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Date : 20150508


Dossier : IMM-3187-14

Référence : 2015 CF 613

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 8 mai 2015

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

ANULI UKAMAKA ASHLEY ODURUKWE

DARREN CHIAGOZIEM ODURUKWE (mineur)

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]          Il s’agit en l’espèce d’une demande de contrôle judiciaire déposée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Anuli Ashley Odurukwe conteste la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada rejetant sa demande d’asile. La demande de son enfant mineur Darren a été jointe à la sienne et a également été rejetée. Pour les motifs suivants, la présente demande est rejetée.

I.                   Le contexte

[2]         Mme Odurukwe est une citoyenne du Nigéria. Elle est membre du groupe ethnique des Igbos. Le 1er mai 2010, elle a épousé Kelvin Odurukwe. Sa famille élargie et les aînés du village se sont opposés au mariage, parce qu'ils croient que Kelvin appartient à la caste des Osus, dont les membres sont considérés par les Igbos comme des « parias » ou des « intouchables ». Néanmoins, la demanderesse a reçu la bénédiction de ses parents qui étaient de pieux chrétiens et qui étaient hostiles à ce genre de discrimination.

[3]         Peu de temps après le mariage, la demanderesse allègue que les aînés du village ont commencé à menacer de s’en prendre à son père physiquement s’il ne la convainquait pas de mettre fin à son mariage et de prendre part à un rituel de purification. Les femmes locales ont également réprimandé sa mère. Le père a demandé l’aide du chef traditionnel, mais il a découvert que ce dernier s’opposait aussi au mariage entre les Igbos et les Osus.

[4]         La mère de la demanderesse est morte des suites d’un anévrisme, sept jours seulement après le mariage. La demanderesse allègue que les menaces proférées contre sa famille ont beaucoup stressé sa mère, ce qui a fini par causer sa mort.

[5]         Le père de la demanderesse a été exclu de la vie du village, parce qu’il a refusé de céder aux menaces et exigences de la collectivité. Entre-temps, la demanderesse a donné naissance à son fils Darren, le 11 avril 2011.

[6]         En juillet 2011, la demanderesse, son époux et leur nourrisson ont séjourné au Royaume‑Uni afin que l’époux puisse obtenir un diplôme universitaire.

[7]         En mai 2012, la demanderesse et son époux ont présenté une demande de visas pour visiter le Canada. Ils détenaient alors déjà des visas valides qui leur permettaient d’aller au Royaume-Uni et aux États-Unis.

[8]         Le 20 juin 2012, la demanderesse allègue que la situation s’est aggravée : son père a été enlevé. Ses ravisseurs l’ont appelée à partir du téléphone cellulaire de son père et exigeaient qu’elle leur remette son fils Darren en échange de la libération de son père. La demanderesse en a avisé son oncle, qui a signalé l’incident à la police. La police a appelé la demanderesse et a discuté de l’affaire avec elle. Le lendemain, un passant a trouvé son père inconscient dans la rue après avoir été battu. Il a été emmené à l’hôpital et a succombé à ses blessures. La police a été mise au fait de cet incident, mais elle n’y a pas donné suite.

[9]         A cette époque, la demanderesse et sa famille vivaient à Sokoto, une ville située dans le nord-ouest du Nigéria (tandis que son village ancestral est dans le sud-est). Après le meurtre de son père et en raison des menaces ultérieures, la demanderesse et sa famille ont loué un deuxième appartement à Sokoto où ils ont vécu dans le secret. Le 6 septembre 2012, un groupe d'hommes de son village ont tenté de la retrouver dans son premier appartement et ont demandé à sa voisine si elle savait où elle se trouvait.

[10]     Après cet incident, la demanderesse a fui le Nigéria. Le 22 septembre 2012, elle est entrée au Canada, avec son époux et Darren, munis de leurs visas de visiteur. La demanderesse et Darren ont présenté une demande d’asile trois jours plus tard. Son époux est retourné au Nigéria après avoir passé une semaine au Canada.

[11]     La Commission a tenu une audience le 26 mars 2014. À ce moment-là, la demanderesse avait donné naissance à un deuxième enfant en sol canadien. Elle a également présenté de nouveaux documents à la Commission, notamment des éléments de preuve montrant que son époux avait été agressé en décembre 2013 par des membres de son village qui la cherchaient ainsi que son fils.

