Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150424


Dossier : IMM-886-14

Référence : 2015 CF 526

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 avril 2015

En présence de monsieur le juge en chef

ENTRE :

RENATO FABROS GONZALO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               M. Fabros Gonzalo demande à la Cour d’annuler la décision par laquelle un agent principal d’immigration a rejeté sa demande d’autorisation de présenter, en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, alors qu’il se trouvait au Canada.

[2]               Il prétend que l’agent a commis une erreur :

                             i.               en tirant plusieurs conclusions qui étaient déraisonnables;

                           ii.               en n’étant pas « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de ses enfants, qui vivent aux Philippines et comptent sur son soutien financier;

                         iii.               en ne tenant pas compte du fait que l’acceptation d’une demande présentée en vertu de l’article 25 représenterait une voie possible d’accès à la résidence permanente et à la réunification des membres de sa famille au Canada, qui sont actuellement interdits de territoire en raison de l’état de santé de sa fille cadette.

[3]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la présente demande sera accueillie.

I.                   Le contexte

[4]               M. Fabros Gonzalo (M. Fabros) est un citoyen des Philippines. Il est marié et a trois enfants, qui vivent tous avec leur mère aux Philippines. En octobre 2007, il est venu au Canada en qualité de travailleur étranger temporaire. Depuis son arrivée ici, il a occupé un emploi comme ouvrier chez Olymel L.P. (Olymel), une entreprise du secteur de la transformation des aliments et des boissons à Red Deer, en Alberta.

[5]               Olymel a présenté une demande visant à soumettre la candidature de M. Fabros afin que celui-ci obtienne la résidence permanente dans le cadre du Programme des candidats immigrants de l’Alberta (le PCIA) et a obtenu un certificat de candidature. Cependant, la demande subséquente de résidence permanente présentée par M. Fabros a été rejetée en 2012 parce que sa fille cadette Mafi, qui est atteinte de surdité, a été jugée interdite de territoire au Canada pour des raisons médicales en application du paragraphe 38(1) de la LIPR. Conformément au paragraphe 42(1) de la LIPR, tous les membres de la famille sont devenus interdits de territoire en raison de l’interdiction de territoire de la fille cadette.

[6]               M. Fabros a donc présenté une demande de résidence permanente au Canada pour des considérations d’ordre humanitaire à l’automne 2013. Cette demande était fondée sur les difficultés d’ordre économique liées au retour aux Philippines, à l’intérêt supérieur de ses enfants et à son établissement au Canada.

II.                La décision faisant l’objet du présent contrôle

[7]               En ce qui concerne les difficultés liées au retour aux Philippines, l’agent a reconnu dans sa décision que la situation générale qui règne dans ce pays n’est pas aussi favorable que celle qui prévaut au Canada. Toutefois, l’agent a souligné que la preuve présentée décrivait les conditions qui s’appliquaient à la population en général, et que M. Fabros n’avait pas démontré qu’il serait personnellement et directement touché par ces conditions au point où elles constitueraient des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. L’agent a ajouté que M. Fabros avait résidé pendant la majeure partie de sa vie aux Philippines, qu’il y avait fait ses études, qu’il y avait trouvé de l’emploi par le passé, et qu’il avait là-bas des liens très solides avec sa famille.

[8]               Passant ensuite à l’intérêt supérieur des deux enfants aînés du demandeur, l’agent a souligné qu’ils sont respectivement inscrits à l’université et à l’école secondaire aux Philippines. Il a reconnu qu’ils dépendent du soutien financier de M. Fabros. L’agent n’était toutefois pas convaincu qu’ils ne pourraient pas poursuivre leurs études là-bas, si M. Fabros ne pouvait plus continuer à les aider depuis le Canada. Il a ajouté que le pouvoir discrétionnaire pour considérations d’ordre humanitaire prévu à l’article 25 n’a pas pour objet de combler les écarts de niveaux de vie qui existent dans différents pays.

[9]               En ce qui a trait à la fille de M. Fabros âgée de 10 ans, l’agent a conclu que [traduction] « la preuve objective qui [avait] été présentée ne suffisait pas à démontrer [qu’elle] n’est pas en mesure de recevoir un traitement/des thérapies adéquats ou que ses besoins ne sont pas comblés et ne pouvaient l’être aux Philippines ».

[10]           Enfin, en ce qui a trait à l’établissement de M. Fabros au Canada, l’agent a conclu que c’était le degré d’établissement auquel il fallait s’attendre normalement de sa part, et qu’il n’avait pas démontré que les difficultés liées au fait de devoir rompre ses liens d’emploi au Canada et de retourner aux Philippines afin de demander le statut de résident permanent de la manière habituelle constitueraient des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

III.             La norme de contrôle

[11]           Les parties s’entendent pour dire que la norme de contrôle qui s’applique aux questions en litige soulevées dans la présente demande est la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 51 à 56 (Dunsmuir); Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18 (Kisana)). Bref, la décision faisant l’objet du contrôle sera maintenue à moins qu’elle n’appartienne pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). À cet égard, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59). Compte tenu de la nature hautement discrétionnaire des décisions rendues en vertu de l’article 25 de la LIPR, les agents d’immigration disposent habituellement d’un vaste éventail d’issues (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, au paragraphe 84 (Kanthasamy)).

