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Date : 20150417

Dossier : T‑1347‑13

Référence : 2015 CF 492

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 avril 2015

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

GOUVERNEMENT DU NUNATSIAVUT

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(MINISTÈRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS)

défendeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE

TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR,

 REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE

DE L’ENVIRONNEMENT

 ET DE LA CONSERVATION

deuxième défenderesse

et


 

NALCOR ENERGY

troisième défenderesse

 

I.      Le Projet 4

II.    Faits à l’origine du litige. 5

Phase 1 : Participation et consultation initiales sur le projet d’entente relative à la commission d’examen conjoint, la nomination des membres de la commission d’examen conjoint et les lignes directrices sur l’étude d’impact environnemental 14

Phase 2 : Processus de la commission d’examen conjoint menant aux audiences. 17

Phase 3 : Audiences et préparation du rapport d’évaluation environnementale de la commission d’examen conjoint 20

Phase 4 : Consultation sur le rapport d’évaluation environnementale de la commission d’examen conjoint 23

Phase 5 : Délivrance des permis réglementaires. 33

III.  Questions en litige. 48

Question 1 : Quelle est la norme de contrôle applicable?. 50

Thèse du demandeur. 50

Thèse du Canada. 50

Thèse de Nalcor. 51

Analyse  52

Question 2 : Quel est le contenu de l’obligation de consulter et d’accommoder et, plus particulièrement : 66

A.           L’Accord définit‑il de façon exhaustive l’obligation de consulter de la Couronne?  66

Prétentions et moyens du demandeur. 66

Prétentions et moyens du Canada. 67

Prétentions et moyens de Nalcor. 67

Analyse  68

B.           Quelles étaient la portée et l’étendue de l’obligation de consulter et d’accommoder en l’espèce?. 77

Thèse du demandeur. 77

Thèse du Canada. 78

Thèse de Nalcor. 80

Analyse  82

(i)            L’Accord. 82

(ii)           Étendue de l’obligation de consulter en common law.. 87

Question 3 : A-t-on adéquatement consulté et accommodé le demandeur?. 103

A.           Questions préliminaires. 103

(i)   Contestation incidente. 103

(ii)  Délégation de pouvoir. 110

B.           A-t-on adéquatement consulté et accommodé le demandeur?. 114

Thèse du demandeur. 114

Thèse du Canada. 117

Thèse de Nalcor. 121

Analyse  125

a) Questions distinctes relatives aux consultations. 125

i.           Caractèreadéquat des mesures de consultation aux phases 1 à 3. 126

ii.          Rapport de consultation des Autochtones. 128

iii.        La procédure prévue à l’article 11.6.2. 132

iv.        La lettre du 1er mai 2008. 134

v.          Défaut d’identifier le demandeur dans la Réponse du Canada. 135

b)            Caractère adéquat des consultations ayant précédé l’autorisation. 136

c)             Les mesures d’accommodement 142

vi.        Structure de gestion de haut niveau. 146

vii.       Évaluation complète des effets en aval 147

viii.      Libellé général prévoyant l’indemnisation. 163

ix.        Défrichement complet 164

IV.  Conclusion. 171

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément aux articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 (la Loi sur les Cours fédérales), dans laquelle le demandeur conteste la décision du ministre des Pêches et des Océans de délivrer l’autorisation no 13‑01‑005 (l’autorisation) à Nalcor Energy (Nalcor). Cette autorisation, délivrée le 9 juillet 2013 conformément aux alinéas 32(2)c) et 35(2)b) de la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F‑14 (la Loi sur les pêches), permet de perturber le poisson et son habitat par suite de la construction de la centrale hydroélectrique de Muskrat Falls projetée par Nalcor dans la partie inférieure du fleuve Churchill dans le cadre du Projet de centrale hydroélectrique dans la partie inférieure du fleuve Churchill, au Labrador.

[2]               Le demandeur soutient qu’il n’a pas été convenablement consulté et que le Canada, représenté par le ministère des Pêches et des Océans (le MPO), n’a pas pleinement et équitablement tenu compte des préoccupations des Inuits du Labrador avant de décider de délivrer l’autorisation.

I.                   Le Projet

[3]               La société Nalcor propose de construire deux centrales hydroélectriques dans la partie inférieure du fleuve Churchill, au centre du Labrador, d’une capacité combinée de 3 047 mégawatts (MW). Le projet proposé comprend deux barrages, l’un situé à Muskrat Falls (824 MW) et l’autre à Gull Island (2 250 MW), deux réservoirs et des lignes de transmission reliant Muskrat Falls, Gull Island et l’installation hydroélectrique existante de Churchill Falls. Les autres installations prévues comprendraient des voies d’accès, des ponts temporaires, des camps de construction, des emprunts, des carrières, des installations de dérivation et des aires d’immersion (le Projet) (ainsi qu’il est expliqué dans le Rapport de la commission d’examen conjoint : Projet de centrale hydroélectrique dans la partie inférieure du fleuve Churchill publié en août 2011 (le Rapport de la CEC)).

[4]          Compte tenu de la nature des prétentions du demandeur, il est nécessaire d’exposer en détail le contexte factuel de la présente affaire, son contexte législatif ainsi que les dispositions pertinentes de l’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador, conclu entre les Inuits du Labrador, la Couronne la Reine du Chef de Terre‑Neuve‑et‑Labrador et la Couronne la Reine du Chef du Canada le 22 janvier 2005 (l’Accord), qui a été mis en vigueur par la Labrador Inuit Land Claims Agreement Act, SNL 2004, c L‑3.1 et par la Loi sur l’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador, LC 2005, c 27.

II.                Faits à l’origine du litige

[5]               Le 30 novembre 2006, Nalcor a soumis un document d’enregistrement et de description de projet au ministère de l’Environnement et de la Conservation de Terre‑Neuve‑et‑Labrador (MEC T‑NL) et à l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (l’Agence), en vue d’amorcer les processus d’évaluation environnementale provinciaux et fédéraux conformément à la Newfoundland and Labrador Environmental Protection Act, SNL 2002, c E‑14.2 (la NLEPA) et à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, LC 1992, c 37 (la LCÉE). L’Agence était chargée de coordonner les activités fédérales de consultation des Autochtones au cours de l’évaluation environnementale du Projet et d’agir comme coordonnateur des consultations de la Couronne, ainsi qu’il est expliqué dans le cadre de consultation décrit plus loin.

[6]               Transports Canada (TC) et le MPO ont estimé qu’une évaluation environnementale était nécessaire parce que, pour pouvoir être réalisé, le Projet nécessitait l’approbation prévue au paragraphe 5(1) de la Loi concernant la protection des eaux navigables, LRC 1985, c N‑22 (la LPEN), étant donné qu’il impliquait la construction d’un barrage ainsi que l’autorisation prévue au paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches puisqu’il entraînerait la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson, faisant ainsi jouer l’alinéa 5(1)d) de la LCÉE. TC et le MPO se sont tous les deux présentés comme des « autorités responsables » (AR) au sens de la LCÉE, c’est‑à‑dire comme des autorités fédérales chargées de s’assurer qu’une évaluation environnementale (ÉE) ait lieu (LCÉE, paragraphes 2(1) et 11(1)). Santé Canada a déclaré qu’elle avait en sa possession des renseignements de spécialistes ou d’experts ou les connaissances nécessaires pour procéder à l’ÉE, tout comme Environnement Canada (EC), Ressources naturelles Canada (RNC), et Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (qui s’appelait alors Affaires indiennes et du Nord Canada).

[7]               En réponse à une demande d’avis datée du 4 décembre 2006 du MEC T‑NL, le MPO a, le 12 janvier 2007, notamment fait savoir à Terre‑Neuve‑et‑Labrador (la Province) qu’une étude d’impact environnemental (ÉIE) était recommandée pour examiner les répercussions éventuelles du Projet sur le poisson et l’habitat du poisson, qu’il fallait évaluer les risques de bioaccumulation de mercure chez toutes les espèces de poissons, qu’un examen des effets en aval éventuels devait être effectué, que Nalcor devait examiner et analyser les moyens de réduire les rejets de mercure dans le réservoir, diminuant ainsi l’absorption et l’accumulation de mercure, et qu’il y avait lieu de discuter des changements aux poissons et à l’habitat du poisson en aval de Muskrat Falls et/ou du lac Melville.

[8]               Le 9 février 2007, un Avis de lancement d’une évaluation environnementale a été affiché dans le Registre de l’Agence, ce qui a eu pour effet de mettre en branle une ÉE du Projet sous le régime de la LCÉE. Comme le MPO était d’avis que le Projet aurait d’importantes répercussions négatives sur l’environnement, le ministre fédéral de l’Environnement a finalement décidé qu’il y avait lieu de former une commission d’examen conjoint Canada‑Terre‑Neuve‑et‑Labrador pour procéder à une évaluation indépendante en vertu de l’alinéa 25a) et de l’article 29 de la LCÉE, en l’occurrence l’option d’examen environnemental la plus rigoureuse prévue par le régime législatif.

[9]               Avant de prendre cette décision, le ministre de l’Environnement, représenté par le ministre des Terres et des Ressources naturelles, avait écrit au demandeur le 30 mai 2007 pour l’informer de son intention de soumettre le Projet proposé à une commission d’examen conjoint Canada‑Terre‑Neuve‑et‑Labrador, appelée la Commission d’examen conjoint (la CEC ou la Commission) en vue d’une ÉE et du fait qu’on avait demandé à l’Agence de communiquer avec le demandeur pour discuter des étapes suivantes du processus.

[10]           Le 8 août 2007, le MPO et TC ont écrit au demandeur au sujet du Projet et, conformément à l’article 11.2.8 de l’Accord, lui ont fourni les documents d’inscription pertinents concernant le Projet. La lettre expliquait que le MPO avait conclu que l’érection projetée des barrages et la formation de réservoirs entraîneraient probablement la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson et que, par conséquent, il serait nécessaire d’obtenir des autorisations en vertu de la Loi sur les pêches. De plus, la lettre expliquait que TC avait constaté que les approbations prévues par la LPEN seraient probablement requises parce qu’un barrage était un ouvrage désigné au sens de la partie I de la LPEN et que les exigences réglementaires en question prévoyaient la tenue d’une ÉE aux termes de l’alinéa 5(1)d) de la LCÉE. La lettre informait également que le MPO et TC organisaient des séances de consultation avec des groupes autochtones pour qu’ils leur fassent part de leur point de vue sur la façon dont l’octroi des autorisations et des approbations de construction et d’exploitation du Projet était susceptible de les affecter, et elle les invitait à participer.

[11]           Auparavant, le MPO avait rencontré des représentants du demandeur et d’autres groupes autochtones à Goose Bay, au Labrador, les 19 et 20 octobre 2006, pour discuter du rôle du MPO relativement à l’ÉE et pour connaître leurs premières réactions et points de vue au sujet du Projet. Le demandeur avait alors notamment fait observer qu’il devait être consulté étant donné que, même si le Projet ne devait pas être réalisé sur des Terres des Inuit du Labrador (les TIL) ou dans la région du règlement des Inuit du Labrador (la RRIL) – deux expressions qui sont définies dans l’Accord –, le Projet pouvait affecter la région où le demandeur possédait des droits de récolte en vertu des articles 12.13.10 et 12.13.13 de l’annexe 12‑E de l’Accord. Le demandeur a également fait observer que les consultations en question devaient se dérouler conformément à l’Accord.

[12]           En mars 2007, la Province a soumis au MPO un projet de lignes directrices de l’étude d’impact environnemental (les Lignes directrices de l’ÉIE) en vue d’obtenir ses commentaires. La préface du projet de Lignes directrices de l’ÉIE indiquait qu’elles étaient censées aider le promoteur à préparer l’ÉIE dont l’objectif était de cerner les importantes répercussions environnementales associées à l’entreprise, de proposer des mesures d’atténuation appropriées et de produire un énoncé des effets résiduels devant être évalués par le ministre de l’Environnement et de la conservation. En ce qui concerne l’ÉIE devant être préparée par Nalcor, les Lignes directrices de l’ÉIE indiquaient ce qui suit : [traduction« Le ministre de l’Environnement et de la Conservation se servira de l’ÉIE, en consultation avec le Cabinet, pour se prononcer sur l’acceptabilité du Projet proposé en fonction des répercussions prévues, des mesures d’atténuation proposées et de la gravité des impacts résiduels irrépressibles de l’entreprise projetée ». Le MPO a examiné le document et a formulé des observations en proposant notamment que les limites de la zone d’étude englobent les secteurs en aval de Muskrat Falls (région supérieure du lac Melville) où l’on pouvait s’attendre à ce que les effets biologiques se produisent.

[13]           Le MPO et l’Agence ont rencontré le demandeur à Goose Bay le 18 septembre 2007. Lors de cette rencontre, on a signalé la nécessité de recevoir des observations du demandeur au sujet de l’ÉIE et une copie du projet de Lignes directrices de l’ÉIE lui a été remise. Le projet de Lignes directrices de l’ÉIE a été mis à la disposition du public pour examen le 19 décembre 2007. Plus de cinquante intéressés ont répondu. Le demandeur a communiqué ses observations le 22 février 2008 en mentionnant l’éventuelle application des dispositions relatives aux consultations de l’Accord et en réclamant notamment une zone d’étude élargie pour l’ÉIE.

[14]           Le 6 juin 2008, le sous‑ministre adjoint du MEC T‑NL a répondu aux observations du demandeur sur le projet de lignes directrices de l’ÉIE en faisant observer qu’elles avaient été examinées par les deux gouvernements et que la Province répondait avec le consentement de l’Agence. Il faisait observer que le projet de Lignes directrices de l’ÉIE avait été modifié en profondeur pour tenir compte des intérêts et du savoir des groupes autochtones et des collectivités, notamment du demandeur. De plus, l’article 7.0 intitulé « Consultation des groupes et des collectivités autochtones » avait été complètement révisé et une liste des groupes et des collectivités autochtones que Nalcor devait consulter pour préparer l’ÉIE, y compris le demandeur, avait été ajoutée. Un tableau répondant point par point aux observations du demandeur était joint à la lettre, laquelle précisait que, si de plus amples explications étaient nécessaires, le demandeur rencontrerait sur demande les deux gouvernements en vue de résoudre toute préoccupation non réglée concernant le projet de lignes directrices de l’ÉIE. À défaut de telles demandes, la Province et le Canada rédigeraient la version définitive des Lignes directrices de l’ÉIE.

[15]           La version définitive des Lignes directrices de l’ÉIE a été publiée par le Canada et la Province en juillet 2008. Les Lignes directrices de l’ÉIE ne précisaient pas de limites géographiques précises pour l’ÉIE, mais exigeaient que Nalcor fournisse une justification des limites établies pour les zones d’étude (Lignes directrices de l’ÉIE, article 4.4.2). Elles exigeaient également que, dans son ÉIE, Nalcor évalue si son Projet était raisonnablement susceptible d’avoir des effets environnementaux négatifs sur la RRIL (Lignes directrices de l’ÉIE, article 4.2.5).

[16]           Les Lignes directrices de l’ÉIE expliquaient que l’ÉE était un processus visant à déterminer les interactions potentielles d’un projet avec l’environnement, à prédire les effets environnementaux, à déterminer des mesures d’atténuation et à évaluer l’importance des effets environnementaux résiduels. Le document indiquait également que, si le Projet était autorisé, l’ÉE servirait également de base pour établir les exigences de suivi et de rapports nécessaires pour vérifier la conformité aux modalités de l’approbation ainsi que l’exactitude et l’efficacité des prévisions et des mesures d’atténuation (Lignes directrices de l’ÉIE, article 2.1). Au nombre des principes fondamentaux de toute ÉE, le document mentionnait la participation des Autochtones et du public, le savoir traditionnel autochtone et les connaissances locales, le principe de précaution (Lignes directrices de l’ÉIE, articles 2.2, 2.3 et 2.5) ainsi que d’autres éléments considérés comme des principes fondamentaux de toute ÉE. En ce qui concerne la consultation des groupes autochtones, voici ce que prévoyaient les Lignes directrices de l’ÉIE :

4.8       Consultation des groupes et des collectivités autochtones

L’ÉIE doit montrer que le promoteur comprend les intérêts, les valeurs, les préoccupations, les activités contemporaines et historiques, le savoir traditionnel autochtone et les questions importantes pour les groupes autochtones, et indiquer comment ces facteurs seront pris en compte dans la planification et la réalisation du projet.

Pour faire en sorte que l’ÉIE fournisse l’information nécessaire à la prise en compte des questions pouvant préoccuper ces groupes, le promoteur doit consulter chacun des groupes, avec les objectifs suivants :

a) faire connaître au groupe le projet et ses effets environnementaux éventuels;

b) cerner les questions préoccupantes en ce qui concerne les effets environnementaux éventuels du projet;

c) indiquer les mesures qu’il propose pour régler chacun des problèmes mis au jour, au besoin.

[17]           Auparavant, en février 2008, le gouvernement du Canada avait publié un document intitulé Consultation et accommodement des groupes autochtones — Lignes directrices provisoires à l’intention des fonctionnaires fédéraux afin de remplir l’obligation légale de consulter (les Lignes directrices provisoires sur la consultation). Suivant la preuve présentée par le MPO, les Lignes directrices provisoires sur la consultation en question démontraient que les consultations menées par le Canada avec les groupes autochtones devaient se dérouler selon une « approche pangouvernementale » et être intégrées au processus d’ÉE dans la mesure du possible. De plus, le MPO avait cherché, autant que possible, à mener les consultations relatives au Projet en fonction des Lignes directrices provisoires sur la consultation pendant toute la durée du Projet jusqu’à ce que soit publié le document Consultation et accommodement des Autochtones ‑ Lignes directrices actualisées à l’intention des fonctionnaires fédéraux pour respecter l’obligation de consulter – mars 2011 (affidavit de Ray Finn, directeur régional de la Gestion des écosystèmes, région de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, MPO, 22 octobre 2013, (affidavit de M. Finn), paragraphes 35 et 36).

[18]           Le 1er mai 2008, la Province a écrit au demandeur, avec le consentement de l’Agence, pour l’informer que les deux paliers de gouvernement souhaitaient travailler en collaboration avec lui pour s’assurer que leurs obligations respectives prévues par l’Accord soient remplies. À cet égard, les gouvernements avaient examiné l’Accord en ce qui concerne les obligations concernant les « entreprises », au sens de l’Accord et avaient conclu que les articles 11.2.2, 11.2.8, 11.2.9 et 11.5.11 étaient des points essentiels à examiner. La Province et l’Agence ont proposé et annexé une ébauche de processus (l’ébauche de processus de consultation) comme moyen de remplir les obligations en question. Cette proposition divisait le processus d’ÉE selon ses parties constitutives et précisait de quelle manière le demandeur serait consulté à chaque étape du processus.

[19]           Le 13 août 2010, le Canada a publié le Cadre de consultation auprès des Autochtones – Projet de centrale de production d’énergie hydroélectrique dans la partie inférieure du fleuve Churchill (le Cadre de consultation). L’Agence a fait parvenir le Cadre de consultation au demandeur le 20 août 2010. Le Cadre de consultation indiquait qu’il énonçait de façon détaillée comment le gouvernement fédéral s’en remettrait, dans la mesure du possible, au processus de la CEC pour s’acquitter de son obligation légale de consulter les groupes autochtones relativement au Projet proposé. Il expliquait que l’Agence était l’autorité responsable chargée de coordonner les consultations fédérales avec les Autochtones au cours de l’ÉE et que l’Agence agirait comme coordonnateur des consultations de la Couronne. L’Agence s’assurerait donc que les activités énumérées dans le Cadre de consultation soient exécutées et que les groupes autochtones soient bien informés. Le 7 septembre 2010, l’Agence a rencontré des représentants du demandeur. Il ressort du procès‑verbal de cette rencontre que l’on a demandé à ces derniers s’ils avaient des observations à formuler au sujet du Cadre de consultation. Ils ont répondu que le cadre leur convenait étant donné que sa teneur était assez générale et qu’il ne contenait rien d’imprévu; toutefois, ils ont expliqué que le délai de 45 jours qui leur était imparti pour se préparer pour les audiences était trop bref et qu’il leur fallait 90 jours. Lors de cette rencontre, le demandeur a également exprimé l’opinion que la zone du Projet décrite par Nalcor était insuffisante étant donné qu’elle n’englobait pas le lac Melville.

[20]           Le Cadre de consultation semble suivre le même modèle général que l’ébauche de processus de consultation de mai 2008, mais avec plus de détails. Il fractionne les consultations en cinq phases, reproduites ci‑après par souci de commodité :

         Phase 1 : Participation et consultation initiales sur le projet d’entente relative à la commission d’examen conjoint, la nomination des membres de la commission d’examen conjoint et les lignes directrices sur l’étude d’impact environnemental;

         Phase 2 : Processus de la commission d’examen conjoint menant aux audiences;

         Phase 3 : Audiences et préparation du rapport d’évaluation environnementale de la commission d’examen conjoint;

         Phase 4 : Consultation sur le rapport d’évaluation environnementale de la commission d’examen conjoint;

         Phase 5 : Délivrance des permis réglementaires.

Suivant la preuve présentée par le MPO, l’Agence a mené les consultations au cours des Phases 1 à 4, tandis que le MPO s’en est chargé à la Phase 5 (affidavit de Stephen Chapman, directeur adjoint, Opérations régionales, auprès de l’Agence, 22 octobre 2013 (affidavit de M. Chapman), aux paragraphes 130 et 132).

Phase 1 : Participation et consultation initiales sur le projet d’entente relative à la commission d’examen conjoint, la nomination des membres de la commission d’examen conjoint et les lignes directrices sur l’étude d’impact environnemental

[21]           La Phase 1 se caractérise par le lancement et la rédaction des Lignes directrices de l’ÉIE, dont nous expliquons les consultations préalables plus loin. Elle comprend également des consultations sur le projet d’entente relative à la CEC, sur le projet de mandat de la CEC (le mandat) et la composition de la Commission.

[22]           Le 7 mai 2008, la Province a, avec le consentement de l’Agence et conformément à l’ébauche de processus de consultation, fourni au demandeur le projet d’entente relative à la CEC et le projet de mandat avant de mettre ses documents à la disposition du public pour commentaires le 6 juin 2008. Le demandeur a été invité à formuler ses observations et a été informé que celles‑ci se verraient accorder la plus grande attention et qu’une réponse écrite lui serait communiquée avant la signature de l’Accord et du mandat de la CEC. Le demandeur pouvait également demander de rencontrer la Province et l’Agence en vue de résoudre toute préoccupation qu’il avait au sujet du projet d’entente et du mandat de la CEC. Le demandeur n’a pas formulé d’observation au sujet de ces documents.

[23]           La version finale de l’entente relative à la CEC et du mandat de la CEC ont été publiées en janvier 2009. Par la suite, ils ont été modifiés pour proroger de 30 jours le délai au cours duquel trois groupes autochtones, y compris le demandeur, étaient invités à formuler leurs observations et pour faire traduire certains documents de la CEC en langues autochtones, dont l’inuktitut.

[24]           L’entente relative à la CEC obligeait la Commission à procéder à l’ÉE conformément aux exigences de la LCÉE, de la NLEPA et de son mandat. Toutes les audiences de la Commission devaient être publiques et permettre la participation des groupes autochtones, du public, des gouvernements, du promoteur et des autres intéressés. Dès l’achèvement de l’ÉE du Projet, la Commission devait rédiger un rapport qui traiterait des facteurs devant être examinés aux termes de l’article 16 de la LCÉE et de l’article 65 de la NLEPA, et établir les justifications, les conclusions et les recommandations de la CEC concernant l’ÉE du Projet, y compris toutes les mesures d’atténuation et tous les programmes de suivi, et devait comprendre un résumé des questions soulevées par les groupes autochtones, le public, les gouvernements et les autres parties concernées (Entente relative à la CEC, articles 4.2, 4.3 et 6.3).

[25]           Le mandat définissait la portée de l’ÉE ainsi que les différentes étapes du processus de l’ÉE. En ce qui concerne la portée de son mandat, voici comment elle abordait expressément la question des droits ancestraux :

Considérations relatives aux droits des Autochtones

La commission aura le mandat d’inviter les groupes et la population autochtones à l’informer de la nature et de la portée des droits et des titres autochtones, potentiels ou établis, dans le secteur visé par le Projet ainsi que des répercussions négatives sur les droits ancestraux ou les titres autochtones revendiqués ou établis attribuables au Projet, ou des violations possibles qui pourraient en découler.

La commission doit inclure dans son rapport :

1.         les renseignements fournis par les groupes et la population autochtones en rapport avec les usages ancestraux et le caractère fondé des revendications relativement aux effets environnementaux que pourrait avoir le Projet sur les droits ancestraux et des titres revendiqués ou reconnus.

2.         toute préoccupation soulevée par les groupes ou la population autochtone en rapport avec les répercussions possibles sur les droits ancestraux ou les titres autochtones revendiqués ou reconnus.

Le mandat de la commission ne lui permet pas de se prononcer sur les éléments suivants :

●          la validité ou le caractère fondé de n’importe quelle revendication des droits ancestraux et des titres autochtones ou des droits conférés par traité présentée par des groupes autochtones individuels;

●          la portée ou la nature du devoir de l’État de consulter les Autochtones, les groupes ou les gouvernements autochtones;

●          la mesure dans laquelle le Canada ou Terre‑Neuve‑et‑Labrador ont rempli leurs devoirs respectifs de consulter et d’accommoder par rapport aux droits reconnus et affirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982;

●          la portée, la nature ou la signification de l’Accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador.

[26]           Par lettre datée du 13 mai 2008, la Province a invité le demandeur à proposer trois personnes pouvant être nommées à la CEC. Le demandeur a proposé un candidat, M. Keith Chaulk, qui a par la suite été nommé parmi les cinq membres de la CEC.

Phase 2 : Processus de la commission d’examen conjoint menant aux audiences

[27]           La Phase 2 concernait le processus de la CEC menant aux audiences publiques, et notamment la consultation sur l’ÉIE et les demandes de renseignements complémentaires (les DR). Le demandeur était au nombre des onze groupes qui avaient reçu une aide financière en vertu du paragraphe 58(1.1) de la LCÉE. Il avait reçu 23 471 $ pour participer à la Phase 2.

[28]           Le 17 février 2009, Nalcor a présenté son ÉIE à la CEC. L’ÉIE comprenait, avec les études des composantes, plus de 10 000 pages et incorporait plusieurs études de base et d’autres renseignements. La CEC a ensuite entamé un processus de consultation du public sur l’ÉIE qui devait durer 75 jours. Le processus de consultation du public a par la suite été prolongé de 30 jours, étant donné que certains groupes autochtones n’avaient été avisés de la possibilité d’obtenir de l’aide financière à titre de participants qu’après le début de la période d’examen du public.

[29]           Le 19 juin 2009, le demandeur a fourni une réponse détaillée à la CEC relativement à l’ÉIE. Il s’est notamment dit d’avis que la zone d’étude de l’ÉIE devait être élargie, qu’on ne trouvait dans l’ÉIE aucune justification pour l’affirmation qu’il n’existait aucune possibilité raisonnable que le Projet ait des effets environnementaux néfastes dans la RRIL et que le programme de suivi devait comprendre le lac Melville et insister sur la température de l’eau, la salinité, la production primaire et les niveaux de méthylmercure dans les poissons et les mammifères marins.

[30]           À la lumière des observations reçues et des questions qu’elle se posait elle‑même, la CEC a fait parvenir 166 DR concernant l’ÉIE à Nalcor au cours de cinq séances. Nalcor a répondu à chaque DR, en soumettant environ 5 000 pages de documents complémentaires. La CEC a invité le public, les groupes autochtones et les gouvernements à examiner les renseignements complémentaires reçus de la part de Nalcor et à présenter leurs observations.

[31]           Le 18 décembre 2009, le demandeur a soumis ses observations à la CEC au sujet des renseignements complémentaires présentés par Nalcor. Cette dernière y a répondu le 16 février 2010.

[32]           Le 15 février 2010, la CEC a écrit au demandeur pour l’informer que les renseignements communiqués jusqu’alors par Nalcor n’étaient pas suffisants et qu’il lui fallait de plus amples renseignements avant de pouvoir juger si l’ÉIE était suffisante pour tenir des audiences publiques. La CEC a informé le demandeur qu’elle avait fait parvenir des DR supplémentaires à Nelcor et qu’elle l’encourageait à participer et à fournir à Nalcor des renseignements sur les terres traditionnelles et l’utilisation des ressources. Elle invitait également le demandeur à fournir à la CEC des renseignements concernant la nature et la portée des droits ancestraux ou du titre autochtone dans la zone du Projet ainsi que sur toute répercussion négative ou violation possible du Projet sur ces droits ou titre, ainsi qu’il est prévu dans le mandat. La CEC a réitéré cette demande le 3 décembre 2010.

[33]           Dans l’intervalle, diverses communications ont été échangées entre le demandeur, l’Agence et la CEC. Le 14 janvier 2011, la CEC a conclu que l’ÉIE ainsi que les renseignements soumis en réponse aux DR contenaient suffisamment d’éléments pour lui permettre de procéder à la phase des audiences publiques de l’ÉE.

[34]           Le 16 février 2011, l’Agence et le MPO ont rencontré le demandeur pour lui fournir des renseignements au sujet de la procédure à suivre lors des audiences et des consultations relatives au Rapport de la CEC. Le demandeur a alors fait part de ses préoccupations à ce propos, notamment au sujet des impacts en aval. Le MPO a fait connaître sa position en expliquant que l’ÉIE ne contenait pas suffisamment d’éléments de preuve pour étayer la conclusion de Nalcor suivant laquelle il n’y aurait pas d’effets en aval dans le lac Melville et que le MPO, Santé Canada et d’autres ministères fédéraux soumettraient un mémoire conjoint sur les préoccupations relatives au niveau de mercure au cours des audiences publiques à ce sujet.

[35]           Le 21 février 2011, le MPO a soumis à la CEC un résumé de son opinion sur l’ÉIE et les recommandations connexes. Le MPO appuyait le scénario d’un défrichement complet du réservoir jusqu’à trois mètres au‑delà du niveau d’approvisionnement complet avant la mise en eau pour réduire les quantités de mercure libérées, mais il n’a pas formulé de recommandation en ce sens. De plus, comme il était possible que la bioaccumulation de mercure par suite de la réalisation du Projet qui serait observée soit d’une plus grande ampleur et pour de plus longues périodes et plus en aval que ce qu’avait prévu Nalcor, le MPO a recommandé que Nalcor soit obligée de concevoir un programme global pour surveiller les changements spatiaux et temporels dans la concentration de mercure dans le poisson dans les réservoirs et en aval à la suite de la création du réservoir. La fréquence et le moment de l’échantillonnage justifiaient de mener une évaluation claire de l’ampleur de ces changements et du moment où ils surviendraient et appuyaient la prise de décisions sur les risques pour la santé humaine et la mise en œuvre de mesures de gestion des pêches. De plus, le MPO recommandait que d’autres données de base soient recueillies sur les niveaux de mercure présents chez les poissons estuariens en aval de Muskrat Falls et à Goose Bay avant l’inondation.

Phase 3 : Audiences et préparation du rapport d’évaluation environnementale de la commission d’examen conjoint

[36]           La Phase 3 comprenait les audiences publiques et la préparation du Rapport de la CEC. La CEC a tenu 30 jours d’audience à neuf endroits à Terre‑Neuve‑et‑Labrador et au Québec entre le 3 mars et le 15 avril 2011. Le demandeur a formulé des observations par écrit et a participé aux audiences publiques, en exprimant ses préoccupations au sujet des répercussions du Projet sur l’environnement, la société, la culture et la santé et en insistant sur les effets en aval, notamment ceux causés par le méthylmercure. Dans ses observations écrites, le demandeur a proposé des recommandations et des mesures d’atténuation, notamment la conclusion d’un accord entre le demandeur et Nalcor concernant l’établissement d’une base de référence et une surveillance des effets et un programme de conformité comme condition d’approbation, ainsi que le défrichement des arbres et des broussailles à l’intérieur des frontières du réservoir. Le MPO a participé aux audiences comme les autres parties.

[37]           Le Rapport de la CEC a été publié le 25 août 2011. Il s’agit d’un document exhaustif de 355 pages qui explique le processus qui a été suivi avant sa publication et qui, pour chaque sujet examiné, explique le point de vue de Nalcor, celui des participants ainsi que les conclusions et les recommandations de la CEC sur le sujet en question. Au total, la CEC a formulé 83 recommandations pour le cas où le Projet serait approuvé. Au chapitre 17, « Commentaires de la Commission en guise de conclusion », ainsi qu’elle a expliqué dans son résumé, la CEC a déterminé que le Projet aurait probablement des effets négatifs importants sur l’habitat du poisson et l’assemblage de poissons, l’habitat terrestre, humide et rivulaire, la harde de caribous des monts Red Wine, la pêche et la chasse au phoque dans le lac Melville si des avis relatifs à la consommation de poisson étaient nécessaires et sur la culture et le patrimoine. Elle a recensé divers avantages potentiels du Projet, et recueilli l’information additionnelle cruciale essentielle à la réalisation du Projet en ce qui concerne les rendements financiers à long terme et les sources d’énergie de remplacement permettant de répondre aux besoins de l’île et visant à réduire l’incertitude quant aux effets environnementaux en aval. La CEC a fait observer qu’elle ne prenait pas les décisions définitives sur le Projet, mais que les décideurs gouvernementaux devaient prendre en considération tous les effets, les risques et les incertitudes afin de décider si le Projet pouvait être justifié dans les circonstances et s’il pouvait se réaliser à la lumière des importants effets environnementaux négatifs identifiés par la CEC.

[38]           Le chapitre 6, qui porte sur l’environnement aquatique, se rapporte particulièrement aux questions soulevées par le demandeur dans la présente demande. La CEC y expose les opinions de Nalcor et des participants sur plusieurs questions, y compris le sort du mercure et les effets en aval. Elle énumère les principaux enjeux qui ont été cernés lors du processus d’examen, notamment les effets de la préparation des réservoirs, l’effet du méthylmercure dans les réservoirs, les effets en aval de Muskrat Falls et la probabilité que les effets du Projet, dont la bioaccumulation de mercure, soient observés à Goose Bay ou au lac Melville; et le suivi et la surveillance. Les conclusions que l’on trouve aux chapitres 4, 8, 9, 10 et 13 concernent ces sujets.

