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Date : 20150508


Dossier : T-803-14

Référence : 2015 CF 612

Ottawa (Ontario), le 8 mai 2015

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

ENTRE :

ALAIN LAFERRIÈRE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Le demandeur conteste la légalité d’une décision de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [CLCC] qui modifie les conditions auxquelles le demandeur est assujetti dans le cadre d’une ordonnance de surveillance de longue durée.

II.                Faits

[2]               Le 20 décembre 2007, le demandeur a été condamné pour des délits violents, incluant certains commis à l’égard de sa conjointe. Le demandeur a reçu une peine d’incarcération de deux ans, trois mois et dix-huit jours, et s’est fait imposer une période de surveillance dans la communauté d’une durée de dix ans. Après avoir purgé sa peine d’incarcération, le demandeur est dans sa période de surveillance de longue durée depuis le 1er avril 2010.

[3]               Durant sa période de surveillance de longue durée, le demandeur est sujet à des conditions spéciales qui lui ont été imposées par la CLCC. Ces conditions ont été modifiées à quelques reprises, et avant la décision contestée, le demandeur était assujetti à sept conditions spéciales :

1. Ne pas communiquer, directement ou indirectement avec la victime, […] sauf avec l’accord explicite de son surveillant;

2. Suivre le traitement prescrit par le psychiatre;

3. Compléter un programme, thérapie ou suivi relié à son problème de violence;

4. Aviser son surveillant de toute nouvelle relation stable ou passagère qu’il entretient avec des personnes de sexe féminin et lui communiquer le détail des coordonnées de ces personnes;

5. S’abstenir [d’]usage d’alcool;

6. S’abstenir de consommer toute drogue sauf les médicaments prescrits ou ceux en vente libre, pris suivant la recommandation du fabricant;

7. S’abstenir de pénétrer dans un périmètre de 500 mètres de l’endroit où [sa conjointe] demeure ou de tout autre endroit où elle se trouve.

[4]               Le 28 février 2014, la CLCC a rendu une décision annulant certaines conditions. Malgré les demandes de la procureure du demandeur, la CLCC n’a pas tenu d’audience. Toutefois, avant de rendre sa décision, la CLCC a considéré les représentations écrites reçues de la part du demandeur. Après évaluation du dossier, la CLCC a accepté la recommandation du surveillant de libération conditionnelle que deux des conditions soient enlevées, soit l’obligation de suivre un traitement psychiatrique et l’interdiction de pénétrer dans un périmètre de 500 mètres du domicile de sa conjointe ou de l’endroit où elle se trouve. Toutefois, la CLCC a maintenu les autres conditions en vigueur. Cette décision fait l’objet de cette demande de contrôle judiciaire.

III.             Question en litige et norme de contrôle

[5]               Le demandeur soulève une seule question dans le présent dossier : la CLCC a-t-elle manqué à l’équité procédurale en ne tenant pas d’audience avant de prendre sa décision? Subsidiairement, le demandeur sollicite un jugement déclaratoire déterminant dans quelles circonstances une audience sera requise.

[6]               La norme de contrôle applicable à la question d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12).

IV.             Analyse

[7]               Dans le contexte d’un examen des conditions de surveillance de longue durée, la CLCC a le pouvoir discrétionnaire de tenir une audience (paragraphe 140(2) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [Loi]). Le demandeur soutient qu’il s’agissait d’un manquement à l’équité procédurale pour la CLCC de ne pas tenir d’audience dans la présente affaire. La CLCC n’a pas respecté les principes établis dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker]. Le demandeur note que la décision de la CLCC dans le cadre de surveillances de longue durée est sans appel et que la décision de la CLCC a des conséquences graves sur le délinquant. De plus, il n’est pas déraisonnable pour le demandeur de s’attendre à ce que la CLCC tienne une audience au moins une fois par année, par analogie avec la révision qui a lieu lorsqu’un individu est visé par une ordonnance de maintien en incarcération. Conséquemment, la CLCC a violé l’équité procédurale en ne tenant pas d’audience.