IV.             Analyse

A.           Est-ce que l’analyse effectuée par l’agent concernant les difficultés liées au retour aux Philippines était déraisonnable?

[12]           M. Fabros prétend que l’agent a tiré plusieurs conclusions déraisonnables en ce qui concerne les difficultés entraînées par un retour aux Philippines. Je ne suis pas d’accord.

[13]           Pour étayer les difficultés alléguées, M. Fabros a présenté une preuve abondante concernant les conditions économiques défavorables aux Philippines. Cette preuve portait sur les difficultés à trouver un emploi, la prédominance de la discrimination fondée sur l’âge, les salaires qui [traduction] « n’assurent pas un niveau de vie décent à un travailleur et à sa famille », le fait que des membres de la famille dépendent énormément de sommes d’argent versées par des membres de la famille travaillant à l’étranger, le grand nombre de personnes qui vivent sous le seuil de la pauvreté, et la croissance économique généralement faible. La documentation sur le pays faisait aussi état de problèmes courants concernant la corruption de l’État et de violations des droits de la personne, quoique l’étendue de telles violations ne fût pas clairement établie, et il était souligné dans cette documentation que le gouvernement maintenait son engagement à empêcher que de telles violations ne se produisent.

[14]           M. Fabros affirme que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve qu’il avait présentée sur la situation générale qui existe dans le pays, simplement parce que ces conditions touchent tout le monde aux Philippines. Je ne suis pas d’accord.

[15]           La population des Philippines s’élève à près de 100 millions de personnes. C’est l’un des nombreux pays en développement dont la population dépasse de loin celle du Canada, et qui est aux prises avec des niveaux de pauvreté élevés, un chômage élevé, une croissance économique généralement faible, une corruption de l’État et un certain degré de violations des droits de la personne. Plusieurs de ces pays constituent également les plus importantes sources de demandes présentées par des étrangers en vue d’obtenir le statut de résident permanent au Canada. Au cours des dernières années, au-delà de 30 000 demandeurs en moyenne par année en provenance des Philippines ont présenté des demandes. Cela dit, il n’est pas déraisonnable pour un agent d’immigration qui apprécie une demande présentée en vertu de l’article 25 de la LIPR d’exiger davantage qu’une simple preuve des conditions qui ont une incidence sur tous les résidants dans le pays d’origine du demandeur.

[16]           Autrement dit, ce serait aller à l’encontre de la mesure d’exception et hautement discrétionnaire prévue à l’article 25 de la LIPR (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Legault, 2002 CAF 125, au paragraphe 15; Kanthasamy, précité, aux paragraphes 40 et 84; Pervaiz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 680, au paragraphe 40; Obeng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 61, aux paragraphes 39 et 40; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 61) d’obliger les agents à accorder une telle mesure à quiconque présente simplement une preuve de la situation générale qui prévaut dans le pays similaire à celle que M. Fabros a présentée à l’appui de sa demande. À vrai dire, cela pourrait très bien avoir pour effet non désiré de submerger le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration (CIC) et ainsi nuire à sa capacité de traiter les demandes de ce genre dans un délai raisonnable, au détriment de toutes les personnes concernées.

[17]           Il serait en outre illogique de permettre à des étrangers de bénéficier de la mesure d’exception offerte par l’article 25, en se fondant sur la situation défavorable générale dans leur pays d’origine, tout en leur refusant de bénéficier de la mesure plus importante prévue à l’alinéa 97(1)b), au motif que les risques en question sont des risques généralisés et non pas des risques auxquels est exposé personnellement le demandeur.

[18]           Les risques décrits dans cette dernière disposition sont extrêmement graves, à savoir le risque de mort, ou de traitements ou peines cruels et inusités. Pourtant, une protection à l’égard de tels risques n’est pas offerte quand il s’agit simplement de risques auxquels « d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent […] sont généralement » exposées. Une telle formulation permet raisonnablement de conclure que le législateur a voulu éviter qu’un grand nombre de demandeurs présentent une demande de protection au Canada, fondée sur des risques ayant trait à la situation générale qui règne dans le pays. On peut supposer que le législateur savait que cela nuirait à la capacité de traitement de CIC et compromettrait également la réalisation de l’objectif énoncé à l’alinéa 3(1)c) de la LIPR, à savoir « l’application d’un traitement efficace ». Selon moi, il faudrait interpréter l’article 25 de manière à réaliser ce même objectif. Le Canada dispose d’autres instruments pour répondre aux besoins d’un grand nombre d’étrangers venant d’un pays donné, par suite d’une crise humanitaire généralisée ou en raison d’autres conditions générales qui règnent dans le pays.