[39]           La CEC n’était pas convaincue que tous les effets qui dépassent l’embouchure du fleuve seraient « non mesurables », au sens où l’entendait Nalcor. Elle a affirmé que, même si les effets étaient plus difficiles à prédire au lac Melville, compte tenu des renseignements existants, cela soulignait justement le besoin de faire preuve de prudence, en particulier parce qu’aucune mesure de gestion adaptative réalisable n’avait été proposée pour renverser les changements écologiques à long terme ou les changements à la contamination au mercure de ressources renouvelables.

[40]           La CEC a conclu qu’avec les renseignements qu’elle avait en main, elle n’était pas en mesure de prendre une décision pertinente sur le risque d’une altération à long terme de caractéristiques écologiques dans les lieux estuariens. Il y avait selon elle un risque de bioaccumulation du mercure dans les populations de poissons et de phoques de Goose Bay et peut‑être du lac Melville également, mais qui ne représentait probablement pas un risque pour la santé de ces espèces. Même si les répercussions sur la santé et l’aménagement du territoire étaient examinées ailleurs dans le Rapport de la CEC, la recommandation 6.7 portait sur le besoin de faire preuve de prudence pour réduire l’incertitude rattachée au potentiel écologique et aux effets du mercure en aval. Comme il est expliqué de façon plus détaillée plus loin dans les présents motifs, la recommandation 6.7 suggérait que Nalcor soit tenue de réaliser une évaluation globale des effets en aval avant la mise en eau, et notamment de recueillir des données de base sur le mercure dans l’eau et de procéder à une modélisation révisée pour prévoir ce qui advient du mercure dans l’environnement en aval.

[41]           Aux chapitres 8, 9 et 13, la CEC s’est penchée sur la signification du potentiel des effets du mercure en aval sur les terres et l’aménagement du territoire autochtone et non autochtone, ainsi que sur la santé humaine et des collectivités.

Phase 4 : Consultation sur le rapport d’évaluation environnementale de la commission d’examen conjoint

[42]           La Phase 4 portait sur la consultation sur le rapport d’évaluation environnementale de la Commission d’examen conjoint et sur les recommandations. Le demandeur s’est vu accorder un financement de 21 000 $, provenant du Fonds d’aide financière aux participants de l’Agence, afin de faciliter sa participation à cette phase.

[43]           Le 31 août 2011, le demandeur a adressé au premier ministre de la Province une lettre dans laquelle il souscrivait dans l’ensemble au Rapport de la CEC et faisait ressortir les principaux enjeux, y compris les risques de bioaccumulation de mercure en aval et l’importance de la pêche et de la chasse au phoque pour les Inuits et demandait une rencontre. La Province a répondu à une deuxième demande le 8 novembre 2011 en mentionnant la rencontre du 16 septembre 2011 que le demandeur avait eue avec l’Agence, le MPO, EC et le MEC T‑NL dont il est question ci‑après.

[44]           Le 9 septembre 2011, l’Agence a écrit au demandeur pour l’informer que des consultations sur le Rapport et les conclusions et recommandations de la CEC auraient lieu pour donner suite à l’obligation de consultation à laquelle chaque palier de gouvernement pouvait être tenu envers tout gouvernement ou groupe autochtone. La lettre exigeait qu’avant que les gouvernements prennent une décision ou arrêtent une ligne de conduite qui permettrait au Projet d’aller de l’avant, le demandeur devait préparer et soumettre son opinion sur le Rapport de la CEC aux deux gouvernements dans les 45 jours de la publication de la traduction verbale en inuktitut du résumé du Rapport de la CEC. La lettre expliquait que ces consultations viseraient à connaître l’opinion du demandeur sur la question de savoir si les préoccupations exprimées au sujet des répercussions éventuelles du Projet sur les droits des Inuits du Labrador prévus par l’Accord avaient été qualifiées de façon exacte et sur la façon dont les mesures d’atténuation recommandées étaient susceptibles de répondre à ces préoccupations. De plus, ces consultations serviraient à déterminer s’il restait des questions à résoudre. On étudierait attentivement l’opinion exprimée par le demandeur et, au besoin, les gouvernements rencontreraient celui‑ci pour discuter de son opinion sur le Rapport de la CEC. L’Agence a informé le demandeur qu’il serait tenu compte des consultations en question lors de la rédaction des rapports soumis aux cabinets fédéraux et provinciaux concernant le processus de consultation des groupes autochtones.

[45]           Le 16 septembre 2011, des représentants de l’Agence, du MPO, d’EC et de MEC T‑NL ont rencontré des représentants du demandeur à Goose Bay pour discuter du processus de consultation portant sur le Rapport de la CEC. En ce qui concerne le processus de consultation, le procès‑verbal de la rencontre de l’Agence indique qu’en réponse à la question du demandeur quant à savoir quel gouvernement répondrait au Rapport de la CEC et aux réponses des groupes autochtones, l’Agence a expliqué que les réponses que donneraient les Cabinets seraient probablement très générales et que des explications détaillées ne seraient pas toujours fournies. Les ministères communiqueraient toutefois dès que possible des explications aux groupes autochtones dans la mesure de leurs moyens après les réponses communiquées par les Cabinets. Si le demandeur précisait quelles recommandations étaient les plus importantes pour lui, l’Agence et les ministères pourraient se concentrer sur celles‑ci pour formuler des explications détaillées. En ce qui concerne la surveillance des effets en aval, le demandeur a présenté son opinion, notamment qu’il fallait financer une approche globale quant aux sciences de l’Arctique dans la région du lac Melville, qu’elle devait être menée par les Inuits et être effectuée en utilisant ArcticNet et que l’on devait élaborer un vocabulaire précis pour les avis de consommation. L’affidavit du 30 août 2013 souscrit par Tom Sheldon, le directeur de l’Environnement du demandeur (l’affidavit de M. Sheldon) indique qu’il insistait sur la nécessité de mettre en œuvre la recommandation 6.7 et qu’il souscrivait à la recommandation de la CEC en ce qui concerne le déboisement complet du réservoir de Muskrat Falls ainsi que la nécessité d’une entente entre Nalcor et les Inuits du Labrador en ce qui concerne d’autres mesures d’atténuation à la lumière des conclusions et du Rapport de la CEC (affidavit de M. Sheldon, au paragraphe 32).

[46]           Le 11 novembre 2011, le demandeur a présenté la Réponse du gouvernement du Nunatsiavut au Rapport de la Commission. Le demandeur y reconnaissait qu’il avait consacré beaucoup de temps à participer au processus d’ÉE pour faire valoir son point de vue suivant lequel le Projet aurait d’éventuelles répercussions négatives sur les Inuits du Labrador et sur leurs droits ainsi que sur leur environnement, leur culture et leur mode de vie. Cette participation avait notamment pris la forme d’une trentaine de mémoires distincts soumis à la CEC et le demandeur se disait heureux de constater que la CEC avait reconnu qu’un bon nombre de ses préoccupations étaient fondées et qu’il était d’accord avec bon nombre des recommandations de la CEC.

[47]           Dans ses observations, le demandeur reprenait les conclusions formulées par la CEC au sujet des effets en aval, renvoyait à une étude récente sur les effets pour la santé humaine de l’exposition prénatale et infantile à des contaminants environnementaux, tels que le méthylmercure, sur la santé et le développement des enfants inuits dans le nord du Québec publiée à la suite des audiences de la Commission, en plus d’annexer un tableau exposant sa réponse à chacune des recommandations de la CEC et de formuler trois principales recommandations qui, selon lui, contribuerait à atténuer les préjudices subis par les Inuits et les atteintes aux droits des Inuits et permettrait aux Inuits de contribuer de façon constructive à la réalisation du processus. Voici le résumé de ses suggestions :

          i.          Représentation des Inuits dans la structure de gestion

Sous cette rubrique, le demandeur revendique le droit fondamental de participer à un mécanisme de gestion de haut niveau dans le cadre du Projet proposé qui serait composé du gouvernement du Nunatsiavut, de la Nation innue, de la Province et du Canada;

        ii.          Droits des Inuits, recherches sur les Inuits – Recherches de base et surveillance

Sous cette rubrique, le demandeur revendique le droit des Inuits de mener des recherches de base et de la surveillance sur une large gamme de répercussions éventuelles que le projet pourrait avoir sur les Inuits et sur les droits des Inuits. Il affirme par ailleurs que Nalcor, le Canada et la Province ont l’obligation morale et légale de financer ces travaux et il réclame un financement minimum de 200 000 $ par année pour un programme conçu expressément pour établir les conditions de base se rapportant directement aux droits des Inuits. Le demandeur fait valoir la nécessité de comprendre en profondeur l’environnement en aval et de saisir quelles répercussions les modifications auraient sur les Inuits (répercussions biophysiques, culturelles, socioéconomiques et sur la santé). Le demandeur soutient que les recherches doivent être menées par les Inuits qui collaboreraient avec Nalcor et les gouvernements et qui utiliseraient ArcticNet à cette fin;

      iii.          Indemnisation pour les préjudices subis par les Inuits et les atteintes aux droits des Inuits par suite du Projet

Sous cette rubrique, le demandeur soutient que le cadre devrait être assorti d’une condition prévoyant que les permis liés au développement du Projet devraient prévoir un mécanisme d’indemnisation en cas de préjudice prévu, notamment en cas de perte se rapportant à la cueillette et aux coutumes culturelles ou à des événements imprévus.

[48]           Le 21 décembre 2011, le demandeur a écrit au premier ministre de la Province (avec copie conforme au Canada) pour solliciter la tenue d’une rencontre entre les plus hauts responsables politiques de la Province, de Nalcor et du gouvernement du Nunatsiavut avant l’annonce de la réponse de la Province au Rapport de la CEC. Le premier ministre a répondu le lendemain et une rencontre a eu lieu le 9 janvier 2012. Des représentants du demandeur et de la Province ont participé à cette rencontre.

[49]           Par lettre datée du 16 janvier 2012 adressée au ministre des Ressources naturelles de la Province (avec copie conforme adressée entre autres aux ministres du MPO et d’EC), le demandeur a repris quatre des principales mesures d’atténuation proposées au cours de cette rencontre. Parmi celles‑ci se trouvaient trois des principales recommandations proposées par le demandeur dans sa réponse au Rapport de la CEC (résumé ci‑dessus) ainsi que les priorités des Inuits en ce qui concerne les possibilités en matière d’emploi, de formation et d’affaires en rapport avec le Projet, immédiatement après celles des Innus.

[50]           Le 24 janvier 2012, l’Agence a rédigé un rapport interne intitulé [traductionProjet de centrale hydroélectrique dans la partie inférieure du fleuve Churchill : Rapport sur les consultations avec les groupes autochtones relativement à l’évaluation environnementale (le Rapport de consultations des Autochtones), qui expliquait comment le gouvernement fédéral avait consulté les groupes autochtones dans le contexte de l’ÉE, et en particulier comment il s’était fondé, dans toute la mesure du possible, sur le processus de la CEC pour s’acquitter de son obligation légale de consultation. Le Rapport indiquait qu’il exposait la position des groupes autochtones en ce qui concerne la façon dont les éventuels effets environnementaux négatifs du Projet proposé étaient susceptibles d’avoir des répercussions sur les droits ancestraux ou droits issus de traités actuels ou éventuels. L’information provenait des mémoires déposés par les groupes autochtones devant la CEC et des observations formulées par des groupes directement devant les fonctionnaires des divers ministères fédéraux.

[51]           Le 30 janvier 2012, Ray Finn, directeur régional de la Gestion des écosystèmes du MPO pour la région de Terre‑Neuve‑et‑Labrador (le directeur général régional du MPO) a fourni une mise à jour sur l’ÉE du Projet et sur les consultations avec les groupes autochtones au directeur général régional du MPO. La section de la note de service consacrée à la mise en contexte signalait que le MPO avait participé aux consultations menées auprès des Autochtones au sujet du Rapport de la CEC, sous la conduite de l’Agence, en vue de l’examen et de l’élaboration de la réponse du Canada. De plus, on expliquait que la Nation innue et le gouvernement du Nunatsiavut [traduction« appuient de façon générale le projet » et que les groupes Nunatsiavut et Innu du Québec estimaient qu’on n’avait pas tenu suffisamment compte d’eux au cours du processus de la CEC. Dans le chapitre consacré à l’analyse et aux observations du MPO, on faisait observer que le Canada était en train de préparer sa réponse en vue de la présenter au Cabinet le 8 février 2012 et que le MPO participerait à l’examen et à la rédaction de la version finale du Rapport de consultation des Autochtones pour s’assurer que l’on tienne compte des préoccupations des Autochtones, le cas échéant, avant que le Canada prenne sa décision.

[52]           La Réponse du gouvernement du Canada au rapport de la commission d’examen conjoint pour le projet de centrale hydroélectrique de Nalcor dans la partie inférieure du fleuve Churchill à Terre‑Neuve‑et‑Labrador (la Réponse du Canada) qui répondait au Rapport de la CEC et à ses recommandations, a été approuvée par le gouverneur général sur la recommandation du ministre des Pêches et des Océans conformément à l’alinéa 37(1.1)a) de la LCÉE par le décret en date du 12 mars 2012. Il a été publié dans le registre de l’Agence le 15 mars 2012. La réponse de la Province a été publiée le même jour.

[53]           Il était précisé dans la Réponse du Canada que celle‑ci avait été préparée par les autorités responsables (le MPO, TC et RNC) conformément au paragraphe 37(1.1) de la LCÉE, en consultation avec d’autres organismes fédéraux. Il était indiqué que, pour préparer la réponse, les AR avaient examiné le Rapport de la CEC, ainsi qu’un rapport indépendant subséquent fourni à la demande de Nalcor, une analyse économique du Projet effectuée par le Canada et les remarques formulées par des groupes autochtones et d’autres intervenants pendant les travaux de la CEC et à la suite de ceux‑ci.

[54]           Pour déterminer s’il était possible que des effets environnementaux négatifs importants sur l’environnement soient justifiés dans les circonstances, il était précisé dans la Réponse du Canada qu’on avait tenu compte des effets négatifs éventuels du Projet ainsi que des engagements pris par le gouvernement fédéral dans la foulée des recommandations contenues dans le Rapport de la CEC, ainsi que des engagements pris par Nalcor dans son ÉIE et lors des audiences de la CEC. Le Canada exigerait certaines mesures d’atténuation, la surveillance des répercussions environnementales et la gestion adaptative dont Nalcor devrait faire preuve, de même que des études additionnelles sur les effets en aval. Pour ce faire, les exigences devaient être incluses dans les autorisations et les approbations fédérales. Dans sa réponse, le Canada précisait qu’en s’assurant que ces engagements soient tenus, on minimiserait les effets négatifs du Projet et l’on réduirait les risques associés à l’incertitude entourant la réussite des mesures d’atténuation.

[55]           De plus, la Réponse du Canada indiquait que les avantages sociaux, économiques et environnementaux éventuels pour la Province, les collectivités et les groupes autochtones, de même que les avantages allant au‑delà du territoire de leur Province, avaient été pris en compte, tout comme une analyse économique du Projet effectuée par le Canada.

[56]           Le Canada a estimé que les avantages importants au niveau énergétique, économique, socioéconomique et environnemental surpassaient les effets environnementaux négatifs du Projet identifié dans le Rapport de la CEC :

Le gouvernement du Canada en vient à la conclusion que les effets environnementaux négatifs importants du projet de centrale hydroélectrique dans le bas Churchill sont justifiés par les avantages du projet de centrale hydroélectrique dans le bas Churchill.

(Réponse du Canada, p. 7)

[57]           S’agissant de la décision quant à la marche à suivre, le Canada faisait observer, dans sa réponse, que l’alinéa 37(1.1)c) de la LCÉE prévoyait que la marche à suivre par l’AR devait être conforme à l’approbation du gouverneur en conseil et que, en vertu du paragraphe 37(1), si le Projet était susceptible de causer des effets environnementaux négatifs justifiables dans les circonstances, les AR pouvaient exercer tout pouvoir, obligation ou fonction permettant au Projet de se poursuivre totalement ou en partie. De plus :

[…] Pêches et Océans Canada et Transports Canada peuvent accorder respectivement des autorisations en vertu des paragraphes 35(2) et 32 de la Loi sur les pêches et des approbations en vertu de la partie 1 de l’article 5 de la Loi sur la protection des eaux navigables […]

En vertu du paragraphe 37(2.2) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, une autorité responsable doit s’assurer de la mise en œuvre des mesures d’atténuation dans le cadre d’un projet approuvé. De même, conformément au paragraphe 38(2) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, les autorités responsables assureront la mise en œuvre de programmes de suivi afin de déterminer l’exactitude des conclusions de l’évaluation environnementale et l’efficacité des mesures d’atténuation.

(Réponse du Canada, p. 7 et 8)

[58]           Le Canada a ensuite examiné dans sa réponse chacune des recommandations de la CEC concernant le gouvernement fédéral.

[59]           En ce qui concerne la recommandation 6.7, le Canada a déclaré dans sa réponse que le gouvernement du Canada était d’accord avec l’esprit de cette recommandation et soulignait qu’elle concernait Pêches et Océans Canada. Il a poursuivi en expliquant que, comme condition d’une autorisation accordée en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, et avant la mise en eau, le MPO exigerait de Nalcor qu’elle recueille des données de base additionnelles sur la bioaccumulation de méthylmercure dans le poisson et l’habitat du poisson en aval de Muskrat Falls. Le MPO exigerait également de Nalcor qu’elle mette en œuvre un programme pluriannuel complet de surveillance et de rapports sur la bioaccumulation de méthylmercure dans le poisson et dans le phoque dans les réservoirs et en aval, notamment dans la région de Goose Bay et du lac Melville, et qu’elle réalise un projet pluriannuel de surveillance et de rapports à la suite du Projet en aval du lac Melville afin de surveiller divers paramètres, y compris les nutriments, la production primaire, l’utilisation de l’habitat du poisson et le transport de sédiments afin d’évaluer les modifications dans l’habitat du poisson en aval.

[60]           Le 16 mars 2012, conformément à l’approbation donnée par le gouverneur en conseil relativement à la Réponse du Canada, les trois AR ont publié leur décision quant à la marche à suivre conformément au paragraphe 37(1) de la LCÉE (la décision quant à la marche à suivre). La décision quant à la marche à suivre indiquait que les AR pouvaient exercer tout pouvoir, obligation ou fonction qui permettrait au Projet de se poursuivre parce que, après avoir tenu compte du Rapport de la CEC et de la mise en œuvre des mesures d’atténuation appropriées, les AR étaient d’avis que le Projet risquait de comporter des effets environnementaux négatifs importants qui pouvaient se justifier dans les circonstances. La décision quant à la marche à suivre signalait la nécessité de mettre en œuvre un programme de suivi afin de vérifier l’exactitude de l’ÉE et/ou de déterminer l’efficacité des mesures d’atténuation du Projet et indiquait que les dates prévues du programme de suivi seraient du 1er octobre 2012 au 1er octobre 2037.

Phase 5 : Délivrance des permis réglementaires

[61]           La Phase 5 du processus de consultation concernait la délivrance des permis réglementaires menant à l’octroi de l’autorisation.

[62]           Par lettre datée du 23 avril 2012, l’Agence a informé le demandeur que la responsabilité de mener et de coordonner des consultations de la Couronne au nom du gouvernement fédéral était transférée de l’Agence au MPO pour les consultations de la Phase 5.

[63]           Le 9 juillet 2012, le MPO a écrit au demandeur pour l’informer que, conformément au Cadre de consultation, le gouvernement fédéral entamait la phase consacrée à la délivrance des permis (Phase 5 du Projet) et qu’elle souhaitait poursuivre les consultations concernant des décisions, des approbations ou des mesures réglementaires spécifiques qui pourraient avoir des impacts négatifs sur les droits ancestraux ou le titre autochtone qu’il revendiquait. Le MPO a informé le demandeur que le gouvernement fédéral prévoyait accorder trois types d’approbation : les autorisations accordées par le MPO en vertu de l’article 32 et du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches et l’approbation accordée par TC en vertu de l’article 5 de la LPEN. Le MPO a proposé de mener des consultations au cours de la phase réglementaire conformément au protocole proposé pour la phase réglementaire de consultation des groupes autochtones sur le Projet d’aménagement hydroélectrique du cours inférieur du fleuve Churchill (le Protocole de la phase réglementaire) et le MPO invitait les intéressés à lui soumettre leurs observations sur le processus proposé dans les 14 jours suivants.

[64]           Le Protocole de la phase réglementaire proposée déclarait qu’il s’inspirait du Cadre de consultation et qu’il comportait un processus en cinq étapes au cours de la Phase 5. Premièrement, sur réception du Plan de compensation de l’habitat du poisson (le plan CHP) ou du Programme d’étude de suivi des effets sur l’environnement (le programme ÉSEE) – deux conditions préalables à l’autorisation prévue par la Loi sur les pêches –, ou d’une demande d’approbation d’ouvrage conformément à la LPEN, les ministères fourniraient les documents en question ainsi que des documents à l’appui pertinents au demandeur, qui aurait ensuite 30 jours pour les examiner. Les approbations réglementaires ne seraient accordées qu’après l’expiration de ce délai et après l’examen des observations reçues. Deuxièmement, dix jours avant l’expiration du délai prévu pour soumettre des observations, un rappel serait envoyé au demandeur. Troisièmement, si aucune observation n’était reçue dans le délai prévu, le demandeur serait avisé que l’approbation ou l’autorisation serait examinée et, le cas échéant, approuvée. Si des observations étaient reçues, dans les 30 jours de leur réception, les ministères les examineraient attentivement et y répondraient par écrit. Quatrièmement, les ministères y apporteraient les modifications appropriées. Enfin, cinquièmement, dans les 14 jours de la délivrance de l’autorisation prévue par la Loi sur les pêches et de l’approbation prévue par la LPEN, ces documents seraient envoyés au demandeur.

[65]           Le 24 juillet 2012, le demandeur a soumis ses observations sur le projet de Protocole de la phase réglementaire. Le demandeur s’est dit d’avis que pour rendre le Protocole de la phase réglementaire conforme à l’Accord et pour tenir compte du sens du mot « consulter » qui s’y trouvait, l’autorisation prévue par la Loi sur les pêches et l’approbation dont il était question dans la LPEN ne devaient pas être délivrées avant que le Projet ne soit sanctionné par les deux ordres de gouvernement. Il a ajouté que le délai imparti au demandeur pour préparer ses observations devait être porté à 90 jours et qu’à sa demande, on devait lui accorder la possibilité et le financement nécessaires pour faire valoir son point de vue en personne devant le MPO. Par ailleurs, si le demandeur formulait des observations, le MPO devait attendre au moins 15 jours avant d’y répondre pour s’assurer de les avoir examinées attentivement et l’autorisation prévue par la Loi sur les pêches et l’approbation prévue par la LPEN devaient être envoyées au demandeur le jour où elles étaient délivrées.

[66]           La version définitive révisée du Protocole de la phase réglementaire prévoyait un délai de 45 jours pour permettre au demandeur de soumettre ses observations et confirmait que les approbations prévues par le règlement ne seraient pas accordées avant que ce délai soit expiré et que les observations reçues soient examinées. Le protocole révisé ajoutait que, dans les dix jours de la réception, le demandeur pourrait solliciter une rencontre avec les AR pour discuter de la demande et du document et que cette rencontre devait avoir lieu dans un délai de 45 jours. Enfin, le protocole modifié stipulait que des copies de l’autorisation prévue par la Loi sur les pêches et de l’approbation prévue par la LPEN devaient être communiquées au demandeur dans les cinq jours de leur délivrance. Le 21 février 2013, le MPO a fait parvenir au demandeur la version définitive du Protocole de la phase réglementaire.

[67]           Nalcor a soumis un projet de plan CHP au demandeur le 21 décembre 2012 et a invité ce dernier à participer, le 16 janvier 2013, à une séance d’information publique au cours de laquelle seraient communiqués les renseignements techniques sur le plan CHP et le programme ÉSEE. Nalcor a également rencontré le demandeur le 23 janvier 2013 pour lui présenter les détails du plan CHP et le programme ÉSEE. Le demandeur a alors soulevé plusieurs questions.

[68]           Le 5 février 2013, dans la note de service que le MPO a adressée au directeur général régional du MPO, il était question de l’état d’avancement des consultations des Autochtones à la Phase 5. La note de service mentionnait notamment que les observations reçues au sujet du protocole proposé indiquaient que certains groupes autochtones avaient le sentiment que certaines de leurs préoccupations au sujet de l’ÉE n’avaient pas encore été abordées. La plupart d’entre elles concernaient les impacts sur les droits ancestraux et le titre autochtone, le caribou, les impacts cumulatifs et l’absence d’étude sur l’utilisation des terres et des ressources. Des lettres visant à « boucler la boucle » concernant les questions d’ÉE en suspens devaient être envoyées aux groupes autochtones avant l’envoi de la version définitive du Protocole de la phase réglementaire.

[69]           Le 12 février 2013, le demandeur a rencontré le ministre des Pêches et des Océans pour discuter de ses préoccupations quant au Projet. Le demandeur a fourni une présentation PowerPoint dans laquelle il énonçait à nouveau ses préoccupations au sujet des effets en aval, les conclusions de la CEC et le fait que Nalcor n’avait pas procédé à une évaluation globale des effets en aval comme la CEC l’avait recommandé, ce qui, à son avis, compromettait la santé et le bien‑être des Inuits parce que l’approche de Nalcor était réactive plus tôt que proactive.

[70]           Le demandeur affirmait également que les données préliminaires recueillies au cours des recherches menées en son nom indiquaient que les données relatives au mercure dans le fleuve Churchill englobaient le lac Melville et la RRIL et il demandait, comme condition de l’autorisation prévue au paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, que Nalcor soit tenue de fournir au demandeur un financement annuel de 200 000 $ à 500 000 $ pour ses recherches et sa surveillance des effets généraux sur l’environnement en aval. De plus, le demandeur a fait valoir qu’il fallait qu’on accepte sa participation en tant que gouvernement et non en tant qu’intervenant pour qu’elle soit significative.

[71]           Le 21 février 2013, une note de service adressée au sous‑ministre des Pêches et des Océans résumait l’état d’avancement des consultations menées avec les Autochtones à la Phase 5. On prévoyait que le MPO terminerait les consultations à la mi‑mai et qu’il devrait être en mesure de délivrer l’autorisation prévue par la Loi sur les pêches en juin 2013.

[72]           Le 28 février 2013, le MPO a écrit au demandeur pour l’informer qu’il se préparait à délivrer l’autorisation prévue par la Loi sur les pêches et lui a remis une ébauche du plan CHP et du programme ÉSEE qu’il avait reçue de Nalcor en l’invitant à soumettre ses observations sur les deux documents dans les 45 jours conformément au Protocole de la phase réglementaire. Le demandeur n’a pas présenté d’observations au sujet du plan CHP, mais a exprimé à plusieurs reprises ses préoccupations au sujet des lacunes du programme ÉSEE, notamment en ce qui concerne les données de base, ainsi que nous le verrons plus loin.

[73]           Le 22 mars 2013, le demandeur a rencontré des représentants du MPO pour discuter du programme ÉSEE. Le demandeur a notamment soutenu que l’ébauche de programme ÉSEE actuel était trop rudimentaire et qu’il était nécessaire de procéder à une étude scientifique beaucoup plus approfondie de l’écosystème du lac Melville dans son ensemble pour comprendre les conditions de base actuelles et pour être en mesure de répondre aux questions à venir quant aux conséquences du Projet. Le demandeur a donné des exemples d’autres paramètres qui pouvaient être étudiés. Le MPO a répondu qu’il obligerait Nalcor à mettre en œuvre un programme ÉSEE pour satisfaire aux exigences de surveillance de la LCÉE et pour vérifier les prévisions précises de recherche environnementale fondamentale (affidavit de M. Finn, paragraphe 83). Le demandeur a également réclamé des mesures d’accommodement en exigeant du MPO, comme condition de l’autorisation, que Nalcor lui accorde un financement pour mener une étude exhaustive des niveaux de mercure pour servir de base à l’évaluation des risques pour la santé humaine et de procéder à une étude approfondie de l’écosystème du lac Melville pour que le demandeur soit en mesure de s’assurer qu’une étude préliminaire appropriée soit menée.

[74]           Le 15 avril 2013, le demandeur a écrit au MPO pour lui soumettre ses observations au sujet d’une ébauche du programme ÉSEE. Le demandeur a déclaré que le programme ÉSEE n’était pas suffisamment détaillé pour lui permettre de se faire une opinion ou pour déterminer s’il constituerait un outil de surveillance efficace dans la RRIL ou dans la région adjacente, ajoutant qu’on ne lui avait pas fourni de documents ou de détails complémentaires depuis qu’il avait fait connaître son opinion à Nalcor le 25 juillet 2013 et au MPO le 22 mars 2013. Le demandeur a déclaré que les consultations menées à la Phase 5 ne répondaient pas à la définition du mot « consulter » que l’on trouve dans l’Accord. Le demandeur a cité la recommandation 6.7 et a affirmé qu’une évaluation globale des effets en aval dans le lac Melville n’avait pas encore été effectuée et qu’aucune n’était prévue.

[75]           Le demandeur a affirmé que le programme ÉSEE reposait sur l’hypothèse de Nalcor suivant laquelle un programme de surveillance pouvait être mis en œuvre pour un système, en l’occurrence celui du lac Melville, que l’on ne connaissait pas bien. Le demandeur a ajouté que les aspects scientifiques fondamentaux de la surveillance exigeaient que le système à surveiller soit bien compris avant que l’on puisse mettre en place le programme de surveillance. Après avoir acquis une connaissance de base du réseau hydrographique du lac Melville, on pouvait élaborer un programme ÉSEE suffisamment détaillé. Le refus de Nalcor de procéder à l’analyse globale des effets en aval recommandés par la CEC faisait en sorte que le programme ÉSEE ne comportait pas suffisamment d’éléments de base et de détails pour permettre au demandeur de préparer son opinion. En n’obligeant pas Nalcor à procéder à une évaluation globale des effets en aval, le MPO ne respectait pas les droits du demandeur protégés par la Constitution, notamment celui d’être consulté. Le demandeur affirmait qu’il procédait à la seule évaluation globale des effets en aval conformément à la recommandation 6.7 et que cette évaluation comportait des aspects sur les niveaux de mercure, l’océanographie, le climat, les glaces marines, l’évaluation des risques pour la santé humaine et certains aspects socioéconomiques. Se fondant sur les résultats obtenus jusqu’à maintenant, l’on savait qu’une bonne partie des accumulations de mercure observées dans le lac Melville provenait du fleuve Churchill et que l’influence du mercure provenant du fleuve Churchill pouvait être détectée à au moins 150 km de l’embouchure du fleuve. Le demandeur a de nouveau demandé au MPO d’obliger Nalcor d’assortir l’octroi de l’autorisation de la condition de fournir un financement au demandeur pour qu’il puisse procéder à l’évaluation globale des effets en aval.

[76]           Le 30 mai 2013, le MPO a répondu aux observations formulées par le demandeur au sujet du programme ÉSEE. Le MPO a déclaré qu’il était d’avis que le programme était suffisamment détaillé pour permettre au demandeur de préparer son opinion et de formuler des commentaires à ce sujet. Se fondant sur les commentaires qu’il avait jusqu’alors recueillis, le MPO obligerait Nalcor à ajouter au programme ÉSEE certains détails complémentaires dans les protocoles pour procéder à des échantillons de poissons et de phoques et pour analyser les taux de méthylmercure alors indiqués dans les rapports de surveillance sur les données de base. Quant à la recommandation 6.7, le Canada expliquait dans sa réponse que Nalcor serait tenue de recueillir des données de base additionnelles sur la bioaccumulation de méthylmercure dans le poisson et l’habitat du poisson en aval de Muskrat Falls avant la mise en eau. Nalcor a recueilli ces renseignements en 2011 et 2012, y compris dans le lac Melville, et continuerait à recueillir des données avant la mise en eau. Le MPO a également expliqué que l’objectif premier d’un plan de surveillance ou de suivi des effets environnementaux était de vérifier des pronostics précis faits par le promoteur d’un projet durant une évaluation environnementale, surtout lorsqu’il pouvait y avoir de l’incertitude sur la gravité ou l’ampleur d’un impact possible. Les programmes ÉSEE ne sont pas conçus ni mis en œuvre en vue de l’étude d’un milieu ou des changements qu’il subit dans son ensemble. Le programme ÉSEE de Nalcor prenait en compte les pronostics qui, selon le MPO, nécessitaient une vérification par des mesures de surveillance, notamment de la bioaccumulation du méthylmercure dans le poisson. Quant à l’opinion du demandeur suivant laquelle le MPO ne respectait pas son droit d’être consulté, le MPO a déclaré qu’il consultait le demandeur conformément au Protocole de la phase réglementaire qui avait été élaboré en fonction et en conformité de l’Accord. Enfin, quant à la demande de financement du demandeur, le demandeur a déclaré qu’il fixait habituellement les exigences de surveillance et de rapport auquel le demandeur devait satisfaire pour pouvoir obtenir l’autorisation prévue à l’article 35 de la Loi sur les pêches sans préciser qui le promoteur doit engager pour mettre en œuvre ces mesures. Le MPO obligerait Nalcor à mettre les données et les résultats bruts du programme ÉSEE à la disposition des intéressés et inciterait le demandeur à discuter directement avec Nalcor de la possibilité de partager les résultats de la surveillance et d’une possible collaboration en matière de surveillance directement avec Nalcor.

[77]           À la suite de diverses communications entre Nalcor et le MPO, Nalcor a soumis son programme ÉSEE et son plan CHP révisé et définitif le 26 juin 2013 et le MPO a informé Nalcor le lendemain qu’il trouvait ces documents acceptables et qu’ils seraient annexés à l’autorisation en tant que conditions.

