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Date : 20150421


Dossier : IMM-7293-14

Référence : 2015 CF 516

Ottawa (Ontario), le 21 avril 2015

En présence de monsieur le juge Noël

ENTRE :

GLORIA ESPERANZA GIRALDO CORTES

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire par Gloria Esperanza Giraldo Cortes [la demanderesse] présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision rendue le 25 septembre 2014 par la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada rejetant la demande d’asile de la demanderesse en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR.

II.                Faits allégués

[2]               La demanderesse est citoyenne de la Colombie.

[3]               Elle allègue avoir rencontré M. Elkin De Jesus Osario Sanchez [Elkin] en 2008 et qu’il aurait commencé à cohabiter avec elle et sa sœur en février 2010. Elkin aurait été tué le 25 avril 2013.

[4]               La demanderesse aurait par la suite reçu une lettre de menaces le 15 mai 2013 des Aigles noirs, un groupe paramilitaire, l’informant qu’elle devait rembourser la dette d’Elkin à leur égard. La demanderesse dit qu’elle n’était pas au courant de cette dette.

[5]               Deux personnes se seraient ensuite présentées chez la demanderesse le 5 juin 2013 pour l’informer qu’elles reviendraient pour discuter de la dette et des biens d’Elkin. Le 25 juin 2013, des membres des Aigles noirs se seraient alors présentés chez la demanderesse pour l’informer de payer la dette, ce qu’elle aurait refusé de faire.

[6]               La demanderesse dit alors avoir reçu une seconde lettre de menaces le 26 juin 2013 lui demandant de payer la dette, car autrement, elle serait condamnée à mort.

[7]               La demanderesse porte alors plainte au bureau du Procureur général le 3 juillet 2013.

[8]               Le 5 juillet 2013, la demanderesse allègue avoir trouvé refuge chez une amie à Bogota.

[9]               En 2013, la demanderesse a obtenu un visa des États-Unis.

[10]           Vers la fin du mois d’avril 2014, la demanderesse dit avoir reçu un appel des Aigles noirs l’informant qu’ils savaient qu’elle était à Bogota et qu’ils allaient la trouver pour qu’elle réponde de ses actes.

[11]           La demanderesse a alors quitté la Colombie pour les États-Unis le 3 juin 2014 et est arrivée au Canada le 4 juin 2014, où elle a demandé l’asile.

[12]           Le 25 juin 2014, la SPR a déterminé que la demanderesse n’était ni une réfugiée ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. Ceci est la décision contestée.

III.             Décision contestée

[13]           La SPR précise d’entrée de jeu que la question principale en l’espèce est celle de la crédibilité de la demanderesse.

[14]           Sur la question de la dette réclamée par les Aigles noirs, la SPR a estimé que le témoignage de la demanderesse était incohérent en comparant avec les réponses données lors de son entrevue au point d’entrée au Canada.

[15]           En ce qui a trait à la plainte de la demanderesse au bureau du Procureur général en date du 25 juin 2013, la SPR a trouvé incohérent le fait qu’elle n’ait pas donné de description de ses prétendus agresseurs. Cette plainte ne contient également aucune information concernant les lettres de menaces reçues les 15 mai 2013 et 26 juin 2013. La SPR a trouvé l’explication de la demanderesse insuffisante sur ce sujet. Le tribunal n’a donc accordé aucun poids aux deux lettres de menaces et à la plainte déposée.

[16]           La SPR a également déterminé que le comportement de la demanderesse était incompatible avec celui d’une personne qui craint pour sa vie étant donné qu’elle a témoigné être en danger imminent en Colombie à partir du 28 avril 2014, mais qu’elle a quitté la Colombie plus d’un mois plus tard parce qu’elle avait besoin de temps pour démissionner de son emploi, payer ses dettes, arranger ses affaires et acheter son billet d’avion.

[17]           La SPR n’a également accordé aucune valeur probante à l’extrait du registre civil de décès qui mentionne qu’Elkin est mort le 25 avril 2013.

[18]           La SPR a donc finalement conclu, après examen de l’ensemble de la preuve, que la demanderesse n’a pas la qualité de réfugiée au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

IV.             Prétentions des parties

[19]           La demanderesse allègue tout d’abord que la détermination de la SPR quant à l’incohérence des informations présentées sur la dette demandée par les Aigles noirs est déraisonnable parce que la SPR a été « grossièrement négligente à l’égard de la réponse de la demanderesse » (Dossier de la demanderesse [DD] page 25 au para 19). La demanderesse soumet également que la SPR n’a pas posé de questions sur les points qui semblaient confus ni  écouté les explications de la demanderesse de manière objective. Le défendeur répond que la SPR a souligné plusieurs divergences entre le témoignage de la demanderesse, ses déclarations au point d’entrée et la preuve documentaire du dossier sur la question du montant de la dette. La SPR a par conséquent validement conclu que les explications de la demanderesse brimaient sa crédibilité.