[19]           Compte tenu de ce qui précède, il n’est pas déraisonnable pour un agent d’immigration d’exiger de la part d’un demandeur qui sollicite une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de démontrer de quelle manière il serait susceptible d’éprouver des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, par rapport à la situation d’autres personnes qui présentent une demande de résidence permanente de la manière habituelle, si la demande est rejetée. En général, cela exigera davantage d’un demandeur que de simplement présenter une preuve de la situation qui touche toutes les personnes dans son pays d’origine.

[20]           En l’espèce, l’agent a déclaré qu’il incombait à M. Fabros de démontrer la manière dont il serait personnellement et directement touché par la situation défavorable générale du pays. L’agent est ensuite conclu qu’il ne disposait pas d’une preuve suffisante permettant [traduction] « de démontrer les difficultés, le cas échéant, que le demandeur a éprouvées ou éprouvera en raison des problèmes cités qui sont présents dans le pays ».

[21]           Le fait que l’agent ait mis l’accent sur la question de savoir si M. Fabros serait personnellement et directement affecté par la situation défavorable générale dans le pays cadrait parfaitement avec les exigences de la jurisprudence (Kanthasamy, précité, aux paragraphes 48 et 49).

[22]           Il ressort clairement, à la lecture de la décision de l’agent dans son ensemble, que ce dernier a également tenté d’apprécier à quel point M. Fabros s’exposerait à des difficultés par rapport à la situation des personnes qui présentent une demande de résidence permanente depuis l’étranger, de la manière habituelle. Entre autres, d’après la déclaration ultime de l’agent, M. Fabros n’a pas réussi à établir que [traduction] « les difficultés liées au fait de devoir demander la résidence permanente de la manière habituelle sont différentes de celles auxquelles font face les autres personnes qui doivent présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger ».

[23]           Pour le motif exposé plus haut, il n’était pas déraisonnable de mettre l’accent sur ce point. À vrai dire, c’était tout à fait approprié et conforme aux enseignements de la Cour (Dorlean c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1024, aux paragraphes 35 à 37; Piard c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 170, aux paragraphes 18 et 19).

[24]           Pour en arriver à sa conclusion quant aux difficultés qui, aux dires de M. Fabros, seraient liées au fait de devoir retourner aux Philippines, l’agent a déclaré qu’il a parcouru et pris en compte la preuve et les observations qui ont été présentées en appui à sa demande. Il a ensuite abordé expressément les éléments de preuve et les observations les plus pertinents et importants.

[25]           L’agent a souligné en particulier que M. Fabros n’avait pas démontré qu’il avait déjà été victime de violations des droits de la personne ou de corruption, ou qu’il le serait. Il a aussi fait remarquer que les arguments de M. Fabros selon lesquels ses enfants seraient exposés à divers problèmes sociaux susceptibles de mettre leur vie ou leur bien-être en danger étaient de nature spéculative. Par ailleurs, il a conclu que M. Fabros n’avait pas démontré que ses enfants n’auraient pas accès à un enseignement adéquat. (Ce point est examiné plus en détail ci-après.) L’agent a en outre estimé que M. Fabros et sa famille subvenaient à leurs propres besoins avant qu’il ne vienne au Canada et que [traduction] « la preuve qui [lui] avait été présentée n’était pas suffisante pour permettre de démontrer que [son] épouse ne pourrait pas se trouver un emploi afin de contribuer à la situation financière de la famille comme par le passé ». À la lumière de la documentation figurant dans le dossier certifié du tribunal, je suis convaincu que ces conclusions n’étaient pas déraisonnables.

[26]           M. Fabros affirme que l’agent a commis une erreur en ne reconnaissant pas que la situation défavorable générale dans le pays lui causerait vraisemblablement des difficultés excessives, en raison de l’incapacité de sa fille cadette, Renize Mafi. Je ne suis pas d’accord.

[27]           Selon ce que le législateur a prescrit au paragraphe 38(1), emporte, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour motifs sanitaires l’état de santé de l’étranger risquant d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé au Canada. Ce serait aller à l’encontre de cette disposition d’affirmer qu’une personne, y compris un enfant, est automatiquement admissible à la dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire prévue à l’article 25 en raison du problème de santé qui fait justement en sorte qu’elle est interdite de territoire en vertu du paragraphe 38(1). Compte tenu du grand nombre de personnes qui présentent une demande, ou qui pourraient raisonnablement présenter une demande de dispense en vertu de l’article 25 si une proposition de ce genre était approuvée, cette position irait à l’encontre de la mesure d’exception et hautement discrétionnaire prévue à l’article 25 (voir les citations au paragraphe 16 ci-dessus).

[28]           Bien qu’il soit naturel d’éprouver une grande empathie à l’égard de personnes dans une pareille situation, le législateur a de toute évidence établi que le Canada, qui est déjà aux prises avec une dette nationale importante, n’est pas en mesure d’aider toutes les personnes dans une pareille situation. Il a implicitement décidé d’accorder la priorité aux Canadiens et aux résidents permanents quant aux ressources offertes à la population en matière de soins de santé.