[78]           Le 28 juin 2013, le MPO a, au nom du Canada, répondu aux lettres du demandeur du 11 novembre 2011 et du 24 juillet 2012 en répondant aux questions qui y étaient soulevées point par point. Le MPO a déclaré que le gouvernement fédéral avait tenu compte de ces préoccupations lorsqu’il avait répondu au Rapport de la CEC, ainsi qu’il était précisé dans la Réponse du Canada. En ce qui concerne les craintes exprimées par le demandeur quant aux effets négatifs importants que des avis relatifs à la consommation ou d’autres effets étaient susceptibles de causer et les demandes formulées par le demandeur en vue de participer à une structure de gestion de haut niveau et quant à sa demande que la délivrance de tout permis soit assujettie à la condition qu’un libellé général portant sur un mécanisme d’indemnisation soit prévu , le MPO a répondu qu’une structure de gestion de haut niveau n’était pas envisagée pour le Projet, mais que le MPO et TC consulteraient le demandeur dans le cadre de leurs fonctions réglementaires et que le MPO avait déjà consulté le demandeur au sujet du programme ÉSEE du plan CHP comme condition de délivrance de l’autorisation prévue par la Loi sur les pêches. De plus, le MPO a expliqué qu’il obligerait Nalcor à recueillir des données sur les niveaux de méthylmercure dans le poisson et le phoque dans le cadre du programme ÉSEE et qu’il transmettrait les données en question à Santé Canada pour obtenir son avis sur les niveaux de consommation, et que Nalcor était chargée de relayer ces renseignements au demandeur et de publier des avis relatifs à la consommation. Enfin, le libellé général réclamé ne serait pas incorporé comme condition des autorisations ou des approbations, car il ne pourrait constituer une condition exécutoire en vertu de la Loi sur les pêches ou de la LPEN.

[79]           Quant aux préoccupations formulées par le demandeur au sujet de la surveillance et de l’évaluation des effets environnementaux et de sa suggestion d’être financé pour élaborer et mettre en œuvre un programme conçu expressément pour établir des conditions de base se rapportant directement aux droits des Inuits, le MPO a expliqué qu’avant d’accorder l’autorisation prévue au paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches et de permettre toute mise en eau, il exigerait que Nalcor recueille d’autres données de base tant dans le réservoir de Muskrat Falls qu’en aval de Muskrat Falls jusqu’à la région de Goose Bay et du lac Melville, y compris des données sur le poisson et l’utilisation de l’habitat naturel ainsi que les niveaux de mercure présents chez les poissons et les phoques. Le MPO exigerait que Nalcor mette en œuvre un programme pluriannuel complet de surveillance et de rapport sur la bioaccumulation de méthylmercure dans le poisson et dans le phoque dans ces régions après la construction du réservoir de Muskrat Falls. Il exigerait en outre que Nalcor réalise un projet pluriannuel de surveillance et de rapport à la suite du Projet en aval du lac Melville concernant divers paramètres, y compris les nutriments, la production primaire, l’utilisation de l’habitat du poisson et le transport des sédiments pour être en mesure d’évaluer les changements subis par l’habitat du poisson en aval. Les exigences en matière de surveillance affectant toute autorisation accordée en vertu de la Loi sur les pêches relèvent de Nalcor et celles associées à la bioaccumulation de mercure seraient précisées dans le programme ÉSEE soumis à l’examen du demandeur pour qu’il donne une rétroaction avant la rédaction de la version définitive. Le MPO priait dans sa lettre le demandeur de l’excuser pour sa réponse tardive, mais signalait que les consultations sur les approbations prévues par les règlements avaient eu lieu depuis les lettres du demandeur.

[80]           Le demandeur a réitéré ses préoccupations dans la lettre qu’il a adressée au ministre des Pêches et des Océans le 2 juillet 2013. Il a déclaré que, tant avant qu’après le déroulement du processus d’ÉE, Nalcor n’avait pas fourni de mesures de base solides ou procédé à des recherches suffisantes pour décrire l’environnement en aval qui subirait des impacts en raison du Projet, particulièrement au lac Melville.

[81]           De plus, la Réponse du Canada à la recommandation 6.7 était une simplification extrême de son intention. La réponse supprimait la nécessité de comprendre l’environnement en aval au niveau global et la capacité de modéliser ou de prédire les impacts en aval avant l’inondation. Cette simplification a été reprise dans le programme ÉSEE qui exigeait la cueillette de données de base sur le méthylmercure seulement en ce qui concerne le poisson et le phoque, de sorte que les impacts en aval concernant le mercure ne seraient détectés qu’une fois que les concentrations auraient augmenté dans les aliments traditionnels que les Inuits consomment et dont ils dépendent pour leur santé. Le demandeur affirmait que des prédictions exactes étaient essentielles pour permettre la prise de mesures d’atténuation préventives. À défaut de bien comprendre les voies de cheminement et le sort du mercure, les seules mesures d’atténuation possibles seraient la publication d’avis relatifs à la consommation, qui constitueraient une menace à la santé et à la sécurité alimentaire des Inuits et porteraient atteinte aux droits de ces derniers. Le demandeur a déclaré qu’il considérait toute augmentation dans les concentrations de mercure en aval comme un effet important indépendamment des avis concernant les cueillettes qui ne constitueraient qu’une mesure d’atténuation de dernier recours pour laquelle une indemnité devrait être prévue.

[82]           Le demandeur a également déclaré que, même si la CEC avait conclu qu’il fallait résoudre l’incertitude quant à la nécessité de publier les avis relatifs à la consommation au‑delà de l’embouchure du fleuve Churchill avant de procéder au remplissage du réservoir, le MPO ne demandait pas à Nalcor de mener des travaux importants à cet égard. Le demandeur a affirmé qu’une plus grande certitude était nécessaire en ce qui concerne les prédictions concernant les effets en aval et que, pour ce faire, il fallait avoir une compréhension de l’ensemble du réseau hydrographique du lac Melville et du comportement du mercure à l’intérieur de ce réseau en fonction de Muskrat Falls. Il a ajouté que les données de recherche préliminaires qu’il avait recueillies confirmaient ses doutes. Le demandeur a fait valoir que le MPO devait modifier les conditions de son autorisation et que le programme ÉSEE devait tenir compte de ses recherches préliminaires et répondre à ses préoccupations.

[83]           Le demandeur a affirmé que l’indifférence totale du MPO fasse aux préoccupations exprimées par les Inuits pendant tout le processus d’ÉE, notamment dans sa réponse du 30 mai 2013, démontrait son absence de consultation de bonne foi et de mesures d’accommodement. La lettre énumérait trois sujets de préoccupation qui exigeaient l’intervention du ministre dans les décisions prises par le MPO. En voici le résumé :

       la nécessité d’un rapport global sur les données de base recueillies sur le mercure dans l’eau, les sédiments et le biote indiquant également toutes les voies de cheminement possibles du mercure à travers le réseau alimentaire en aval du projet, y compris dans le lac Melville, pour fournir les connaissances environnementales de base essentielles pour pouvoir prédire les effets en aval pouvant résulter d’une inondation, ainsi que la formulation d’un programme ÉSEE et de consultations véritables au sujet de ce programme;

       bien que l’élimination totale des concentrations accrues de mercure et de méthylmercure en aval puisse être impossible, la principale et unique mesure d’atténuation qui serait susceptible de réduire le risque ou les concentrations de mercure avant l’inondation consiste à procéder à un déboisement complet du secteur du réservoir, y compris des arbres et de la couche supérieure de matières organiques. La première mesure concrète d’accommodement consisterait à exiger cette action;

       les avis relatifs à la consommation ne constituent pas une approche acceptable en matière d’atténuation étant donné que les droits et le bien‑être des Inuits ne pouvaient être compromis en contrepartie d’avantages économiques. Toute éventuelle augmentation dans les concentrations de mercure ou de méthylmercure en aval constituerait une violation directe des droits de la personne, des droits issus de traités et des droits individuels des Inuits.

[84]           Le 9 juillet 2013, l’autorisation de mener le Projet a été délivrée à Nalcor conformément aux alinéas 32(2)c) et 35(2)b) de la Loi sur les pêches; elle permet la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson et l’autorisation de tuer le poisson. C’est l’autorisation dont le demandeur a demandé le contrôle judiciaire.

[85]           L’autorisation compte onze pages et énumère plusieurs conditions dont est assortie l’autorisation. Voici un résumé de quelques‑unes des conditions qui nous intéressent particulièrement en l’espèce :

       La condition 1.1 prévoit que, si de l’avis du MPO, les effets autorisés sur le poisson et l’habitat du poisson sont plus importants que ce qui avait d’abord été prévu, le MPO peut suspendre tout ouvrage, entreprise, activité et/ou opération associés au développement projeté pour éviter ou atténuer les effets négatifs sur le poisson et l’habitat du poisson. Le MPO peut également ordonner à Nalcor de procéder aux modifications, travaux ou activités nécessaires pour éviter ou atténuer les effets négatifs en question. Si le MPO est d’avis que des effets négatifs plus importants que ceux prévus par les parties sont susceptibles de se produire, il peut également modifier ou annuler l’autorisation.

       La condition 1.4 oblige Nalcor à entreprendre le Projet conformément à l’ÉIE, au Plan de protection environnementale du Projet et au plan CHP.

       La condition 6 oblige Nalcor à mettre en œuvre un programme ÉSEE pour vérifier et surveiller les effets prévus du Projet sur le poisson et l’habitat du poisson, notamment les effets en aval liés au Projet, la bioaccumulation de méthylmercure dans le poisson et l’entraînement du poisson à l’usine de l’installation de Muskrat Falls conformément aux conditions 6.1 à 6.5. Nalcor devra pour ce faire surveiller annuellement la bioaccumulation de méthylmercure pour déterminer ses niveaux dans les espèces de poissons résidents, y compris les phoques, tant à l’intérieur du réservoir qu’en aval conformément à un échéancier de surveillance établi, de même que l’obligation d’inscrire et de signaler les niveaux maximums et le retour subséquent à la normale (condition 6.3). Il y a également plusieurs mécanismes de communication d’information et notamment des rapports annuels et des rapports complets quinquennaux sur le programme ÉSEE à compter de 2023.

[86]           Par lettre datée du 9 juillet 2013, le MPO a informé le demandeur que l’autorisation avait été délivrée et il lui en a fait parvenir une copie.

[87]           Par la suite, le ministère des Pêches et des Océans a, par lettre datée du 12 juillet 2013 adressée au demandeur, abordé plusieurs questions, y compris le fait que lors de la rencontre du 12 février 2013, le demandeur avait présenté des renseignements concernant son intérêt à l’égard d’un programme de recherche et de surveillance en aval. Le ministre a déclaré que, comme il l’avait expliqué dans la Réponse du Canada, le MPO obligerait Nalcor à mettre en œuvre un programme pluriannuel complet de surveillance et de rapports sur la bioaccumulation de méthylmercure dans le poisson tant avant qu’après la création du réservoir. Bien que l’autorisation avait déjà été délivrée, le ministre a déclaré que Nalcor avait élaboré un programme ÉSEE qui avait été examiné par le MPO et qu’une fois approuvé, il deviendrait une condition de l’autorisation prévue à l’article 35 de la Loi sur les pêches. Le ministre s’est également référé à la lettre du 28 février 2013 dans laquelle ses fonctionnaires encourageaient le demandeur à participer à l’examen du programme ÉSEE et a de nouveau encouragé le demandeur à contribuer avec le MPO à rédiger la version définitive des conditions que le MPO imposerait à Nalcor dans l’autorisation. Le ministre a également fait observer que le MPO n’avait aucun rôle à jouer dans les décisions de Nalcor sur l’identité de la personne engagée pour procéder à la surveillance exigée par l’autorisation.

[88]           Le 27 août 2013, le ministre a écrit au demandeur pour répondre à sa lettre du 2 juillet 2013, qui signalait que la CEC avait examiné les prévisions concernant la bioaccumulation de méthylmercure pouvant découler du Projet et la nécessité d’avis relatifs à la consommation. De plus, le Canada se disait d’accord avec l’esprit des recommandations de la CEC relativement aux effets en aval. Conformément à la Réponse du Canada, le MPO exigeait que Nalcor recueille des données de base additionnelles sur la bioaccumulation de méthylmercure dans le poisson et l’habitat du poisson en aval de Muskrat Falls avant la mise en eau et à ce qu’elle procède à la mise en œuvre d’un programme complet de longue durée pour surveiller la bioaccumulation de méthylmercure dans le poisson (y compris le phoque) en aval de Muskrat Falls et jusqu’au lac Melville. La surveillance prévue par le programme ÉSEE devait faire suite aux prévisions suivant lesquelles la bioaccumulation de méthylmercure en aval du réservoir et particulièrement dans le lac Melville n’aurait pas d’effet négatif important. Il était nécessaire de procéder à une surveillance et à un suivi de ce genre pour vérifier des prévisions précises plutôt que de fournir des connaissances fondamentales de l’environnement.

[89]           Le ministre a également fait observer que le MPO avait consulté le demandeur lors de son examen du programme ÉSEE et lors de l’élaboration des conditions de l’autorisation et qu’il avait tenu compte des observations et des avis qu’il avait reçus du demandeur, ce qui l’avait amené à faire certains ajouts aux plans de surveillance. Le MPO avait également procédé à des examens rigoureux des plans de surveillance. Quant à l’affirmation suivant laquelle l’enlèvement des arbres et des matières organiques du réservoir constituerait une mesure d’atténuation appropriée, le Canada se disait d’accord dans sa réponse avec les recommandations de la CEC sur la question, sans toutefois s’engager à réaliser une étude pilote ou à effectuer les autres mesures recommandées à cet égard. Le ministre a fait observer que les exigences concernant le déboisement relevaient de la législation provinciale. Il a déclaré qu’il était convaincu que la surveillance suffisait pour vérifier les prévisions concernant les effets aquatiques en aval et qu’elle permettrait au Canada de continuer à prendre des décisions qui tiennent compte des intérêts du demandeur.

III.             Questions en litige

[90]           Suivant le demandeur, la question en litige est la suivante :

1.      Les droits que lui garantissent le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11 [Loi constitutionnelle de 1982] et l’Accord et, en particulier, son droit d’être consulté et d’être accommodé, ont‑ils été respectés? Pour résoudre cette question, il faut déterminer :

a.       si le processus de consultation a été correctement suivi et s’il respectait les normes prévues par l’Accord et par la Loi constitutionnelle de 1982;

b.      si le MPO a de bonne foi tenu pleinement compte de l’opinion du demandeur avant de délivrer l’autorisation.

[91]           Le Canada formule les questions en litige sous forme d’affirmations, à savoir :

1.      La teneur de l’obligation de consulter est définie par l’Accord;

2.      Les mesures de consultation prises par le Canada étaient raisonnables.

[92]           Quant à Nalcor, elle affirme que les questions en litige sont les suivantes :

1.      Quelle norme de contrôle s’applique à l’autorisation?

2.      Le MPO s’est‑il acquitté de l’obligation de consultation de la Couronne et, au besoin, a‑t‑il accommodé le demandeur en ce qui concerne l’autorisation?

[93]           À mon avis, on peut reformuler comme suit les questions en litige :

1.      Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.      Quelle est la teneur de l’obligation de consulter et d’accommoder et, plus précisément :

a.       L’Accord définit‑il de façon exhaustive l’obligation de consulter de la Couronne?

b.      Quelles étaient la portée et l’étendue de l’obligation de consulter et de l’éventuelle obligation d’accommoder en l’espèce?

3.      Le Canada a‑t‑il rempli son obligation de consulter et d’accommoder?

Question 1 : Quelle est la norme de contrôle applicable?

Thèse du demandeur

[94]           Le demandeur affirme que la décision du Canada de délivrer l’autorisation est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte. L’obligation de consulter en l’espèce découle de la common law et doit être située dans le contexte précis de l’Accord, qui est un traité moderne aux fins du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. La Cour suprême du Canada a défini la norme de contrôle applicable lorsqu’il s’agit de déterminer si des consultations ont eu lieu dans le cadre d’un traité moderne (Beckman c Première Nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, au paragraphe 48 [Little Salmon]; Nation haïda c Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73 [Nation haïda]).

[95]           Les exigences de l’obligation de consulter sont définies en fonction de la norme de la décision correcte. Ce n’est que lorsque les consultations sont adéquates que la question de savoir si la décision de délivrer l’autorisation était raisonnable se pose.

Thèse du Canada

[96]           Le Canada est d’accord pour dire que la question de la teneur de l’obligation de consulter est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Conseil des Innus de Ekuanitshit c Canada (Procureur général), 2013 CF 418, au paragraphe 97 [Ekuanitshit CF]; Little Salmon, au paragraphe 48), mais affirme que la question de savoir si, par ses efforts, le Canada s’est acquitté de son obligation de consultation est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Ekuanitshit CF, au paragraphe 97; Première Nation de Katlodeeche c Canada (Procureur général), 2013 CF 458, aux paragraphes 126 et 127 [Katlodeeche]; Cold Lake First Nations c Alberta (Tourism, Parks and Recreation), 2013 ABCA 443, aux paragraphes 37 à 39, autorisation d’appel à la CSC refusée, [2014] CSCR no 62 [Cold Lake]).

Thèse de Nalcor

[97]           Nalcor affirme que, dans la mesure où le demandeur conteste la décision prise par le ministre sous le régime de la Loi sur les pêches, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable et qu’il y a lieu de faire preuve de déférence, sauf si le ministre a pris sa décision de mauvaise foi ou que cette dernière repose sur des considérations non pertinentes (Malcolm c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2013 CF 363, au paragraphe 57; Vancouver Island Peace Society c Canada, [1992] 3 CF 42 (CF 1re inst), aux paragraphes 7 et 12; Alberta Wilderness Assn c Express Pipelines Ltd, 137 DLR (4th) 177 (CAF), au paragraphe 10; Alberta Wilderness Assn c Cardinal River Coals Ltd, [1999] 3 CF 425 (CF 1re inst), aux paragraphes 24 à 26).

[98]           Pour ce qui est de la question de savoir si les consultations et les mesures d’accommodement étaient suffisantes, Nalcor affirme que la question de l’ampleur de cette obligation est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte étant donné que les obligations légales sont expressément énoncées dans l’Accord (Haïda, au paragraphe 61; Accord, article 11.6.2). Toutefois, lorsque l’étendue de ces obligations dépend de conclusions de fait, la norme applicable est celle de la décision raisonnable (Haïda, aux paragraphes 61, 63; Première Nation de Ka’a’Gee Tu c Canada (Procureur général), 2012 CF 297 [Ka’a’Gee Tu no 2], aux paragraphes 91 et 121; Accord, article 1.1.1). Enfin, la question de savoir si le processus de consultation a été mené correctement commande la déférence, étant donné que cette question implique des conclusions de fait et l’application de la loi aux faits (Cold Lake, au paragraphe 39; Première Nation Tlingit de Taku River c Colombie‑Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, au paragraphe 40 [Taku River]; Ka’a’Gee Tu no 2, aux paragraphes 91 et 121).

Analyse

[99]           Il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse de la norme de contrôle dans chaque cas. En effet, lorsque la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à une question particulière, la juridiction de révision peut adopter cette norme (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62 [Dunsmuir]; Innus de Ekuanitshit c Canada (Procureur général), 2014 CAF 189, au paragraphe 38, autorisation d’appel à la CSC refusée, [2014] CSCR no 466 [Ekuanitshit CAF]).

[100]       Dans l’arrêt Nation haïda, la Cour suprême du Canada a examiné la question de la norme de contrôle applicable à l’obligation de consulter :

[61]      Quant aux questions de droit, le décideur doit, en règle générale, rendre une décision correcte : voir, par exemple, Paul c. Colombie‑Britannique (Forest Appeals Commission), [2003] 2 R.C.S. 585, 2003 CSC 55. Par contre, en ce qui a trait aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit, l’organisme de révision peut devoir faire preuve de déférence à l’égard du décideur. L’existence et l’étendue de l’obligation de consulter ou d’accommoder sont des questions de droit en ce sens qu’elles définissent une obligation légale. Cependant, la réponse à ces questions repose habituellement sur l’appréciation des faits. Il se peut donc qu’il convienne de faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait du premier décideur. La question de savoir s’il y a lieu de faire montre de déférence et, si oui, le degré de déférence requis dépendent de la nature de la question dont était saisi le tribunal administratif et de la mesure dans laquelle les faits relevaient de son expertise : Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20; Paul, précité. En l’absence d’erreur sur des questions de droit, il est possible que le tribunal administratif soit mieux placé que le tribunal de révision pour étudier la question, auquel cas une certaine déférence peut s’imposer. Dans ce cas, la norme de contrôle applicable est vraisemblablement la norme de la décision raisonnable. Dans la mesure où la question est une question de droit pur et peut être isolée des questions de fait, la norme applicable est celle de la décision correcte. Toutefois, lorsque les deux types de questions sont inextricablement liés entre eux, la norme de contrôle applicable est vraisemblablement celle de la décision raisonnable : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748.

[62]           Le processus lui‑même devrait vraisemblablement être examiné selon la norme de la décision raisonnable. La perfection n’est pas requise; il s’agit de se demander si, « considéré dans son ensemble, le régime de réglementation [ou la mesure gouvernementale] respecte le droit ancestral collectif en question » : Gladstone, précité, par. 170. Ce qui est requis, ce n’est pas une mesure parfaite, mais une mesure raisonnable. Comme il est précisé dans Nikal, précité, par. 110, « [l]e concept du caractère raisonnable doit [. . .] entrer en jeu pour ce qui [. . .] concern[e] l’information et la consultation. [. . .] Dans la mesure où tous les efforts raisonnables ont été déployés pour informer et consulter, on a alors satisfait à l’obligation de justifier. » Le gouvernement doit déployer des efforts raisonnables pour informer et consulter. Cela suffit pour satisfaire à l’obligation.

[63]           Si le gouvernement n’a pas bien saisi l’importance de la revendication ou la gravité de l’atteinte, il s’agit d’une question de droit qui devra vraisemblablement être jugée selon la norme de la décision correcte. Si le gouvernement a raison sur ces points et agit conformément à la norme applicable, la décision ne sera annulée que si le processus qu’il a suivi était déraisonnable. Comme il a été expliqué précédemment, l’élément central n’est pas le résultat, mais le processus de consultation et d’accommodement.

[101]       Jusqu’à l’arrêt ultérieur Little Salmon de la Cour suprême, le passage précité de l’arrêt Nation haïda avait toujours été interprété comme signifiant que la portée ou l’étendue de l’obligation de consulter – sa teneur – était assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable, tandis que le caractère adéquat de la consultation exigeait que l’on analyse le contexte factuel et que l’on applique la norme de contrôle de la décision raisonnable (Katlodeeche, aux paragraphes 126 et 127; Première Nation de Ka’a’gee Tu c Canada (Procureur général)), 2007 CF 763, aux paragraphes 92 et 93 [Ka’a’Gee Tu no 1]).

[102]       Ainsi que le juge de Montigny l’a déclaré dans la décision Ka’a’Gee Tu no 2 :

[89]      […] Une cour de révision doit faire montre de très peu de déférence à l’égard du décideur lorsqu’elle détermine si l’obligation de consultation s’applique ou lorsqu’elle limite la portée et l’étendue de l’obligation en tenant compte des limites légales et constitutionnelles. Par ailleurs, c’est la norme de la raisonnabilité qui s’applique à la question de savoir si la Couronne s’est acquittée de son obligation de consultation et d’accommodement.

(Voir également Katlodeeche, aux paragraphes 126 et 127).

[103]       Dans l’arrêt Little Salmon, la Cour suprême a dit ce qui suit au sujet de la question de la norme de contrôle applicable :

[48]      Dans l’exercice des pouvoirs discrétionnaires que lui confèrent la Loi sur les terres et la Loi du Yukon sur les terres territoriales, le directeur devait respecter les limites légales et constitutionnelles. En ce qui a trait à la détermination de ces limites, on n’a pas à faire preuve de déférence à l’endroit du directeur. La norme de contrôle à cet égard, y compris à l’égard du caractère adéquat de la consultation, est celle de la décision correcte. Un décideur qui rend une décision fondée sur une consultation inadéquate commet une erreur de droit. Dans les limites établies par le droit et la Constitution, toutefois, la décision du directeur doit être examinée selon la norme de la raisonnabilité : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339. En d’autres mots, s’il y a eu consultation adéquate, la décision du directeur d’approuver la concession de terres à M. Paulsen se situait‑elle, compte tenu de toutes les considérations pertinentes, dans la gamme des résultats raisonnables?          [Non souligné dans l’original]

[104]       Voici notamment ce que la Cour suprême a déclaré dans son analyse de la question du caractère adéquat des consultations :

[72]      Le pourvoi incident de la première nation porte sur le caractère adéquat de la consultation. Ce qui s’est passé (ou ne s’est pas passé) entre les parties doit être évalué à la lumière du rôle et de la fonction de la consultation au regard des faits de l’espèce, et de la question de savoir si cet objectif a été rempli au regard des faits.

[105]       Dans l’arrêt Ekuanitshit CF, confirmé par 2014 CAF 189, autorisation d’appel à la CSC refusée à [2014] CSCR no 466, qui concernait également le présent Projet, notre Cour s’est penchée sur une contestation de la légalité du Décret du 12 mars 2012 entérinant la Réponse du Canada au Rapport de la CEC ainsi que la décision quant à la marche à suivre. Pour répondre à la question de savoir si les Innus d’Ekuanitshit avaient été consultés et accommodés convenablement, le juge Scott, se fondant sur l’arrêt Nation haïda, a conclu que le consensus qui se dégageait de la jurisprudence était qu’une question portant sur l’existence et la teneur de l’obligation de consultation était une question de droit qui commandait la norme de la décision correcte. En revanche, la question de savoir si la Couronne avait fait des efforts raisonnables pour s’acquitter de son obligation de consultation dans une situation déterminée exigeait que l’on évalue les faits de l’espèce au vu de la teneur de l’obligation, ce qui constituait une question mixte de fait et de droit assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Ekuanitshit CF, au paragraphe 98).

[106]       La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge Scott. Elle a fait observer que, saisie de l’appel d’un jugement en matière de contrôle judiciaire, le rôle qui lui incombait était de déterminer, dans un premier temps, si le juge de première instance avait identifié la norme de contrôle appropriée et, dans un second temps, s’il l’avait appliquée correctement. Quant à la question de l’obligation de consultation, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

[82]      Le juge a souligné dans ses motifs qu’une question portant sur l’existence et la teneur de l’obligation de consultation commandait la norme de la décision correcte. Il a également précisé que la question de savoir si la Couronne s’est acquittée de son obligation de consultation attire la norme de la décision raisonnable, car il s’agit d’une question mixte de fait et de droit. Dans la présente affaire, les parties reconnaissent que la Couronne a dès le départ reconnu son obligation de consultation. La question qui se pose dès lors n’est pas de décider si la Couronne a une obligation de consulter, mais plutôt de déterminer si par ses efforts la Couronne s’est adéquatement acquittée de son obligation de consultation. Or, comme l’a souligné le juge Binnie dans Beckman c. Première Nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103, aux paragraphes 48 et 77 [Little Salmon] la « norme de contrôle … à l’égard du caractère adéquat de la consultation, est celle de la décision correcte », mais cela doit tout de même « être évalué à la lumière du rôle et de la fonction de la consultation au regard des faits de l’espèce, et de la question de savoir si cet objectif a été rempli au regard des faits. »

[83]      C’est à travers ce prisme que seront examinées les prochaines questions.

[Nota : le renvoi au paragraphe 77 de l’arrêt Little Salmon de la Cour d’appel fédérale visait probablement également aussi le paragraphe 72]

[107]       Bien que la Cour d’appel fédérale cite le paragraphe 48 de l’arrêt Little Salmon, ce que l’on pourrait interpréter comme indiquant que la norme de contrôle de la décision correcte s’applique lorsqu’il s’agit de déterminer si les mesures prises par la Couronne étaient suffisantes pour s’acquitter de son obligation de consultation, la Cour d’appel n’a pas affirmé que le juge Scott avait commis une erreur en concluant que la norme de contrôle applicable à cet égard était celle de la décision raisonnable. L’analyse à laquelle la Cour d’appel fédérale a ensuite procédé visait surtout à déterminer si, vu l’ensemble des faits de l’espèce, le processus de consultation suivi jusqu’alors par le Canada était suffisant et si la consultation effectuée à ce jour par la Couronne était suffisante et répondait aux critères de la proportionnalité en prenant en compte non seulement la solidité de la revendication des Innus, mais également la gravité de l’incidence négative que la mesure gouvernementale proposée aurait sur le droit revendiqué. La Cour d’appel a conclu que le juge Scott n’avait pas commis d’erreur en concluant que les Innus avaient été adéquatement consultés avant la prise du Décret du gouverneur en conseil.

[108]       Dans la décision White River First Nation c Yukon (Minister of Energy, Mines and Resources), 2013 YKSC 66 [White River], la Cour suprême du Yukon cite les paragraphes 61 à 63 de l’arrêt Nation haïda, ainsi que le paragraphe 48 de l’arrêt Little Salmon, et conclut :

[traduction]

[92]      La norme de contrôle peut être celle de la décision correcte si la question en litige se rapporte aux obligations légales et constitutionnelles du directeur, c’est‑à‑dire si elle porte sur l’existence et l’étendue de l’obligation de consulter et d’accommoder. En revanche, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique au processus de consultation parce que celui‑ci dépend des efforts raisonnables déployés par le gouvernement pour informer et consulter.

[109]       Dans l’arrêt Cold Lake, la Cour d’appel de l’Alberta (autorisation d’appel à la CSC refusée) cite également l’arrêt Little Salmon, qu’elle interprète comme suit :

[traduction]

[36]      Le ministère des Parcs affirme que le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire a commis une erreur en appliquant la norme de la décision correcte à la question du caractère adéquat du processus de consultation et que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’appliquait tant au processus de consultation qu’à la décision elle‑même.

[37]      Nous sommes du même avis. Dans l’arrêt Nation haïda, la Cour suprême a jugé que l’existence et l’étendue de l’obligation de consulter et d’accommoder (y compris l’appréciation de la solidité de la revendication et de la gravité de l’effet préjudiciable) sont des questions de droit assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte (au paragraphe 61). Toutefois, lorsque ces questions sont imprégnées de questions de fait ou de questions mixtes de fait et de droit, il se peut qu’il convienne de faire preuve de déférence à l’égard des conclusions tirées par le premier décideur : « [c]e qui est requis, ce n’est pas une mesure parfaite, mais une mesure raisonnable » (au paragraphe 62). La juge en chef McLachlin a déclaré ce qui suit :

Si le gouvernement n’a pas bien saisi l’importance de la revendication ou la gravité de l’atteinte, il s’agit d’une question de droit qui devra vraisemblablement être jugée selon la norme de la décision correcte. Si le gouvernement a raison sur ces points et agit conformément à la norme applicable, la décision ne sera annulée que si le processus qu’il a suivi était déraisonnable. Comme il a été expliqué précédemment, l’élément central n’est pas le résultat, mais le processus de consultation et d’accommodement (au paragraphe 63).

[38]      Notre Cour a suivi ce raisonnement dans l’arrêt Tsuu T’ina en déclarant que la question de savoir s’il existait une obligation de consulter et celle de l’appréciation de l’étendue de cette obligation étaient des questions assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte et qu’il y avait lieu de faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de fait tirées à ce sujet, tandis que le processus de consultation était, pour sa part, assujetti à la norme de contrôle de la décision raisonnable (aux paragraphes 27 à 29). On a évoqué la possibilité, dans la jurisprudence récente, que dans l’arrêt Beckman, la Cour suprême avait peut‑être modifié la norme de contrôle applicable à l’évaluation du processus de consultation en l’assujettissant désormais à la norme de contrôle de la décision correcte. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a appliqué la norme de contrôle de la décision correcte pour examiner le processus de consultation dans Halalt First Nation c British Columbia (Minister of Environment), 2012 BCCA 472, [2013] 1 WWR 791. La Cour d’appel a souscrit à l’analyse du juge de première instance suivant laquelle il pouvait convenir de faire preuve de déférence envers les conclusions de fait tirées par un tribunal neutre chargé d’évaluer le processus de consultation. Toutefois, lorsque le premier décideur est un représentant de la Couronne ou une des parties au litige, il n’y a pas lieu de faire preuve d’autant de déférence. Nous constatons que cette distinction n’a pas été formulée par la Cour suprême et que bon nombre d’autres tribunaux en sont venus à la conclusion que le caractère adéquat du processus de consultation soulevait des questions mixtes de fait et de droit qui étaient assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable : voir Neskonlith Indian Band c Salmon Arm (City), 2012 BCCA 379, 354 DLR (4th) 696, Première Nation de Long Plain c Canada (Procureur général), 2012 CF 1474, au paragraphe 65, [2013] 1 CNLR 184; Dene Tha’ First Nation c British Columbia (Minister of Energy and Mines), 2013 BCSC 977 aux paragraphes 103 à 108, West Moberly First Nations c British Columbia (Ministry of Energy, Mines and Petroleum Resources), 2011 BCCA 247, 333 DLR (4th) 31.

[39]      À notre avis, l’obligation de consulter est définie en des termes très généraux et la façon de respecter cette obligation bénéficie d’une grande souplesse. La Couronne a toute latitude pour préciser la manière dont elle souhaite structurer le processus de consultation. Ainsi que la juge Garson (dissidente quant au résultat) l’a fait observer dans l’arrêt West Moberly First Nations, le processus de consultation exige que l’on fasse des compromis et un compromis est [traduction] « un élément difficile, voire impossible, à évaluer selon la norme de la décision correcte » (au paragraphe 197). L’évaluation du caractère adéquat du processus de consultation implique nécessairement des conclusions de fait et l’application de la loi aux faits, ce qui commande nécessairement la déférence en appel.

[40]      Par conséquent, nous concluons que la norme de contrôle applicable en ce qui concerne tant la question du caractère adéquat du processus de consultation que la décision finale de mettre fin aux consultations et de mettre le projet à exécution est celle de la norme de la décision raisonnable.

[110]       Dans l’arrêt West Moberly First Nations c British Columbia (Minister of Energy, Mines and Petroleum Resources), 2011 BCCA 247, autorisation d’appel à la CSC refusée, [2011] CSCR no 399 [West Moberly], cité dans l’arrêt Cold Lake, le juge en chef Finch (maintenant retraité) (motifs de jugement distincts rédigés par le juge Hinkson et par la juge Garson) n’a pas directement traité de la question de la norme de contrôle applicable à l’étendue de l’obligation de consulter, mais a effectivement signalé que la question qui se posait était celle de savoir si le processus de consultation était raisonnable (paragraphe 141). Il a également déclaré que [traduction« une consultation qui découle d’une mauvaise interprétation du traité ou des droits que le traité protège est une consultation entachée d’une erreur de droit qui ne saurait par conséquent être considérée comme raisonnable » (au paragraphe 151). Le juge Hinkson a, dans ses motifs concourants, accepté que la norme de contrôle applicable dans les affaires de consultation portant sur l’évaluation de l’étendue de l’obligation de consulter de la Couronne était celle de la décision correcte et que la norme de contrôle appropriée lorsqu’il s’agissait d’évaluer le processus adopté dans le cas d’une consultation déterminée et des résultats de ce processus était celle de la décision raisonnable (paragraphe 174). Dans ses motifs dissidents, la juge Garson a examiné la question de la norme de contrôle applicable et, en particulier, le paragraphe 48 de l’arrêt Little Salmon et les paragraphes 61 à 63 de l’arrêt Nation haïda. Elle s’est dite d’avis que le fait que l’arrêt Little Salmon avait adopté une norme plus exigeante était attribuable au fait que cette affaire portait sur l’interprétation d’un traité moderne et global qui permettait d’établir une distinction entre cette affaire et celle dont elle était saisie. Elle a ensuite déclaré ce qui suit :

[traduction]

[196]    J’appliquerais donc la norme de la décision raisonnable à la question du caractère suffisant des consultations lorsque le traité historique ne prévoit pas le degré de précision nécessaire pour déterminer ce qui constitue un processus « correct ».

