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Date: 20150507


Dossier : IMM-2186-14

Référence: 2015 CF 603

Ottawa (Ontario), le 7 mai 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

TOMAS GOMEZ MONDRAGON

LEONOR AYALA LEYVA

EDUARDO GOMEZ AYALA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Les demandeurs, M Mondragon, sa conjointe Mme Leyva et l’enfant mineur du couple, Eduardo, sont citoyens mexicains. Ils sollicitent, en l’instance, le contrôle judiciaire d’une décision prononcée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR] le 12 mars 2014, laquelle a statué qu’ils n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention, ni celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

[2]               Il s’agit de la seconde fois que la SPR est appelée à se prononcer sur la demande d’asile des demandeurs. Elle l’a fait une première fois en avril 2012, mais sa décision a été cassée par la Cour dans un jugement rendu en décembre 2012 par mon collègue, le juge Michel Beaudry. L’affaire lui a donc été retournée pour qu’elle statue de nouveau sur ladite demande.

[3]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.

II.                La demande d’asile

[4]               Les faits à l’origine de la demande d’asile des demandeurs peuvent se résumer comme suit :

  1. Le 26 février 2009, alors qu'ils se dirigeaient vers leur lieu de résidence, les demandeurs auraient été interceptés par un véhicule et contraints de quitter le leur. Les occupants de ce véhicule, masqués et armés, auraient fouillé la voiture des demandeurs, pris leurs documents d'identité, et fait des appels téléphoniques. Après avoir réalisé qu'ils n’avaient pas intercepté les bonnes personnes, les assaillants auraient laissé partir les demandeurs non sans toutefois les menacer de mort s’ils devaient parler de cet événement à qui que ce soit;
  2. Suite à cet incident, M Mondragon aurait décidé de porter plainte aux autorités. Celles-ci, après s’être montrées peu réceptives en raison du fait que M Mondragon n’avait pas pu identifier ses assaillants, auraient finalement accepté de recevoir la plainte;
  3. Trois jours après la réception de la plainte, soit le 20 mars 2009, un voisin aurait informé M Mondragon que des hommes armés étant à sa recherche s’étaient présentés à son domicile pendant son absence, ce qui aurait fait penser à M Mondragon que des policiers corrompus auraient informé ses assaillants de la plainte qu’il avait déposée;
  4. Craignant pour sa vie, M Mondragon affirme qu’il aurait, le jour même, déménagé sa famille chez un parent habitant dans un village voisin et que, trois jours plus tard, soit le 23 mars 2009, il aurait quitté, seul, le Mexique pour se rendre au Canada et y demander l’asile, ce qu’il a fait le 25 mars 2009;
  5. Mme Leyva, qui n’était apparemment pas en état de voyager en raison de problèmes psychologiques pour lesquels elle faisait l’objet d’un suivi thérapeutique, aurait réintégré la maison familiale le 1er avril 2009 en compagnie de son fils, étant convaincue que son mari était la seule cible des assaillants de l’incident du 26 février;
  6. Toutefois, le 5 mai 2009, elle aurait reçu un appel téléphonique de quelqu'un qui prétendait être policier et qui souhaitait parler à son mari. Elle se serait alors fait passer pour une voisine et aurait invité son interlocuteur à rappeler plus tard. Cet appel téléphonique aurait terrorisé Mme Leyva au point où elle aurait cessé de répondre au téléphone par la suite et sorti son fils de l’école;
  7. Une semaine plus tard, une voiture se serait garée près du domicile de Mme Leyva et une personne habillée en civil en serait sortie et aurait observé la maison pendant environ une heure. Cet incident aurait exacerbé l’anxiété dont souffre Mme Leyva au point où elle aurait alors décidé d’aller rejoindre son mari au Canada, ce qu’elle a fait, en compagnie de son fils, le 24 mai 2009. Leur demande d’asile a été produite de lendemain de leur arrivée.

[5]               La crainte invoquée au soutien de la demande d’asile des demandeurs est de deux ordres : d’une part, les demandeurs craignent de se faire tuer par ceux qui les ont interceptés le 26 février 2009, que M Mondragon soupçonne appartenir à un gang criminalisé, en raison de la plainte qu’il portée à la police; d’autre part, ayant séjourné au Canada, un pays riche, ils craignent se faire extorqués à leur retour au Mexique.

[6]               Dans sa première décision, la SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs au motif que M Mondragon aurait fait défaut de faire état en temps utile d’événements, liés à sa demande d’asile, s’étant produits depuis son arrivée au Canada. La Cour a toutefois jugé que la SPR n’avait pas adéquatement considéré les explications de M Mondragon à cet égard et lui a retourné l’affaire pour qu’elle la considère de nouveau.