[29]           Eu égard à la question du problème de santé de Mafi, l’agent a souligné que la preuve indiquait que les besoins de cette dernière avaient été appréciés aux Philippines, que des prothèses auditives lui avaient été prescrites et ajustées aux deux oreilles, qu’elle pourrait subir là-bas une chirurgie pour la pose d’un implant cochléaire, et qu’elle voyait un orthophoniste une fois par semaine. Il a ajouté qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve établissant que les coûts liés à ce traitement ne sont pas couverts en partie ou intégralement par le système de soins de santé, faute de quoi M. Fabros ne serait pas capable de payer ces coûts au moyen d’autres sources de financement. Compte tenu de tout ce qui précède, l’agent a conclu que [traduction] « la preuve objective qui a été présentée ne suffisait pas à démontrer que Renize Mafi n’est pas en mesure de recevoir un traitement/des thérapies adéquats ou que ses besoins ne sont pas comblés et ne pouvaient l’être aux Philippines ». Selon la preuve dont disposait l’agent, cette conclusion n’était pas déraisonnable.

[30]           Je suis d’accord avec l’agent qui affirme que [traduction] « le pouvoir discrétionnaire pour des considérations d’ordre humanitaire n’a pas pour objet de combler les écarts des niveaux de vie existant au Canada et dans d’autres pays ». C’est la raison pour laquelle les difficultés prévues à l’article 25 sont des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, par rapport à la situation d’autres personnes qui présentent une demande de résidence permanente de la manière habituelle, depuis l’étranger. Il ne s’agit pas de difficultés par rapport à la situation des Canadiens et Canadiennes qui bénéficient de meilleurs soins de santé, d’un meilleur système d’éducation ou d’autres manifestations d’un niveau de vie moyen plus élevé que ce qui existe dans le pays d’origine du demandeur. Il ne s’agit pas non plus de difficultés qui sont établies par renvoi à « des considérations subjectives touchant l’équité » (Kanthasamy, précité, au paragraphe 60).

[31]           Par conséquent, une personne qui sollicite une dispense en vertu de l’article 25 doit démontrer de quelle façon les facteurs tels que le degré d’établissement au Canada, l’intérêt supérieur des enfants directement touchés et la situation qui règne dans son pays d’origine font en sorte que le rejet de la demande causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives par rapport à la situation d’autres personnes qui présentent une demande de résidence permanente de la manière habituelle, depuis l’étranger.

[32]           En théorie, l’appréciation visant à établir si ce critère est satisfait dans un cas donné comporte deux étapes. À la première étape, un agent d’immigration doit apprécier et soupeser les difficultés liées au rejet de la demande, par rapport aux avantages faisant contrepoids, notamment la réunification de la personne avec sa famille dans son pays d’origine. Souvent, le résultat à cette étape de l’appréciation indiquera que le demandeur éprouvera certaines difficultés si sa demande est rejetée. Il en est ainsi parce qu’il y a habituellement certaines difficultés associées au fait de devoir quitter sa famille, ses amis, son emploi et sa collectivité au Canada, et retourner dans son pays d’origine où la qualité de vie est inférieure, afin de présenter une demande pour obtenir le statut de résident permanent. En outre, comme nous le verrons plus loin, il est souvent dans l’intérêt supérieur des enfants directement touchés qui vivent au Canada de demeurer ici, et de faire en sorte que le membre de la famille qui demande une dispense en vertu de l’article 25 demeure ici avec eux.

[33]           Puisqu’il y a habituellement certaines difficultés liées au fait de devoir quitter le Canada afin de présenter une demande de statut de résident permanent depuis l’étranger, la mesure d’exception prévue à l’article 25 commande une deuxième étape dans le cadre de l’appréciation. Lors de cette deuxième étape, l’agent d’immigration doit vérifier si les difficultés nettes résultantes, après avoir pris en compte les avantages faisant contrepoids, seraient « inhabituelles et injustifiées ou excessives » par rapport à la situation d’autres personnes qui doivent présenter une demande de résidence permanente de la manière habituelle, depuis l’étranger. Il s’agit notamment d’autres personnes qui doivent quitter le Canada pour ce faire. Il faut souligner que, pour satisfaire à ce critère, les difficultés doivent être personnelles, directes et exceptionnelles, par rapport à la situation d’autres personnes qui doivent présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger. Il est entendu que les avantages faisant contrepoids sont ceux qu’un demandeur ou sa famille aurait les meilleures chances d’obtenir, si la demande de dispense présentée en vertu de l’article 25 est rejetée.