[197]    Ainsi qu’il a été jugé dans l’arrêt Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650, au paragraphe 74, « [l]a consultation ne constitue pas comme telle une question de droit, mais une démarche constitutionnelle distincte exigeant le pouvoir de transiger et d’accomplir tout ce qui est nécessaire pour concilier des intérêts divergents de la Couronne et des Autochtones ». Il est difficile, voire impossible d’évaluer une transaction ou un compromis selon la norme de la décision correcte.

[198]    En résumé, la détermination de la portée et de l’étendue de l’obligation de consultation à laquelle la Couronne est soumise doit être contrôlée selon la norme de la décision correcte. Mais la troisième question posée dans l’arrêt Taku quant au caractère adéquat de la consultation et de l’issue du procès doit être évaluée selon la norme de la décision raisonnable, étant donné que ces questions ne sont ni des questions de fait ni des questions mixtes de fait et de droit. Le processus de consultation doit également satisfaire aux normes du droit administratif de l’équité procédurale.

[111]       La question de savoir si l’arrêt Little Salmon avait modifié la norme de contrôle applicable a également été examinée dans la décision Dene Tha’ First Nation c British Columbia (Minister of Energy and Mines), 2013 BCSC 977, dans laquelle le juge Grauer de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a repris les paragraphes 61 à 63 de l’arrêt Nation haïda en faisant observer que, dans cet arrêt, la Cour suprême avait expliqué que la norme à appliquer aux décisions en matière de consultation comportait deux volets. Il a ensuite fait observer que cette approche avait été suivie par la juge Neilson de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique (maintenant juge de la Cour d’appel) dans la décision Wii’litswx c British Columbia (Minister of Forests), 2008 BCSC 1139, aux paragraphes 15 et 16.

[112]       Il a ensuite cité l’arrêt West Moberly en faisant observer que cette affaire portait aussi sur des droits prévus par le Traité no 8, et trois jugements distincts rendus par des juges de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique concernant la norme de contrôle. Voici ce que le juge Grauer a alors déclaré :

[traduction]

[104]    J’ouvre ici une parenthèse pour ajouter, en toute déférence, mes propres observations à ceux de la juge Garson au sujet de l’énigme posée par le choix de mots retenu par le juge Binnie dans l’arrêt Beckman lorsqu’il écrit qu’« [u]n décideur qui rend une décision fondée sur une consultation inadéquate commet une erreur de droit ». À première vue, cette affirmation semble incompatible avec les déclarations antérieures faites par la Cour suprême dans des arrêts comme Nation haïda et Taku River.

[105]    J’ai déjà examiné de quelle manière, comme la Cour suprême l’a expliqué dans l’arrêt Nation haïda, la norme de contrôle applicable à la question de la portée et de l’étendue de l’obligation peut passer de la norme de la décision correcte à celle de la décision raisonnable selon la mesure dans laquelle la décision combine de façon inextricable des questions de fait et de droit. Il me semble que, tant dans l’arrêt Beckman que dans l’arrêt West Moberly First Nations rendu par le juge en chef Finch, les raisons de croire que la véritable question revient à s’interroger sur le caractère adéquat du processus de consultation qui déterminera lui‑même, dans une certaine mesure, la justesse de l’étendue de l’obligation. En d’autres termes, si le processus ne permet pas d’obtenir un résultat raisonnable, il a probablement été mené selon une évaluation incorrecte de son étendue.

[106]    Une des caractéristiques distinctives de la présente affaire est que, du moins du point de vue de la Couronne, le processus de consultation est fluide et permanent. Du point de vue de la Première Nation Dene Tha’, cet état de fait ne peut corriger le fait que les choses sont parties du mauvais pied en raison d’une évaluation de la portée qui était erronée en droit et qui a été jugée selon la norme de la décision correcte.

[107]    Selon moi, il ressort toutefois clairement de la preuve que la conclusion que la Couronne a tirée quant à la portée et à l’étendue de son obligation de consulter était inextricablement liée à son évaluation de la question sous‑jacente des répercussions directes et éventuelles des 21 ventes foncières effectuées relativement aux droits issus de traités détenus par la Première Nation de Dene Tha’ dans le secteur d’intervention clé. La réponse à cette question dépend d’une analyse factuelle comme l’indiquent les rapports sur les effets concurrents et les perturbations. Ainsi, comme nous l’avons déjà indiqué, la question de la portée et de l’étendue de l’obligation de consulter est, en l’espèce, indissociable de celle du caractère adéquat des consultations.

[108]    La question de l’existence de l’obligation de consulter et, le cas échéant, de l’obligation d’accommoder est de toute évidence une question de droit, ce qui n’a jamais été remis en question en l’espèce. Non seulement la Couronne a reconnu l’existence d’une telle obligation depuis le début, mais elle a également conclu un accord de consultation avec la Première Nation Dene Tha’ en vue de viser le type même de situation que celle qui s’est présentée. S’agissant de l’évaluation que la Couronne a faite de la portée et de l’étendue de cette obligation, je conclus qu’eu égard aux circonstances de la présente affaire, la réponse à la question de savoir si l’évaluation de la Couronne était « correcte » dépend de la réponse à la question de savoir si le fondement de cette évaluation était « raisonnable ». Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit de sorte que la norme applicable devient celle de la décision raisonnable ainsi qu’il a été expliqué dans le passage précité de l’arrêt Nation haïda.

[113]       Il ressort clairement de la jurisprudence précitée que l’existence et l’étendue de l’obligation de consulter ou d’accommoder doivent être évaluées selon la norme de la décision correcte. Toutefois, même alors, lorsque l’étendue de l’obligation repose sur l’appréciation des faits, il peut y avoir lieu de faire preuve de déférence, auquel cas la norme de contrôle est probablement celle de la décision raisonnable (Haïda, au paragraphe 61).

[114]       Quant au caractère adéquat du processus, si je me fonde sur les arrêts Nation haïda, Ekuanitshit CAF, White River et Cold Lake, je ne suis pas convaincue que l’arrêt Little Salmon entendait modifier dans chaque cas la norme de contrôle applicable à la question de savoir si la Couronne s’était adéquatement acquittée de son obligation de consultation et d’accommodement. La norme applicable était donc celle de la décision correcte.

[115]       Pour déterminer l’étendue de l’obligation de consulter, la Couronne a l’obligation de tracer les limites légales et constitutionnelles applicables, comme les droits issus de traités, les droits législatifs, les droits reconnus en common law ainsi que des règles de droit constitutionnel et de droit administratif applicables à l’affaire en cause. Autrement dit, la Couronne doit correctement délimiter les paramètres juridiques de la teneur de l’obligation de consulter pour être en mesure de bien définir en quoi consistent des consultations appropriées. Le défaut de le faire constituerait une erreur de droit. Toutefois, si ces paramètres sont correctement établis, le caractère adéquat du processus de consultation ultérieur retenu demeure une question de raisonnabilité. Cette façon de voir peut être considérée comme conforme aux arrêts Nation haïda et Little Salmon.

[116]       Par exemple, un traité moderne peut, de par son libellé, préciser la totalité ou certains aspects de la consultation exigée, notamment la participation à un processus d’évaluation environnementale déterminée. Si la Couronne ne se conforme pas à ces exigences en matière de consultation en n’y participant pas, elle manque à son obligation de consulter et elle n’a évidemment pas établi et mis en œuvre un processus adéquat de consultation. Le fait d’agir selon ces paramètres constituerait une erreur de droit. Toutefois, si la Couronne a correctement établi les paramètres légaux applicables, le caractère adéquat du processus de consultation sera assujetti à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[117]       Comme la Cour l’a fait observer dans l’arrêt Cold Lake en citant la juge Garson dans l’arrêt West Moberly, le processus de consultation exige que l’on fasse des compromis et un compromis est [traduction« un élément difficile, voire impossible, à évaluer selon la norme de la décision correcte » (au paragraphe 39).

[118]       Je tiens également à faire observer que, dans des décisions ultérieures, la présente Cour et la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique ont jugé que la norme de contrôle applicable pour apprécier le caractère adéquat des consultations et des mesures d’accommodement était celle de la décision raisonnable (Adam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1185, aux paragraphes 65, 66 et 87 [Adam]; Da’naxda’xw/Awaetlala First Nation c British Columbia Hydro and Power Authority, 2015 BCSC 16, au paragraphe 229).

[119]       Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, comme c’est le cas en ce qui concerne l’étendue de l’obligation, il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence envers la Couronne (Dunsmuir, au paragraphe 34; Little Salmon, au paragraphe 48).

[120]       Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, comme c’est le cas pour ce qui est du caractère adéquat des consultations et des mesures d’accommodement, la cour de révision cherche à savoir si le processus décisionnel est justifié, transparent et intelligible, et si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, aux paragraphes 47 et 48; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Ainsi que le juge de Montigny l’a déclaré dans la décision Ka’a’Gee Tu no 2, ce n’est pas la perfection que l’on exige lorsqu’on évalue la conduite des fonctionnaires de la Couronne. Dès lors que des efforts raisonnables ont été faits pour consulter et accommoder et que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, il n’y a aucune raison d’intervenir. De plus, l’importance ne doit pas être accordée au résultat, mais au processus de consultation et d’accommodement (aux paragraphes 90 à 92).

Question 2 : Quel est le contenu de l’obligation de consulter et d’accommoder et, plus particulièrement :

A.  L’Accord définit‑il de façon exhaustive l’obligation de consulter de la Couronne?

B.  Quelles étaient la portée et l’étendue de l’obligation de consulter et de l’éventuelle obligation d’accommoder en l’espèce?

A.        L’Accord définit‑il de façon exhaustive l’obligation de consulter de la Couronne?

Prétentions et moyens du demandeur

[121]       Le demandeur affirme que les obligations de consulter prévues par l’Accord ne définissent pas de façon exhaustive l’obligation de consulter du Canada. Le Canada avait, selon l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, un devoir supplémentaire de consulter fondé sur l’honneur de la Couronne. Ainsi, les obligations contractées par le Canada en vertu de traités doivent être interprétées selon ce qu’exige l’honneur de la Couronne (Little Salmon, aux paragraphes 61 et 62). Tant l’honneur de la Couronne que le chapitre 11 de l’Accord obligent la Couronne à agir de façon à atteindre le but visé par l’Accord (Manitoba Metis Federation Inc. c Canada (Procureur général), 2013 CSC 14, au paragraphe 73 [Manitoba Metis]). Lorsque les effets et les répercussions sur les droits sont importants, des consultations plus approfondies sont nécessaires et des mesures d’accommodement peuvent être requises (Haïda, au paragraphe 47).

Prétentions et moyens du Canada

[122]       Le Canada affirme que la source et l’étendue de l’obligation sont circonscrites en l’espèce par l’Accord tel que les parties l’ont négocié et conclu (Little Salmon, au paragraphe 67). De par ces stipulations, l’Accord oblige le défendeur à consulter avant de délivrer l’autorisation (article 11.6.2) et le terme « consulter » est défini à l’article 1.1.1. Le Canada affirme qu’une définition semblable a été retenue dans l’arrêt Little Salmon, dans lequel la Cour suprême du Canada a conclu que l’obligation de consulter se situait au bas du continuum (Little Salmon aux paragraphes 57, 74 et 79).

Prétentions et moyens de Nalcor

[123]       Nalcor affirme que, comme le processus de consultation a été incorporé dans l’Accord, les obligations de consultation de la Couronne en ce qui concerne le Projet sont régies par les chapitres 1 et 11 de l’Accord et qu’il n’y a pas d’obligation complémentaire de consulter fondée notamment sur l’honneur de la Couronne. Contrairement à l’interprétation que le demandeur fait de l’arrêt Little Salmon, la Cour suprême du Canada n’a pas, selon Nalcor, conclu à l’existence d’une « obligation supplémentaire » dans cet arrêt; elle a simplement précisé l’origine de cette obligation. De plus, à la différence de l’affaire Little Salmon, il n’est pas nécessaire de préciser l’origine de l’obligation dans le cas qui nous occupe, étant donné que l’Accord l’indique expressément (Little Salmon, aux paragraphes 54, 58 à 67, 72 à 75). Enfin, il n’est pas nécessaire d’invoquer l’honneur de la Couronne comme outil interprétatif étant donné que les parties se sont expressément entendues pour dire que des consultations étaient exigées avant que le gouvernement fédéral ne décide de délivrer une autorisation et que la définition du terme « consulter » dans l’Accord offrait suffisamment de souplesse pour permettre des consultations dans diverses circonstances (Accord, article 11.6.2; Little Salmon, au paragraphe 67).

Analyse

[124]       En l’espèce, il est incontestable que la Couronne avait l’obligation de consulter le demandeur en ce qui concerne le Projet. Il est également indiscutable que l’Accord constitue une entente récente relative à des revendications globales assimilable à un traité visée par le paragraphe 35(3) de la Loi constitutionnelle de 1982 (Little Salmon, au paragraphe 62).

[125]       Sur le plan des principes généraux, il est de jurisprudence constante que l’obligation de la Couronne de consulter les peuples autochtones et de prendre en compte leurs intérêts découle du principe de l’honneur de la Couronne et que l’honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsque cette dernière transige avec les peuples autochtones (Haïda, au paragraphe 16). L’honneur de la Couronne imprègne également le processus de négociation et d’interprétation des traités (Haïda, au paragraphe 19; Ka’a’Gee Tu no 2, au paragraphe 94) et exige qu’elle agisse de manière à ce que les traités conclus avec les Autochtones et les concessions prévues par la loi en leur faveur atteignent leur but (Manitoba Metis, au paragraphe 73). Même si les parties ont la possibilité de s’entendre sur les modalités de la consultation, la Couronne ne peut se soustraire à son obligation de traiter honorablement avec les Autochtones (Little Salmon, au paragraphe 61). Toutefois, l’obligation découlant du principe de l’honneur de la Couronne varie en fonction de la situation. La définition d’un comportement honorable varie selon les circonstances (Manitoba Metis, aux paragraphes 73 et 74). Par ailleurs, bien que la notion d’obligation de consulter se veuille un complément valable à l’honneur de la Couronne, elle joue un rôle de soutien et ne devrait pas être considérée indépendamment de l’objectif qu’elle vise à atteindre (Little Salmon, au paragraphe 44).

[126]       L’obligation de consulter dans le contexte des traités modernes portant sur les revendications territoriales a été examinée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Little Salmon. Dans cette affaire, le gouvernement territorial du Yukon avait approuvé une concession de 65 hectares de terres à un habitant du Yukon. La parcelle en question faisait partie du territoire traditionnel de la demanderesse auquel les membres de celle‑ci avaient un droit d’accès issu d’un traité à des fins de chasse et de pêche de subsistance. Le traité prévoyait que le gouvernement pouvait prendre des terres cédées à d’autres fins et notamment à des fins d’agriculture.

[127]       Les demandeurs affirmaient que, lorsqu’il avait envisagé de procéder à la concession, le gouvernement ne les avait pas suffisamment consultés et n’avait pas tenu suffisamment compte de leurs préoccupations. En revanche, le gouvernement territorial était d’avis qu’aucune consultation n’était requise étant donné que le traité constituait un code complet. Même si le traité mentionnait à plus d’une soixantaine d’endroits la nécessité de consulter, les demandes de concession de terres agricoles n’étaient pas visées par cette obligation. Le gouvernement territorial affirmait donc que, lorsqu’elle n’était pas expressément mentionnée dans le traité, l’obligation de consulter était exclue.

[128]       La Cour suprême du Canada a conclu à l’unanimité que la Couronne s’était acquittée de son obligation de consulter, mais elle était partagée sur l’origine de cette obligation. Le juge Binnie, qui s’exprimait au nom de la majorité, n’a pas retenu l’argument du gouvernement territorial suivant lequel le traité constituait un « code complet » et que l’absence, dans le traité, de la mention de l’obligation de consulter avant de concéder des terres signifiait que cette obligation était exclue par déduction négative (aux paragraphes 52, 55, 59 à 62). Il s’est plutôt dit d’avis que l’obligation de consulter reposait sur l’honneur de la Couronne, lequel existait indépendamment du traité (paragraphe 52). Il a également estimé que, compte tenu de la lacune procédurale constatée dans le traité, la Première Nation avait eu raison « d’invoquer l’obligation de consulter et d’établir un cadre de procédure approprié » (au paragraphe 38).

[129]       Quant à l’argument du gouvernement territorial suivant lequel la lacune procédurale excluait les consultations dans le cas des concessions de terres en tant que modalités implicites du traité, voici ce que le juge Binnie a déclaré :

[61]      Cet argument ne me paraît pas convaincant. L’obligation de consulter est considérée, dans la jurisprudence, comme un moyen de préserver l’honneur de la Couronne (lorsque cela s’avère indiqué). Les parties ont la possibilité de s’entendre sur les modalités de la consultation, mais la Couronne ne peut pas se soustraire à son obligation de traiter honorablement avec les Autochtones. Cette doctrine, comme nous l’avons affirmé dans Nation haïda et confirmé dans Première nation crie Mikisew, s’applique indépendamment de l’intention expresse ou implicite des parties.

[130]       Le juge Binnie a par conséquent conclu que, comme le traité comportait une lacune procédurale (puisque ses dispositions ne régissaient pas le processus d’octroi des terres agricoles à l’époque), des consultations étaient nécessaires pour préserver l’honneur de la Couronne. L’obligation de consulter était donc imposée par le droit (paragraphe 62). Il a également toutefois conclu que la Première Nation allait trop loin en prétendant imposer au gouvernement territorial le respect d’un droit substantif à l’accommodement en plus de la protection procédurale qu’offrait la consultation, étant donné que le traité lui‑même ou l’ensemble des circonstances ne donnait ouverture à aucune obligation d’accommodement dans cette affaire (paragraphes 14, 15 et 82).

[131]       Il convient également de signaler l’approche retenue dans l’arrêt Little Salmon par la majorité en ce qui concerne les traités modernes globaux. Le juge Binnie a fait observer que contrairement aux traités historiques, les traités récents étaient le fruit de longues négociations entre des parties averties et disposant de ressources importantes (au paragraphe 9). De plus :

[12]      Par leur complexité et leur caractère détaillé, les traités récents marquent un énorme progrès, à la fois par rapport aux traités historiques antérieurs à la Confédération tels les traités de 1760 et 1761 en cause dans R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456, et par rapport aux traités postérieurs à la Confédération tel le Traité no 8 (1899) dont il est question dans R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, et dans Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), [2005] 3 R.C.S. 388. Les traités historiques, habituellement formulés en termes nobles d’une grande généralité, étaient souvent ambigus. Les tribunaux se sont ainsi vus forcés de recourir à des principes généraux (comme l’honneur de la Couronne) pour pallier les lacunes et parvenir à un résultat équitable. En revanche, si les ententes récentes sur des revendications territoriales globales — que l’on pourrait sans doute faire remonter à la Convention de la Baie‑James et du Nord québécois (1975) — doivent elles aussi être interprétées et appliquées en conformité avec l’honneur de la Couronne, elles étaient néanmoins censées procurer une certaine précision quant aux droits et obligations relatifs à la propriété et à la gouvernance. Au lieu d’instituer des mécanismes ponctuels facilitant la réconciliation, les traités récents visent à inscrire les relations entre Autochtones et non‑Autochtones dans le système juridique général, avec les avantages que cela présente au plan de la continuité, de la transparence et de la prévisibilité. Il appartient aux parties, lorsque l’application des traités suscite des difficultés, d’agir de façon diligente pour faire valoir leurs intérêts respectifs. Une bonne gouvernance suppose que les décisions soient prises en temps opportun. Dans la mesure où le gouvernement territorial du Yukon plaide que les traités du Yukon constituent un nouveau départ et non pas simplement un prolongement du statu quo, je crois qu’il a raison. Toutefois, comme le juge Veale l’a si justement fait remarquer en première instance, le nouveau départ ne représente qu’une étape — mais une étape très importante — dans le long voyage de la réconciliation (par. 69).

[132]       En plus de conclure que les traités modernes étaient censés procurer une certaine précision quant aux droits et obligations relatifs à la propriété et à la gouvernance, tout en devant également être interprétés et appliqués en conformité avec l’honneur de la Couronne, le juge Binnie a répété à plusieurs reprises que les parties avaient la possibilité de s’entendre sur les modalités de la consultation, par exemple au paragraphe 61 de cet arrêt, tout en en expliquant l’importance :

[46]      […] le contenu de la véritable consultation « appropriée eu égard aux circonstances ». Les parties elles‑mêmes peuvent décider dans ces ententes d’exclure purement et simplement la consultation dans des situations précises, et les tribunaux accepteront cette décision lorsqu’une telle décision serait compatible avec le maintien de l’honneur de la Couronne.

[…]

[54]      La différence entre le traité PNLSC et le Traité n8 ne tient pas uniquement au fait que le premier est un « traité récent global » tandis que le second a été conclu il y a plus d’un siècle. Le traité récent d’aujourd’hui deviendra le traité historique de demain. La distinction réside plutôt dans la précision et la complexité relatives du document récent. Lorsque des parties bénéficiant de ressources suffisantes et de l’aide de professionnels ont tenté de mettre de l’ordre dans leurs propres affaires et ont donné forme à l’obligation de consulter en incorporant dans un traité la procédure de consultation, il convient d’encourager leurs efforts et, sous réserve des limitations constitutionnelles comme le principe de l’honneur de la Couronne, la Cour devrait essayer de respecter le fruit de leur travail : Québec (Procureur général) c. Moses, [2010] 1 R.C.S. 557

[…]

[67]      Lorsqu’un traité récent a été conclu, la première étape consiste à en examiner les dispositions et à tenter de déterminer les obligations respectives des parties et l’existence, dans le traité lui‑même, d’une forme quelconque de consultation. Si un processus de consultation a été établi dans le traité, les dispositions du traité indiqueront la portée de l’obligation de consulter.

[…]

[69]      Toutefois, l’obligation de consulter ne constitue pas, comme je l’ai indiqué, une « convention accessoire ou condition ». Le traité PNLSC constate effectivement l’« entente complète », mais il n’existe pas isolément. L’obligation de consulter est imposée par le droit sans égard à l’« entente » conclue entre les parties. Elle ne « touche » pas l’entente elle‑même. Elle fait simplement partie du cadre juridique essentiel dans lequel le traité doit être interprété et exécuté.

[133]       Dans des motifs concourants, la juge Deschamps (qui s’exprimait en son nom personnel et au nom du juge Lebel) était d’accord que le pourvoi et le pourvoi incident devaient être rejetés, mais pour des motifs différents de ceux de la majorité. Elle a conclu que le traité ne comportait aucune lacune et que, pour cette raison, il n’était pas nécessaire de recourir à une obligation non prévue dans le traité. Contrairement à la majorité, elle estimait que l’obligation constitutionnelle de consultation établie par la jurisprudence s’appliquait dans tous les cas même lorsqu’il n’y avait pas de lacunes. Elle était plutôt d’avis que l’obligation constitutionnelle de consultation des Autochtones établie par la jurisprudence ne s’appliquait aux parties à un traité que si elles avaient été silencieuses à cet égard relativement aux droits que la Couronne cherchait à exercer en vertu du traité (paragraphe 94; voir également les paragraphes 118, 203 et 204).

[134]       À mon avis, l’arrêt Little Salmon appuie le principe que, lorsqu’un traité récent portant sur les revendications territoriales existe, le point de départ de toute analyse de l’obligation de consultation est toujours le texte de l’entente. Lorsque ses modalités traitent de l’obligation de consulter dans un cas déterminé, l’étendue de cette obligation sera principalement, voire exclusivement, circonscrite ou définie par ces termes. Si l’entente est muette sur l’obligation de consulter dans cette situation ou s’il existe une lacune procédurale, l’obligation de consulter existe quand même en droit en vertu du principe de l’honneur de la Couronne. De plus, même s’il est question, dans le texte de l’entente, de l’obligation de consulter, comme elle est également imposée en droit dans chaque cas, cette obligation fait partie du cadre juridique essentiel dans lequel le traité doit être interprété et exécuté.

[135]       Selon moi, cela signifie également qu’au besoin, l’honneur de la Couronne et l’obligation connexe de consulter peuvent être utilisés comme des outils d’interprétation lorsqu’on examine les dispositions de consultation que l’on trouve dans les traités modernes. Je ne crois donc pas qu’il existe une obligation supplémentaire ou parallèle à respecter en pareilles circonstances.

[136]       Mon interprétation rejoint par ailleurs celle de Dwight G. Newman suivant qui l’opinion tant des juges majoritaires que des juges minoritaires dans l’arrêt Little Salmon semble [traduction« attacher une importance primordiale au texte en tant qu’élément clé pour l’interprétation des traités modernes ». Cet auteur ajoute également ce qui suit :

[traduction]

Bien que, pour la majorité, l’obligation de consulter puisse continuer à s’appliquer comme paramètre en dehors du traité s’il existe des sujets à l’égard desquels le traité fait l’objet de divergences d’interprétation (paragraphes 62 et 69], le texte du traité lui‑même a néanmoins préséance pour définir dans quel cas l’obligation de consulter s’applique.

[…]

[T]ous les juges s’entendent pour dire que les traités modernes doivent être abordés d’une manière qui est adaptée à leur texte négocié détaillé, que les examiner en accordant la priorité au texte constitue le principal moyen de les interpréter pour atteindre leurs objectifs et que l’omission de les aborder de cette manière nuit au mécanisme de conciliation entrepris dans le cadre des diverses négociations en cours. L’interprétation des traités modernes diffère radicalement des approches utilisées par la Cour dans le cas de l’interprétation des traités historiques.

(Dwight Newman, « Contractual and Covenantal Conceptions of Modern Treaty Interpretation » (2011), 54 SCLR (2d) 475, aux pages 481 à 483).

[137]       À mon avis, cette interprétation est conforme à l’arrêt Makivik c Québec, 2014 QCCA 1455 [Makivik], et étayée par cet arrêt, dans lequel la Cour d’appel du Québec a respecté les termes du traité en les considérant comme la principale source de l’obligation de consulter tout en interprétant le traité conformément aux obligations constitutionnelles et à l’honneur de la Couronne. Plus précisément, la Cour a conclu que l’obligation constitutionnelle du ministre de consulter avec un esprit ouvert s’appliquait à toute consultation prescrite par le traité, de sorte que son défaut de suivre le processus prévu sous prétexte qu’il était inutile et qu’il ne changerait pas le résultat au final n’était pas un simple accroc procédural, mais un manquement à l’honneur de la Couronne découlant de l’omission de consulter avec un esprit ouvert et, par conséquent, une violation des dispositions du traité. En fait, la Cour d’appel s’est essentiellement appuyée sur les principes de certitude en matière contractuelle énoncés dans l’arrêt Little Salmon tout en reconnaissant que les principes constitutionnels généraux de common law concernant l’obligation de consulter constituaient le fondement de cette obligation et qu’ils pouvaient constituer le cadre d’interprétation de l’obligation prescrite par le traité.

[138]       En résumé, comme la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Little Salmon, lorsque des parties bénéficiant de ressources suffisantes et de l’aide de professionnels ont donné forme à l’obligation de consulter en incorporant dans un traité la procédure de consultation, il convient d’encourager leurs efforts et, sous réserve des limitations constitutionnelles comme le principe de l’honneur de la Couronne, les tribunaux devraient essayer de respecter le fruit de leur travail (Little Salmon, au paragraphe 54). Les parties elles‑mêmes peuvent dans certains cas décider d’exclure purement et simplement la consultation dans des situations précises et cette décision sera considérée comme acceptable dès lors qu’elle est également compatible, eu égard aux circonstances, avec le maintien de l’honneur de la Couronne (Little Salmon, au paragraphe 46).

[139]       À mon avis, il s’ensuit que l’existence de dispositions relatives à la consultation dans un traité moderne comme celui qui nous intéresse en l’espèce oblige la Cour à examiner d’abord et avant tout le texte des dispositions en question pour vérifier dans quel cas la Couronne est assujettie à une telle obligation, ainsi que l’étendue de cette obligation, c’est‑à‑dire la teneur de consultations véritables eu égard aux circonstances. Si cette mesure est nécessaire pour interpréter le texte ou si le texte est muet sur certains points, la Cour peut appliquer les principes de common law concernant l’obligation de consulter parce que, dans un cas comme dans l’autre, ils sont sous‑jacents à l’honneur de la Couronne. Ainsi, dans ce contexte, un traité ne définira peut‑être jamais « de façon exhaustive » l’obligation de consulter de la Couronne. Toutefois, dans chaque cas, la mesure dans laquelle on doit se reporter aux principes sous‑jacents en matière d’obligation de consulter dépendra des faits de l’espèce. Dans le cas qui nous occupe, bien que l’alinéa 2.11.1b) de l’Accord stipule qu’il énonce de façon exhaustive les droits des Inuits au Canada qui sont reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, j’estime que cette disposition n’empêche pas de se reporter aux besoins à l’obligation constitutionnelle de consulter prévue en common law pour interpréter le texte notamment lorsqu’on constate l’existence d’une lacune.

B.        Quelles étaient la portée et l’étendue de l’obligation de consulter et d’accommoder en l’espèce?

Thèse du demandeur

[140]       Le demandeur affirme que les dispositions de l’Accord dans le cas des ÉE fédérales traitent de la même manière tant les « projets » que les « entreprises », ces termes étant définis dans l’Accord. Le Canada avait l’obligation de consulter le demandeur au sujet des effets environnementaux dans les deux cas ainsi qu’au sujet de la meilleure façon d’assurer une participation significative de ce dernier au processus d’ÉE, de lui communiquer les résultats de l’ÉE et de le consulter avant de prendre toute mesure permettant au Projet d’aller de l’avant ou de prendre la décision de délivrer un permis ou d’accorder d’autres autorisations (Accord, articles 11.6.1, 11.6.2, 11.6.3 et 11.7).

[141]       En ce qui concerne l’obligation de tenir dûment et pleinement compte des opinions formulées par la personne consultée, le demandeur affirme que la teneur de l’obligation dépend du contexte, notamment de la nature du projet ou de l’entreprise et des droits touchés. En l’espèce, l’obligation d’accommoder inhérente à la consultation « approfondie » au sens de l’arrêt Nation haïda s’imposait, et ce, parce que l’on s’attendait raisonnablement à ce que le Projet ait des impacts dans la RRIL ou sur les droits garantis aux Inuits par l’Accord. Les droits et le territoire des Inuits du Labrador subiront probablement des effets négatifs en raison des niveaux accrus de mercure et les Inuits sont en grande partie impuissants à empêcher ou à atténuer ces effets négatifs. En outre, les conséquences risquent d’être graves et irrémédiables et la crainte de la contamination au mercure est justifiée. Plus précisément, l’Accord reconnaît les droits de subsistance des Inuits, mais la seule mesure d’atténuation prévue en cas de contamination au méthylmercure – en l’occurrence, les avis relatifs à la consommation – n’est pas une véritable mesure d’atténuation étant donné qu’elle ne protège pas le droit des Inuits. Des mesures d’accommodement sont nécessaires.

[142]       Le demandeur affirme qu’eu égard aux circonstances particulières de la présente espèce, et compte tenu de son obligation de consulter, le Canada avait l’obligation continue de l’informer et de discuter avec lui de ses projets avant d’agir. De plus, l’Accord prévoit des obligations précises de consultation qui ne peuvent être déléguées. Le fait que le demandeur ait participé aux audiences de la CEC n’a pas dispensé le Canada de son obligation de le consulter et de lui assurer une véritable consultation et des mesures d’accommodement. De plus, le Canada a présumé à tort que, dès lors qu’il agissait conformément aux protocoles fédéra et provinciaux, il s’acquittait des obligations que lui impose l’article 11.6 de l’Accord.

Thèse du Canada

[143]       Le Canada affirme que l’origine et la teneur de l’obligation de consulter le demandeur dans le contexte du Projet sont circonscrites par l’Accord négocié et accepté`par les parties. La teneur de l’obligation de consulter se situe au centre du continuum de consultation, c’est‑à‑dire plus haut qu’au bas du continuum, mais une consultation beaucoup moins approfondie que celle que prétend le demandeur (White River, au paragraphe 98). Les dispositions de l’Accord indiquent la portée de l’obligation de consulter en l’espèce (Little Salmon, au paragraphe 67; Accord, art. 1.1.1, 11.6.2). Le Canada affirme qu’une définition semblable du mot « consulter » avait été appliquée dans l’arrêt Litte Salmon et que la Cour suprême du Canada avait conclu que l’obligation de consulter se situait au bas du continuum (Little Salmon, aux paragraphes 57, 74 et 79).

[144]       Le Canada reconnaît que les risques que le demandeur subisse des effets seraient beaucoup plus importants en l’espèce que dans l’affaire Little Salmon, mais affirme que ce facteur ne crée pas une obligation de procéder à des consultations approfondies parce que les effets que subirait le demandeur sont incertains, indirects et éventuels. Ainsi que la CEC l’a conclu, il est possible que des avis relatifs à la consommation de poisson et de phoque puissent être exigés si les niveaux de méthylmercure dépassaient des niveaux acceptables pour la santé dans le lac Melville. Advenant le cas où de tels avis seraient publiés, ils nuiraient à la pêche et à la chasse dans le lac Melville. De plus, comme le barrage et le réservoir de Muskrat Falls ne seront pas construits ou exploités dans la RRIL (étant donné qu’il s’agit d’une « entreprise » au sens de l’Accord), ils sont soumis à des exigences procédurales moins rigoureuses que s’ils y étaient construits ou exploités à l’intérieur de cette zone (c.‑à‑d. s’ils étaient un « projet » au sens de l’Accord), ce qui donne à penser qu’ils exigeraient moins de consultations.

