM c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 OCtobRe 2014

 

MOTIFS CONFIDENTIELS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS CONFIDENTIELS

ET DU JUGEMENT :

LE 21 AVRIL 2015

 

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

LE JUGE O’KEEFE

DATE DES MOTIFS PUBLICS

ET DU JUGEMENT :

LE 7 MAI 2015

COMPARUTIONS :

Me Caitlin Maxwell

 

PoUR LE DEMANDEUR

 

Me Alexis Singer

 

PoUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami et associés

Avocats

Toronto (Ontario)

 

PoUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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