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Date : 20150416


Dossier : IMM‑2763‑14

Référence : 2015 CF 481

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 16 avril 2015

En présence de monsieur le juge Hughes

ENTRE :

MOHAMMED AQQAD

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie du contrôle judiciaire de la décision d’un agent de Citoyenneté et Immigration Canada en date du 20 mars 2014, refusant au demandeur la dispense pour des motifs d’ordre humanitaire qui aurait permis que sa demande de résidence permanente soit traitée depuis le Canada.

[2]               Le demandeur est palestinien. Lui et sa famille habitaient en Palestine; toutefois, il exploitait un commerce du côté israélien de la frontière et il en est venu à avoir des rapports amicaux avec des clients israéliens. Cela lui a valu, en Palestine, d’être traité de traître et d’espion. Il a été détenu et torturé pendant plusieurs jours par les autorités palestiniennes. Lorsqu’il a été remis en liberté en 2010, il s’est enfui au Canada où il a demandé l’asile. Sa demande a été rejetée et on lui a refusé l’autorisation de solliciter le contrôle judiciaire de la décision. L’examen des risques avant renvoi (ERAR) ne lui a pas été favorable et, en 2014, il a été renvoyé en Palestine.

[3]               La femme du demandeur était restée en Palestine avec ses enfants. Elle occupe un travail, mais la famille dépendait essentiellement du modeste revenu que lui procurait l’emploi du demandeur au Canada. Le demandeur affirme ne pas pouvoir se trouver un véritable emploi en Palestine.

[4]               L’agent de CIC a examiné la demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire, mais a conclu que les motifs d’ordre humanitaire étaient insuffisants pour justifier l’octroi d’une dispense. Lorsque le contexte factuel doit être examiné, le contrôle judiciaire s’effectue selon la norme de la décision raisonnable alors que les questions de droit font l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte.

[5]               Les circonstances de la présente affaire n’ont rien d’exceptionnel hormis deux facteurs :

         des éléments de preuve qui n’étaient pas disponibles dans le cadre des procédures antérieures concernant la demande d’asile et l’ERAR ont été produits à l’appui de la demande fondé sur des motifs d’ordre humanitaire. Il s’agit d’un document, émanant de la Brigade des martyres d’Al-Aqsa en Palestine, accusant le demandeur d’espionnage et de trahison, et incitant [traduction] « tous les musulmans fidèles » à le tuer;

         l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, n’avait pas encore été prononcé à l’époque où la décision en cause en l’espèce a été rendue. Dans cet arrêt, la Cour d’appel se prononce sur la manière dont il convient d’appliquer le paragraphe 25(1.3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), récemment adopté. Les avocats des parties m’ont informé que la Cour suprême du Canada est présentement saisie du pourvoi interjeté à l’encontre de l’arrêt en question. Je leur ai demandé s’ils souhaitaient un ajournement en attendant que la Cour suprême se prononce. Ils ont répondu par la négative.

[6]               Voici ce que prévoit le paragraphe 25(1.3) de la LIPR :

25(1.3) Le ministre, dans l’étude de la demande faite au titre du paragraphe (1) d’un étranger se trouvant au Canada, ne tient compte d’aucuns des facteurs servant à établir la qualité de réfugié — au sens de la Convention — aux termes de l’article 96 ou de personne à protéger au titre du paragraphe 97(1); il tient compte, toutefois, des difficultés auxquelles l’étranger fait face.

25(1.3) In examining the request of a foreign national in Canada, the Minister may not consider the factors that are taken into account in the determination of whether a person is a Convention refugee under section 96 or a person in need of protection under subsection 97(1) but must consider elements related to the hardships that affect the foreign national.

[7]               Dans l’arrêt Kanthasamy, précité, le juge Stratas, de la Cour d’appel, s’est livré à une longue réflexion quant au sens qu’il convient d’attribuer au paragraphe 25(1.3). Je reprends ici certains paragraphes de cet arrêt :

66        Quel est alors l’objet du paragraphe 25(1.3)? Cet objet n’est pas selon moi de modifier le critère général consacré par le paragraphe 25(1) qui, comme on l’a vu, vise à remédier aux situations où le demandeur subirait, personnellement et directement, des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

67        Au contraire, le paragraphe 25(1.3) dispose expressément que le processus de dispense pour considérations d’ordre humanitaire ne doit pas faire double emploi avec les processus d’application des articles 96 et 97 de la Loi. Le paragraphe 25(1.3) ne va plus loin que cela.

68        Les personnes qui présentent une demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) ne répondent pas aux exigences minimales permettant de se prévaloir des dispositions des articles 96 et 97 de la Loi. Ils n’ont pas satisfait aux facteurs de risque faisant jouer ces articles, plus précisément le risque de persécution, de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités, en conformité avec les conventions internationales.

69        Le paragraphe 25(1.3) prévoit en fait que le processus de demande de dispense pour considérations humanitaires ne doit pas faire double emploi avec les processus fondés sur les articles 96 et 97 de la Loi, qui concernent l’évaluation des facteurs de risque aux fins de ces articles.