[12]     La Commission a rendu une décision défavorable le 8 avril 2014. La demanderesse a demandé l’autorisation de contrôle judiciaire à la Cour.

[13]     Dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, la Commission explique que la présente affaire comporte trois questions : la crédibilité, la crainte subjective et l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI].

[14]     La Commission reconnaît que le témoignage doit être présumé véridique, sauf s’il existe des raisons de douter de sa véracité (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1979] ACF no 248 (CAF)). Néanmoins, la Commission soulève plusieurs questions à propos de la crédibilité de la demanderesse.

1.      Dans son formulaire de renseignements personnels [FRP], la demanderesse a allégué que les membres de la collectivité ont menacé son père en lui disant qu’ils le tueraient, ainsi que son épouse et sa fille. Ils ont en outre exigé qu’il convainque la demanderesse de mettre fin à son mariage et de procéder à un rituel de purification. Lors de l’audience, le tribunal a interrogé la demanderesse au sujet de la réaction de la collectivité à l’égard de son mariage. Elle a témoigné que son père a reçu des menaces de mort. Elle n’a pas fait mention de quelques menaces de mort la concernant ou concernant sa mère. Elle n’a fourni aucune explication raisonnable quant à cette divergence. En outre, la demanderesse n’a fait mention des exigences communiquées à son père que lorsque le tribunal lui a posé la question.

2.      Dans son FRP, la demanderesse allègue qu’elle s’est cachée et qu’elle a cessé de travailler à compter de juillet 2012. Pourtant, dans les notes prises au point d’entrée [PDE], elle a déclaré avoir travaillé à deux endroits différents jusqu’en septembre 2012, soit juste avant son départ pour le Canada. Dans les notes au point d’entrée, elle a également déclaré qu’elle a résidé à la même adresse jusqu’en septembre 2012, contrairement à ce qui est allégué dans son FRP. La demanderesse pouvait tout au plus affirmer qu’il s’agissait d’omissions. La Commission tire une conclusion défavorable de ces divergences.

3.      Le tribunal a demandé à la demanderesse si c’était une coïncidence que de graves problèmes soient survenus seulement deux ans après son mariage au même moment où son époux et elle présentaient une demande de visa de visiteur au Canada. La demanderesse a répondu en ne faisant que réitérer ses allégations. Selon la prépondérance des probabilités, le tribunal conclut que la coïncidence est possible, mais non probable.

4.      Le tribunal a demandé à la demanderesse pourquoi son mari n’est pas resté au Canada, puisqu’il a des parents ici et qu’il se heurte à des problèmes au Nigéria. La demanderesse a répondu que son époux est considéré comme un intouchable parce qu'il est un Osu et que, par conséquent, il ne subira pas de la violence physique au Nigéria. Elle a expliqué que si une personne tue un Osu, le tueur devient impur et une malédiction pèse sur ses terres. Le tribunal reconnaît la preuve documentaire sur la ségrégation, mais conclut que cela n’empêche pas le fait qu’un Osu puisse être victime de violence physique. En effet, selon certains éléments de preuve présentés par la demanderesse, un Osu peut être victime d’attaques et de violence et peut mourir assassiné par un non-Osu. Le tribunal tire une conclusion défavorable du retour de l’époux au Nigéria.

[15]     La demanderesse a fourni les certificats de décès de ses parents. Le tribunal leur accorde peu de poids parce que ce sont des copies plutôt que des originaux. En outre, il est mentionné que la cause du décès de la mère est un [traduction] « anévrisme cérébral » et que la cause secondaire est [traduction] « l’hypertension ». Rien n’indique que les menaces ont causé sa mort. De même, la principale cause du décès de son père est [traduction] « un choc hypovolémique » et la cause secondaire, une [traduction] « hémorragie interne ». Cela ne prouve aucunement que ce dernier a été battu ou assassiné.

[16]     La demanderesse a fourni plusieurs autres documents. En raison des conclusions défavorables qui ont été tirées au sujet de la crédibilité de cette dernière, le tribunal ne donne aucune valeur probante à ces documents. 