[20]           La demanderesse prétend également que la SPR n’a pas tenu compte des conditions qui sévissent en Colombie dans l’évaluation de sa crédibilité. Elle suggère aussi que la SPR a mal évalué la preuve soumise, soit la plainte au bureau du Procureur général et les deux lettres de menaces reçues. La demanderesse affirme que son témoignage lors de l’audience a bien expliqué ces documents et donc que la SPR a mal compris les faits et son témoignage quant à ces éléments de preuve. La demanderesse soutient également que la SPR a erré en n’accordant aucune valeur probante à l’extrait du registre civil de décès concernant la mort d’Elkin parce que les informations contenues dans cette pièce correspondent à son récit. Sur la question des conditions de pays en Colombie, le défendeur est d’opinion que la SPR a tenu compte de sa situation en Colombie, a considéré la preuve documentaire et a permis à la demanderesse de s’expliquer à l’audience. En ce qui a trait aux documents déposés par la demanderesse, le défendeur argumente que ceux-ci ne peuvent être utilisés à établir la crédibilité de la demanderesse lorsque celle-ci a été jugée non crédible. L’appréciation de la preuve ressort de la compétence de la SPR.

[21]           La demanderesse soumet également que ses explications quant au délai entre sa détermination que sa vie était en péril et son départ de la Colombie est raisonnable à cause de son vécu personnel. La demanderesse prétend donc que la conclusion de la SPR quant à son comportement incompatible avec le comportement d’une personne qui craint pour sa vie est déraisonnable. Le défendeur réplique que la conclusion de la SPR sur cette question est raisonnable, car le comportement de la demanderesse démontre une absence de crainte de persécution et que la SPR pouvait tenir compte des explications de la demanderesse quant au délai dans sa détermination du bien-fondé de sa crainte de persécution.

[22]           La demanderesse allègue aussi une crainte raisonnable de partialité de la part de la SPR. Le défendeur argumente plutôt que la crainte de partialité évoquée par la demanderesse n’a pas été soulevée en temps opportun et qu’une crainte raisonnable de partialité ne peut pas être soulevée après le résultat négatif d’une demande d’asile et de toute façon, l’argument de la demanderesse ne remplit pas le critère objectif établi pour conclure à une crainte de partialité. Le défendeur est donc d’avis que cet argument de la demanderesse devrait être ignoré par la Cour.

[23]           La demanderesse argumente finalement que la SPR a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne tenant pas compte du récit de la demanderesse dans son analyse et en n’accordant pas d’importance aux autres aspects de sa demande d’asile, soit ceux non discutés dans la décision. Le défendeur répond que la décision de la SPR respecte les principes d’équité procédurale, parce que la SPR a tenu compte de la preuve au dossier et des explications de la demanderesse et que la décision de la SPR est claire, bien motivée et sans équivoque.

V.                Questions en litige

[24]           Après avoir révisé les prétentions des parties et leurs dossiers respectifs, je formule les questions en litige comme suit :

1.      La SPR a-t-elle erré dans son évaluation de la crédibilité de la demanderesse?

  1. La SPR a-t-elle commis un bris à l’équité procédurale?

VI.             Norme de révision

[25]           La question de l’évaluation de la crédibilité de la demanderesse est de nature factuelle. La norme de la décision raisonnable est donc applicable au présent dossier (Salazar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 466 au para 36; Molano c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1253 au para 26 [Molano]; Ruiz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 258 au para 20). Cette Cour n’interviendra donc que si la décision est déraisonnable, soit qu’elle se situe en dehors « des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47). Pour ce qui est de la question de l’équité procédurale, la norme de la décision correcte s’applique en l’espèce (Ré:Sonne c Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48 aux paras 34-35).

VII.          Analyse

A.                La SPR a-t-elle erré dans son évaluation de la crédibilité de la demanderesse?

[26]           Les questions de crédibilité et d’appréciation de la preuve par la SPR relèvent des compétences de la SPR et la déférence est de mise (Molano, précité au para 26; Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319 aux paras 27 et 31 [Rahal]). Cette Cour n’interviendra donc que si la décision est basée « sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose » (Rahal, précité au para 35). En l’espèce, les déterminations de crédibilité de la SPR sont raisonnables.