III.             La décision sous étude

[7]               Dans la décision sous étude, la SPR n’a d’abord pas cru au dépôt de la plainte suite à l’incident du 26 février 2009 et n’a pas cru non plus, par conséquent, que les auteurs de l’incident se soient intéressés à eux par la suite. Sa décision à cet égard est fondée sur le fait :

  1. Que selon le dossier du suivi psychosocial dont elle fait l’objet depuis son arrivée au Canada, Mme Leyva n’aurait fait mention aux intervenants qui la traitent ni de la plainte ni des incidents postérieurs à la plainte (visites et appels suspects au domicile, présence d’une personne suspecte près du domicile);
  2. Que M Mondragon se serait contredit sur le nombre de plaintes qu’il aurait fait aux autorités et sur la date de dépôt de la plainte liée à l’incident du 26 février 2009; et
  3. Que le contenu du document produit par M Mondragon comme étant une copie de ladite plainte avait peu de valeur probante puisqu’il ne correspondait pas, en termes de détails informationnels, au contenu habituel de ce type de document selon ce que révèle la preuve documentaire objective révèle.

[8]               La SPR a également conclu que, même en admettant qu’une plainte avait été bel et bien déposée et que les événements consécutifs à ce dépôt, entre avril et mai 2009, s’étaient bel et bien produits, les demandeurs n’avaient pas établi l’existence d’un risque prospectif advenant leur retour au Mexique. À cet égard, la SPR a conclu que :

  1. M Mondragon ne faisait que spéculer sur l’identité des auteurs de l’incident du 26 février 2009 puisque ceux-ci étaient semble-t-il masqués;
  2. Ayant été relâchés parce qu’ils n’étaient pas ceux que les auteurs de l’incident recherchaient, les demandeurs ne constituaient ni des cibles ni des personnes d’importance pour ces individus;
  3. Les lettres de voisins produites par les demandeurs, lesquelles font état du fait qu’ils seraient toujours recherchés par des personnes suspectes depuis leur départ  pour le Canada, ne pouvaient se voir attribuer aucune valeur probante puisqu’elles sont toutes non manuscrites, qu’elles ne font état d’aucun incident entre décembre 2011 et décembre 2012 et qu’à part une lettre, elles sont toutes contemporaines à la seconde audition de la demande d’asile; et
  4. Le fait que les demandeurs soient apparemment toujours recherchés était incompatible avec la preuve documentaire objective qui établit que les puissants groupes criminalisés qu’ils disent craindre ont les moyens de savoir qu’ils se trouvent au Canada de même qu’avec le fait que le groupe de criminels locaux à l’origine de l’enlèvement d’un cousin de M Mondragon vivant dans un autre État du Mexique était, lui, apparemment au courant que les demandeurs se trouvaient au Canada.

[9]               Enfin, la SPR a jugé que la crainte des demandeurs d’être extorqués advenant leur retour au Mexique parce qu’ils ont séjourné au Canada n’était pas fondée au motif, d’une part, que M Mondragon s’était montré hésitant sur la question, et d’autre part, qu’il s’agit là d’un risque généralisé dans un pays comme le Mexique.

IV.             Question en litige

[10]           Il s’agit ici de déterminer si la SPR a commis des erreurs dans l’appréciation de la situation des demandeurs qui justifient l’intervention de la Cour. Les demandeurs contestent plus particulièrement les conclusions tirées par la SPR quant à la crédibilité de leur crainte de persécution.

[11]           Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190). Suivant cette norme de contrôle, la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions tirées par la SPR et n’interviendra, en conséquence, que si celles-ci, d’une part, ne possèdent pas les attributs de la justification, de la transparence ou de l'intelligibilité et, d’autre part, n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précitée au para 47).


V.                Analyse

[12]           Il est bien établi que le caractère prospectif du risque invoqué au soutien d’une demande d’asile est un élément central du droit à la protection prévu à l’article 97 de la Loi (Portillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 678, [2014] 1 RCF 295, au para 40). En effet, les demandeurs, comme l’a d’ailleurs spécifié la SPR, se devaient d’établir non seulement qu’ils avaient été ciblés par des criminels avant de quitter le Mexique, mais qu’ils risquaient aussi de l’être lors d’un éventuel retour dans ce pays. En d’autres termes, il leur fallait aussi démontrer que la menace pesant sur eux est prospective (Acosta c Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 213, au para 13; Gonzalez c Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2013 CF 426, au para 18; Mancillas c Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2014 CF 116, au para 25).

[13]           En l’espèce, la SPR a statué que les demandeurs n’avaient pas fait cette preuve.

[14]           Aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs ont surtout fait porter leur effort à tenter de démontrer que la SPR aurait erré en concluant qu’ils n’avaient pas établi, de façon crédible, l’existence de la menace qui les aurait amenés à quitter le Mexique pour le Canada. Ils en ont dit très peu cependant sur les conclusions de la SPR portant sur l’absence d’un risque prospectif.