[17]     Le tribunal passe à la question de la crainte subjective. En juillet 2011, la demanderesse et sa famille ont séjourné au Royaume-Uni pendant douze jours. Ils sont retournés ensuite au Nigéria. À cette époque, la demanderesse savait déjà que la collectivité les menaçait elle et sa famille. Elle allègue que sa mère est décédée à la suite de ces menaces. Le tribunal a demandé à la demanderesse pourquoi elle est retournée au Nigéria au lieu de demander la protection du Royaume-Uni. Elle a répondu que son père était encore vivant à cette époque. Ceux qui s’opposaient à son mariage n’avaient pas communiqué personnellement avec elle. Elle avait supposé que l’affaire se réglerait et n’aurait jamais pensé que la situation s’aggraverait.

[18]     Le tribunal estime que ces explications sont insatisfaisantes. La demanderesse était au courant du fait que son père avait reçu de nombreuses menaces de mort proférées à son égard à elle. La preuve documentaire sur laquelle s’appuie la demanderesse fait mention d’une hostilité généralisée envers les mariages avec un Osu et donne des exemples où les couples ont eu à se séparer parce que l'un des partenaires était un Osu. Le tribunal ne croit pas qu’il soit raisonnable que la demanderesse n’ait pas compris qu'il y avait une possibilité sérieuse de préjudice si les faits qu’elle allègue ont effectivement eu lieu. Le tribunal tire une conclusion défavorable du fait qu’elle s’est réclamée de nouveau de la protection du pays.

[19]     À titre subsidiaire, le tribunal conclut que la demanderesse a une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Lagos. Le critère à deux volets concernant une PRI a été énoncé dans les arrêts Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 1256 (CAF) et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1172 (CAF). Premièrement, la Commission doit être convaincue qu'il n’existe aucune possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée à l’endroit où il y a une PRI. Deuxièmement, la Commission doit être convaincue qu'il ne serait pas déraisonnable pour la demanderesse de chercher refuge à cet endroit. En ce qui concerne le deuxième volet, le tribunal s’est penché sur la décision Syvyryn c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1027, où la Cour fédérale a affirmé que la Commission doit tenir compte de la capacité particulière des femmes de voyager en toute sécurité tout en tenant compte des facteurs religieux, économiques et culturels.

[20]     Selon la prépondérance des probabilités, la Commission conclut qu’il n’existe aucune possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée si elle se réfugiait à Lagos. Selon un rapport de l’Agence frontalière du Royaume-Uni, la constitution prévoit le droit de se déplacer au Nigéria et une réinstallation est presque toujours une option possible, en l’absence de circonstances exceptionnelles.

[21]     La demanderesse a affirmé que ses persécuteurs pourraient la retrouver à Lagos, parce qu’ils recevront des renseignements des groupes sociaux igbos qui habitent là-bas. Elle ne pourrait rester cacher indéfiniment parce qu’elle devra travailler, aller à l’église et emmener ses enfants à l’école. Elle a en outre expliqué que son époux ne vivait pas à Lagos et qu’il lui serait difficile de vivre sans lui. S’il déménageait à Lagos, il s’exposerait, ainsi que sa famille, au risque de subir un préjudice. Elle a fait valoir que ses persécuteurs ont été capables de le retrouver dans le nord-ouest et que ceux-ci seraient donc probablement en mesure de les retrouver à Lagos.

[22]     Le tribunal fait renvoi à une preuve indépendante montrant que les Igbos représentent 18 % des 175 millions de citoyens du Nigéria. La demanderesse demeure relativement inconnue au Nigéria et il est peu probable qu’elle soit reconnue dans une ville qui compte plus de 20 millions de personnes.

[23]     Le tribunal est conscient que les membres de sa collectivité ont pu la retrouver à Sokoto. Toutefois, elle vivait et travaillait là-bas depuis son mariage. Il est raisonnable que les persécuteurs soient allés à un endroit où il était de notoriété publique qu’elle habitait là. Aucune preuve convaincante ne démontre qu’ils sont intéressés à la chercher dans tout le pays compte tenu de son énorme population, ou qu’ils ont les ressources nécessaires pour faire cette recherche. Elle vit à l’extérieur du pays depuis plus d’un an et demi. Ses persécuteurs ne seraient pas informés du fait qu’elle était retournée au Nigéria et s’était installée à Lagos. Il s’agit d’une très grande ville située à une distance considérable de son village natal et du lieu de résidence précédent (Sokoto). Il n’y a pas de possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée là‑bas.