[145]       Le Canada affirme également que l’exigence de consulter – qui se situe au milieu du continuum – prévue dans l’Accord correspond à celle d’autres situations où l’on a conclu à l’existence d’une obligation de consulter se situant au centre du continuum, comme dans les affaires Première Nation des Dénés Yellowknives c Canada (Ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2013 CF 1118, (au paragraphe 59), Cold Lake (au paragraphe 33) et Katlodeeche (au paragraphe 95). Le devoir de consulter se situant au milieu du continuum comprend l’obligation de donner un avis suffisant de la question à trancher, la possibilité de discuter avec les décideurs des éventuelles répercussions négatives de la décision et de la façon de les atténuer et l’obligation pour les décideurs de tenir compte des préoccupations exprimées avant de prendre sa décision (Katlodeeche, au paragraphe 95).

[146]       Le Canada affirme que la position actuelle du demandeur au sujet du degré de consultation exigé en ce qui concerne le Projet n’est pas étayée par l’Accord et qu’elle est également contredite par les positions antérieures prises par le demandeur au cours du processus.

Thèse de Nalcor

[147]       Nalcor affirme que les traités modernes globaux doivent être interprétés de façon généreuse et en tenant compte du contexte des modalités écrites du texte du traité (Québec (Procureur général) c Moses, 2010 CSC 17, au paragraphe 12; Little Salmon, au paragraphe 10).

[148]       À l’instar du Canada, Nalcor affirme que le Projet est une « entreprise » au sens de l’Accord. Les obligations en matière d’ÉE sont donc différentes et le demandeur a droit à une intervention, à un contrôle et à l’exercice de pouvoirs moindres que s’il s’agissait d’un « Projet » (article 11.6.2). Les consultations exigées se situent donc au bas du continuum.

[149]       Nalcor soutient que, dans la mesure où Nalcor a l’obligation de répondre à la contestation de la Réponse du Canada, à la décision quant à la marche à suivre et à l’autorisation, ce sont les articles 11.2.8, 11.2.9 et 11.6.1 à 11.6.6 de l’Accord qui s’appliquent.

[150]       De plus, rien ne permet au demandeur de prétendre que la marche à suivre prévue à l’article 11.6.2 obligeait le Canada à fournir au demandeur une ébauche de sa réponse et de sa décision sur la marche pour qu’il puisse l’examiner et formuler ses observations.

[151]       Nalcor affirme que l’obligation d’accommoder peut s’appliquer lorsque la mesure proposée par la Couronne est susceptible de porter atteinte aux droits des Autochtones. Il ne s’ensuit pas pour autant que les groupes autochtones ont un droit de veto sur les mesures proposées par la Couronne ou que cette dernière a l’obligation de s’entendre sur les mesures d’accommodement. Il n’existe pas non plus de garantie que le groupe autochtone peut obtenir le résultat qu’il souhaite. L’obligation d’accommoder exige simplement que la Couronne mette raisonnablement en balance les préoccupations et les intérêts des Autochtones avec les intérêts opposés. De plus, les groupes autochtones doivent faire preuve de souplesse et être raisonnables lorsqu’ils discutent d’autres mesures d’accommodement (Haïda, aux paragraphes 47 à 50, 62 à 63; Première nation crie Mikisew c Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, au paragraphe 66 [Mikisew crie]; Taku River, au paragraphe 2; Native Council of Nova Scotia c Canada (Procureur général), 2007 CF 45, au paragraphe 60, conf. par 2008 CAF 113 [Native Council of Nova Scotia]; Première Nation Kwicksutaineuk Ah‑Kwa‑Mish c Canada (Procureur général), 2012 CF 517, au paragraphe 124 [Kwicksutaineuk]).

Analyse

(i)                      L’Accord

[152]       Comme nous l’avons déjà précisé, le point de départ de toute analyse de la teneur de l’obligation de consulter en l’espèce est le texte même de l’Accord. Par conséquent, nous reproduisons ci‑après les dispositions applicables de l’Accord ;

1.1.1 Dans l’Accord, à moins de disposition contraire :

« consulter » s’entend du fait :

a.         de fournir à la personne consultée un avis de la question à décider dont la forme et le contenu sont suffisants pour lui permettre de préparer son opinion sur la question;

b.         de donner un délai raisonnable au cours duquel la personne consultée peut préparer son opinion sur la question et d’accorder la possibilité de la présenter à la personne tenue de consulter; et

c.         que la personne tenue de consulter accorde une considération complète et juste à toutes opinions présentées;

[…]

« effet environnemental » s’entend, en ce qui concerne une entreprise, un projet, un ouvrage ou une activité proposé, que la modification survienne à l’intérieur ou à l’extérieur du Canada :

a.         de toute modification dans l’environnement que l’entreprise, le projet, l’ouvrage ou l’activité proposé peut causer, y compris toute modification des conditions sanitaires et socioéconomiques, du patrimoine matériel et culturel, de l’usage actuel de terres et de ressources à des fins traditionnelles par les autochtones ou de toute structure, de tout lieu ou de toute chose d’importance historique, archéologique, paléontologique ou architecturale; et

b.         de toute modification que l’environnement peut causer à l’entreprise, au projet, à l’ouvrage ou à l’activité proposé;

[…]

« entreprise » s’entend de toute entreprise, de tout projet, de tout ouvrage ou de toute activité que l’on propose de situer ou de réaliser hors de la région du règlement des Inuit du Labrador, qui nécessite une évaluation environnementale en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale ou de la Environmental Protection Act;

[…]

« évaluation environnementale » s’entend :

a.         d’une évaluation des effets environnementaux d’une entreprise, d’un projet, d’un ouvrage ou d’une activité proposée dans les Terres des Inuit du Labrador, qui est menée conformément aux lois inuites faites en vertu de la partie 11.3;

b.         d’une évaluation des effets environnementaux d’un projet ou d’une entreprise qui est menée en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale;

c.         d’une évaluation des effets environnementaux d’un projet ou d’une entreprise qui est menée en vertu de la Environmental Protection Act; ou

d.        d’une évaluation qui est menée en vertu de plusieurs lois dont il est question aux alinéas a), b) et c);

« projet » s’entend de toute entreprise, de tout projet, de tout ouvrage ou de toute activité que l’on propose de situer ou de réaliser dans la région du règlement des Inuit du Labrador, qui nécessite une évaluation environnementale;

[…]

1.                  L’Accord :

a.         constitue le règlement complet et définitif des droits ancestraux des Inuit au Canada; et

b.         énonce de façon exhaustive les droits au Canada des Inuit qui sont reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[…]

CHAPITRE 11 : ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE

11.1.1 Dans le présent chapitre :

« autorité » s’entend d’une autorité fédérale ou provinciale, ou les deux, selon le cas, y compris un ministre, chargées de prendre une mesure ou une décision en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale ou de la Environmental Protection Act;

[…]

Partie 11.2 Dispositions générales

11.2.7 Lorsqu’une autorité reçoit un document d’inscription ou une demande ayant trait

●         un projet ou une demande de permis, de licence ou d’autorisation relativement

●         un projet et lorsque, de l’avis de l’autorité, on peut raisonnablement s’attendre

●         ce que le projet ait des effets environnementaux négatifs, l’autorité :

a.         donne par écrit au Gouvernement Nunatsiavut, avis du projet en temps utile et lui fournit les renseignements pertinents disponibles sur le projet et sur les effets environnementaux négatifs potentiels; et

b.         donne par écrit à l’autre autorité avis du projet.

11.2.8  Lorsqu’une autorité reçoit un document d’inscription ou une demande ayant trait à une entreprise ou une demande de permis, de licence ou d’autorisation relativement à une entreprise et lorsque, de l’avis de l’autorité, on peut raisonnablement s’attendre à ce que l’entreprise ait des effets environnementaux négatifs dans la région du règlement des Inuit du Labrador, l’autorité donne par écrit au Gouvernement Nunatsiavut avis de l’entreprise en temps utile et lui fournit les renseignements pertinents disponibles sur l’entreprise et sur les effets environnementaux négatifs potentiels.

[...]

Partie 11.6 Processus fédéral d’évaluation environnementale

11.6.1 Si, de l’avis d’une autorité fédérale, on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un projet ou une entreprise assujetti à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale ait des effets environnementaux négatifs dans la région du règlement des Inuit du Labrador ou des effets négatifs sur des droits des Inuit en vertu de l’Accord, l’autorité, en plus de donner l’avis et les renseignements prescrits en vertu des articles 11.2.7 et 11.2.8, veille à ce que le Gouvernement Nunatsiavut :

a.         soit consulté au sujet des effets environnementaux du projet ou de l’entreprise;

b.         soit consulté au sujet de la meilleure façon de parvenir à une participation significative des Inuit à l’évaluation environnementale; et

c.         reçoive le rapport produit à la suite de l’évaluation environnementale, y compris, s’il y a lieu, la justification, les conclusions et les recommandations du fonctionnaire, du médiateur ou du comité d’examen public qui a réalisé l’évaluation environnementale.

11.6.2 Une autorité fédérale consulte le Gouvernement Nunatsiavut avant de prendre toute mesure qui permettrait à un projet ou à une entreprise dont il est question à l’article 11.6.1 d’aller de l’avant ou avant de prendre une décision de délivrer un permis, une licence, un financement ou une autre autorisation relativement au projet ou à l’entreprise.

11.6.3 Si le Canada renvoie un projet ou une entreprise dont il est question à l’article 11.6.1 à un comité d’examen en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale :

a.         dans le cas d’un projet, au moins un membre du comité d’examen est un candidat du Gouvernement Nunatsiavut; et

b.         dans le cas d’une entreprise, les membres du comité d’examen sont choisis à partir d’une liste qui comprend des candidats présentés par le Gouvernement Nunatsiavut.

[…]

11.6.5 Le Gouvernement Nunatsiavut, en plus de ses fonctions et attributions relativement aux questions dont il est question à la partie 11.2 et aux articles 11.6.1 et 11.6.2 concernant les examens publics, a le droit de faire des observations devant le médiateur ou le comité d’examen.

11.6.6 Dès la fin de la médiation ou des audiences du comité d’examen, le médiateur ou le comité d’examen prépare et présente aux autorités pertinentes et au Gouvernement Nunatsiavut un rapport qui comprend, sans toutefois s’y limiter :

a.         une description du processus d’évaluation environnementale, y compris des dispositions ayant trait à la participation du public;

b.         un résumé de tous les commentaires et recommandations du public; et

c.         la justification, les conclusions, les recommandations et, s’il y a lieu, les mesures d’atténuation et les exigences d’un programme de suivi recommandées par le médiateur ou le comité d’examen public.

Partie 11.7 Surveillance

11.7.1 S’il est permis qu’un projet ou une entreprise dont on peut raisonnablement s’attendre à ce que le projet ou l’entreprise ait des effets environnementaux négatifs dans la région du règlement des Inuit du Labrador aille de l’avant sous réserve d’un permis, d’une licence ou d’une autre autorisation comportant des conditions qui exigent des mesures d’atténuation, le Gouvernement Nunatsiavut et les autorités pertinentes, dans les limites de leurs compétences respectives :

a.         coordonnent dans la mesure du possible leurs responsabilités en ce qui a trait aux programmes de suivi; et

b.         dans l’exercice de leurs pouvoirs, fonctions ou attributions, veillent à ce que toutes les mesures d’atténuation qu’ils considèrent appropriées soient mises en œuvre.

[153]       Le chapitre 4 de l’Accord définit la RRIL et les TIL, lesquels correspondent à certaines terres précises situées à l’intérieur de la RRIL ainsi qu’aux droits des Inuits rattachés tant à la RRIL qu’aux TIL.

[154]       Le Projet est une « entreprise » au sens de l’Accord parce qu’il concerne un projet, un ouvrage ou une activité que l’on propose de situer ou de réaliser hors de la RRIL qui nécessite une ÉE en vertu de la LCÉE. Ce n’est pas un « projet » au sens de l’Accord, étant donné qu’il n’est pas situé ou ne sera pas réalisé dans la RRIL.

[155]       La partie 11.6 traite du processus fédéral d’ÉE des « projets » ou des « entreprises » assujettis à la LCÉE dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’ils aient des effets environnementaux négatifs dans la RRIL ou des effets négatifs sur les droits des Inuits prévus par l’Accord. Aux termes du chapitre 12 de l’Accord, sont également visées les régions situées hors de la RRIL où les Inuits ont le droit de récolter des animaux sauvages et des plantes (articles 12.13.10) ainsi que de récolter des oiseaux migrateurs pendant une période limitée (articles 12.13.13) (voir l’annexe 12‑E de l’Accord).

[156]       Ce sont ces dispositions qui définissent, ou qui à tout le moins encadrent, la teneur de l’obligation de consulter en l’espèce.

(ii)        Étendue de l’obligation de consulter en common law

[157]       Comme nous l’avons déjà expliqué, le texte de l’Accord est la source première de la teneur de l’obligation de consulter en l’espèce. Dans la mesure où le texte même de l’Accord ne permet pas de connaître avec précision la teneur de l’obligation de consulter, ou dans la mesure où il subsiste des doutes quant à ce qu’englobe cette obligation, on peut recourir à la common law pour combler les lacunes ou pour faciliter l’interprétation.

[158]       En tout état de cause, le point de départ de toute analyse de la portée de l’obligation de consulter en common law demeure l’arrêt Nation haïda.

[159]       Dans l’arrêt Nation haïda, qui ne portait pas sur l’obligation de consulter prévue par un traité, la Cour suprême du Canada a jugé que la teneur de l’obligation de consulter et d’accommoder dépendait des circonstances. L’étendue de l’obligation dépend de l’évaluation préliminaire de la solidité de la preuve étayant l’existence du droit ou du titre revendiqué et de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur le droit ou le titre (paragraphe 39). À toutes les étapes, les deux parties sont tenues de faire montre de bonne foi. La Couronne doit avoir l’intention de tenir réellement compte des préoccupations des Autochtones au fur et à mesure qu’elles sont exprimées dans le cadre d’un véritable processus de consultation. Cependant, il n’y a pas d’obligation de parvenir à une entente (paragraphe 42). De plus :

[43]      […] l’utilisation de la notion de continuum peut se révéler utile, non pas pour créer des compartiments juridiques étanches, mais plutôt pour préciser ce que le principe de l’honneur de la Couronne est susceptible d’exiger dans des circonstances particulières. À une extrémité du continuum se trouvent les cas où la revendication de titre est peu solide, le droit ancestral limité ou le risque d’atteinte faible. Dans ces cas, les seules obligations qui pourraient incomber à la Couronne seraient d’aviser les intéressés, de leur communiquer des renseignements et de discuter avec eux des questions soulevées par suite de l’avis. La [traduction] « “consultation”, dans son sens le moins technique, s’entend de l’action de se parler dans le but de se comprendre les uns les autres » : T. Isaac et A. Knox, « The Crown’s Duty to Consult Aboriginal People » (2003), 41 Alta. L. Rev. 49, p. 61.

[44]           À l’autre extrémité du continuum, on trouve les cas où la revendication repose sur une preuve à première vue solide, où le droit et l’atteinte potentielle sont d’une haute importance pour les Autochtones et où le risque de préjudice non indemnisable est élevé. Dans de tels cas, il peut s’avérer nécessaire de tenir une consultation approfondie en vue de trouver une solution provisoire acceptable. Quoique les exigences précises puissent varier selon les circonstances, la consultation requise à cette étape pourrait comporter la possibilité de présenter des observations, la participation officielle à la prise de décisions et la présentation de motifs montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et précisant quelle a été l’incidence de ces préoccupations sur la décision. Cette liste n’est pas exhaustive et ne doit pas nécessairement être suivie dans chaque cas. Dans les affaires complexes ou difficiles, le gouvernement peut décider de recourir à un mécanisme de règlement des différends comme la médiation ou un régime administratif mettant en scène des décideurs impartiaux.

[45]           Entre les deux extrémités du continuum décrit précédemment, on rencontrera d’autres situations. Il faut procéder au cas par cas. Il faut également faire preuve de souplesse, car le degré de consultation nécessaire peut varier à mesure que se déroule le processus et que de nouveaux renseignements sont mis au jour. La question décisive dans toutes les situations consiste à déterminer ce qui est nécessaire pour préserver l’honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones. Tant que la question n’est pas réglée, le principe de l’honneur de la Couronne commande que celle‑ci mette en balance les intérêts de la société et ceux des peuples autochtones lorsqu’elle prend des décisions susceptibles d’entraîner des répercussions sur les revendications autochtones. Elle peut être appelée à prendre des décisions en cas de désaccord quant au caractère suffisant des mesures qu’elle adopte en réponse aux préoccupations exprimées par les Autochtones. Une attitude de pondération et de compromis s’impose alors.

[46]      À la suite de consultations véritables, la Couronne pourrait être amenée à modifier la mesure envisagée en fonction des renseignements obtenus lors des consultations […]

[47]          S’il ressort des consultations que des modifications à la politique de la Couronne s’imposent, il faut alors passer à l’étape de l’accommodement. Des consultations menées de bonne foi peuvent donc faire naître l’obligation d’accommoder. Lorsque la revendication repose sur une preuve à première vue solide et que la décision que le gouvernement entend prendre risque de porter atteinte de manière appréciable aux droits visés par la revendication, l’obligation d’accommodement pourrait exiger l’adoption de mesures pour éviter un préjudice irréparable ou pour réduire au minimum les conséquences de l’atteinte jusqu’au règlement définitif de la revendication sous‑jacente. L’accommodement est le fruit des consultations, comme la Cour l’a reconnu dans R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 533, par. 22 : « […] il est préférable de réaliser la prise en compte du droit issu du traité par des consultations et par la négociation ».

[48]           Ce processus ne donne pas aux groupes autochtones un droit de veto sur les mesures susceptibles d’être prises à l’égard des terres en cause en attendant que la revendication soit établie de façon définitive. Le « consentement » dont il est question dans Delgamuukw n’est nécessaire que lorsque les droits invoqués ont été établis, et même là pas dans tous les cas. Ce qu’il faut au contraire, c’est plutôt un processus de mise en balance des intérêts, de concessions mutuelles.

[49]      Cette conclusion découle du sens des termes « accommoder » et « accommodement », définis respectivement ainsi : « Accommoder qqc. à. L’adapter à, la mettre en correspondance avec quelque chose . . . » et « Action, résultat de l’action d’accommoder (ou de s’accommoder); moyen employé en vue de cette action. [. . .] Action de (se) mettre ou fait d’être en accord avec quelqu’un; règlement à l’amiable, transaction » (Trésor de la langue française, t. 1, 1971, p. 391 et 388). L’accommodement susceptible de résulter de consultations menées avant l’établissement du bien‑fondé de la revendication correspond exactement à cela : la recherche d’un compromis dans le but d’harmoniser des intérêts opposés et de continuer dans la voie de la réconciliation. L’engagement à suivre le processus n’emporte pas l’obligation de se mettre d’accord, mais exige de chaque partie qu’elle s’efforce de bonne foi à comprendre les préoccupations de l’autre et à y répondre.

(Voir également Taku River, au paragraphe 29)

[160]       Dans l’arrêt Little Salmon, la Cour suprême a conclu que le caractère adéquat de la consultation doit être évalué à la lumière du rôle et de la fonction de la consultation d’après les faits de l’espèce et de la question de savoir si cet objectif a été rempli au regard des faits (paragraphe 72).

[161]       En l’espèce, le Canada admet – et j’abonde dans son sens – que l’obligation de consulter est plus exigeante que l’obligation se situant au bas du continuum constatée dans l’arrêt Little Salmon.

[162]       Bien que, dans l’arrêt Première nation crie Mikisew, la Cour suprême ait finalement conclu que la consultation exigée dans cette affaire se situait en bas du continuum, la description que la Cour fait de la teneur de cette obligation est utile. Dans cet arrêt, la Cour suprême a estimé que la détermination du contenu de l’obligation de consultation était fonction du contexte. L’un de ces facteurs contextuels était la gravité de l’incidence qu’auront sur le peuple autochtone les mesures que propose la Couronne. Plus la mesure aura d’incidence, plus la consultation prendra de l’importance. Dans cette affaire, le facteur contextuel le plus important était le fait que le Traité no 8 offrait un cadre permettant de gérer les changements constants à l’utilisation des terres. La Cour a estimé que, dans ce contexte, la consultation était un facteur clé pour parvenir à l’objectif global du droit moderne des traités et des droits autochtones, la réconciliation (au paragraphe 63). Voici comment la Cour a défini l’obligation en tenant compte de ce contexte :

[64]      L’obligation en l’espèce comporte des éléments informationnels et des éléments de solution. Dans cette affaire, étant donné que la Couronne se propose de construire une route d’hiver relativement peu importante sur des terres cédées où les droits de chasse, de pêche et de piégeage des Mikisew sont expressément assujettis à la restriction de la « prise », j’estime que l’obligation de la Couronne se situe plutôt au bas du continuum. La Couronne devait aviser les Mikisew et nouer un dialogue directement avec eux (et non, comme cela semble avoir été le cas en l’espèce, après coup lorsqu’une consultation publique générale a été tenue auprès des utilisateurs du parc). Ce dialogue aurait dû comporter la communication de renseignements sur le projet traitant des intérêts des Mikisew connus de la Couronne et de l’effet préjudiciable que le projet risquait d’avoir, selon elle, sur ces intérêts. La Couronne devait demander aux Mikisew d’exprimer leurs préoccupations et les écouter attentivement, et s’efforcer de réduire au minimum les effets préjudiciables du projet sur les droits de chasse, de pêche et de piégeage des Mikisew. Elle n’a pas respecté cette obligation lorsqu’elle a déclaré unilatéralement que le tracé de la route serait déplacé de la réserve elle‑même à une bande de terre à la limite de celle‑ci. Sur ce point, je souscris à l’opinion exprimée par le juge Finch (maintenant Juge en chef de la C.‑B.) dans Halfway River First Nation, par. 159‑160 :

[traduction] Ce n’est pas parce qu’on a donné un avis suffisant d’une décision envisagée qu’on a aussi respecté l’exigence de la consultation suffisante.

L’obligation de consultation de la Couronne lui impose le devoir concret de veiller raisonnablement à ce que les Autochtones disposent en temps utile de toute l’information nécessaire pour avoir la possibilité d’exprimer leurs intérêts et leurs préoccupations, et de faire en sorte que leurs observations sont prises en considération avec sérieux et, lorsque c’est possible, sont intégrées d’une façon qui puisse se démontrer dans le plan d’action proposé.

[Passage souligné par le juge Binnie.]

[163]       Une affaire qui se situe peut‑être davantage au milieu du continuum est l’affaire Taku River dans laquelle la Première Nation s’opposait au projet d’une société de construire une route sur une partie de son territoire traditionnel. La Première Nation avait participé au processus d’ÉE mis sur pied par la province de la Colombie‑Britannique, mais s’était opposée à l’issue finale du processus et avait contesté la décision du ministre de délivrer le certificat d’approbation du projet. Aucun traité n’existait. La Cour suprême a conclu que les revendications de titres et de droits de la Première Nation étaient relativement solides et que les effets négatifs éventuels sur ceux-ci de la décision du ministre semblaient relativement sérieux. Les experts qui avaient préparé des rapports reconnaissaient que la Première Nation dépendait de son régime d’utilisation du territoire pour soutenir son économie ainsi que la vie sociale et culturelle de sa communauté. Même si la route d’accès proposée ne comptait que 160 km et ne représentait donc qu’une faible proportion des 32 000 km2 revendiqués, elle devait traverser une zone critique pour l’économie de la Première Nation et était susceptible d’attirer d’autres projets. Elle pouvait donc avoir une incidence sur la capacité de la Première Nation de continuer d’exercer ses droits ancestraux et risquait de modifier le territoire revendiqué. La Cour suprême a déclaré ce qui suit :

[32]      En résumé, les revendications de la PNTTR sont relativement solides et à première vue fondées, comme le démontre le fait qu’elles ont été acceptées en vue de la négociation d’un traité. La route proposée n’occupe qu’une petite partie du territoire sur lequel la PNTTR revendique un titre; toutefois, le risque de conséquences négatives sur les revendications est élevé. En ce qui concerne le niveau de consultation que requiert le principe de l’honneur de la Couronne, la PNTTR avait droit à davantage que le minimum prescrit, à savoir un avis, la communication d’information et la tenue de discussions en conséquence. Bien qu’il soit impossible de déterminer à l’avance le niveau de consultation requis, il est clair que, dans les circonstances, la PNTTR avait le droit de s’attendre à des consultations plus poussées que le strict minimum et à une volonté de répondre à ses préoccupations qui puisse être qualifiée d’accommodement.

[164]       Dans l’affaire Katlodeeche, une Première Nation demandait le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien avait approuvé la décision de l’Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie qui faisait droit à la demande présentée par le promoteur en vue d’obtenir un permis d’utilisation des eaux lui permettant d’utiliser de l’eau pour ses activités d’exploration de ressources pétrolières et gazières. La Cour a conclu que la Première Nation n’avait rien de plus que des droits ancestraux et issus de traités raisonnablement défendables dans la région visée par le projet et que la gravité de toute éventuelle répercussion négative du permis d’utilisation des eaux sur les droits ancestraux et les droits issus de traités ne saurait être plus élevée que modérée. Les seuls éléments de preuve convaincants tendant à démontrer d’éventuels effets négatifs provenaient d’un rapport indiquant qu’avec la mise en application des mesures recommandées et compte tenu des engagements pris par le promoteur, l’aménagement proposé n’aurait vraisemblablement aucune répercussion environnementale importante ou ne saurait être source d’inquiétude pour le public. Pour cette raison, l’obligation de consulter se situait, selon la Cour, à une position plus élevée que le milieu du continuum. La Couronne ne pouvait se contenter de donner un simple avis et de communiquer des renseignements, mais l’affaire ne commandait pas des consultations approfondies ou de sérieuses mesures d’accommodement (paragraphes 142 à 144).

[165]    Dans la décision Squamish Nation c British Columbia (Minister of Community Sport and Cultural Development), 2014 BCSC 991, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a conclu à l’existence d’une obligation se situant au milieu du continuum étant donné que la Première Nation avait une solide revendication à un titre autochtone et que les éventuels effets négatifs sur le titre ancestral revendiqué étaient modérés. La Cour a discuté de la teneur de l’obligation de consulter se situant au milieu du continuum :

[TRADUCTION]

[197]    Bien que chaque situation soit unique et doive être abordée avec souplesse et de façon individuelle, je dégage de la jurisprudence certaines balises générales en ce qui concerne la teneur du devoir de consultation se situant au milieu du continuum. Il ne suffit pas « d’aviser les intéressés, de leur communiquer des renseignements et de discuter avec eux des questions soulevées par suite de l’avis » (Nation Haïda, par. 43). La consultation requise à cette étape est moins exigeante que celle comportant « la possibilité de présenter des observations, la participation officielle à la prise de décisions et la présentation de motifs montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et précisant quelle a été l’incidence de ces préoccupations sur la décision » (Nation haïda, au paragraphe 44).

[198]    Dans la décision Dene Tha’ First Nation c. British Columbia (Minister of Energy and Mines), le juge Grauer a conclu que le gouvernement avait mené des consultations raisonnables de niveau modéré sur l’échelle du continuum en donnant à la Première Nation la possibilité de soumettre « des observations fouillées et de vaste portée », d’échanger des rapports et de « communiquer une foule de renseignements sur le plan économique, environnemental, scientifique et spéculatif » et en mettant en place des processus permettant à la Première Nation « de participer aux décisions d’aménagement susceptible de donner lieu à des effets négatifs éventuels sur ses droits issus de traités » (au paragraphe 117).

[199]    Dans la décision Première Nation de Long Plain c Canada, le juge Hughes a estimé que l’obligation de consulter au milieu du continuum exigeait davantage que de donner un avis, de divulguer des renseignements et de répondre aux préoccupations exprimées. Il a expliqué que la consultation devait comprendre « à tout le moins certaines des obligations plus exigeantes, dont celles de rencontrer les demanderesses, d’entendre leurs préoccupations et d’en discuter avec elles, d’examiner sérieusement ces préoccupations et de faire part aux intéressés de la ligne de conduite à prendre et des raisons motivant la décision qui est prise » (au paragraphe 74).

[200]    Dans le jugement Da’naxda’xw, au paragraphe 197, le juge Fisher a conclu que l’obligation de consulter au milieu du continuum :

[…] oblige le ministre à examiner la demande de Da’naxda’xw en fonction des modalités de l’Accord de collaboration et des négociations en cours au sujet d’un processus intergouvernemental de gestion de la conservation et d’examen des modifications aux frontières et d’accorder à Da’naxda’xw la possibilité de répondre à toute préoccupation importante que le ministre peut avoir. Bien que le ministre ait le droit de tenir compte de l’intérêt du public décrit dans la politique du gouvernement, il ne peut se contenter d’accorder à Da’naxda’xw la possibilité de formuler une demande dans le cadre de cette politique. Il doit lui accorder l’occasion d’engager un dialogue de gouvernement à gouvernement en vue de tenir raisonnablement compte des intérêts de Da’naxda’xw’s pour permettre au Projet d’être examiné dans le cas du processus d’examen environnemental.

[166]    Récemment, dans la décision Adam, dans lequel le demandeur contestait deux décisions prises par le gouvernement fédéral en vertu de la LCÉE, la juge Tremblay-Lamer a conclu que la Couronne avait une obligation de tenir des consultations « approfondies ». Le projet d’expansion d’une concession minière de sables bitumineux à ciel ouvert devait être réalisé sur les terres traditionnelles d’une Première Nation qui jouissait de droits conférés par le traité no 8. Le projet d’expansion aurait détruit un tronçon, long de 21 kilomètres, de la rivière Muskeg, dont une bonne part était constituée de terres traditionnelles de la Première Nation, y compris plus de 10 000 hectares de terres humides, dont 85 p. cent de tourbières qui ne seraient pas récupérables. De plus, il aurait eu un effet préjudiciable sur les droits de la Première Nation, notamment ceux qui lui étaient conférés par le traité no 8 en vue de la chasse, de la pêche et de la récolte d’animaux et de végétaux, et il ferait obstacle à la préservation de sa culture et de son mode de vie. La juge Tremblay-Lamer a conclu la Couronne avait une obligation « approfondie » de consulter étant donné que :

Le Projet allait détruire une grande part des terres traditionnelles de la PNCA et risquait aussi de porter atteinte à la préservation de sa culture et de son mode de vie. Une partie du préjudice causé à la PNCA est potentiellement irréversible ou n’a pas été atténué en recourant à des moyens dont l’efficacité est prouvée.

[167]    Enfin, je tiens à signaler que, bien que l’obligation de consulter puisse dans certains cas exiger des mesures d’accommodement, le critère ne consiste pas en une obligation d’accommoder jusqu’au point où la population non autochtone subit une contrainte excessive. Lorsqu’une consultation adéquate a eu lieu, il incombe à la Cour d’examiner la façon dont ce pouvoir discrétionnaire a été exercé, compte tenu de l’ensemble des circonstances et des intérêts pertinents, y compris la solidité de la revendication et de la gravité de l’incidence de la mesure sur cette revendication (Little Salmon, au paragraphe 81). Autrement dit :

[2]        [...] Lorsqu’une véritable consultation a eu lieu, il n’est pas essentiel que les parties parviennent à une entente. L’obligation d’accommodement exige plutôt que les préoccupations des Autochtones soient raisonnablement mises en balance avec l’incidence potentielle de la décision sur ces préoccupations et avec les intérêts sociétaux opposés. L’idée de compromis fait partie intégrante du processus de conciliation [...]

(Taku River)

[168]    Compte tenu de ces principes et de ces décisions, la question à laquelle il faut répondre est celle de savoir où se situe, en l’espèce, l’obligation de consulter sur le continuum. Les droits en litige sont prévus par l’Accord. Par conséquent, pour l’analyse du continuum, il n’est pas nécessaire d’évaluer la solidité de la revendication et l’on peut tenir pour acquis que ce facteur indique que les consultations doivent être plus poussées que la moyenne. Toutefois, les effets éventuels du Projet sur les droits en question constituent un facteur qui doit être évalué dans le contexte de la présente demande. À cet égard, le demandeur est surtout préoccupé par les effets en aval de la bioaccumulation de méthylmercure sur ses droits de subsistance acquis.

[169]       Sur cette question, la CEC a déclaré qu’elle ne pouvait conclure avec certitude quels seraient les effets écologiques en aval de Muskrat Falls, que l’affirmation de Nalcor selon laquelle il n’y aurait aucun effet mesurable sur les niveaux de mercure à Goose Bay et au lac Melville n’avait pas été étayée, et qu’il existait un risque de bioaccumulation de mercure dans le poisson et le phoque à Goose Bay et, peut‑être, dans le lac Melville. Elle a par conséquent formulé la recommandation 6.7, soit que le MPO oblige Nalcor à réaliser une évaluation globale des effets en aval (Rapport de la CEC, chapitre 6, Environnement aquatique, pages 91 et suiv.).

[170]       La CEC a également estimé que, même s’il n’était pas certain que des avis concernant la consommation étaient nécessaires, le Projet pouvait avoir « un effet négatif important » sur la pêche et la chasse au phoque dans ces régions, puisque bon nombre d’Autochtones et de non‑Autochtones dépendent des poissons et des phoques qui y sont pris (Rapport de la CEC, chapitre 8, Utilisation des terres et des ressources, p. 161). Quant à l’utilisation des terres et des ressources par les Autochtones à des fins traditionnelles (chapitre 9), la CEC a déclaré que, si la publication d’avis concernant la consommation était nécessaire pour le lac Melville, cela aurait probablement un effet majeur sur l’acceptabilité et l’attrait de Goose Bay et du lac Melville en tant que secteur de pêche et de chasse au phoque. Même si aucun avis n’était nécessaire, la CEC a fait observer que la perte de confiance en l’innocuité du poisson ou de la viande de phoque aurait un effet négatif sur les activités de récolte traditionnelle, surtout si l’on tenait compte du fait que le déclin récent de la harde de caribous de la rivière George pouvait pousser les résidents à dépendre davantage de la viande de phoque comme source de protéine. Les activités de pêche et de chasse au phoque pourraient être déplacées ou réduites (Rapport de la CEC, page 184).