[15]           En fait, les demandeurs reprochent essentiellement à la SPR de n’avoir accordé, sur ce point, aucun poids aux lettres de voisins faisant état du fait qu’ils seraient toujours recherchés par des personnes suspectes depuis leur départ pour le Canada. Ils reprochent en particulier à la SPR d’avoir écarté ces lettres sur la base dont elles n’étaient appuyées d’aucune preuve d’envoi alors que cette preuve a été soumise à la SPR à titre de preuve additionnelle.

[16]           Toutefois, comme le mentionne l’intimé, il ne s’agit pas là du seul facteur ayant mené la SPR à conclure à l’absence d’un risque de nature prospective. En effet, les facteurs suivants ont aussi  influencé la décision de la SPR sur ce point :

  1. Le caractère purement spéculatif de l’appartenance des individus responsables de l’incident du 26 février 2009 à un groupe criminalisé organisé à qui l’on pourrait attribuer un modus operandi susceptible de constituer une menace pour les demandeurs advenant leur retour au Mexique;
  2. La remise en liberté des demandeurs dès que leurs assaillants ont compris qu’ils n’étaient pas ceux qu’ils devaient arrêter, ce qui permettait d’en déduire que les demandeurs ne constituaient pour eux, ni des cibles, ni des personnes d’importance ;
  3. Le sort de la plainte présumément logée par M Mondragon, laquelle n’aurait pas eu de suite et, donc, n’aurait pas inquiété ceux qui en faisait l’objet, rendant ainsi peu crédible que les assaillants des demandeurs, quatre ans après le fait, puissent s’intéresser encore à eux et déployer efforts et ressources pour les retracer et les persécuter;
  4. Le silence de ces présumés persécuteurs auprès des voisins des demandeurs entre décembre 2011 et décembre 2012 et la contemporanéité des lettres de ces voisins aux auditions de la demande d’asile devant la SPR; et
  5. L’incohérence découlant du fait que le groupe criminalisé local responsable de l’enlèvement d’un cousin de M Mondragon serait apparemment au courant que les demandeurs se trouvent au Canada, ce qui ne serait pas le cas des puissants groupes criminalisés qui seraient toujours à leur recherche alors que la preuve documentaire objective démontre que ces groupes ont les ressources et les moyens de savoir que les demandeurs se trouvent au Canada.

[17]           Sur la base de l’ensemble de ces facteurs, il me paraît évident que la SPR a fait davantage que d’écarter les lettres des voisins sur la simple base que la preuve de leur envoi n’aurait pas été faite.  Son analyse me paraît plus étendue que ce que les demandeurs laissent entendre et comporte, à mon avis, une réflexion sur le poids à accorder à ces lettres à la lumière de l’ensemble de la preuve.

[18]           Ultimement, l’argument des demandeurs revient à dire que la SPR aurait dû accorder davantage de poids à ces lettres. Or, le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer la preuve et de substituer ses propres conclusions de fait à celles tirées par la SPR. La Cour doit plutôt faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de faits de la SPR et n’intervenir que si celles-ci ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont la SPR disposait. En d’autres mots, la question n’est pas de savoir si un réexamen de la preuve pourrait mener à un résultat différent, mais bien de déterminer si le fait de ne pas accorder un poids prépondérant à ces lettres a entaché la raisonnabilité de la décision de la SPR (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au para 72; Idony c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 970, au para 13; Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 319).

[19]           À mon avis, la SPR disposait de suffisamment d’éléments pour conclure comme elle l’a fait relativement à la question centrale du caractère prospectif du risque de persécution allégué par les demandeurs. Comme je l’ai indiqué précédemment, elle a examiné cette question à l’aulne d’un certain nombre de facteurs dont elle a tiré des inférences qui me paraissent se situer à l’intérieur de la tranche des issues possibles et acceptables en regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité au para 47).

[20]           Ayant conclu que la décision de la SPR sur l’absence d’un risque prospectif est raisonnable, au sens de l’arrêt Dunsmuir, cela suffit pour disposer de la présente demande de contrôle judiciaire puisque la présence d’un tel risque est un élément constitutif essentiel d’une demande d’asile faite aux termes des articles 96 et 97 de la Loi. Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire de décider si la SPR a erré en concluant que les demandeurs n’avaient pas établi de manière crédible l’existence même du risque allégué au soutien de leur demande d’asile.

[21]           La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a sollicité la certification d’une question pour la Cour d’appel fédérale, tel que le prévoit le paragraphe 74(d) de la Loi. Je ne vois pas non plus matière à certification dans le présent dossier.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2186-14

INTITULÉ :

TOMAS GOMEZ MONDRAGON, LEONOR AYALA LEYVA, EDUARDO GOMEZ AYALA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 janvier 2015

ORDONNANCE ET MOTIFS:

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 7 MAI 2015

COMPARUTIONS :

Me Meryam Haddad

Pour les demandeurs

Me Lynne Lazaroff

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Meryam Haddad

Avocate

Montréal (Québec)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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