[24]     En ce qui concerne le deuxième volet, le tribunal n’est pas convaincu qu’il serait déraisonnable pour la demanderesse de déménager à Lagos. Elle parle anglais et igbo, et elle est chrétienne; elle serait donc en mesure de s’adapter à son nouvel environnement. Selon la preuve documentaire, les femmes ayant besoin d’une protection physique peuvent demander l’aide du Federal Ministry of Social Affairs and Women’s Development [ministère fédéral des questions féminines et du développement social]. Il existe aussi plus de cinquante organisations non gouvernementales qui peuvent offrir un logement et d’autres formes d’aide aux femmes au Nigéria.

[25]     Même si l’époux de la demanderesse ne rejoint pas cette dernière, il serait raisonnable pour elle de déménager à Lagos. Compte tenu de son âge, de sa scolarité et de son expérience professionnelle, rien n’indique qu'elle subirait un grave désavantage économique. Elle pourrait également bénéficier du soutien moral et spirituel des organisations non gouvernementales et religieuses.

[26]     Pour les motifs ci-dessus, la Commission a rejeté la demande de la demanderesse et de son fils au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

II.                Les questions à trancher

[27]     La Cour est d’avis que la présente demande soulève trois questions :

1.       La Commission a-t-elle commis une erreur en évaluant la crédibilité ?

2.       La Commission a-t-elle commis une erreur en évaluant la preuve documentaire?

3.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il existait une possibilité de refuge intérieur?


III.             La norme de contrôle

[28]     Les conclusions en matière de crédibilité sont des questions de fait. Elles sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable : Triana Aguirre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 571, aux paragraphes 13 et 14; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1078, au paragraphe 51. De même, les conclusions relatives à la vraisemblance doivent faire l’objet d’une grande retenue : Aguebor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1993] ACF n732 (CAF).

[29]     L’appréciation de la preuve est une question mixte de fait et de droit assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 53 et 54.

[30]     L’existence d’une possibilité de refuge intérieur est également une question mixte de fait et de droit assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable : Shehzad Khokhar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 449, aux paragraphes 21 et 22; Guerilus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 394, au paragraphe 10.

IV.             Analyse

A.                La Commission a-t-elle commis une erreur en évaluant la crédibilité?

[31]     La Commission a eu raison d’accepter le principe selon lequel les allégations d’un demandeur d’asile doivent être présumées vraies, sauf s’il existe des raisons de douter de leur véracité (citant Maldonado). Pourtant, elle a trouvé de telles raisons. Dans le cadre de cette question également, la Cour se penchera sur les conclusions de la Commission relatives à la crainte subjective, puisque le but ultime de ces conclusions était d’évaluer si la demanderesse craint de façon crédible un retour dans son pays d’origine.

[32]     La Cour acquiesce à la conclusion de la Commission, selon laquelle la demanderesse manquait de crédibilité. Même si une partie de l’analyse de la Commission sur la crédibilité était laborieuse, les principales raisons invoquées par la Commission pour mettre en doute la crédibilité de la demanderesse étaient raisonnables.

[33]     Plus précisément, la Cour est d'avis que la première préoccupation que la Commission a soulevée était déraisonnable. La Commission s’attendait à des réponses particulières à des questions ouvertes et a accusé la demanderesse de livrer un témoignage qui ne concordait pas avec l’exposé circonstancié contenu dans le FRP, parce qu'elle a donné des réponses incomplètes. Pourtant, il n'y a pas de véritables contradictions entre le témoignage sous serment et l’exposé circonstancié contenu dans le FRP concernant les menaces et les exigences des aînés du village à l’égard du père de la demanderesse. En outre, la demanderesse a donné les réponses que la Commission désirait obtenir après avoir répété ses questions. Les préoccupations de la Commission à cet égard relevaient d’une analyse microscopique et ne pouvaient raisonnablement remettre en question la crédibilité de la demanderesse : Mohacsi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 429, au paragraphe 20.

[34]     Cependant, les autres préoccupations relatives à la crédibilité étaient éminemment raisonnables. Il était loisible à la Commission de souligner les contradictions entre les notes prises au point d’entrée et l’exposé circonstancié contenu dans le FRP et l’improbabilité que les problèmes allégués de la demanderesse ne commenceraient qu’un mois après la demande d’un visa de visiteur au Canada et le retour de son époux au Nigéria.