[34]           M. Fabros soutient en outre que l’agent, lors de son appréciation, a commis une erreur en ne tenant pas compte d’une lettre rédigée par le médecin de Mafi, dans laquelle il était mentionné ce qui suit : [traduction] « Malgré un ajustement optimal des prothèses auditives, les bienfaits en matière de développement de la parole et du langage ont été limités en raison d’un piètre accès à l’orthophonie ». L’agent a toutefois fait expressément renvoi à ce diagnostic dans le second paragraphe complet qui figure à la page 8 de sa décision. Je souscris donc à l’avis du défendeur selon lequel M. Fabros, essentiellement, demande à la Cour d’apprécier à nouveau cette preuve. Compte tenu de la nature hautement discrétionnaire de la décision rendue par l’agent, je m’abstiens de le faire (Kanthasamy, précité, au paragraphe 99). À mon avis, la conclusion de l’agent sur ce point avait un fondement rationnel, elle était justifiée, intelligible et transparente, et elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Halifax (Regional Municipality) v Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, aux paragraphes 46 et 47 (Halifax)).

[35]           M. Fabros soutient en outre que l’agent a commis une erreur en rejetant une lettre rédigée par son frère Rolando, qui étaye sa position selon laquelle les membres de sa famille proche et étendue comptent sur son soutien financier pour assurer une meilleure qualité de vie que celle qu’ils auraient autrement. Le demandeur avance un argument similaire en ce qui a trait à des lettres de sa mère et de sa fille aînée, dont il n’a pas été fait expressément mention dans la décision de l’agent. Il était indiqué dans la lettre de sa mère que les enfants du demandeur avaient été en mesure de recevoir une bonne éducation grâce au soutien financier de celui-ci, que sa fille cadette pouvait continuer à bénéficier de l’attention nécessaire seulement si elle était en mesure de rester à l’école privée qu’elle fréquentait à ce moment‑là et que les parents du demandeur se trouveraient dans une situation financière difficile sans ce soutien. Sa fille aînée a déclaré dans sa lettre que, si son père retournait aux Philippines, elle ne pourrait pas terminer ses études en médecine et obtenir son diplôme, et que toute la famille dépendait de lui.

[36]           Dans sa décision, l’agent a essentiellement traité de cette preuve lorsqu’il a reconnu à plusieurs reprises que les membres de la famille proche et étendue de M. Fabros dépendaient grandement de son soutien financier. En conséquence, son omission de faire expressément mention des lettres susmentionnées n’était pas particulièrement importante et n’était pas déraisonnable. Il est bien reconnu en droit que les décideurs administratifs ne sont pas tenus de traiter de chacun des éléments de preuve présentés et de chacune des questions soulevées par les parties (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16; Construction Labour Relations c Driver Iron Inc, 2012 CSC 65, au paragraphe 3).

[37]           M. Fabros a aussi affirmé que l’agent avait commis une erreur en rejetant la preuve qu’il avait présentée relativement à la discrimination fondée sur l’âge et en concluant qu’il serait capable de trouver du travail s’il retournait aux Philippines. Je ne suis pas d’accord.

[38]           En examinant cette preuve, l’agent a souligné que M. Fabros avait en fait occupé un emploi aux Philippines de décembre 1995 à août 2007. Il a aussi fait remarquer que M. Fabros n’avait pas démontré qu’il n’avait pas réussi à trouver du travail aux Philippines en raison de son âge, avant son départ pour le Canada. De plus, l’agent a laissé entendre que les compétences et l’expérience acquises au Canada l’aideraient à trouver du travail aux Philippines. J’estime que l’analyse faite par l’agent relativement à cette question en litige n’était pas déraisonnable.

[39]           En résumé, j’estime que l’analyse de l’agent portant sur les difficultés qui, aux dires de M. Fabros, seraient liées au fait de devoir retourner aux Philippines n’était pas déraisonnable. Il est certain que M. Fabros et sa famille éprouveraient certaines difficultés s’il devait retourner aux Philippines. Cependant, il était raisonnablement loisible à l’agent de conclure que de telles difficultés ne seraient pas inhabituelles et injustifiées ou excessives, par rapport à la situation d’autres personnes qui doivent quitter le Canada.

B.     L’agent a-t-il commis une erreur en n’étant pas « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants de M. Fabros?

[40]           M. Fabros soutient que les motifs de l’agent ont démontré une mauvaise appréciation de l’intérêt supérieur de ses enfants, plus précisément eu égard à la mesure dans laquelle les enfants comptent sur lui pour ce qui est de leur éducation et, dans le cas de Mafi, son accès à un traitement médical adéquat. Je ne suis pas d’accord.

[41]           Les parties conviennent que l’agent d’immigration qui examine une demande CH doit être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt de tout enfant pouvant être touché par sa décision (Baker, précité, au paragraphe 75). Une fois que l’agent a agi ainsi, toutefois, il lui appartient d’accorder à cet intérêt le poids qu’à son avis il mérite dans les circonstances (Legault, précité, au paragraphe 12). Il n’y a pas de « formule magique à laquelle devaient recourir les agents d’immigration dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire » (Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 7 (Hawthorne); Kisana, précité, au paragraphe 32).