[27]           En ce qui a trait aux conclusions de la SPR quant au montant de la dette, la SPR a souligné que la demanderesse a fourni plusieurs versions différentes sur cette question. Effectivement, la demanderesse a précisé à l’audience qu’elle ne connaissait pas le montant de la dette exigée par les Aigles noirs, alors que dans son entrevue au point d’entrée, elle a précisé qu’elle avait été informée que la dette était de plusieurs millions de pesos. Elle a par la suite témoigné qu’elle avait elle-même déduit qu’il s’agissait de plusieurs millions de pesos. Basé sur l’information fournie par la demanderesse il était raisonnable pour la SPR de tirer une inférence négative quant à la crédibilité de la demanderesse.

[28]           Les conclusions de la SPR, quant à sa décision de n’accorder aucun poids aux deux lettres de menaces ainsi qu’à la plainte soi-disant déposée au bureau du Procureur général, sont raisonnables. En effet, la SPR a jugé incohérent les explications de la demanderesse à l’effet que la plainte déposée au bureau du Procureur général ne contient aucune mention des deux lettres de menaces, dont celle datée du 26 juin 2013 qui menace clairement la vie de la demanderesse en disant « à partir de maintenant nous vous sentencions à mort, tout comme à tout proche de votre famille » (Copie certifiée du Tribunal [CCT] à la page 134). Étant donné que la SPR a jugé la demanderesse comme étant non crédible, il était raisonnable pour la SPR de n’accorder aucun poids à ces lettres.

[29]           La SPR a également noté que la demanderesse a témoigné être en mesure d’identifier les visages des personnes qui se sont présentées chez elles le 25 juin 2013 et que la demanderesse a allégué avoir porté plainte au bureau du Procureur général afin de se protéger contre ses agresseurs. La SPR a trouvé incohérent que la demanderesse n’ait fourni aucune description de ses prétendus agresseurs simplement parce que les officiers au bureau du Procureur général ne le lui ont pas demandée. Cette conclusion est raisonnable. Il est de la compétence de la SPR d’apprécier la preuve qui lui est présentée et de relever les contradictions ou invraisemblances qui en ressortent (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598; Varon v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2015 FC 356 au para 45; Akinlolu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 296; [1997] 70 ACWS (3d) 136 au para 13; Nijjer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1259 au para 14). La conclusion de la SPR à l’effet que le comportement de la demanderesse est incompatible avec celui d’une personne craignant d’être persécutée est par conséquent raisonnable.

[30]           Les circonstances de départ pour venir au Canada via les États-Unis ne démontrent pas qu’il y avait un danger à sa vie. Elle a acheté son billet d’avion le 28 avril 2014, elle a continué à travailler pour payer ses dettes, et elle avait même un visa pour les États-Unis depuis 2013. La SPR avait les faits pour conclure que le comportement de la demanderesse était incompatible avec une personne qui craint pour sa vie.

B.                 La SPR a-t-elle commis un bris à l’équité procédurale?

[31]           L’argument de la demanderesse voulant que la SPR a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne tenant pas compte du récit de la demanderesse dans son analyse et en n’accordant pas d’importance aux autres aspects de sa demande d’asile doit également être rejeté. En effet, dans sa décision, la SPR a démontré une bonne compréhension des faits, a comparé le témoignage de la demanderesse aux documents compris à son dossier, le tout en faisant des références directes aux éléments de preuves et à son entrevue au point d’entrée au Canada. La SPR a également précisé avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve. La décision de la SPR est donc adéquatement motivée, il n’y a aucune incertitude quant aux raisons de la SPR de rejeter la demande d’asile. Il n’y a eu aucun bris d’équité procédurale en l’espèce (Abdeli c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 1047 au para 16).

[32]           Pour ce qui est de l’allégation de la crainte de partialité, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que cet argument n’a pas été soulevé dès la première opportunité, soit devant la SPR et que cet argument n’est avancé qu’après la décision négative de la SPR. La demanderesse est donc maintenant forclose de soulever cet argument en contrôle judiciaire (Abedalaziz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 1066 au para 34; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 35 au para 18; Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] ACF no 607, 91 ACWS (3d) 811 au para 6). Cet argument est donc rejeté.

VIII.       Conclusion

[33]           La décision de la SPR est raisonnable et il n’y a nul besoin que cette Cour intervienne. La décision du tribunal appartient donc aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La décision est maintenue.

[34]           Les parties ont été invitées à présenter des questions aux fins de certification, mais aucune question n’a été proposée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question n’est certifiée.

« Simon Noël »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-7293-14

 

INTITULÉ :

GIRALDO CORTES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 avril 2015

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 avril 2015

COMPARUTIONS :

Me Camille Clamens

 

pour lA demanderESSE

 

Me Simone Truong

pour lA défenderESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Camille Clamens

Avocate

Montréal (Québec)

 

pour lA demanderESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

pour lA défenderESSE

 

 

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