[35]     En particulier, le comportement de l’époux est très important pour la crédibilité de la demanderesse. Elle affirme avoir peur des individus qui veulent la tuer parce qu’ils s’opposent à son mariage. Le fait que son époux a continué de vivre dans le même pays que ces individus, malgré la possibilité qu’il avait de présenter une demande d’asile au Canada avec son épouse et son enfant, mine la crédibilité des allégations de la demanderesse. La Commission pouvait raisonnablement invoquer la preuve documentaire décrivant la violence envers les Osus pour rejeter l’explication de la demanderesse, selon laquelle les persécuteurs ne toucheraient jamais un Osu comme son époux. Cette explication est affaiblie davantage par les éléments de preuve que la demanderesse a déposés auprès de la Commission avant l’audience, qui montrent que son époux aurait été victime d’une agression en décembre 2013.

[36]     Il était loisible à la Commission d’accorder peu de poids aux certificats de décès, parce qu’il s’agissait de copies et qu’ils n’entérinent pas explicitement la version de la demanderesse au sujet du décès de ses parents. Les coups et blessures peuvent être la cause d'un choc hypovolémique et d’une hémorragie interne, mais il existe d’autres causes possibles, tel le fait d’avoir un accident vasculaire cérébral ou d’être impliqué dans un accident de voiture. Contrairement à l’argument de la demanderesse, la Commission n’a pas rejeté d’emblée ces documents tout simplement parce qu’elle n’a pas considéré que son témoignage était crédible. Les préoccupations exprimées par la Commission avaient trait aux documents originaux.

[37]     Lors du contrôle judiciaire, la Cour ne peut apprécier de nouveau la preuve. Compte tenu des problèmes de crédibilité de la demanderesse, il était raisonnablement loisible à la Commission d’en arriver à la conclusion qu’il ne fallait accorder aucune importance aux nombreux autres documents présentés par celle-ci. Selon la norme de la décision raisonnable, il importe peu que la Cour ait pu leur accorder un poids différent, puisque cette dernière n’est pas autorisée à « élaborer, affirmer et imposer son propre point de vue sur la question » : Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, au paragraphe 28. En outre, il est « bien établi que la crédibilité du demandeur en général peut influer sur le poids accordé à la preuve documentaire » : Jia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 422, au paragraphe 19; voir également Devundarage c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 245, au paragraphe 12.

[38]     La Cour n’est pas certaine que la Commission a tiré une conclusion raisonnable selon laquelle la demanderesse s’était réclamée à nouveau de la protection du Nigéria après avoir quitté le Royaume-Uni. Néanmoins, le retour de son époux au Nigéria après qu’ils soient venus au Canada jette un doute sur les craintes alléguées de la demanderesse, tel qu’il l’a été expliqué précédemment.

[39]     Pour conclure, la Cour rejette l'argument de la demanderesse selon lequel la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Les affaires qu’elle cite concernent des cas d’agression sexuelle ou de violence conjugale : voir, par exemple, John c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 387; Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1494; Raju c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 848. La demanderesse ne s’est jamais présentée comme une victime d’agression sexuelle ou de violence conjugale. Elle n’a jamais établi un lien avec le motif du « sexe » prévu par la Convention. Rien n’indique qu’elle souffre d’un trouble psychologique quelconque qui pourrait avoir été causé par des actes de violence sexospécifiques. En fait, un examen de la transcription de l’audience révèle qu’elle a témoigné sans aucune difficulté notable. Dans ces circonstances, la Cour n’est pas convaincue que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe sont pertinentes en l’espèce et encore moins qu’elles autoriseraient une approche ou une conclusion différente de celle à laquelle est arrivée la Commission.

[40]     Il faut se rappeler que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe n’exigent pas que la Commission accepte au pied de la lettre chacune des allégations et chacun des documents de la demanderesse. Mes commentaires récents dans la décision Molefe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 317, au paragraphe 25, s’appliquent avec le même poids à la demande de Mme Odurukwe :

La Cour a reconnu que les directives concernant la persécution fondée sur le sexe ne sont pas conçues pour corriger les lacunes que peut comporter une demande d’asile. Elles visent à assurer la tenue d’une audience équitable : Newton c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 738 (1re inst.) au paragraphe 18; Keleta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 56; Karanja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 574 aux paragraphes 5 et 6. Après avoir examiné la transcription et les motifs de la Commission, je suis convaincu que Mme Molefe a eu droit à une audience équitable.