[171]       La CEC a également reconnu que la production de méthylmercure était un résultat inévitable de la mise en eau des réservoirs et que la consommation de poisson ou de nourriture traditionnelle contaminés au méthylmercure pouvait poser des risques pour la santé humaine, particulièrement chez les jeunes enfants, et que la consommation de ces aliments représentait toujours une part importante du régime alimentaire de nombreux Autochtones et non‑Autochtones du Labrador et du Québec, à la fois pour des raisons de santé et d’économie. De plus, la CEC a souligné qu’il n’existait aucune mesure d’atténuation biophysique possible pour cet effet. Elle a conclu que, s’il était nécessaire de mettre en place des avis sur la consommation à Goose Bay et au lac Melville en raison d’un niveau élevé de méthylmercure dans le poisson ou le phoque en raison du Projet, cela constituerait un « effet négatif important » pour les résidents des collectivités de la région amont du lac Melville et de Rigolet (Rapport de la CEC, chapitre 13).

[172]       Compte tenu de ces conclusions et vu la jurisprudence, j’estime qu’à défaut de dispositions précises dans l’Accord quant à la teneur de l’obligation de consulter, la présente affaire se situe entre le milieu et le haut du continuum. Les éventuels effets environnementaux négatifs importants font qu’elle se situe au‑dessus de la position médiane, mais je ne suis pas convaincue qu’il s’agit d’une situation qui relève de l’extrémité supérieure du continuum. Ainsi que la CEC l’a fait observer dans son rapport, si les niveaux de mercure dépassent les niveaux prévus et donnent lieu à la publication d’avis relatifs à la consommation, il y aurait un effet négatif important. Ce risque demeure toutefois incertain (Rapport de la CEC, aux pages 88, 89 et 238). De plus, le Rapport de la CEC indique également que l’on prévoit que les niveaux de mercure atteindront leur sommet en cinq à seize ans après l’inondation, pour ensuite diminuer graduellement vers les niveaux de référence en 30 ans ou plus (Rapport de la CEC, page 78). Bien que ce phénomène puisse prendre des décennies à se manifester et qu’il soit susceptible d’avoir des effets sur les droits de récolte et sur le mode de vie traditionnel du demandeur, il ne s’agit pas d’un phénomène permanent ou irréversible. Ainsi, la situation est différente de celle dans l’affaire Adam, dans laquelle une concession minière de sables bitumineux à ciel ouvert devait être réalisée sur des terres traditionnelles, ce qui aurait détruit un tronçon de 21 kilomètres d’une rivière de ce territoire, y compris plus de 10 000 hectares de terres humides qui ne seraient pas récupérables et aurait eu un effet négatif sur les droits de récolte.

[173]       De plus, bien que j’en vienne à la conclusion que l’obligation à laquelle le Canada est assujetti en l’espèce se situe entre le milieu et le haut du continuum selon la jurisprudence, et dans la mesure où l’obligation en common law s’applique à la présente affaire comme outil d’interprétation ou à défaut de dispositions précises en ce qui concerne la consultation, on ne peut tirer cette conclusion sans tenir compte du texte de l’Accord lui‑même. Dans l’arrêt Little Salmon, tout en concluant que la source de l’obligation de consulter était la common law en raison des lacunes du traité applicables, la Cour suprême a quand même conclu que le traité lui‑même précisait les éléments considérés par les parties elles‑mêmes comme constituant une consultation appropriée : un avis suffisamment détaillé concernant la question à trancher pour permettre à la partie devant être consultée de préparer sa position sur la question; un délai suffisant pour permettre à la partie devant être consultée de préparer sa position sur la question et l’occasion de présenter cette position et d’effectuer un examen complet et équitable de toutes les positions; enfin, l’obligation, pour la partie tenue de consulter, de procéder à un examen complet et équitable de toutes les positions présentées :

[75]      À mon avis, la définition négociée constitue un énoncé raisonnable du contenu de la consultation « au bas du continuum ». Le traité ne régit pas directement le processus d’approbation des concessions de terres, qui ne relève pas d’un traité, mais il indique de façon utile ce que les parties elles‑mêmes jugeaient équitable, et il est conforme à la jurisprudence des arrêts Nation haïda et Première nation crie Mikisew.

[174]       Dans le cas qui nous occupe, l’Accord énonce les obligations de consulter selon les mêmes modalités que celles exposées dans l’arrêt Little Salmon. Ainsi, l’Accord définit le terme « consulter » comme s’entendant du fait de fournir un avis à la personne consultée, de lui donner un délai raisonnable pour préparer son opinion et pour lui accorder la possibilité de la présenter et l’obligation pour la personne tenue de consulter d’accorder une considération complète et juste aux opinions présentées (article 1.1.1). De plus lorsqu’une « entreprise » est assujettie à la LCÉE et que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que cette entreprise ait des effets environnementaux négatifs sur les droits reconnus aux Inuits par l’Accord, les obligations supplémentaires de consultation prévues aux articles 11.6.1 à 11.6.6 s’appliquent. Même si, dans l’arrêt Little Salmon, la même définition du terme « consulter » était en litige et que la Cour suprême a conclu que la consultation se situait au bas du continuum, dans le cas qui nous occupe, les exigences supplémentaires de l’Accord exigent, à mon avis, que la consultation se situe au moins au milieu du continuum.

[175]       À ce propos, on se souviendra également que le Projet ne sera pas réalisé dans la RRIL, ce qui, aux termes de l’Accord, aurait dans certaines circonstances exigé une participation beaucoup plus grande du demandeur dans le processus d’ÉE. Le chapitre 11, intitulé « Évaluation environnementale », démontre qu’un degré plus élevé de participation du demandeur est exigé lorsque des « projets » ont lieu dans les TIL. Ainsi, aucun « projet » ne commence dans les TIL tant qu’une ÉE n’a pas été réalisée et que tous les permis, licences ou autorisations nécessaires exigés pour que le Projet commence n’ont pas été délivrés par l’autorité compétente et par le demandeur en vertu d’une loi inuite (article 11.2.1). Aucune restriction semblable ne s’applique aux « entreprises ». De plus, la partie 11.3, qui concerne la compétence du demandeur à l’égard des entreprises, projets, ouvrages et activités proposés dans les TIL, prévoit que le demandeur peut décider si une entreprise, un projet, un ouvrage ou une activité proposé dans les TIL devrait être autorisé à aller de l’avant et, le cas échéant, selon quelles modalités (alinéa 11.3.1b)). On ne trouve aucune disposition semblable dans le cas des projets ou « entreprises » réalisés à l’extérieur des TIL même lorsqu’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un projet ou une entreprise assujetti à la LCÉE ait des effets environnementaux négatifs dans la RRIL ou des effets négatifs sur des droits garantis aux Inuits par l’Accord, donnant ainsi lieu à des exigences précises en matière de consultation.

[176]       Comme l’Accord précise les circonstances dans lesquelles le consentement du demandeur à une entreprise, un projet, un ouvrage ou une activité serait nécessaire et que le Projet n’entre pas dans cette catégorie, ce facteur confirme également mon opinion que le Projet ne se situe pas au plus haut du continuum de consultation. En résumé, l’Accord confirme également que le degré approprié de consultation se situe au‑dessus du milieu du continuum, mais sous le niveau le plus élevé du continuum.

[177]       En conclusion, je suis d’avis que la portée de l’obligation de consulter dans le cas qui nous occupe est, en premier lieu, déterminée par le texte de l’Accord. Dans la mesure où elle s’applique, la teneur de l’obligation de consulter en common law au centre du continuum comprend : l’envoi d’un avis suffisant au sujet des questions à décider; un délai raisonnable pour permettre à la personne à consulter de préparer son opinion sur les questions à trancher et la possibilité de la présenter aux décideurs; des consultations menées de bonne foi avec un esprit ouvert et dans l’intention de tenir réellement compte des préoccupations de la personne consultée à mesure qu’elles sont exprimées dans le cadre d’un véritable processus de consultation (Haïda, au paragraphe 42; Makivik, aux paragraphes 76 et 78); enfin, la possibilité de nouer un dialogue direct avec la partie à consulter, notamment en lui communiquant des renseignements, en lui demandant d’exprimer ses préoccupations et en les écoutant attentivement en prenant expressément compte de leurs préoccupations pour prendre la décision et en s’efforçant de réduire au minimum les effets préjudiciables (Katlodeeche, au paragraphe 95; Première nation crie Mikisew, au paragraphe 64). Comme la présente affaire se situe au‑dessus du milieu du continuum, j’estime que l’obligation de consultation exigerait également une volonté de la part de la Couronne de répondre aux préoccupations du demandeur (Taku River, au paragraphe 25).

[178]       Autrement dit, l’obligation de consultation de la Couronne lui impose de faire en sorte que les observations de la partie à consulter ont été prises en considération (Première nation crie Mikisew, au paragraphe 64) et de répondre à ces préoccupations (Haïda, au paragraphe 44; Ka’a’Gee Tu no 2, au paragraphe 131; West Moberly, au paragraphe 144) en vue de prendre des mesures d’accommodement raisonnables (Da’naxda’xw/Awaetlala First Nation c British Columbia (Minister of Environment), 2011 BCSC 620, au paragraphe 197).

[179]       La Couronne peut également avoir l’obligation de prendre, dans la mesure du possible, des mesures d’accommodement en prenant des mesures pour éviter ou atténuer les effets négatifs importants ou un préjudice irréparable.

Question 3 : A-t-on adéquatement consulté et accommodé le demandeur?

A.        Questions préliminaires

(i)         Contestation incidente

[180]       Le demandeur soutient que l’autorisation reposait sur la Réponse du Canada et sur la décision quant à la marche à suivre, qui permettaient la réalisation du Projet, de sorte que le défaut de consulter adéquatement avant de prendre ces décisions a entaché ou compromis la capacité d’accorder l’autorisation.

[181]       Nalcor estime qu’il s’agit là d’une contestation indirecte inadmissible de la Réponse du Canada et de la décision de ce dernier quant à la marche à suivre. Tout d’abord, le délai prescrit au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales pour contester la réponse et la décision est maintenant expiré (Behn c Moulton Contracting Ltd, 2013 CSC 26, aux paragraphes 37, 40, 41 et 42; Cheslatta Carrier Nation c British Columbia (Environmental Assessment Act, Project Assessment Director) (1998), 53 BCLR (3d) 1 (CS), aux paragraphes 71, 72 et 73; Aba-Alkhail c University of Ottawa, 2013 ONCA 633, au paragraphe 12; Papaschase Indian Band No 136 c Canada (Attorney General), 2004 ABQB 655, au paragraphe 114; Athabasca Chipewyan First Nation c Alberta (Minister of Energy), 2009 ABQB 576, aux paragraphes 19, 23; Teletech Canada Inc. c Canada (Ministre du Revenu national), 2013 CF 572, aux paragraphes 43 à 51). Ensuite, l’autorisation ne dépendait ni de la Réponse du Canada ni de la décision de ce dernier quant à la marche à suivre. En fait, la décision d’accorder l’autorisation est une décision distincte prise par un autre organisme, à savoir le MPO. De plus, bien que la Réponse du Canada et la décision quant à la marche à suivre indiquent s’il convient ou non d’autoriser la réalisation du Projet, l’autorisation porte sur des activités précises et sur les conditions auxquelles ces activités sont assujetties. Enfin, la contestation de la Réponse du Canada et de la décision quant à la marche à suivre a été incorrectement formulée et plaidée puisqu’aucune réparation n’est sollicitée relativement à ces décisions; le demandeur n’a pas nommé les autres ministères responsables des consultations. De plus, une demande de contrôle judiciaire qui viserait trois décisions distinctes contreviendrait à l’article 302 des Règles puisque ces décisions ne constituent pas une série de mesures (Mahmood c Canada (1998), 154 FTR 102 (CF 1re inst), au paragraphe 10; Truehope Nutritional Support Ltd c Canada (Procureur général), 2004 CF 658, au paragraphe 6; Servier Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 196, aux 17 et 18).

[182]       Toutefois, Nalcor soutient également que les consultations menées par la Couronne avant, pendant et après les ÉE portaient sur les mesures de consultation et d’accommodement relatives à l’autorisation et qu’elles ont influencé ces mesures. À cet égard, il faut tenir compte de l’intégralité des consultations entre le MPO et le demandeur à chaque étape de l’ÉE pour comprendre l’ampleur des consultations au regard de l’autorisation.

[183]       Selon moi, le fait que la production du Rapport de la CEC soit le résultat de l’ÉE, et non de la consultation, est important. Les phases 1 à 3 du Cadre de consultation, qui ont abouti à la production du Rapport de la CEC, et la consultation à la phase 4 en réponse à ce rapport ont largement guidé la Réponse du Canada. Le Cadre de consultation exigeait également la tenue d’une consultation sur la délivrance de permis à la phase 5, dont le mécanisme a été établi dans le Protocole de la phase réglementaire et qui a servi de base à la décision d’accorder l’autorisation.

[184]       Il est par ailleurs révélateur que d’autres tribunaux qui, comme nous le verrons plus loin, ont statué sur le Projet ont confirmé que toute contestation du processus de consultation avant la conclusion des consultations des phases 4 et 5 était prématurée ou ne tenait pas compte de leur inachèvement. Cela aussi laisse entendre qu’il faut examiner le processus de consultation dans son ensemble lorsqu’on cherche à savoir si les mesures de consultation et d’accommodement relatives à la décision d’accorder l’autorisation sont suffisantes.

[185]       Dans la décision Ekuanitshit, qui a été confirmée par la Cour d’appel fédérale et pour laquelle une autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada a été refusée, la Cour était appelée à se prononcer sur la prétention du Canada selon laquelle les Innus d’Ekuanitshit avaient présenté leur demande de contrôle judiciaire, qui contestait le décret approuvant la Réponse du Canada et la décision quant à la marche à suivre, avant la fin de la période de consultation du gouvernement fédéral. À ce moment-là, on en était à la phase 5 du Cadre de consultation. La Cour a conclu qu’à ce stade du processus de consultation et d’accommodement mené par le gouvernement fédéral, un contrôle judiciaire était prématuré parce que les mesures qui mettaient vraiment en péril les droits et les intérêts du demandeur étaient celles qui nécessitaient des autorisations et des approbations accordées par le MPO et TC. Il était prématuré d’évaluer les mesures de consultation fédérales avant que ces décisions ne soient prises (Ekuanitshit CF, aux paragraphes 108 à 112). Indépendamment de cette conclusion, la Cour s’est demandé si les mesures de consultation prises jusqu’au moment où la demande avait été présentée étaient suffisantes et a conclu que la Couronne s’était acquittée de façon satisfaisante de son obligation de consulter. La Cour d’appel fédérale a souscrit à cette conclusion en ces termes :

[108]    Avec respect, il m’est difficile de conclure que le juge a erré en concluant que l’appelant a été adéquatement consulté avant la prise du décret par le gouvernement. La phase V du cadre de consultation confirme que le processus de consultation entre la Couronne et les autochtones se poursuit jusqu’à la délivrance des permis par Transports Canada et Pêches et Océans. Ces permis autoriseront Nalcor à poser certains gestes, dont la construction des barrages qui pourraient avoir des conséquences sur les eaux navigables aux termes de la Loi sur la protection des eaux navigables ou l’habitat du poisson aux termes de la Loi sur les pêches. Mais nous n’en sommes pas là. Comme l’ont confirmé et admis les représentants du Procureur général du Canada, la consultation du gouvernement fédéral n’est pas complétée et elle se poursuivra jusqu’à la dernière étape, soit la délivrance des permis.

(Ekuanitshit CAF, au paragraphe 108)

[186]       La Cour d’appel fédérale a ajouté que la Couronne devait continuer de s’acquitter honorablement de son obligation de consulter jusqu’au terme du processus (paragraphe 110).

[187]       En outre, dans l’affaire qui l’opposait à la Newfoundland and Labrador Hydro-Electric Corporation (Nunatukavut Community Council Inc c Newfoundland and Labrador Hydro-Electric Corp (Nalcor Energy), 2011 NLTD(G) 44), le NunatuKavut Community Council, qui représentait les Inuits du Centre et du Sud du Labrador, sollicitait une injonction interlocutoire visant à suspendre les audiences de la CEC jusqu’à ce que la Cour se soit prononcée sur sa revendication. En février 2011, le NunatuKavut Community Council a engagé une poursuite contre Nalcor, le Canada, la Province, l’Agence et les cinq membres de la Commission. Il réclamait notamment un jugement déclaratoire portant que les défendeurs avaient manqué à leur obligation de le consulter et enfreint les lignes directrices régissant le déroulement des consultations. Le juge Handrigan, de la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador, a rejeté la prétention du demandeur, qui affirmait qu’il subirait un dommage irréparable si l’on ne suspendait pas les audiences publiques, car il n’était pas d’accord pour dire que les mesures de consultation et d’accommodement prises jusqu’alors étaient insuffisantes. Le juge a également fait remarquer qu’il restait encore deux phases après les audiences, phases durant lesquelles la participation du NunatuKavut Community Council pouvait se poursuivre avant que le processus ne s’achève.

[188]       Je signale également que le demandeur a contesté un permis autorisant l’altération d’un plan d’eau délivré le 10 juillet 2013 par la Province au titre du Projet au motif que la Province avait manqué à son obligation de le consulter et de rechercher avec lui des accommodements. Dans l’affaire opposant le Nunatsiavut à Terre-Neuve-et-Labrador (Nunatsiavut c Newfoundland and Labrador (Department of Environment and Conservation), 2015 NLTD(G) 1 [Nunatsiavut, 2015 NLTD]), la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador a tranché la question après l’examen de la demande de contrôle judiciaire dont je suis actuellement saisie. La Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador a jugé que les conclusions de l’ÉE constituaient des renseignements solides pour fonder les décisions réglementaires qui seraient prises ultérieurement, étant donné que divers permis étaient demandés, et que l’opposition à la délivrance du permis et à la construction du barrage liée à des questions de contamination par le mercure avait été analysée de manière approfondie par la CEC et la Province, même si le demandeur n’en était pas satisfait, avant que la Province ne décide par un décret du 15 mars 2012 de soustraire officiellement le Projet à une ÉE. Le juge Orsborn était d’avis que c’était la décision de prendre ce décret qui aurait dû être contestée, plutôt qu’une décision réglementaire ultérieure portant sur les détails du Projet de construction. Il s’est exprimé en ces termes : [traduction] « […] dans ces circonstances, il serait injuste de permettre que des questions liées directement à la réponse donnée à la commission d’examen conjoint et au décret de 2012 étayent la contestation de la délivrance ultérieure d’un permis réglementaire distinct » (paragraphe 114). Pour cette raison, il n’a pas formulé d’opinion sur la question de savoir si la réponse de la province au Rapport de la CEC ou le décret lui-même étaient entachés d’un vice juridique relatif aux mesures de consultation et d’accommodement ou à leur caractère raisonnable.

[189]       Le juge Orsborn a également conclu qu’en ce qui concernait la Province, l’Accord excluait toute obligation de consulter en ce qui a trait aux décisions portant sur la délivrance de permis réglementaires particuliers dans le cadre d’une entreprise déjà approuvée, soulignant que l’Accord ne comportait pas d’équivalent à l’obligation fédérale de consulter établie à l’article 11.6.2, et ce, même si les lignes directrices provinciales en matière de consultation des Autochtones prévoyaient des obligations de consultation.

[190]       En revanche, dans la présente affaire, l’Accord prévoit explicitement une consultation ultérieure à l’étape de la délivrance de permis. Conformément à cette obligation, le Cadre de consultation indique que les décisions relatives à la délivrance de permis peuvent obliger les ministères fédéraux à tenir d’autres consultations auprès des groupes autochtones sur des questions réglementaires particulières et que la décision de mener des consultations supplémentaires sera prise en fonction :

       du bilan des consultations;

       des mesures d’atténuation, d’indemnisation ou d’accommodement prises pour résoudre les préoccupations qui n’ont pas été réglées dans le cadre de l’ÉE;

       de la réponse du gouvernement au Rapport de la CEC;

       enfin, de toute orientation qui peut être donnée par le Cabinet fédéral.

[191]       En conséquence, les phases du processus de consultation et les consultations entreprises à chaque phase sont liées et, dans une certaine mesure, elles sont cumulatives.

[192]       Il est vrai que dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur conteste seulement la décision de délivrer l’autorisation. Il est également vrai que le demandeur ne peut pas contester de façon indirecte, par le biais de la présente demande, la validité de la Réponse du Canada ou la décision de ce dernier quant à la marche à suivre. Cependant, bien que la Réponse du Canada, la décision quant à la marche à suivre et l’autorisation soient des décisions distinctes, les consultations qui ont servi de base au Rapport de la CEC et à toutes les décisions prises par la suite constituent un processus continu. Comme nous l’avons déjà expliqué, deux tribunaux ont conclu que les consultations ne seront pas vraiment achevées tant que la consultation de la phase 5, qui porte sur la délivrance de permis réglementaires, d’autorisations ou d’approbations n’est pas terminée. En outre, comme Nalcor le soutient, les consultations tenues avant, pendant et après l’ÉE portaient sur les mesures de consultation et d’accommodement exigées en ce qui concerne l’autorisation, qu’elles ont orientées. C’est pourquoi je suis d’avis, à l’instar de Nalcor, qu’à cet égard, on doit tenir compte de l’intégralité des consultations tenues entre le Canada et le demandeur à chaque étape de l’ÉE pour comprendre l’ampleur de la consultation relative à l’autorisation. Dans la mesure où le demandeur remet en question la teneur ou le caractère adéquat de la consultation relative à la décision d’accorder l’autorisation, il a le droit d’examiner le bilan des consultations antérieures à cette fin, mais pas pour tenter de remettre en question la validité des décisions antérieures.

(ii)        Délégation de pouvoir

[193]       Je rejette l’argument du demandeur selon lequel les obligations de consultation prévues par l’Accord ne pouvaient pas être respectées, du moins en partie, dans le cadre du processus de la CEC.

[194]       L’Accord intègre explicitement le mécanisme de la CEC dans les consultations lorsque le Canada saisit une commission d’examen d’un projet ou d’une entreprise comme le prévoit la LCÉE (art. 11.6.3-11.6.6 de l’Accord).

[195]       En outre, la jurisprudence confirme que l’obligation de consulter peut être respectée au moyen de la consultation qui se déroule dans le cadre du processus de réglementation. Dans l’affaire Taku River, où l’existence de droits ancestraux et de titres des Autochtones n’avait pas été prouvée et où il n’y avait pas de traité, la Cour suprême du Canada a conclu que le processus mené par la province de la Colombie-Britannique en vertu de sa Environmental Assessment Act, à laquelle la Première Nation de Taku River avait pris part pendant trois ans, respectait les exigences de procédure de son obligation de consulter :

[40]      La juge en son cabinet a estimé que l’obligation de consulter a été respectée jusqu’en décembre 1997, parce que la PNTTR participait alors à part entière à l’évaluation (par. 132). Je souscris à son opinion. La province n’était pas tenue de mettre sur pied, pour l’examen des préoccupations de la PNTTR, une procédure spéciale de consultation différente de celle établie par l’Environmental Assessment Act, qui requiert expressément la consultation des Autochtones concernés.

[196]       Dans l’arrêt Little Salmon, la Cour suprême du Canada a renvoyé à la décision qu’elle avait rendue dans l’affaire Taku River et a rappelé qu’elle avait conclu que « la participation à un forum créé pour d’autres besoins peut tout de même satisfaire à l’obligation de consulter si, pour l’essentiel, un niveau approprié de consultation a été rendu possible » (au paragraphe 39, souligné dans l’original).

[197]       De plus, cette question avait déjà été traitée dans le contexte du présent Projet dans l’arrêt Ekuanitshit, précité. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale n’a pas souscrit à l’opinion du demandeur, selon qui la Couronne ne pouvait pas respecter, même partiellement, ses obligations constitutionnelles en incluant le groupe autochtone dans le processus d’ÉE prévu par la LCÉE. Au bout du compte, la Cour a conclu que les conclusions de la CEC concernant les Innus d’Ekuanitshit et le territoire visé par le Projet étaient déterminantes dans cette affaire et l’a expliqué ainsi :

[99]      Dans Taku River, la Cour suprême a conclu que la participation à un forum créé pour d’autres besoins, tel un processus d’évaluation des impacts sur l’environnement et le milieu social, peut tout de même satisfaire à l’obligation de consulter si, pour l’essentiel, un niveau approprié de consultation a été rendu possible. Ce principe a été récemment expressément réitéré dans Little Salmon au paragraphe 39 et dans Carrier Sekani aux paragraphes 55 à 58. La Cour suprême du Canada, sous la plume du juge Binnie, nous enseigne aussi que, dans les circonstances appropriées, le processus d’évaluation environnementale prévu à la LCÉE peut être utilisé par le gouvernement fédéral afin de mener des consultations et s’acquitter de son obligation de consultation envers les autochtones (Québec (Procureur général) c. Moses, [2010] 1 R.C.S. 557 au para. 45).

[Souligné dans l’original.]

(Voir également la décision Katlodeeche, qui conclut au paragraphe 97, que la Couronne peut se fonder sur les processus de réglementation pour savoir si elle s’est acquittée ou non de son obligation de consultation.)

[198]       À mon avis, étant donné que le recours au processus d’ÉE prévu par la LCÉE dans ces circonstances était explicitement envisagé par l’Accord, il ne fait aucun doute que les parties à l’Accord entendaient y inclure une partie de l’obligation impérative de consultation en ce qui concerne le Projet.

[199]       De même, je ne vois pas d’erreur dans l’utilisation du Cadre de consultation en cinq phases ou du Protocole de la phase réglementaire. Le demandeur a été avisé en mai 2007 que le Canada et la Province avaient proposé la création d’une CEC pour l’ÉE. En août 2010, le Cadre de consultation a été remis au demandeur, qui a signalé une préoccupation concernant le délai de réponse, mais n’a pas exprimé d’opposition à l’égard du processus. Quant au Protocole de la phase réglementaire, l’Agence en a fourni une version provisoire au demandeur en juillet 2012. Par la suite, le demandeur a formulé des commentaires sur ce document provisoire et le MPO l’a révisé en fonction de ces commentaires.

[200]       Dès lors que le mécanisme établi par ces protocoles répondait à l’obligation de consultation imposée par l’Accord et que les réponses données à l’égard du mécanisme proposé dans ces protocoles ont été dûment et équitablement prises en compte, l’obligation de consultation définie dans l’Accord et énoncée aux articles 1.1.1, 11.2.8, 11.6.1 et 11.6.2 pouvait être respectée au moyen d’un tel mécanisme. La Couronne a toute latitude pour définir la structure du mécanisme de consultation et une grande souplesse lui est accordée pour s’acquitter de son obligation de consultation (Cold Lake, au paragraphe 39).

[201]       À cet égard, le Protocole de la phase réglementaire prend en compte l’exigence prévue à l’article 11.6.2 de l’Accord de tenir des consultations permanentes après la conclusion de la consultation faisant partie du processus d’ÉE prévu par la LCÉE et prévu à l’article 11.6.1 de l’Accord.

[202]       En conséquence, je conclus que l’obligation de consultation de la Couronne pouvait être respectée, au moins en partie, au moyen du processus de la CEC.

B.        A-t-on adéquatement consulté et accommodé le demandeur?

Thèse du demandeur

[203]       Le demandeur affirme qu’il a systématiquement fait connaître ses préoccupations et qu’il a tenté de créer un bon programme de recherche permettant de comprendre comment le méthylmercure entrait dans la chaîne alimentaire et pour en assurer la détection rapide. Une fois que les concentrations de mercure dans le poisson et le phoque commencent à s’élever, la seule mesure qu’on puisse prendre est la publication d’avis relatifs à la consommation, ce qui, soutient le demandeur, n’est pas une mesure d’atténuation et ne protège pas le droit des Inuits du Labrador de pratiquer la pêche et la chasse de subsistance.

[204]       Le demandeur soutient que le Canada a manqué à trois égards importants à l’obligation de consultation que lui impose l’Accord : (i) le Canada a omis de respecter les exigences définies aux articles 11.6.1 et 11.6.2 et n’a pas pris de mesures de consultation convenables envers le demandeur; (ii) il n’a pas suffisamment consulté le demandeur en ce qui concerne ses principales décisions, contrairement à ce prévoit l’article 11.6.2; (iii) enfin, il n’a pas dûment et équitablement pris en compte les préoccupations du demandeur et n’a pas pris de mesures d’accommodement suffisantes à cet égard.

[205]       La lettre commune de l’Agence et de la Province, datée du 1er mai 2008, ne mentionne nullement l’article 11.6 de l’Accord. Selon le demandeur, la manière dont le Canada a vu cette obligation était d’éluder la question plutôt que de s’acquitter de son obligation. Cette attitude est celle qui a été suivie systématiquement, de sorte que lorsque les principales décisions ont été prises et les principales étapes franchies relativement à l’autorisation, le Canada ne s’est pas inspiré de l’article 11.6.2 de l’Accord, mais plutôt des protocoles et des lignes directrices élaborés par les gouvernements fédéral et provincial.

[206]       Aux termes de l’article 11.6.2 de l’Accord, le Canada devait fournir une version provisoire du programme ÉSEE et de l’autorisation une fois la décision préliminaire prise en ces matières afin de donner au demandeur la possibilité de formuler son point de vue à ce sujet.

[207]       En outre, le demandeur soutient que le Canada ne l’a pas convenablement consulté en ce qui concerne sa réponse et la décision quant à la marche à suivre, comme le lui imposait l’article 11.6.2 de l’Accord, compromettant ainsi sa capacité d’accorder l’autorisation. Plus précisément, le demandeur soutient que son point de vue n’a pas été dûment pris en compte dans la Réponse du Canada et dans la décision de ce dernier quant à la marche à suivre, car la Réponse du Canada ne fait pas expressément référence aux Inuits ou à l’Accord et n’aborde pas la question de savoir s’il est raisonnable de s’attendre à ce que le Projet ait des effets environnementaux négatifs dans la RRIL ou sur les droits des Inuits aux termes de l’Accord. Le Canada n’a donc pas démontré qu’il avait dûment et équitablement pris en compte le point de vue du demandeur, selon ce dernier.

[208]       De plus, la note d’information finale de Ray Finn envoyée au directeur général régional du MPO avant que le Canada ne donne sa réponse indique que le demandeur était [traduction« dans l’ensemble favorable » au Projet. On trouve une affirmation semblable dans le résumé de la position des Autochtones, qui fait partie du Rapport de consultation des Autochtones. Ces affirmations présentent la position du demandeur d’une façon injustement trompeuse et ne respectent pas le principe de l’honneur de la Couronne ou son obligation de consulter véritablement le demandeur, selon ce dernier.

[209]       Le demandeur soutient également que le défendeur n’a pas dûment et équitablement pris en compte son point de vue sur la contamination par le mercure en aval, comme le lui imposait l’Accord, ni dans la Réponse du Canada, ni dans la décision quant à la marche à suivre, ni dans la décision d’accorder l’autorisation. Le demandeur a toujours dit qu’il fallait étudier la question des effets en aval et comprendre ces effets, ce qui est aussi l’avis exprimé par la CEC dans la recommandation 6.7. La décision d’accorder l’autorisation montre que les préoccupations fondamentales et le point de vue du demandeur n’ont pas été pris en compte.

[210]       À une exception près, la Réponse du Canada au point de vue présenté par le demandeur sur l’autorisation a consisté à rejeter ce point de vue. La modification des exigences de surveillance du programme ÉSEE était mineure, n’a pas tenu compte des préoccupations ou observations fondamentales du demandeur et s’est résumée à ce que la Réponse du Canada à la recommandation 6.7 dictait. En bref, la Réponse du Canada a servi à prédéterminer ce qui avait été étudié et décidé en ce qui concerne l’autorisation et le programme ÉSEE, ce qui n’était ni juste ni raisonnable.

Thèse du Canada

[211]       Le Canada soutient que les vastes consultations qui ont été tenues en l’espèce étaient de véritables consultations, complètes et suffisantes, ce qui lui permet d’affirmer qu’il s’est acquitté de l’obligation de consultation que lui imposent l’Accord, l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et le principe de l’honneur de la Couronne, même si des « consultations approfondies » étaient requises.

[212]       L’obligation de consultation ne constitue pas un veto sur la marche à suivre proposée (Little Salmon, au paragraphe 14; Première nation crie Mikisew, au paragraphe 65) et il n’existe pas d’obligation de tomber d’accord (Haïda, aux paragraphes 42, 49).

[213]       Le Canada estime qu’il a respecté son obligation de consultation, définie dans l’Accord, et que le gros des consultations a eu lieu dans le cadre de l’ÉE. Le demandeur devrait être réputé avoir accepté, tant sur la forme que sur le fond, les consultations tenues dans le cadre de l’ÉE jusqu’à la production du Rapport de la CEC, qui fait partie de ce processus, et la consultation tenue en réponse à ce rapport, car : le demandeur a participé activement au processus de la CEC; il a présenté directement des observations qui ont abouti à des modifications de forme et de fond de la part du Canada; la CEC a examiné les préoccupations du demandeur et y a donné suite; enfin, le demandeur a reconnu le caractère satisfaisant et la teneur du Rapport de la CEC dans son communiqué de presse et dans sa propre réponse à ce rapport.

[214]       Le Canada avance que l’affirmation du demandeur, qui prétend ne pas avoir été consulté au sujet de la Réponse du Canada au Rapport de la CEC, vise à isoler artificiellement un élément d’un processus de consultation complexe et continu. En tout état de cause, la Réponse du Canada et le processus suivi pour y aboutir ont été étudiés par la Cour et jugés raisonnables (Ekuanitshit CF, au paragraphe 95). En l’espèce, les consultations sont allées plus loin que dans l’affaire Little Salmon, où un mécanisme rudimentaire répondait à une semblable définition de la notion de « consultation » dans le traité faisant l’objet du litige.

[215]       Dans le même ordre d’idées, le Canada estime que l’affirmation du demandeur, qui prétend ne pas avoir été consulté au sujet de l’autorisation, isole abusivement la phase 5 du mécanisme. Le processus qui a abouti à l’autorisation était vaste et équitable. Le demandeur n’a pas demandé d’examiner une version provisoire de l’autorisation et ne cite aucune décision à l’appui de son affirmation voulant que le Canada ait l’obligation de lui fournir une version provisoire. De plus, le demandeur a accepté les protocoles de consultation qui ont été suivis.