[8]               Selon le défendeur, les critères de l’arrêt Baker ne requièrent pas d’audience dans le cas en l’espèce puisque le processus devant la CLCC n’est pas judiciaire ou quasi-judiciaire, que le demandeur n’avait pas d’attente légitime à une audience, que la CLCC a le pouvoir discrétionnaire de procéder par audience sur le dossier et qu’elle possède une expertise dans la détermination de sa propre procédure. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle en est venue cette Cour dans l’affaire Sychuk c Canada (Procureur général), 2009 CF 105 au para 48 [Sychuk]. De plus, le demandeur a déjà contesté à deux reprises la décision de la CLCC de ne pas lui accorder d’audience en procédant par requête en habeas corpus devant la Cour supérieure du Québec et, dans les deux cas (ainsi qu’en appel), la Cour supérieure a jugé que la CLCC n’avait pas manqué à l’équité procédurale (Laferrière c Centre correctionnel communautaire Marcel-Caron, 2010 QCCS 1677; Laferrière c Commission des libérations conditionnelles du Canada, 2013 QCCS 4228; Laferrière c Commission des libérations conditionnelles du Canada, 2013 QCCA 1081).

[9]               Selon le défendeur, aucun fait ne justifiait la tenue d’une audience. La CLCC avait au dossier tous les renseignements disponibles pertinents. De plus, le demandeur n’avait soulevé aucun fait spécifique justifiant la tenue d’une audience, à part le fait que la tenue d’une audience permettrait à la CLCC d’obtenir « une meilleure compréhension du dossier ».

[10]           Je suis d’accord avec le défendeur. Conformément aux critères de l’arrêt Baker, il ne s’agit pas d’une situation où la CLCC devait tenir une audience pour respecter l’équité procédurale. Il s’agissait d’un examen des conditions de libération conditionnelle du demandeur dont le résultat n’a pas des répercussions aussi grandes qu’une ordonnance de maintien en incarcération ou d’un examen d’une suspension de la libération conditionnelle (voir Arlène Gallone c Le procureur général du Canada, 2015 CF 608). Comme le soulignait la Cour suprême dans Baker, « [p]lus la décision est importante pour la vie des personnes visées et plus ses répercussions sont grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses » (au para 25). Dans le présent dossier, les observations écrites étaient un substitut adéquat à une audition puisqu’aucun motif particulier ni aucune question importante de crédibilité n’était soulevé par le demandeur, lesquels auraient pu entraîner un éclairage différent sur la décision de la CLCC.

[11]           De plus, le demandeur n’avait aucune attente légitime que la CLCC tienne une audience et, comme il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire, il n’y a aucune obligation pour la CLCC de tenir une audience à des intervalles réguliers. Également, l’absence de motifs du refus de tenir une audience ne fait pas échec à la décision dans les circonstances particulières du présent cas puisque le demandeur n’avait soulevé aucun motif précis pourquoi une audience aurait dû être tenue, et la CLCC disposait de toute l’information nécessaire au dossier. Conformément aux affaires Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 et Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour peut considérer que la CLCC aurait pu donner comme motif de refus le fait que rien ne justifiait la tenue d’une audience en l’espèce. Conséquemment, la CLCC n’a pas manqué à l’équité procédurale en ne tenant pas d’audience.

[12]           Subsidiairement, le demandeur sollicite un jugement déclaratoire de la Cour qui établirait des balises claires, précises et prévisibles à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la CLCC de tenir une audience facultative. Sans limiter le pouvoir discrétionnaire de la CLCC, la Cour devrait déclarer que la CLCC doit au moins tenir une audience tous les ans et énoncer dans quelles conditions une audience est requise.

[13]           Selon le défendeur, il ne serait pas opportun pour cette Cour d’émettre un jugement déclaratoire puisque la CLCC est déjà assujettie aux principes d’équité procédurale et à la jurisprudence applicable. La Cour ne devrait pas formuler d’hypothèses dans l’abstrait pour tenter de déterminer dans quelles circonstances un délinquant pourrait bénéficier d’une audience devant la CLCC.

[14]           Je suis de cet avis. La demande de jugement déclaratoire ne rencontre pas les critères énoncés dans Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) c Daniels, 2014 CAF 101 et Solosky c Canada, [1980] 1 RCS 821 puisque le jugement ne règlerait pas une véritable question en litige entre les parties. La CLCC exerce un pouvoir discrétionnaire qui est déjà sujet aux principes d’équité procédurale. Il ne serait pas approprié en l’espèce pour la Cour de tenter d’imposer des balises précises à la discrétion de la CLCC en l’absence de faits concrets ou d’imposer une limite à la discrétion de la CLCC en énonçant qu’une audience doit avoir lieu à chaque période d’un certain temps, peu importe les circonstances précises des causes que la CLCC entend.

[15]           Pour ses motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-803-14

 

INTITULÉ :

ALAIN LAFERRIÈRE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 avril 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 mai 2015

 

COMPARUTIONS :

Erika Perron McLean

 

Pour le demandeur

 

Erin Morgan

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rita Magloé Francis

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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