B.                 La Commission a-t-elle commis une erreur en évaluant la preuve documentaire?

[41]     La demanderesse n’est pas fondée à prétendre que la Commission a négligé de tenir compte d’importants éléments de preuve, en particulier la preuve documentaire sur la situation au Nigéria. Elle fait valoir essentiellement que la Cour doit réévaluer les éléments de preuve dont disposait le décideur. Ce n’est pas là la fonction de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[42]     En ce qui concerne le fondement objectif des demandes, la Cour d’appel a péremptoirement exposé le droit applicable dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381, au paragraphe 3 :

[…] Lorsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur. C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer que cette preuve existe.

[43]     En l’espèce, la Commission pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau de démontrer qu’une « preuve documentaire indépendante et crédible » étayait sa demande. L’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

C.                 La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il existait une possibilité de refuge intérieur?

[44]     La demanderesse admet que la Commission a correctement exposé le droit concernant les PRI. La Cour a reformulé récemment le critère à deux volets dans Zablon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 58, au paragraphe 20.

Le critère de la PRI valable comporte deux volets. Premièrement, la Commission doit être convaincue qu’il n’y a pas de possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté dans la PRI envisagée. Deuxièmement, il doit être objectivement raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur cherche refuge dans la partie du pays jugée être une PRI (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CAF), aux pages 710 et 711). C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer qu’une PRI n’est pas valable (voir Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (FCA), aux paragraphes 5 et 6).

[45]     Dans l’arrêt Guerilus, précité, au paragraphe 20, le juge Boivin a expliqué que les demandeurs qui remettent en question la viabilité d’une PRI doivent satisfaire à un seuil élevé.

Il incombait aux demanderesses de démontrer pourquoi, selon la prépondérance des probabilités, elles risquent sérieusement d’être persécutées dans une partie du pays où il y aurait une possibilité de refuge intérieur (Thirunavukkarasu). Les demanderesses doivent franchir un seuil très élevé afin de démontrer que la PRI est déraisonnable. Tel qu’expliqué dans Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164, 266 N.R. 380 (C.A.F.), ci-dessus au par. 15 :

«  […] Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lien sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions. L’absence de parents à l’endroit sûr, prise en soi ou conjointement avec d’autres facteurs, ne peut correspondre à une telle condition que si cette absence a pour conséquence que la vie ou la sécurité du revendicateur est mise en cause […] »

[46]     En l’espèce, la Commission a raisonnablement conclu que la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau de démontrer que Lagos n’était pas une PRI viable. Il n’y a aucune raison de modifier la conclusion de la Commission.

[47]     Contrairement à l’affirmation de la demanderesse, la Commission n’a pas transgressé les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe en invoquant l’existence d’organisations non gouvernementales qui consacrent leurs efforts à aider les femmes à Lagos. La raison en est que ce facteur a été invoqué pour le deuxième volet, non le premier. La Commission n’a pas semblé indiquer que la demanderesse devrait solliciter la protection de bénévoles si la police refuse d'intervenir lorsqu’elle fait face à des difficultés. Elle a affirmé plutôt que le fait de vivre à Lagos ne lui occasionnerait pas de difficultés excessives, car elle pourrait bénéficier de l’aide de ces organisations, outre celle de groupes religieux et des membres de la famille avec qui elle entretient de bonnes relations.

[48]     La Cour rejette la suggestion de la demanderesse selon laquelle ces conclusions étaient fondées sur des suppositions et qu’elles étaient déraisonnables. Si la Commission n’était pas autorisée à tenir compte du soutien de groupes de femmes, de groupes religieux et des membres de la famille dans son analyse des difficultés excessives, il est difficile de comprendre quels éléments exactement elle pouvait prendre en compte.

[49]     Pour ces motifs, la présente demande est rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3187-14

INTITULÉ :

ANULI UKAMAKA ASHLEY ODURUKWE, DARREN CHIAGOZIEM ODURUKWE (mineur) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 mai 2015

JUDGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

Le 8 mai 2015

COMPARUTIONS :

Mbong Elvira Akinyemi

POUR LA DEMANDRESSE

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mbong Elvira Akinyemi

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDRESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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