[42]           Il s’ensuit que l’intérêt supérieur des enfants touchés est important, mais qu’il n’est pas forcément déterminant. Autrement dit, « un demandeur ne peut s’attendre à une réponse favorable à sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire simplement parce que l’intérêt supérieur de l’enfant milite en faveur de ce résultat » (Kisana, précité, aux paragraphes 24 et 37). Généralement, l’intérêt supérieur des enfants militera en faveur de ce résultat (Kisana, précité, aux paragraphes 30 et 31; Hawthorne, précité, aux paragraphes 4 à 6). Il faut donc examiner la façon dont cet intérêt supérieur aide le demandeur à satisfaire au critère permettant la prise de la mesure d’exception prévue à l’article 25, tel qu’il est énoncé plus haut. Cet examen consiste habituellement à apprécier le degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi des parents du Canada exposera [l’enfant] et de le [soupeser] à d’autres facteurs qui pourraient militer à l’encontre de leur renvoi » (Kisana, précité, au paragraphe 31). Compte tenu du caractère exceptionnel de la mesure offerte par l’article 25, il peut également être utile d’examiner comment l’intérêt supérieur des enfants touchés se compare à celui d’autres enfants dont l’intérêt a fait l’objet d’une appréciation dans le cadre de demandes antérieures présentées en vertu de l’article 25.

[43]           Lors de son examen de l’intérêt supérieur des enfants de M. Fabros, l’agent s’est concentré sur les facteurs que le demandeur avait soulignés dans sa demande, à savoir, dans quelle mesure le refus de sa demande aurait des répercussions défavorables sur la capacité des enfants à maintenir leur niveau d’éducation actuel, et sur Mafi en ce qui concerne un accès continu à un traitement médical pour traiter sa surdimutité.

[44]           En ce qui concerne l’éducation des enfants, l’agent a souligné que la fille aînée de M. Fabros était alors inscrite à un programme de bourses d’études postsecondaires en médecine à l’Université de Baguio. Il a fait observer que la preuve était insuffisante pour permettre de démontrer qu’elle ne pourrait pas obtenir d’autres bourses d’études ou que d’autres étudiants comme elle aux Philippines n’avaient pas accès à une aide financière sous d’autres formes, à des prêts ou à des subventions. L’agent a fait remarquer en outre que M. Fabros était lui-même parvenu à fréquenter un collège pendant au moins deux ans aux Philippines avec l’aide de ses parents.

[45]           En ce qui concerne Mico, le fils de M. Fabros qui fréquente l’école secondaire, l’agent a souligné que la preuve n’était pas suffisante pour permettre d’établir qu’il ne pourrait pas poursuivre des études aux Philippines. Il a également reconnu que Mico aimerait poursuivre ses études au Canada. À cet égard, il a fait remarquer que Mico pourrait demander une autorisation depuis l’étranger et présenter une demande à titre d’étudiant étranger et que le fait que les enfants qui vivent au Canada aient accès à une meilleure éducation et de meilleures perspectives d’emploi n’était pas un facteur déterminant.

[46]           En ce qui concerne Mafi, qui est une élève de 1re année, l’agent a souligné que son enseignant avait remarqué qu’elle avait les capacités d’une élève de 2e année en ce qui concerne la lecture et l’écriture, et que sa tante Eufemia s’était dite prête à payer toutes les dépenses liées à son éducation si elle devait immigrer au Canada. L’agent a ajouté que la preuve n’était pas suffisante pour démontrer que sa tante n’assumerait pas au même titre le coût permettant d’assurer le maintien de l’éducation de Mafi aux Philippines, d’autant plus que le coût de son éducation actuelle n’est qu’une fraction de celui qu’il en coûterait pour son éducation au Canada.

[47]           Comme il est mentionné plus haut, l’agent a également apprécié les besoins médicaux de Mafi.

[48]           De manière plus générale, l’agent a fait remarquer que l’épouse de M. Fabros avait démissionné de son emploi afin de dispenser un enseignement à domicile à Mafi, qui fréquente maintenant une école privée à temps plein. Il a souligné que la preuve n’était pas suffisante pour permettre de démontrer qu’elle ne pouvait pas travailler comme elle l’avait fait par le passé, afin d’aider à subvenir aux besoins de ses enfants.

[49]           En ce qui concerne la preuve versée dans le dossier certifié du tribunal, je suis persuadé que l’appréciation faite par l’agent de l’intérêt supérieur des enfants de M. Fabros n’était pas déraisonnable. Cette appréciation avait un fondement rationnel et elle appartenait « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité; Halifax, précité), compte tenu plus précisément de la « nature hautement discrétionnaire et factuelle » de la décision (Baker, précité, au paragraphe 61). Pour les motifs que j’ai exposés, il s’agissait d’une décision transparente, intelligible et suffisamment justifiée.

C.      L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que l’acceptation d’une demande présentée en vertu de l’article 25 représenterait une voie possible d’accès à la résidence permanente et à la réunification des membres de sa famille au Canada, qui sont actuellement interdits de territoire en raison de l’état de santé de sa fille cadette?

[50]           M. Fabros soutient que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que l’acceptation de sa demande représenterait une voie possible de contourner l’interdiction de territoire de sa fille au Canada et de permettre à sa famille d’être réunie au Canada. Je suis d’accord.