[216]       Le demandeur a été informé à de nombreuses reprises que le MPO envisageait d’accorder une autorisation en vertu de la Loi sur les pêches et il a été consulté au sujet du processus à suivre; il a pu notamment présenter des observations sur la version provisoire des protocoles de consultation. Le demandeur conteste maintenant le fait que le MPO a suivi ces protocoles, mais il y a largement souscrit à l’époque. De plus, outre les étapes établies dans le Protocole de la phase réglementaire, le demandeur a rencontré en personne le ministre des Pêches et des Océans le 12 février 2013 pour discuter de questions particulières. On a fait comprendre au demandeur que le Plan CHP et le programme ÉSEE seraient des conditions clés de l’autorisation, et ce dernier a exprimé ses préoccupations concernant le programme ÉSEE. Le MPO en a tenu compte et a obligé Nalcor à modifier le programme en fonction de ces préoccupations. Il n’y avait pas de surprises dans le texte de l’autorisation, et le demandeur n’a pas demandé d’en voir une version provisoire ni exprimé de réserves à ce sujet dans le mémoire qu’il a déposé dans le cadre du contrôle judiciaire. Les groupes autochtones sont tenus d’exprimer leurs préoccupations pour donner à la Couronne la possibilité de les étudier. Les soulever pour la première fois devant une cour est inacceptable (Première nation crie Mikisew, au paragraphe 65; Katlodeeche, aux paragraphes 119, 164 et 165).

[217]       Quant aux mesures d’accommodement, le Canada affirme que, bien qu’il n’ait pas réalisé le souhait du demandeur, qui désirait se faire confier les responsabilités de la cueillette de données de base et de la surveillance du lac Melville, et qu’il ait plutôt confié à Nalcor la responsabilité de la surveillance, il a quand même pris des mesures d’accommodement raisonnables et complètes pour résoudre les préoccupations du demandeur en adaptant le processus d’ÉE et les conditions de l’autorisation. C’est un compromis qu’on exige, et non la perfection (Haïda, aux paragraphes 62 et 63), et lorsqu’une consultation digne de ce nom a été tenue, il n’existe aucune obligation ultime de parvenir à une entente (Taku River, au paragraphe 2). Si la consultation a été suffisante, il est acceptable pour un décideur de prendre la décision envisagée, même lorsqu’un groupe autochtone maintient que ses préoccupations n’ont pas été prises en compte de manière satisfaisante (Little Salmon, au paragraphe 84; Katlodeeche, au paragraphe 101; Taku River, au paragraphe 42).

[218]       Le Canada soutient qu’on a répondu à chacune des préoccupations du demandeur dans le cadre des consultations. En voici le résumé :

  1. « Défrichement complet » du réservoir – Le demandeur était d’accord avec la recommandation de la CEC jusqu’à un stade avancé du processus, mais, le 2 juillet 2013, il a écrit au ministre des Pêches et des Océans pour faire savoir que sa position avait changé, au point où le défrichement complet devait, selon lui, comprendre l’enlèvement de tous les arbres et de la couche supérieure de matière organique se trouvant dans le réservoir. La CEC avait déjà étudié cette possibilité, faisant toutefois observer que le défrichement complet ne signifiait pas l’enlèvement de tous les arbres et qu’il n’était pas prouvé que l’enlèvement d’une couche du sol constituait une mesure d’atténuation. De plus, le ministre a répondu à cette lettre et, dans sa réponse, il a rappelé que la question de la coupe rase de la végétation relevait de la compétence de la province. En tout état de cause, les préoccupations du demandeur ont été examinées de manière approfondie puisque Nalcor se livre à de vastes coupes de bois de qualité marchande dans le réservoir de Muskrat Falls.
  2. Données de base et programme de surveillance des effets possibles en aval – La recommandation 6.7 était la grande priorité du demandeur. Dans sa réponse, le Canada était d’accord avec l’esprit de cette recommandation et a dit clairement qu’il obligerait Nalcor à recueillir des données de base supplémentaires avant la mise en eau et à mettre en œuvre un programme de surveillance pluriannuel du mercure et d’autres effets en aval possibles. Le demandeur a souscrit à la recommandation 6.7 et sa position était qu’on devrait obliger Nalcor à lui fournir des fonds pour lui permettre de diriger un groupe de recherche qui serait chargé de recueillir des données de base et d’assurer la surveillance du lac Melville.

Le MPO a fait savoir au demandeur qu’il veillerait à ce que Nalcor recueille assez de données de base et assure de manière continue une bonne surveillance du lac Melville, et qu’il n’ordonnerait pas à Nalcor d’engager ou de financer le demandeur pour la réalisation de ce travail. Le Canada a obligé Nalcor à améliorer la première version de son programme ÉSEE en ce qui concerne les données de base et la surveillance, et l’autorisation tient compte des principales préoccupations du demandeur à cet égard. En outre, le demandeur effectue sa propre évaluation de base et sa propre surveillance des effets en aval du Projet. Il bénéficiera donc des travaux de recherche de Nalcor autant que des siens. Enfin, le MPO a le pouvoir de révoquer l’autorisation ou de prendre ultérieurement d’autres mesures si on estime que les effets seront plus graves que ce qui est autorisé.

  1. Représentation des Inuits dans la gestion du Projet et accord-cadre – Dans sa lettre de novembre 2011, le demandeur explique qu’il est d’avis que l’autorisation devrait stipuler : a) qu’il aurait sa place dans une structure de gestion de haut niveau du Projet; b) que Nalcor et lui devraient conclure un accord-cadre relatif à l’indemnisation en cas d’effets néfastes. Le MPO a répondu à cette lettre, puis il n’y a eu aucune nouvelle communication sur la question de la participation à la gestion du Projet.

[219]       Le Canada estime que les conditions de l’autorisation prennent effectivement en compte les préoccupations essentielles du demandeur et constituent un compromis important et convenable, bien que ce ne soit pas exactement celui que le demandeur proposait. Puisque des consultations appropriées ont eu lieu et que les préoccupations du demandeur ont été entendues, comprises et prises en compte, le pouvoir d’autoriser le Projet a été exercé de manière raisonnable, les conditions de l’Accord ont été respectées et l’honneur de la Couronne a été respecté.

Thèse de Nalcor

[220]       Nalcor affirme que le demandeur a bénéficié du plus haut degré de consultation, en l’occurrence celui se situant à l’extrémité supérieure du continuum, que ce degré dépassait ce qu’imposait l’Accord et que des mesures d’accommodement convenables ont été prises pour répondre aux préoccupations du demandeur.

[221]       Conformément à l’article 11.2.8 de l’Accord, le demandeur a été avisé par le MPO de l’enregistrement du Projet, de l’ÉE et de l’autorisation. Le demandeur a également reçu des informations importantes avant, pendant et après l’ÉE, notamment l’ÉIE, les demandes d’information (dont un grand nombre répondait directement aux commentaires du demandeur), les versions provisoires du Plan CHP et du programme ÉSEE et des renseignements fournis directement par le MPO et Nalcor. Conformément à l’article 11.2.9 de l’Accord, le demandeur a été consulté de manière approfondie sur le processus d’ÉE.

[222]       En ce qui concerne la consultation relative aux effets environnementaux du Projet, prévue à l’alinéa 11.6.1a) de l’Accord, le demandeur a reçu un préavis de Projet et des milliers de pages d’information, et il a eu le temps de préparer des études, des exposés et des communications pour préparer son point de vue. Il a également reçu des fonds fédéraux à cette fin. Le demandeur a assisté aux audiences de la CEC et rencontré plusieurs fois directement des représentants du gouvernement, dont des représentants du MPO, pour pouvoir présenter son point de vue. Il a même rencontré le ministre.

[223]       Nalcor soutient que les opinions mêmes qui, selon ce que prétend aujourd’hui le demandeur, n’ont pas été dûment et équitablement prises en compte ont été exprimées, qu’on peut démontrer qu’elles ont été prises en compte par la CEC, les AR et le gouverneur en conseil, et que des mesures d’atténuation ont été prises pour donner suite directement aux opinions et aux préoccupations du demandeur. La demande d’information no 166 de la CEC exigeait que Nalcor élargisse la zone d’étude des effets en aval au-delà de ce qui était prévu dans l’ÉIE. En outre, le demandeur a été consulté directement au sujet du Rapport de la CEC, et la Réponse du Canada et la décision de ce dernier quant à la marche à suivre acceptaient la majorité des recommandations de la CEC qui préoccupent le demandeur et préconisaient d’importantes mesures d’atténuation afin de protéger les intérêts des Autochtones.

[224]       En ce qui concerne l’autorisation, une fois que l’avis a été donné conformément aux articles 11.2.8 et 11.2.9, la seule disposition pertinente était l’article 11.6.2, qui exigeait que le MPO tienne une consultation avant de décider d’accorder l’autorisation. Le demandeur a reçu avis de la demande d’autorisation et avait auparavant été avisé de la tenue imminente d’une consultation relative à la réglementation. Le MPO a consulté le demandeur au sujet du protocole devant régir une telle consultation. Le demandeur a également reçu à l’avance des exemplaires du Plan CHP et du programme ÉSEE, des résumés de ces documents et des détails supplémentaires sur ces documents.

[225]       Le demandeur a bénéficié d’un délai raisonnable pour formuler son opinion sur le Plan CHP et sur le programme ÉSEE et il a eu la possibilité de la présenter.

[226]       Quant à savoir si l’opinion du demandeur a été dûment et équitablement prise en compte, l’ensemble de la documentation sur les consultations relatives à l’ÉE a été acheminé au MPO. Le MPO avait tenu des consultations directes avec le demandeur depuis 2006 et il connaissait déjà bien les préoccupations du demandeur. Le MPO a également donné des réponses orales et écrites au demandeur sur la manière dont ses préoccupations avaient été étudiées.

[227]       De plus, des mesures d’accommodement raisonnables ont été prises en faveur du demandeur. Si le MPO n’a pas suivi les demandes précises du demandeur, c’est parce que ce n’était pas au MPO qu’il incombait de le faire ou parce qu’une mesure de rechange raisonnable avait déjà été adoptée dans l’autorisation. La Couronne n’est pas tenue d’accepter toutes les demandes du demandeur. Sa décision doit se situer dans un éventail de solutions raisonnables.

[228]       Les groupes autochtones doivent également être souples et raisonnables dans les discussions relatives aux mesures d’accommodement possibles (Haïda, aux paragraphes 47 à 50, 62 et 63; Première nation crie Mikisew, au paragraphe 66; Taku River, au paragraphe 2; Native Council of Nova Scotia, au paragraphe 60; Kwicksutaineuk, au paragraphe 124).

[229]       Quant au défrichement complet du réservoir de Muskrat Falls, une telle directive déborde le cadre de la compétence du ministre et la Réponse du Canada a rappelé que cette mesure relevait de la compétence provinciale. De plus, Nalcor a conclu qu’aucune preuve scientifique n’appuyait l’affirmation selon laquelle le défrichement complet permettrait de réduire considérablement les effets du méthylmercure en aval. Quoi qu’il en soit, cette question a été examinée en profondeur et, dans les circonstances, une telle directive n’aurait pas été raisonnable.

[230]       En ce qui concerne le programme de prévision et d’évaluation des effets sur le milieu aquatique, cette question a fait l’objet d’une vaste consultation et constituait une exigence de la Réponse du Canada et de sa décision quant à la marche à suivre. Le MPO a également exigé des améliorations de la version provisoire du programme ÉSEE à la suite des commentaires du demandeur. Selon Nalcor, le demandeur préfère tout simplement son propre programme à celui qu’exige le ministre et demande à la Cour d’usurper le rôle du ministre et de devenir une « académie des sciences ». Le demandeur n’a présenté aucune preuve appuyant la probabilité d’effets néfastes dans la RRIL et les recherches de Nalcor ne corroborent pas la théorie du demandeur, qui prétend qu’il sera affecté par un accroissement du taux de mercure. Au cours de l’ÉE, le demandeur s’est déclaré insatisfait des recherches de Nalcor, qui, dans le souci de trouver un accommodement pour répondre à ses préoccupations, a dû effectuer de nouvelles recherches et de nouvelles modélisations qui ont abouti à la même conclusion. Nalcor s’est également engagée à mettre en œuvre un vaste programme pour surveiller le taux de mercure dans le poisson et à publier des avis relatifs à la consommation si le taux de mercure atteignait ou dépassait celui prévu par les lignes directrices du ministère de la Santé du Canada.

[231]       Le MPO a conclu que les plans envisagés dans l’autorisation étaient raisonnables dans les circonstances, décision que le ministre était habilité à prendre.

[232]       Enfin, s’agissant de l’accord-cadre intervenu entre le demandeur et Nalcor, cette dernière soutient que les preuves scientifiques présentées au ministre concluent à l’improbabilité d’effets importants en aval dans la RRIL. De plus, les plans exigent déjà un engagement en faveur de mesures d’atténuation, ce qui comprend des mesures d’indemnisations, si les résultats de la surveillance devaient indiquer qu’il y a des effets en aval dans la RRIL. Puisqu’on n’anticipe aucun effet en aval, il n’est pas raisonnable d’exiger un accord-cadre. L’autorisation exige, de manière raisonnable, que Nalcor effectue la surveillance nécessaire et agisse promptement si les effets sur l’environnement dépassent les pronostics, ce qui est raisonnable.

Analyse

a) Questions distinctes relatives aux consultations

[233]       Pour décider de délivrer l’autorisation, le Canada a, selon moi, pris des mesures de consultation et d’accommodement suffisantes envers le demandeur, conformément aux conditions de l’Accord. Avant d’exposer les motifs de ma conclusion, j’évoquerai brièvement quelques-unes des préoccupations pertinentes exprimées par le demandeur dont on peut traiter hors du cadre de l’analyse principale.

i.          Caractère adéquat des mesures de consultation aux phases 1 à 3

[234]       Nous avons déjà expliqué que, dans la définition précise qu’en donne l’Accord, une ÉE comprend l’évaluation des effets environnementaux d’une entreprise qui est assujettie à la LCÉE. Le Projet est une entreprise au sens de l’Accord. Selon la définition qu’en donne l’Accord, le terme « consulter » signifie donner à la partie consultée un avis, un délai raisonnable pour qu’elle puisse se préparer et la possibilité d’exposer son point de vue sur la question et d’obtenir un examen équitable de son point de vue. En outre, puisqu’il a été établi qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le Projet ait des effets environnementaux négatifs dans la RRIL ou sur les droits des Inuits prévus par l’Accord, l’article 11.6.1 de l’Accord imposait l’obligation supplémentaire de veiller à ce que le demandeur soit consulté au sujet des effets environnementaux et de la meilleure façon d’assurer une participation significative des Inuits à l’ÉE, et à ce que le demandeur reçoive un rapport d’ÉE comprenant les justifications, les conclusions et les recommandations de la CEC.

[235]       Je suis d’avis que le résumé des faits exposés au début des présents motifs démontre que le demandeur a été adéquatement consulté aux phases 1 à 3 dans le cadre du processus d’ÉE piloté par la CEC, conformément à l’Accord. C’est donc dire que les exigences de consultation prévues à l’article 11.6.1 ont été respectées.

[236]       Le demandeur a participé pleinement au processus de la CEC et la CEC s’est acquittée de la tâche qui lui incombait d’intégrer dans son rapport les renseignements fournis par les groupes autochtones, dont le demandeur, concernant les usages traditionnels en lien avec les effets environnementaux possibles du Projet sur les droits reconnus des Autochtones ainsi que leurs préoccupations à cet égard. La question d’une possible bioaccumulation de méthylmercure, notamment en aval de Muskrat Falls, à Goose Bay et au lac Melville, a occupé une place primordiale dans les analyses de la CEC et a constitué la base d’un grand nombre de ses recommandations. Lors de la publication du Rapport de la CEC, le demandeur a fait savoir publiquement qu’il était dans l’ensemble satisfait de ses conclusions (communiqué de presse du Nunatsiavut du 29 août 2011, « Nunatsiavut Government pleased with panel recommendations on proposed Lower Churchill project ») et, fait non négligeable, le point central des préoccupations du demandeur à l’égard du processus de consultation et d’accommodement qui a suivi la publication du Rapport de la CEC portait sur la question de savoir dans quelle mesure Nalcor était tenue de se conformer à la recommandation 6.7 de la CEC, qui portait sur les effets en aval.

[237]       De plus, bien qu’à divers stades de ses communications écrites et orales le demandeur ait affirmé que ses préoccupations, en particulier celles qui concernaient la bioaccumulation de méthylmercure en aval du Projet, n’avaient pas été suffisamment prises en compte tout au long du processus d’ÉE et avant la décision d’accorder l’autorisation, il a fini par admettre devant moi, à l’audience, qu’il ne remettait pas en question le caractère adéquat des mesures de consultation prises envers lui par l’entremise de la CEC. Par conséquent, le différend ne porte pas sur les consultations essentielles menées à ces phases en ce qui concerne la décision d’accorder l’autorisation, conformément à l’article 11.6.2 de l’Accord, lorsqu’on examine l’intégralité des mesures de consultation aux cinq phases.

ii.         Rapport de consultation des Autochtones

[238]       Le demandeur critique également le Rapport de consultation des Autochtones sur le Projet qui a été préparé par l’Agence en janvier 2012. Le demandeur estime que ce rapport décrit de façon inexacte sa position, ce qui, en conséquence, est contraire à l’honneur de la Couronne, ou qu’il démontre l’insuffisance de véritables mesures de consultation.

[239]       Le demandeur n’a pas eu connaissance de ce document avant le processus de divulgation lié à sa demande de contrôle judiciaire. Il importe toutefois de noter que le rapport décrit la position de chacun des groupes autochtones qui y sont nommés en ce qui concerne la façon dont les effets néfastes possibles du Projet proposé pourraient se répercuter sur leurs droits ancestraux ou issus de traités existants ou éventuels. Cet argument était fondé sur les communications présentées par les groupes autochtones devant la CEC et sur les commentaires formulés directement par eux aux représentants des ministères fédéraux.

[240]       Le point 6.2 du Rapport de consultation des Autochtones concerne le demandeur, à savoir le gouvernement du Nunatsiavut, en tant que représentant des Inuits du Labrador. Il décrit le profil de la communauté, l’Accord, et explique notamment que les Inuits vivant à l’extérieur de la RRIL ont des droits de cueillette et de chasse, qui incluent la chasse aux oiseaux migrateurs, comme le prévoient les dispositions du chapitre 12 (annexe 12-E), et que l’article 11.6.1 de l’Accord impose la tenue de consultations. Le rapport souligne que, dans sa communication du 31 mars 2011 à la CEC, le demandeur a affirmé qu’il ne pouvait pas appuyer le Projet tel qu’il était proposé à ce moment-là. Dans les observations finales qu’il a présentées à la Commission en avril 2011, le demandeur a exprimé ses préoccupations, que nous avons décrites, et formulé une liste de recommandations visant à résoudre ces questions. Le rapport décrit également les conclusions de la CEC sur les préoccupations du demandeur et la réponse du 11 novembre 2011 du demandeur au Rapport de la CEC, y compris les trois principales recommandations du demandeur proposant des mesures d’atténuation. Le rapport résumait ainsi la position du demandeur :

[traduction]

7.1.1 Le Nunatsiavut

Le Nunatsiavut est surtout préoccupé par les effets possibles du mercure en aval du Projet. Le promoteur ne considérait pas que les Inuits seraient affectés par son projet et, pour l’essentiel, il a exclu les Inuits du Labrador de son analyse des impacts du projet. Le Nunatsiavut a insisté pour dire que la Commission avait conclu qu’il y aurait des effets néfastes considérables pour les Inuit, mais qu’elle n’avait pas tiré la même conclusion dans le cas des autres groupes autochtones visés par le processus d’évaluation environnementale.

Le Nunatsiavut maintient que les droits, les titres et le territoire traditionnel des Inuits, prévus dans l’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador et dont il a été convenu dans l’accord parallèle avec la Nation innue, subiront d’importantes répercussions négatives si le projet proposé est réalisé. Le Nunatsiavut affirme que le promoteur du projet et les gouvernements provincial et fédéral doivent prendre des mesures d’accommodement et d’atténuation à cet égard et a fait clairement savoir que la tenue d’une nouvelle consultation ne constituait pas une mesure d’atténuation et ne pouvait y être assimilée. Le Nunatsiavut a également demandé aux gouvernements provincial et fédéral de prendre connaissance d’une étude récente portant sur les effets sur la santé humaine de l’exposition prénatale et infantile à des contaminants environnementaux comme le méthylmercure et sur la santé et la croissance des enfants inuits du Nunavik (Nord du Québec) publiée après les audiences de la Commission.

[241]       Le point 7.2 du rapport souligne également que le demandeur a formulé des recommandations qui visaient à résoudre ses préoccupations relatives aux mesures d’atténuation tout en favorisant le développement du Projet et qui concernaient sa participation à un mécanisme de gestion de haut niveau du Projet, et a fourni un financement minimal annuel de 200 000 $ pour les recherches de base et la surveillance. Il restait une question non réglée, à savoir le souhait du demandeur de disposer d’un mécanisme pour indemniser les Inuits de tous les effets du Projet : dans sa réponse au Rapport de la CEC, le demandeur a proposé un texte qu’il voulait faire inclure dans les permis relatifs au Projet.

[242]       Le demandeur conteste ce rapport, car il dit que le Nunatsiavut est [traduction« dans l’ensemble favorable au Projet » (Rapport de consultation des Autochtones, point 7). À ce sujet, dans ses réponses à l’interrogatoire écrit, M. Chapman a déclaré que, d’après ce qu’il avait compris, cette déclaration reposait sur le fait que le demandeur avait présenté des recommandations à la CEC sur la manière possible de résoudre les problèmes qui le préoccupaient et n’avait pas rejeté carrément la possibilité d’envisager la réalisation du Projet sous quelque forme que ce soit.

[243]        De même, le demandeur critique la note de service du MPO du 30 janvier 2012 au directeur général régional du MPO parce qu’elle aussi dit que la Nation innue et le gouvernement du Nunatsiavut sont [traduction« dans l’ensemble favorables au Projet ». Le demandeur estime que cette note de service décrit de façon inexacte sa position. Lorsqu’on lui a posé des questions sur ce point dans l’interrogatoire écrit, l’auteur de la note, M. Finn, a déclaré que son affirmation selon laquelle le demandeur était dans l’ensemble favorable au Projet reposait sur le fait que le demandeur avait formulé des recommandations à la CEC pendant et après les audiences de la Commission sur les moyens de résoudre les préoccupations du demandeur. Il a cité en exemple les recommandations présentées par le demandeur dans ses communications du 13 avril 2011 à la CEC et les recommandations formulées dans sa réponse au Rapport de la CEC.

[244]       À cet égard, il convient de noter que dans sa réponse au Rapport de la CEC, le demandeur a formulé trois grandes recommandations qui [traduction] « contribueraient à atténuer les répercussions du Projet sur les Inuits et leurs droits et permettraient aux Inuits de contribuer de manière constructive à la réalisation du processus dans la partie inférieure du fleuve Churchill ». De plus, dans sa lettre du 16 janvier 2012 à la Province et au MPO, le demandeur a décrit quatre mesures d’atténuation majeures qu’il avait évoquées lors d’une rencontre avec le premier ministre de la Province le 9 janvier 2012. Ces deux documents sont antérieurs à la note de service du MPO et au Rapport de consultation des Autochtones que le demandeur critique.

[245]       À mon avis, cette question importe peu en l’espèce. Le Rapport de consultation des Autochtones et le Rapport de la CEC ont clairement communiqué les préoccupations du demandeur, y compris sa préoccupation constante à l’égard des effets en aval de la bioaccumulation du méthylmercure, et les mesures d’atténuation qu’il avait proposées. Fait plus important, les commentaires exprimaient bien la position du demandeur au moment où ils ont été formulés. C’est pourquoi je ne souscris pas à l’affirmation voulant que le MPO ait présenté de manière inexacte la position du demandeur et qu’en conséquence, il ait agi contrairement à l’honneur de la Couronne ou que les commentaires indiquent un manque de véritables consultations.

[246]       Le demandeur souligne également que, bien que la note de service du MPO en question date de six jours après le Rapport de consultation des Autochtones de l’Agence, il y est dit que le MPO participerait à la préparation de ce rapport pour veiller à ce qu’on donne suite aux préoccupations des Autochtones, lorsque cela était indiqué, avant que le Canada ne prenne sa décision. Là encore, à mon avis, bien que la note de service de mise à jour du MPO soit inexacte, cela ne porte guère à conséquence.

iii.        La procédure prévue à l’article 11.6.2

[247]        Le demandeur soutient également qu’il faut voir dans l’Accord l’exigence d’une procédure par laquelle le Canada devait fournir au demandeur des exemplaires des rapports résultant du processus d’ÉE prévu à l’alinéa 11.6.1c) puis, conformément à l’article 11.6.2, prendre une décision préliminaire sur le Projet. Si cette décision préliminaire avait été favorable à la réalisation du Projet, il aurait fallu en aviser le demandeur, lui fournir assez de renseignements sur la décision envisagée pour lui permettre de formuler son opinion et lui donner assez de temps pour préparer une réponse, qui aurait alors été dûment et équitablement étudiée.

[248]       À mon avis, il faut y voir en réalité une tentative de contestation incidente de la Réponse du Canada puisqu’il s’agissait de la décision qui permettait la réalisation du Projet, sous réserve des exigences de la décision quant à la marche à suivre. Je souligne toutefois qu’on a fourni au demandeur le rapport exigé en vertu de l’alinéa 11.6.1c), qui était le Rapport de la CEC. Quant à l’article 11.6.2, il exige la tenue de consultations avant la prise d’une quelconque mesure permettant la réalisation du Projet ou la délivrance d’une autorisation relative au Projet. Comme nous l’avons expliqué précédemment, le demandeur a été consulté au sujet du Rapport de la CEC à la phase 4.

[249]       Quant à la procédure envisagée par le demandeur, qui exigerait que le Canada prenne une décision préliminaire sur la réalisation du Projet puis de tenir une consultation sur cette décision préliminaire, elle découle de l’interprétation du demandeur. Ni l’article 11.6.2 ni aucune autre disposition de l’Accord concernant le processus de consultation ne prévoit cette façon de procéder, pas plus que le Cadre de consultation, auquel le demandeur a largement souscrit. À mon avis, le demandeur ne peut pas contester a posteriori un processus auquel il a souscrit.

[250]       Dans le même ordre d’idées, l’omission du MPO de fournir une version provisoire de l’autorisation ou une version révisée du programme ÉSEE avant l’annonce de la décision ne permet pas de conclure que le Canada a manqué à son obligation de consultation.

[251]       L’article 11.6.2 ne précise pas qu’il faut transmettre des versions provisoires des documents avant leur approbation ou leur délivrance et le Protocole de la phase réglementaire, au sujet duquel le demandeur a été consulté, ne prévoyait pas qu’après la réception des commentaires, une version révisée du programme ÉSEE serait transmise au demandeur, avant l’approbation du MPO. En fait, le Protocole de la phase réglementaire précisait que si des commentaires étaient reçus, ils seraient dûment et équitablement étudiés par l’AR, par écrit, et que l’AR intégrerait les modifications appropriées. C’est bien ce qui s’est passé.

[252]       Le demandeur n’a pas cherché à faire imposer une telle exigence lorsqu’il a présenté des commentaires sur la version provisoire du Protocole de la phase réglementaire, ni à aucun autre moment, et il ne peut pas maintenant prétendre que le processus de consultation était insuffisant sur un aspect qu’il n’a pas soulevé au moment voulu.

[253]       De même, lorsque le demandeur a formulé des commentaires sur la version provisoire du Protocole de la phase réglementaire, il n’a pas demandé qu’on lui fournisse la version provisoire de l’autorisation avant que celle-ci ne soit délivrée. Il a plutôt demandé qu’on lui transmette l’autorisation dans les cinq jours suivant sa délivrance. En fait, elle lui a été transmise le jour même où elle a été délivrée à Nalcor. Cela ne constituait pas une violation de l’obligation de consultation faite au MPO.

iv.        La lettre du 1er mai 2008

[254]       Le demandeur affirme également que le fait que la lettre commune de la Province et de l’Agence du 1er mai 2008 ne faisait référence qu’aux articles 11.2.2, 11.2.8, 11.2.9 et 11.5.11 et non à la partie 11.6 de l’Accord démontre que le Canada s’est soustrait aux obligations que lui imposaient les articles 11.6.1 et 11.6.2, notamment celle de chercher à savoir s’il est raisonnable de s’attendre à ce que le Projet ait des effets environnementaux négatifs dans la RRIL ou sur les droits garantis aux Inuits dans l’Accord, de sorte que, lorsque les principales décisions ont été prises et les principales étapes franchies en ce qui concerne l’autorisation, le Canada ne s’est pas inspiré des conditions de l’article 11.6.2, mais des protocoles et des lignes directrices élaborés par les gouvernements fédéral et provincial.

[255]       À mon avis, cet argument est mal fondé. La lettre a été rédigée par la Province avec le consentement de l’Agence, ce qui peut expliquer pourquoi elle faisait référence aux dispositions de l’Accord relatives aux obligations de la Province. En outre, le MPO et TC ont envoyé le document d’inscription au demandeur le 8 août 2007, conformément à l’article 11.2.8 de l’Accord, et lui ont expliqué en même temps que le Projet nécessiterait des autorisations en vertu de la Loi sur les pêches, ce qui lancerait un processus d’ÉE. Le processus d’ÉE envisagé à l’article 11.6 a alors été amorcé.

[256]       En conséquence, je suis d’avis que l’omission faite dans la lettre commune du 1er mai 2008 n’est pas importante dans le contexte de l’ensemble des consultations. La vraie question n’est pas de savoir si cette lettre faisait explicitement référence à la partie 11.6 de l’Accord, mais plutôt de savoir si, pour l’essentiel, l’obligation de consultation prévue par l’Accord a été respectée.

v.         Défaut d’identifier le demandeur dans la Réponse du Canada

[257]       Le demandeur affirme également que la Réponse du Canada ne mentionne pas nommément pas les Inuits du Labrador, mais fait référence seulement aux groupes autochtones, et que cela le fait douter que ses préoccupations aient été prises en compte, a fortiori dûment et équitablement. Il s’agit encore une fois d’une contestation incidente inadmissible de la Réponse du Canada. En tout état de cause, cet argument est mal fondé. La Réponse du Canada ne peut pas être considérée isolément du Rapport de la CEC qui, conformément à l’Accord, faisait partie intégrante du processus de consultation. Le Rapport de la CEC indique explicitement que le demandeur est un des groupes autochtones qui ont participé à l’ÉE. On y expose et analyse en détail les préoccupations du demandeur concernant la bioaccumulation du méthylmercure, les effets en aval et les autres répercussions. Dans sa réponse, le Canada n’était pas obligé de reprendre le contenu du Rapport de la CEC, et le fait qu’il n’ait pas nommé le demandeur et les autres groupes autochtones identifiés dans le Rapport de la CEC et dans le Rapport de consultation des Autochtones n’est pas très grave.

b)         Caractère adéquat des consultations ayant précédé l’autorisation

[258]       Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la vraie question est celle de savoir si le demandeur a été adéquatement consulté et accommodé relativement à la décision d’accorder l’autorisation. À cet égard, le MPO a fait savoir en juillet 2010 au demandeur que, conformément au Cadre de consultation, le gouvernement fédéral amorçait la phase de délivrance de permis en vertu des règlements du Projet et souhaitait poursuivre les consultations au sujet des décisions, approbations ou mesures précises susceptibles d’avoir des répercussions négatives sur droits ancestraux ou le titres autochtone. Le gouvernement fédéral a également fait savoir qu’il anticipait la délivrance par le MPO d’une autorisation en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches pour la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson et d’une autorisation en vertu de l’article 32 de la Loi sur les pêches pour la destruction du poisson. Le MPO a fourni la version provisoire du Protocole de la phase réglementaire en vue des consultations à la phase 5. Le demandeur a présenté au MPO des commentaires sur la version provisoire du protocole, que le MPO a révisé en fonction des commentaires reçus.

[259]       Le 12 février 2013, le demandeur a rencontré le ministre des Pêches et des Océans pour discuter de ses préoccupations concernant le Projet, notamment des effets en aval, et a mentionné pour la première fois que, selon ses données préliminaires, le mercure du fleuve Churchill se retrouvait dans le lac Melville et la RRIL. Il semble toutefois que le demandeur n’ait pas fourni copie de ces données. Le demandeur a également cherché à obtenir un financement annuel pour ses travaux de recherche et ses mesures de surveillance des répercussions globales en aval.

[260]       Le 28 février 2013, le MPO a avisé le demandeur qu’il s’apprêtait à délivrer une autorisation en vertu de la Loi sur les pêches, lui a transmis les versions provisoires du Plan CHP et du programme ÉSEE et a sollicité ses commentaires dans les 45 jours, comme prévu dans le Protocole de la phase réglementaire. Le demandeur n’a présenté aucun commentaire sur le Plan CHP, mais a exprimé à plusieurs reprises ses préoccupations concernant les lacunes du programme ÉSEE en ce qui concerne les données de base, notamment lors d’une rencontre avec le MPO le 22 mars 2013 et dans des commentaires sur le programme ÉSEE, présentés par écrit en bonne et due forme le 15 avril 2013. Il a alors essentiellement fait valoir que la CEC avait exigé, dans la recommandation 6.7, une évaluation globale et complète des effets en aval, mais que Nalcor n’était pas tenue de l’effectuer. L’opinion du demandeur était que, sans une compréhension de base complète de tout l’écosystème du lac Melville, il n’était pas possible d’établir un plan de surveillance convenable et qu’en conséquence, le programme ÉSEE n’était pas assez détaillé pour permettre au demandeur de formuler son opinion. Le demandeur a cherché de nouveau à obtenir, comme condition préalable à une autorisation, que Nalcor finance l’évaluation complète des effets en aval qu’il souhaitait mener.