70        Il ne s’ensuit toutefois pas que les faits exposés dans une procédure relevant des articles 96 et 97 de la Loi sont sans intérêt dans le cadre d’une demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire. Loin de là d’ailleurs.

71        Quoique les faits aient pu ne pas donner ouverture, pour le demandeur, à la protection offerte par les articles 96 et 97, ils peuvent néanmoins faire partie d’un éventail de faits équivalant à des considérations d’ordre humanitaire qui justifient la dispense aux termes du paragraphe 25(1).

[…]

73        C’est là à mon avis un exposé utile de ce que commande l’article 25 depuis qu’a été adopté le paragraphe 25(1.3) : les éléments de preuve produits dans le cadre d’une procédure antérieure fondée sur les articles 96 et 97, ainsi que tout autre élément que le demandeur pourra vouloir présenter, est admissible dans une procédure au titre du paragraphe 25(1). Les agents doivent toutefois apprécier ces éléments à travers le prisme du critère du paragraphe 25(1) et ainsi rechercher si le demandeur fait face personnellement et directement à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

74        Le rôle de l’agent consiste donc à examiner les faits présentés sous le prisme des difficultés en cause, et non de procéder à une nouvelle appréciation du risque aux fins des articles 96 et 97 ou de substituer sa décision aux conclusions tirées, lors de l’appréciation de ce risque, par la Section de la protection des réfugiés. L’agent n’a pas pour mission d’effectuer la même appréciation du risque que celle menée au titre des articles 96 et 97. L’agent doit se pencher sur les faits qui se rapportent aux difficultés, pas sur les facteurs qui se rapportent au risque.

75        Si des éléments comme la crainte fondée de persécution, la menace à la vie et le risque de traitements ou peines cruels et inusités – des facteurs liés aux articles 96 et 97 – ne peuvent être pris en compte dans l’étude de la demande faite au titre du paragraphe 25(1) en vertu du paragraphe 25(1.3), les faits qui sous‑tendent ces facteurs peuvent néanmoins s’avérer pertinents, dans la mesure où ils ont trait à la question de savoir si le demandeur fait face directement et personnellement à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

[8]               En l’espèce, l’agent de CIC a refusé de prendre en compte l’appel au meurtre lancé par Al Aqsa contre le demandeur, jugeant que cela concernait la question des risques et non celle des difficultés. Je reproduis – en soulignant certains passages – ce que l’agent de CIC a dit à ce sujet :

[traduction] L’avocate du demandeur fait valoir que les renseignements relatifs à l’annonce faite par la Brigade des martyrs d'Al-Aqsa n’étaient pas disponibles avant que l’agent procède à l’ERAR du demandeur. Dans ses observations, datées du 12 novembre 2013, présentées à l’appui de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, elle indique qu’[traduction] « [i]l s’agit donc de nouveaux éléments de preuve concernant les difficultés auxquelles aurait à faire face M. Aqqad si on le renvoyait de force du Canada et qu’on l’obligeait à retourner en Palestine ». Toutefois, je suis d’avis que la question du risque que la vie du demandeur soit menacée en Palestine est visée par le paragraphe 97(1) plutôt que par les dispositions concernant les difficultés auxquelles il lui faudrait faire face. Le document émanant de la Brigade des martyrs d'Al-Aqsa est daté 30 mars 2013 et l’avocate du demandeur en a produit la traduction anglaise, avec d’autres documents concernant des considérations d’ordre humanitaire, en 2013. Le demandeur aurait pu demander à tout moment un autre ERAR afin qu’un agent principal de l’immigration examine ce document dans le cadre d’un ERAR. […] La loi ne m’autorise pas à me prononcer sur des allégations relatives au risque de mort visé au paragraphe 97(1) de la LIPR. Le paragraphe 25(1.3) de la LIPR ne me permet pas de prendre ce facteur en compte dans le cadre de mon évaluation des considérations d’ordre humanitaire.

[9]               L’agent de CIC n’avait pas à l’époque accès à la décision du juge Stratas. J’ai raison de penser que s’il avait eu accès à cette décision, il n’aurait pas traité comme il l’a fait les nouveaux éléments de preuve relatifs à la dénonciation émanant d’Al Aqsa. On ne peut en faire abstraction, et il convient d’en tenir compte avec toutes les autres considérations pertinentes en vue de rendre une décision raisonnable quant à la question des difficultés auxquelles serait exposé le demandeur.

[10]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a demandé la certification d’une question.


JUGEMENT

EN CONSÉQUENCE, LA COUR STATUE que :

1.             Il est fait droit à la demande.

2.             L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

3.             Aucune question n’est certifiée.

4.             Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Roger T. Hughes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2763‑14

 

INTITULÉ :

AQQAD v MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 AVRIL 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

John C. Norquay

POUR LE DEMANDEUR

David Joseph

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Refugee Law Office

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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