[51]           Tel qu’il est précisé ci-dessus à la partie I des présents motifs, Mafi a été jugée interdite de territoire en raison de son état de santé. Conformément à l’article 42, cela fait en sorte que M. Fabros est interdit de territoire au Canada. L’article 25 représente non seulement une voie permettant à M. Fabros de contourner son interdiction de territoire, mais lui permettant également de parrainer ses enfants, y compris Mafi, aux fins de l’obtention du statut de résident permanent, s’il devient lui-même un résident permanent. Quant à ce dernier point, voici ce qui est énoncé au paragraphe 12(1) de la LIPR :

12. (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

12. (1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common-law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

[52]           Conformément au paragraphe 13(1), un résident permanent peut, sous réserve des règlements, parrainer un étranger de la catégorie du regroupement familial.

[53]           De plus, l’alinéa 38(2)a) prévoit que l’état de santé qui risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé n’emporte toutefois pas interdiction de territoire pour l’étranger dont il a été statué qu’il fait partie de la catégorie « regroupement familial » en tant qu’époux, conjoint de fait ou enfant d’un répondant dont il a été statué qu’il a la qualité réglementaire.

[54]           Au début de sa décision, l’agent a souligné que M. Fabros était alors interdit de territoire en raison de l’interdiction de territoire de Mafi. Ensuite, à la page 5 de sa décision, il a souligné que Mafi [traduction] « n’est pas visée par la présente demande et si la demande de son père était acceptée, cela ne la rend pas, par extension, recevable et admissible à la résidence permanente ». Il a fait une déclaration similaire à la page 8 de sa décision, quand il a fait remarquer que, si la demande de M. Fabros devait être acceptée, [traduction] « cela en soi ne permet pas d’écarter l’interdiction de territoire de sa fille, ou d’octroyer aux autres membres de sa famille, grâce à cette même demande, la résidence permanente au Canada ».

[55]           Au sens strict, ces énoncés sont techniquement exacts, puisque M. Fabros ne peut parrainer Mafi ou les autres membres de sa famille proche afin qu’ils deviennent résidents permanents, avant de devenir lui-même un résident permanent. Je souscris toutefois à l’avis de M. Fabros selon lequel, après avoir reçu une dispense en vertu de l’article 25, il bénéficierait d’une voie possible lui permettant de devenir un résident permanent et d’être capable de parrainer Mafi et les autres membres de sa famille proche. L’agent ne semble pas avoir tenu compte de cette possibilité, à savoir que le demandeur puisse être réuni avec les membres de sa famille au Canada.

[56]           Un examen de la décision dans son ensemble donne à penser que la décision de l’agent aurait été la même, même s’il avait reconnu le fait qu’une décision favorable rendue à l’égard de la demande présentée par M. Fabros aurait donné à ce dernier (i) une chance réaliste de devenir un résident permanent, et ainsi (ii) la possibilité de contourner l’interdiction de territoire de son épouse et de ses enfants, en les parrainant afin de leur permettre d’obtenir la résidence permanente au titre de la catégorie du regroupement familial. Je ne suis cependant pas certain que la décision de l’agent aurait été la même s’il avait tenu compte de cette possibilité s’offrant à M. Fabros et à sa famille d’être réunis au Canada. Il s’ensuit que l’omission de l’agent d’apprécier ce fait n’était pas sans importance.

[57]           La décision rendue par l’agent est également incompréhensible quant à la question de savoir si M. Fabros pourrait présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger, si sa demande était refusée. À la page 3 de sa décision, il a souligné l’observation faite par M. Fabros selon laquelle, en raison de l’interdiction de territoire de sa fille pour des raisons d’ordre médical, la seule option s’offrant à lui pour demander la résidence permanente au Canada était de présenter une demande en vertu de l’article 25. Toutefois, il a ensuite déclaré, à trois reprises distinctes, que M. Fabros n’avait pas démontré qu’il éprouverait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’il devait présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger, de la manière habituelle. Comme il a été mentionné, M. Fabros ne pouvait pas présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger de la manière habituelle, en raison de l’interdiction de territoire de Mafi (et, par conséquent, la sienne).

[58]           Il se peut que l’agent n’ait fait qu’exposer le critère tel qu’il est habituellement formulé, sans reconnaître que cette formulation n’était pas indiquée pour le cas dont il était saisi. Il aurait été plus intelligible, en les circonstances, de tout simplement dire que M. Fabros n’avait pas démontré qu’il éprouverait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, si sa demande n’était pas accueillie.

[59]           Quoi qu’il en soit, l’agent a clairement commis une erreur en laissant croire à plusieurs reprises que M. Fabros pouvait présenter une demande de résidence permanente de la manière habituelle.

[60]           Pour ce motif, et parce qu’il a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait qu’accueillir la demande présentée par M. Fabros représenterait une voie possible lui permettant d’être réuni avec sa famille au Canada, la décision rendue par l’agent sera annulée, et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

V.                Conclusion

[61]           La demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[62]           En fin d’audience, l’avocate de M. Fabros a demandé que la question suivante soit certifiée :

[traduction]

Puisque l’article 25 prévoit que le ministre peut octroyer à un étranger le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, et que le paragraphe 2(2) prévoit que la Loi inclut les règlements pris sous son régime, l’agent d’immigration était-il tenu d’envisager l’application de considérations d’ordre humanitaire à la demande de dispense présentée par le demandeur à l’égard de l’interdiction de territoire des membres de sa famille, dans le cadre de sa demande de résidence permanente?

[63]           Si je comprends bien, la question proposée est essentiellement de savoir si l’agent était tenu de considérer la possibilité que la demande de M. Fabros présentée en vertu de l’article 25 représente une voie possible, et à vrai dire la seule voie possible, s’offrant à lui pour être réuni avec sa famille au Canada.

[64]           À mon avis, l’agent était tenu de prendre en considération cette possibilité. C’est ce qui ressort implicitement de mon appréciation de la troisième question en litige soulevée dans le cadre de la présente demande, dont il est question plus haut à la partie IV.C. des présents motifs.

[65]           Conformément à l’alinéa 74d) de la LIPR, une question ne peut être certifiée que si elle constitue « une question grave de portée générale ».

[66]           Durant l’audition de la présente demande, lorsqu’ils se sont fait demander s’ils étaient au courant d’autres affaires impliquant une personne dans la même situation que M. Fabros, les avocats de M. Fabros et du ministre ont tous les deux répondu par la négative. Autrement dit, ils ont déclaré ne pas être au courant d’une autre affaire dans laquelle une personne présentant une demande de dispense en vertu de l’article 25 avait tenté de l’emporter sur son interdiction de territoire pour des raisons médicales qui était fondée sur une interdiction pour des raisons médicales dont faisait l’objet un membre de la famille avec qui le demandeur souhaitait être réuni au Canada.

[67]           En l’absence d’éléments de preuve ou autre motif permettant de croire qu’il existe un grand nombre de demandeurs ou de demandeurs éventuels présentant des demandes en vertu de l’article 25 qui peuvent se retrouver dans la situation de M. Fabros, j’estime que la question proposée à des fins de certification par son avocate ne constitue pas une question grave de portée générale.

[68]           Par conséquent, je ne certifierai pas cette question.

[69]           À mon avis, les faits particuliers en l’espèce ne soulèvent aucune autre question en vue de la certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La présente demande est accueillie. La décision de l’agent rendue le 23 janvier 2014 et communiquée au demandeur le 28 janvier 2014 est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision, conformément aux présents motifs.

2.      Il n’y a aucune question à certifier.

« Paul S. Crampton »

Juge en chef

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


ANNEXE 1

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

Regroupement familial

Family reunification

12. (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

12. (1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common-law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

Parrainage de l’étranger

Sponsorship of foreign nationals

13. (1) Tout citoyen canadien, résident permanent ou groupe de citoyens canadiens ou de résidents permanents ou toute personne morale ou association de régime fédéral ou provincial — ou tout groupe de telles de ces personnes ou associations — peut, sous réserve des règlements, parrainer un étranger.

13. (1) A Canadian citizen or permanent resident, or a group of Canadian citizens or permanent residents, a corporation incorporated under a law of Canada or of a province or an unincorporated organization or association under federal or provincial law — or any combination of them — may sponsor a foreign national, subject to the regulations.

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

Motifs sanitaires

Health grounds

38. (1) Emporte, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour motifs sanitaires l’état de santé de l’étranger constituant vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risquant d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

38. (1) A foreign national is inadmissible on health grounds if their health condition

(a) is likely to be a danger to public health;

(b) is likely to be a danger to public safety; or

(c) might reasonably be expected to cause excessive demand on health or social services.

Exception

Exception

(2) L’état de santé qui risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé n’emporte toutefois pas interdiction de territoire pour l’étranger :

(2) Paragraph (1)(c) does not apply in the case of a foreign national who

a) dont il a été statué qu’il fait partie de la catégorie « regroupement familial » en tant qu’époux, conjoint de fait ou enfant d’un répondant dont il a été statué qu’il a la qualité réglementaire;

(a) has been determined to be a member of the family class and to be the spouse, common-law partner or child of a sponsor within the meaning of the regulations;

Inadmissibilité familiale

Inadmissible family member

42. (1) Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :

42. (1) A foreign national, other than a protected person, is inadmissible on grounds of an inadmissible family member if

a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas;

(a) their accompanying family member or, in prescribed circumstances, their non-accompanying family member is inadmissible; or

b) accompagner, pour un membre de sa famille, un interdit de territoire.

(b) they are an accompanying family member of an inadmissible person.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-886-14

 

INTITULÉ :

RENATO FABROS GONZALO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 mars 2015

 

motifs du jugement

et jugement :

LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

Le 24 avril 2015

COMPARUTIONS :

D. Jean Munn

 

POUR LE DEMANDEUR

 

W. Brad Hardstaff

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Caron & Partners LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.