[261]       Le MPO a répondu à ces commentaires le 30 mai 2013. Il a dit que, selon lui, le programme ÉSEE était suffisamment détaillé pour permettre au demandeur de préparer son opinion et de formuler des commentaires à ce sujet et que, selon les commentaires reçus, le MPO obligerait Nalcor à ajouter au programme ÉSEE des détails complémentaires sur les protocoles définis dans les rapports de surveillance sur les données de base pour la prise d’échantillons de poisson et de phoque et l’analyse de leur concentration de méthylmercure. Quant à la recommandation 6.7, le Canada a expliqué dans sa réponse que Nalcor serait tenue de recueillir des données de base additionnelles sur la bioaccumulation de méthylmercure dans le poisson et l’habitat du poisson en aval de Muskrat Falls avant la mise en eau. Nalcor a recueilli de tels renseignements en 2011 et 2012, y compris dans le lac Melville, et devait continuer à en recueillir avant la mise en eau. Le MPO a également expliqué que l’objectif premier d’un plan de surveillance ou de suivi des effets environnementaux était de vérifier des pronostics précis faits par le promoteur d’un projet durant une évaluation environnementale, surtout lorsqu’il pouvait y avoir de l’incertitude sur la gravité ou l’ampleur d’un impact possible. Les programmes ÉSEE ne sont pas conçus ni mis en œuvre en vue de l’étude d’un milieu ou des changements qu’il subit dans son ensemble. Le programme ÉSEE prenait en compte les pronostics qui, selon le MPO, nécessitaient une vérification par des mesures de surveillance, notamment de la bioaccumulation du méthylmercure dans le poisson. Enfin, en ce qui touche la demande de financement du demandeur, le MPO a indiqué qu’il définissait habituellement des exigences en matière de surveillance et de production de rapports que les promoteurs de projet doivent respecter, mais qu’il ne dicte pas à un promoteur qui il doit engager pour mettre en œuvre ces mesures. Le 28 juin 2013, le MPO a également répondu aux lettres du 11 novembre 2011 et du 24 juillet 2012 du demandeur en traitant point par point les préoccupations qui y étaient soulevées.

[262]       Le 2 juillet 2013, le demandeur a écrit au ministre des Pêches et des Océans pour lui rappeler ses préoccupations en ce qui concerne la position du MPO sur les répercussions du Projet en aval et le programme ÉSEE à cet égard. Le demandeur a affirmé que pendant et après l’ÉE, Nalcor n’avait pas fourni de données de base dignes de ce nom ni effectué assez de travaux de recherche pour décrire le milieu en aval qui subirait les effets du Projet, surtout au lac Melville. De plus, selon le demandeur, la Réponse du Canada à la recommandation 6.7 simplifiait à l’extrême l’objet de cette recommandation et éliminait l’obligation de comprendre de manière globale l’écosystème en aval et la capacité de modéliser ou de prévoir les effets en aval avant l’inondation. Le demandeur a réclamé la réalisation d’une étude de base complète qui apporterait des connaissances fondamentales qu’il jugeait essentielles à la prévision des effets en aval, à la formulation d’un programme ÉSEE significatif et à la tenue d’une véritable consultation à ce sujet. Certes, il pourrait être impossible d’empêcher totalement les concentrations de mercure et de méthylmercure d’augmenter en aval, mais le demandeur a soutenu que la principale et seule mesure d’atténuation susceptible de réduire le risque ou la concentration de mercure avant l’inondation consistait à défricher complètement la zone du réservoir et, pour la première fois, il a fait valoir que l’enlèvement de tous les arbres et de la couche supérieure de matière organique était également requis aux fins d’atténuation.

[263]       L’autorisation assortie de conditions a été délivrée le 9 juillet 2013 et a été communiquée le jour même au demandeur. Le 12 juillet 2013, le ministre a répondu aux préoccupations formulées le 12 février 2013 par le demandeur et il a répondu le 27 août 2013 à la lettre du 2 juillet 2013 du demandeur.

[264]       À mon avis, les communications entre le MPO et le demandeur, conjuguées au Protocole de la phase réglementaire, témoignent du respect des exigences en matière de consultation qu’impose l’article 11.6.2 de l’Accord. Je serais arrivée à la même conclusion en appliquant l’obligation de consulter en common law située au‑dessus du milieu du continuum, mais sous le niveau le plus élevé du continuum, comme je l’ai déjà expliqué dans les présents motifs.

[265]       Cette conclusion s’explique par le fait que le MPO a avisé le demandeur qu’il s’apprêtait à délivrer une autorisation en vertu de la Loi sur les pêches et lui a fourni la version provisoire du programme ÉSEE pour commentaires. Le MPO a rencontré le demandeur pour discuter de ses préoccupations concernant le programme ÉSEE. Le demandeur a ensuite formulé ses préoccupations par écrit et le MPO y a répondu par écrit. Comme nous le verrons plus loin lorsque nous examinerons la question des mesures d’accommodement, le MPO a obligé Nalcor à ajouter au programme ÉSEE des détails sur les protocoles de prise et d’analyse d’échantillons de poisson et de phoque par suite des commentaires du demandeur concernant la version provisoire du programme ÉSEE, ce qui indique que les préoccupations du demandeur ont été prises en compte. Le demandeur n’est pas d’accord avec les réponses du MPO et pense qu’elles ne tiennent pas compte de son point de vue, selon lequel une évaluation globale prévisionnelle des effets en aval était nécessaire, mais, selon moi, la réponse du MPO démontre que les questions soulevées par le demandeur ont été dûment et équitablement étudiées.

[266]       Le demandeur soutient que le programme ÉSEE n’était pas suffisamment détaillé pour lui permettre de formuler une opinion et qu’il n’y a par conséquent pas eu de consultation au sens de l’Accord, mais ce qu’il dit vraiment est qu’il a refusé d’examiner le programme ÉSEE parce qu’on n’a pas pris en compte son exigence de piloter une étude vaste, approfondie et financée du lac Melville, qui serait menée du point de vue des Inuits.

[267]       La phase 5 concernait le processus réglementaire à suivre pour délivrer l’autorisation et, plus précisément, la préparation du Plan CHP et du programme ÉSEE, qui devaient être des conditions de l’autorisation. Comme l’a souligné le MPO dans ses communications au demandeur, le programme ÉSEE porte sur la surveillance et le suivi aux fins de vérification des pronostics faits dans l’ÉE. Il n’est pas conçu ni mis ou œuvre en vue de l’étude des milieux naturels ou des changements généraux qu’ils subissent. Le demandeur a dû en être informé dès les premiers stades du processus d’ÉE, puisque le résumé de l’ÉIE indique que les plans de surveillance et de suivi sont conçus pour permettre la vérification des prévisions faites sur les effets environnementaux durant l’ÉE et l’efficacité des mesures d’atténuation mises en œuvre.

[268]       En remettant en question la consultation de la phase 5 qui a abouti à la délivrance de l’autorisation, le demandeur adopte le point de vue selon lequel la Réponse du Canada a éliminé l’obligation de comprendre l’écosystème en aval dans sa globalité et d’effectuer une étude de base complète qui apporterait des connaissances fondamentales pour la prévision des effets en aval, sur laquelle le programme ÉSEE pourrait ensuite être basé. Sur ce point, le demandeur ne met pas en doute le fait que la consultation de la phase 5 était adéquate, mais il conteste la Réponse du Canada.

[269]       Pour les motifs que j’ai exposés, je suis d’avis que le demandeur a été adéquatement consulté et que le Canada s’est acquitté de l’obligation de consultation que lui imposait l’Accord. Cela dit, le ministre n’a pas répondu en temps utile à la lettre du 2 juillet 2013 du demandeur puisque sa réponse n’a été donnée que le 27 août 2013, longtemps après la délivrance de l’autorisation. Toutefois, les questions dont le ministre a traité dans cette lettre avaient déjà été soulevées par le demandeur et étudiées par le MPO, à l’exception de la nouvelle proposition selon laquelle le défrichement complet du réservoir devrait comprendre l’enlèvement de tous les arbres et de la couche supérieure de matière organique, proposition sur laquelle nous reviendrons plus loin en parlant des mesures d’accommodement.

[270]       Vu la conclusion que des consultations adéquates ont été tenues, la dernière question est de savoir si, compte tenu de tous les intérêts en jeu et des circonstances, il existait une obligation d’accommoder et, dans l’affirmative, si cette obligation a été respectée.

c)         Les mesures d’accommodement

[271]       Le cœur du présent litige est que le demandeur n’estime pas que l’évaluation des effets en aval exigée de Nalcor était suffisante, et que les conditions de l’autorisation, plus précisément le programme ÉSEE, règlent le problème. En conséquence, il fait valoir qu’on n’a pas proposé de mesures d’accommodement pour répondre à ses préoccupations. Dans un sens, il s’agit d’une question technique et scientifique où il s’agit de comparer ce que le Canada juge nécessaire et ce que le demandeur estime nécessaire en matière de cueillette de données de base, de modélisation, d’évaluation, de recherche et de surveillance. Ce n’est pas à la Cour qu’il incombe de décider ce qui est nécessaire (Ekuanitshit CF, au paragraphe 94, appel rejeté par la CAF, autorisation d’appel à la CSC refusée).

[272]       Toutefois, les questions dont est saisie la Cour sont de savoir s’il y avait une quelconque obligation d’accommoder, et, dans l’affirmative, si cette obligation a été respectée compte tenu des circonstances, et, enfin, si le Canada, représenté par le ministre, avait des motifs raisonnables de décider de délivrer l’autorisation sous la forme retenue.

[273]       Dans l’affaire Little Salmon, où l’obligation de consulter était définie de façon semblable à ce que prévoit l’Accord, le juge Binnie a déclaré ceci :

[14]      Le décideur délégué en vertu de la loi était l’appelant David Beckman, le directeur de la Direction de l’agriculture du ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources du Yukon. Il était autorisé, sous réserve des clauses du traité, à concéder des terres non visées par un règlement en vertu de la Loi sur les terres, L.R.Y., 2002, ch. 132, et de la Loi du Yukon sur les terres territoriales, L.Y. 2003, ch. 17. Selon la première nation, le directeur était obligé, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’approuver la concession de terres, de tenir compte des préoccupations de la première nation et de tenir des consultations. C’est exact. Mais la première nation va trop loin lorsqu’elle prétend imposer au gouvernement territorial non seulement la protection procédurale qu’offre la consultation, mais également le respect d’un droit substantif à l’accommodement. La première nation se plaint de ce que ses préoccupations n’ont pas été prises au sérieux — sinon, dit‑elle, la demande de M. Paulsen aurait été rejetée. Elle se trouve ainsi à élargir indûment l’obligation de consulter en l’espèce. La première nation ne jouit pas d’un droit de veto à l’égard du processus d’approbation. Aucun droit semblable n’est prévu par le traité ni par le droit commun, constitutionnel ou autre. La demande de M. Paulsen est demeurée en suspens pendant près de trois ans avant d’être finalement approuvée. Elle concernait une parcelle relativement petite de 65 hectares dont l’utilisation à des fins agricoles, suivant l’avis reçu par le directeur — un avis qu’il était en droit d’accepter — n’aurait aucune incidence négative notable sur les intérêts de la première nation.

[274]       En ce qui concerne l’obligation d’accommoder, il a écrit ceci :

[81]      La première nation avance que dans la présente affaire, il y avait une obligation juridique non seulement de tenir une consultation au plan procédural, mais d’offrir des mesures concrètes d’accommodement. Il est précisé dans Nation haïda et dans Première nation crie Mikisew que l’obligation de consulter peut, dans certains cas, exiger des accommodements. Le critère ne consiste pas, comme on a parfois semblé le soutenir dans l’argumentation, dans une obligation d’accommoder jusqu’au point où la population non autochtone subit une contrainte excessive. Une consultation adéquate ayant eu lieu, il incombe à la Cour d’examiner la façon dont le directeur a exercé son pouvoir discrétionnaire, compte tenu de l’ensemble des circonstances et des intérêts pertinents, y compris les droits de la première nation ainsi que la nature et la gravité de l’incidence, sur ces droits, de la mesure proposée à laquelle la première nation s’oppose. [Souligné dans l’original.]

[275]       Dans la présente espèce, comme dans l’affaire Little Salmon, l’Accord ne dit rien sur la question de l’accommodement. Les circonstances de l’affaire qui nous occupe sont un peu différentes de celles de l’affaire Little Salmon, car les conséquences possibles sont plus lourdes, et l’Accord même prévoit le processus de la CEC et des consultations ultérieures sur la délivrance de permis. Par ailleurs, j’estime que bien qu’il n’y ait pas d’obligation de présenter des mesures d’accommodement formelles, les principes de common law dont nous avons discuté peuvent servir à interpréter ce qui est requis en matière d’accommodement, s’il y a lieu, dans les présentes circonstances.

[276]       À cet égard, j’estime que le Canada avait l’obligation d’étudier la question des accommodements envers le demandeur, d’en tenir compte et d’y répondre, dans toute la mesure du possible, en prenant des mesures convenables pour éviter ou atténuer les effets nuisibles importants ou les dommages irréparables. Dans une certaine mesure, l’accommodement et le caractère raisonnable sont liés. Le processus de consultation doit servir à bien guider la décision du ministre; autrement dit, sa décision doit être raisonnable. Cela comprend l’accommodement, dans la mesure du possible; là encore, il s’agit de définir ce qui est raisonnable dans les circonstances, en tenant compte de facteurs bien étayés et des intérêts divergents.

[277]       Il convient de souligner également que les parties ne soutiennent pas qu’il n’existait pas d’obligation d’accommoder en l’espèce.

[278]       Dans les observations qu’il a soumises aux phases 4 et 5, le demandeur a formulé quatre recommandations qui, selon lui, contribueraient à atténuer les répercussions du Projet sur les Inuits et leurs droits : i) sa représentation au sein d’une structure de gestion de haut niveau du Projet; ii) un financement lui permettant de réaliser et de diriger des travaux de recherche de base et de prendre des mesures de surveillance visant l’écosystème du lac Melville, et notamment une étude approfondie à grande échelle permettant de comprendre les milieux en aval (impacts biophysiques, culturels, socio-économiques et médicaux); iii) un libellé général permettant d’appliquer un mécanisme d’indemnisation en cas d’effets nuisibles, comme les pertes liées à la récolte d’aliments et la perte de pratiques culturelles résultant d’activités qui ont d’importants effets environnementaux sur les Inuits ou leurs droits et qui découlent du Projet, dont l’augmentation des concentrations de mercure; iv) enfin, le défrichement complet de la zone du réservoir, qui comprend l’enlèvement des arbres et de la couche supérieure de matière organique.

[279]       Étant donné que ce sont des mesures d’atténuation ou d’accommodement proposées par le demandeur lui-même, je vais les examiner chacune à tour de rôle.

vi.        Structure de gestion de haut niveau

[280]       S’agissant de sa proposition d’être représenté au sein d’une structure de gestion de haut niveau du Projet, qui comprendrait le demandeur, la Nation innue, la Province et le Canada, le demandeur l’a formulée pour la première fois lors la phase 4 dans son document du 11 novembre 2011, intitulé Nunatsiavut Government Response to Panel Report, comme moyen d’atténuer les répercussions du Projet sur les Inuits et leurs droits et de permettre aux Inuit de contribuer de manière constructive au Projet. J’ai déjà indiqué qu’une réponse à cette préoccupation avait été donnée tardivement, sous la forme d’une lettre du MPO en date du 28 juin 2013. Le MPO y faisait savoir qu’on n’envisageait pas une structure de gestion de haut niveau pour le Projet, mais que le demandeur serait consulté par le MPO et TC dans le cadre de leurs fonctions de réglementation et que le MPO avait consulté le demandeur au sujet du programme ÉSEE et du Plan CHP qu’il exigeait comme conditions des autorisations délivrées en vertu de la Loi sur les pêches.

[281]       Selon moi, le Canada est tenu de réagir et cette exigence fait partie de son obligation de consultation et d’accommodement (Taku River, aux paragraphes 25 et 32). La Réponse du Canada à la proposition du demandeur de faire partie d’une structure de gestion de haut niveau n’a certainement pas été rapide : elle a été présentée environ 19 mois après que le demandeur eut soulevé la question en réponse au Rapport de la CEC. Le Canada a cependant fini par répondre et a expliqué pourquoi la proposition n’avait pas été adoptée. En outre, le demandeur n’a ni contesté la position du Canada ni indiqué pourquoi le fait de ne pas mettre en place une structure de gestion de haut niveau n’était pas raisonnable dans les circonstances. C’est pourquoi, bien que le mécanisme de consultation n’ait pas été parfait, je ne trouve aucune raison de conclure qu’on n’a pas offert au demandeur des mesures d’accommodement adéquates à cet égard (Ekuanitshit CF, au paragraphe 31).

vii.       Évaluation complète des effets en aval

[282]       Lorsqu’on examine le dossier, on voit bien qu’il y a une divergence d’opinions fondamentale entre le demandeur et le Canada sur ce qui est scientifiquement nécessaire pour répondre aux préoccupations du demandeur en ce qui concerne les possibles effets en aval, notamment la bioaccumulation du méthylmercure, et donc sur les mesures d’accommodement à offrir au demandeur.

[283]       À cet égard, il est essentiel de rappeler que la CEC a traité en profondeur de la bioaccumulation du méthylmercure dans son rapport.

[284]       Au chapitre 6, qui porte sur l’environnement aquatique, la CEC aborde plusieurs questions concernant le méthylmercure dans les réservoirs et en aval. Quant au sort du mercure dans les réservoirs, la CEC expose le point de vue de Nalcor et des participants. Nalcor a décrit comment la formation d’un réservoir mène à la libération de méthylmercure dans le milieu aquatique. Plus précisément, lorsque le sol de la zone d’un réservoir est inondé, la décomposition des végétaux par les bactéries cause la méthylation, une réaction chimique qui convertit le mercure inorganique présent dans le sol en méthylmercure, d’une toxicité supérieure. Le méthylmercure entre alors dans l’écosystème aquatique et s’accumule dans les animaux aquatiques, surtout lorsqu’ils se nourrissent d’organismes ayant une teneur élevée en mercure. La concentration de méthylmercure augmente à mesure qu’on remonte la chaîne alimentaire (c’est ce qu’on appelle la bioaccumulation), et c’est pourquoi les concentrations sont élevées dans les poissons prédateurs, dans les animaux qui se nourrissent de poisson, comme les loutres et les phoques, et éventuellement chez l’être humain. Habituellement, comme le montre l’expérience d’autres réservoirs dans les régions boréales, les concentrations de mercure dans le poisson atteignent leur maximum 5 à 16 ans après l’inondation puis retombent graduellement au niveau naturel après 30 ans ou plus. Selon la modélisation de Nalcor, les concentrations de mercure dans le réservoir atteindraient leur sommet dans les cinq ans suivant l’inondation et retomberaient à leur niveau naturel au bout de 35 ans.

[285]       La CEC a indiqué que les mesures d’atténuation et de surveillance relatives au méthylmercure proposées par Nalcor comprenaient la surveillance annuelle des concentrations de mercure dans le poisson pendant les dix premières années suivant l’inondation pour vérifier les pronostics. La fréquence de cette surveillance pourrait ensuite être adaptée en fonction des résultats.

[286]       Quant aux participants, la CEC a souligné qu’EC et RNC avaient tous les deux conclu que Nalcor avait fait une bonne modélisation de l’accroissement des concentrations de mercure dans la partie inférieure du fleuve Churchill. Le MPO a également affirmé que les pronostics de Nalcor sur les concentrations de mercure correspondaient à l’état actuel des connaissances, mais il a mis en doute l’exactitude des pronostics de Nalcor concernant l’étendue et la durée de la présence du méthylmercure dans la partie inférieure du fleuve Churchill. Le MPO a donc recommandé que Nalcor élabore un vaste programme de surveillance de l’évolution spatio-temporelle de la concentration de mercure dans le poisson dans les réservoirs et en aval, notamment à Goose Bay, après la création des réservoirs. La fréquence et le choix du moment des prises d’échantillons devraient étayer une évaluation claire de l’ampleur et du moment des changements et guider l’estimation des risques pour la santé humaine et la mise en œuvre de mesures de gestion de la pêche. Il faudrait enfin, avant l’inondation, recueillir davantage de données de base sur les concentrations de mercure en aval de Muskrat Falls et à Goose Bay.

[287]       La partie 6.7 du Rapport de la CEC traite des effets en aval, notamment sur la dynamique des cours d’eau, la qualité de l’eau, la productivité et la présence de mercure. Là encore, la CEC a exposé la position de Nalcor et celles des participants.

[288]       Nalcor a pronostiqué qu’après la mise en eau, les concentrations de mercure dans l’eau et le plancton en aval de l’embouchure du fleuve et dans les passages de Goose Bay augmenteraient, ainsi que les concentrations de méthylmercure dans le poisson en aval de Goose Bay et à Goose Bay, mais qu’elles seraient plus faibles que dans le poisson des réservoirs, à l’exception des poissons piscivores se nourrissant en aval du canal de fuite de Muskrat Falls. Le mercure ne serait pas présent en quantité décelable au-delà de Goose Bay parce que ses concentrations dans l’eau seraient graduellement diluées, que des sédiments se déposeraient et que le phytoplancton et le zooplancton dépériraient avant ou dans la zone de contact avec l’eau de mer. Les effets de concentrations de mercure élevées associés aux piscivores qui se nourrissent de poisson entraîné ne seraient décelés qu’à proximité de la zone du canal de fuite en aval de Muskrat Falls. En tout cas, Nalcor a pronostiqué qu’à aucun moment les concentrations de méthylmercure dans le poisson n’atteindraient un niveau assez élevé pour affecter la santé ou le comportement du poisson dans l’ensemble de la population. Nalcor prévoyait que les concentrations de méthylmercure les plus élevées retomberaient à leur niveau naturel d’ici 35 ans.

[289]       Nalcor a affirmé qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer une évaluation plus approfondie des effets cumulatifs des concentrations de mercure associés au projet hydroélectrique de Churchill Falls. Elle a reconnu certaines incertitudes liées à ses modélisations et à l’état des connaissances sur la bioaccumulation et le sort du mercure dans l’écosystème, incertitudes qui ont limité sa capacité de faire des prévisions exactes sur l’augmentation possible des concentrations de méthylmercure dans le lac Melville. Par contre, Nalcor a dit que sa modélisation des concentrations de méthylmercure dans l’écosystème en aval était suffisante aux fins de planification et d’évaluation et que sa méthode de modélisation donnait la capacité prévisionnelle requise pour déterminer les concentrations de méthylmercure en aval. Ces calculs seraient renforcés par l’engagement de Nalcor à effectuer la surveillance et le suivi afin de vérifier ces pronostics, de résoudre les incertitudes et d’intégrer une gestion adaptative. Parmi les mesures d’atténuation que Nalcor a proposées, citons une collaboration avec les intervenants autochtones dans la surveillance des concentrations de mercure dans le poisson et le phoque en aval de Muskrat Falls et dans la cueillette de données de base supplémentaires sur les concentrations de mercure dan le poisson et le phoque estuariens en aval de Muskrat Falls et à Goose Bay.

[290]       En ce qui concerne les autres participants, la CEC a noté qu’ils avaient soulevé des préoccupations concernant l’exclusion de Goose Bay et du lac Melville de la zone visée par l’évaluation, l’évolution de l’érosion et des dépôts en aval, l’accumulation de mercure dans le poisson et le phoque, notamment les effets de l’entraînement sur ces animaux, et les changements dans la formation de la glace. Le MPO a dit que les raisons présentées par Nalcor pour justifier l’exclusion de Goose Bay et du lac Melville de la zone visée par l’évaluation étaient insuffisantes. Le demandeur a soutenu qu’avant qu’on puisse tirer des conclusions définitives sur les variations des concentrations de méthylmercure en aval ou sur leurs effets mesurables, Nalcor devrait recueillir davantage de données sur les matières solides en suspension et les mouvements des populations de poisson et de phoque et faire une meilleure analyse sur le mercure.

[291]       La CEC a souligné que le MPO avait publié un document de recherche montrant que les effets du mercure causés par le projet de Churchill Falls pourraient être détectés chez plusieurs espèces estuariennes (l’éperlan, le poulamon, la truite mouchetée) vivant dans le lac Melville, à plus de 300 kilomètres du réservoir de Smallwood. Le MPO a exprimé des préoccupations quant à l’absence de prise d’échantillons, en aval, de principaux producteurs et de macrobenthos en raison de leur potentiel de bioaccumulation du mercure. En conséquence, il a recommandé que Nalcor mette au point un programme complet de surveillance des changements spatio-temporels des concentrations de mercure dans les poissons dans les réservoirs et en aval, dont à Goose Bay, après la création de réservoirs. La fréquence et le choix du moment des prises d’échantillons devraient étayer une évaluation nette de l’ampleur de ces changements et du moment où ils se produisent et guider les décisions relatives aux risques pour la santé humaine et la mise en œuvre de mesures de gestion des pêches connexes. Il faut recueillir davantage de données de base sur les concentrations de mercure dans le poisson estuarien en aval de Muskrat Falls et à Goose Bay avant l’inondation.

[292]       Dans ses conclusions et ses recommandations, la CEC a reconnu qu’il y avait peu de documentation sur les effets en aval et dans les estuaires des projets hydroélectriques dans une région boréale, que les rapports cités par les participants s’appliquaient peu ici et que ce manque d’information était susceptible d’être aggravé par la décision de Nalcor de fixer la limite de la zone visée par son étude à l’embouchure du fleuve, et donc de ne pas prélever d’échantillons de référence dans le lac Melville. En conséquence, la CEC a affirmé qu’elle ne pouvait pas tirer de conclusions sûres concernant les effets écologiques en aval de Muskrat Falls, surtout dans le milieu estuarien de Goose Bay et du lac Melville :

La commission en conclut que l’affirmation de Nalcor, selon laquelle il n’y aurait aucun effet mesurable sur les niveaux de mercure à Goose Bay et au lac Melville, n’a pas été étayée. Les preuves que le projet de Churchill Falls exerce des effets sur une longue distance chez les espèces estuariennes indiquent clairement que les effets du mercure peuvent passer de l’environnement d’eau douce à l’environnement salin, malgré les allégations de Nalcor du contraire. La commission a conclu que Nalcor n’avait pas effectué d’évaluation complète du devenir du mercure dans l’environnement en aval, y compris les voies de bioaccumulation potentielles du mercure dans le phoque et les effets cumulatifs potentiels du projet combinés aux effets d’autres sources de mercure. Étant donné que Nalcor n’a pas reconnu le risque d’exposition potentielle des phoques au mercure dans le cadre du projet, il n’a pas indiqué si les taux élevés de mercure pourraient représenter une menace pour la santé ou la reproduction des phoques.

La signification du potentiel des effets du mercure en aval sur les terres et l’aménagement du territoire autochtone et non autochtone, ainsi que sur la santé humaine et des collectivités, est abordée dans les chapitres 8, 9 et 13.

La commission n’est pas convaincue que tous les effets qui dépassent l’embouchure du fleuve seront « non mesurables », comme le prétend Nalcor (sous réserve de la variabilité naturelle). La commission a également conclu que des effets à long terme en aval pourraient être observés dans Goose Bay en raison des changements que subiraient les sédiments, l’apport en éléments nutritifs et la température de l’eau. Les effets sont plus difficiles à prédire au lac Melville, compte tenu des renseignements existants. La commission reconnaît qu’il est difficile de prévoir avec exactitude l’étendue des effets, étant donné l’absence d’études écologiques à long terme sur les effets sur les eaux réceptrices de projets hydroélectriques dans les environnements nordiques. Cependant, la commission estime que cela souligne justement le besoin de faire preuve de prudence, en particulier parce qu’aucune mesure de gestion adaptative réalisable n’a été proposée pour renverser les changements écologiques à long terme ou les changements à la contamination au mercure de ressources renouvelables.

Avec les renseignements qu’elle a en mains, la commission n’est pas en mesure de prendre une décision pertinente sur le risque d’une altération à long terme de caractéristiques écologiques dans les lieux estuariens. La commission conclut qu’il y a un risque de bioaccumulation du mercure dans les populations de poissons et de phoques de Goose Bay et peut-être du lac Melville également, mais qu’elle ne représente probablement pas un risqué pour la santé de ces espèces. Les répercussions sur la santé et l’aménagement du territoire sont abordées ailleurs, mais les recommandations suivantes portent sur le besoin de faire preuve de prudence pour réduire l’incertitude rattachée au potentiel écologique et aux effets du mercure en aval.

RECOMMANDATION 6.7 Évaluation des effets en aval

Si le projet est approuvé, la commission recommande que Pêches et Océans Canada demande à Nalcor de réaliser une évaluation globale des effets en aval avant qu’il lui soit permis de procéder à la mise en eau, y compris :

●   déterminer toutes les voies de cheminement possibles du mercure à travers le réseau alimentaire et appliquer les leçons tirées du projet de Churchill Falls;

●   recueillir des données de base sur le mercure dans l’eau, les sédiments et le biote (modélisation révisée tenant compte d’autres voies de cheminement et, surtout, de l’accumulation de mercure dans le benthos) afin de prévoir ce qui advient du mercure dans l’environnement en aval;

●   quantifier les changements probables du milieu estuarien liés à la réduction des apports de sédiments et de nutriments et aux changements de température;

●   définir toute mesure d’atténuation ou de gestion adaptative supplémentaire.

Les résultats de cette évaluation devraient être examinés par Pêches et Océans Canada et au moins un expert indépendant. Par ailleurs, les groupes autochtones et les intéressés devraient tenir un forum pour discuter des prévisions révisées et des commentaires en vue de conseiller Pêches et Océans Canada en ce qui a trait aux prochaines étapes.

(Rapport de la CEC, p. 98 et 99)

[293]       Il importe d’analyser le contexte de cette recommandation. En se fondant sur les données dont elle disposait, la CEC n’a pas pu déterminer l’importance du risque d’altération à long terme des caractéristiques écologiques du milieu estuarien. Par contre, elle a conclu qu’il existait un risque de bioaccumulation dans le poisson et le phoque à Goose Bay et peut-être au lac Melville. Elle a formulé sa recommandation afin de réduire l’incertitude relative aux effets écologiques et aux effets du mercure possibles en aval.

[294]       Ainsi, la recommandation 6.7 visait à obtenir, avant la mise en eau, plus de certitudes quant aux effets du mercure en aval.

[295]       Dans sa réponse, le Canada disait qu’il avait étudié la question de savoir si les effets environnementaux négatifs importants du Projet pouvaient être justifiés dans les circonstances, compte tenu des engagements pris par le Canada en réponse aux recommandations de la CEC et de ceux pris par Nalcor dans l’ÉIE et aux audiences de la CEC. Le Canada ajoutait qu’il exigerait de Nalcor certaines mesures d’atténuation, une surveillance des effets environnementaux et une gestion adaptative, ainsi que des études supplémentaires sur les effets en aval en imposant des contraintes dans les autorisations et les approbations. Le Canada a conclu qu’en veillant à ce que ces engagements soient tenus, on réduirait les effets nuisibles du Projet et les risques associés à l’incertitude du succès des mesures d’atténuation. Il a conclu également que les importants bienfaits énergétiques, économiques, socio-économiques et environnementaux prévus surpassaient les effets environnementaux négatifs importants cernés dans le Rapport de la CEC.

[296]       Voici ce que la Réponse du Canada disait sur la recommandation 6.7 :

Le gouvernement du Canada est d’accord avec l’esprit de cette recommandation et souligne qu’elle concerne Pêches et Océans Canada.

Comme condition d’une autorisation en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches et avant la mise en eau, Pêches et Océans Canada exigera de Nalcor qu’elle recueille des données de base additionnelles sur la bioaccumulation de méthylmercure dans le poisson et l’habitat du poisson en aval de Muskrat Falls.

Pêches et Océans Canada demandera à Nalcor de mettre en œuvre un programme pluriannuel complet de surveillance et de rapports sur la bioaccumulation de méthylmercure dans le poisson et dans le phoque dans les réservoirs et en aval, notamment dans la région de Goose Bay et de Lake Melville. Pêches et Océans demandera aussi à Nalcor de réaliser un projet pluriannuel de surveillance et de rapports à la suite du projet en aval de Lake Melville afin de surveiller divers paramètres, y compris les nutriments, la production primaire, l’utilisation de l’habitat du poisson et le transport des sédiments afin d’évaluer les modifications dans l’habitat du poisson en aval.

(Dossier du demandeur, vol. II, p. 749)

[297]       Il ne fait aucun doute que la Réponse du Canada n’adopte pas entièrement la recommandation 6.7. Certes, cette recommandation indique qu’il faut effectuer une autre évaluation avant la mise en eau afin de prévoir les concentrations de mercure dans l’environnement en aval, que les résultats de cette évaluation devraient être examinés par le MPO et au moins un expert indépendant, et qu’on devrait discuter des prévisions révisées dans le cadre d’un forum auquel participeraient les groupes autochtones en vue de conseiller le MPO sur les « prochaines étapes », mais la Réponse du Canada exige la cueillette de données de base supplémentaires avant la mise en eau et un programme pluriannuel complet de surveillance de la bioaccumulation du méthylmercure dans le poisson et le phoque dans le réservoir et en aval du lac Melville et de production de rapports à cet égard.

[298]       La condition 6 de l’autorisation donnait suite à ces exigences :

[traduction]

6. Le promoteur du projet mettra en œuvre un Programme d’étude de suivi des effets sur l’environnement, ainsi qu’il est prévu dans le « Programme d’étude de suivi des effets sur l’environnement aquatique de Muskrat Falls du Projet de centrale hydroélectrique dans la partie inférieure du fleuve Churchill (programme ÉSEE), en date de février 2013, afin de surveiller et de vérifier les effets prévus de ce projet sur le poisson et l’habitat du poisson, notamment les effets en aval liés au projet, la bioaccumulation du méthylmercure dans le poisson et l’entraînement du poisson à l’usine de Muskrat Falls en prenant les mesures suivantes : […]

[…]

6.3 La bioaccumulation du méthylmercure fera l’objet d’une surveillance annuelle visant à établir sa concentration dans les espèces de poisson local et dans le phoque, dans le réservoir et en aval, selon un calendrier de surveillance établi, aux fins d’enregistrement des concentrations maximales et de leur retour à la normale et de production de rapports à cet égard.

6.4       Les données tirées des études de base et de surveillance postérieure aux fins de comparaison et de vérification des répercussions prévues du projet sur le poisson et l’habitat du poisson seront communiquées :

6.4.1    Au moyen d’un rapport annuel complet résumant tous les aspects du programme ÉSEE (y compris la cueillette de données de base), qui sera présenté au MPO au plus tard le 31 mars. Cette mesure comprendra une surveillance continue des données de base jusqu’en 2016 inclusivement, ainsi qu’une surveillance postérieure pendant au moins 20 ans de 2018 à 2037 inclusivement.

6.4.2    Au moyen d’un rapport d’examen complet résumant tous les aspects du programme ÉSEE postérieur, qui sera présenté au MPO au plus tard le 31 mars tous les cinq ans à compter de 2023. Cette mesure facilitera la mise en œuvre des adaptations nécessaires approuvées par le MPO.

[…]

[299]       Dans le programme ÉSEE, on souligne que la migration du mercure à Goose Bay et au lac Melville a été modélisée et que les résultats montrent de faibles augmentations dans la région de Goose Bay. Le rapport comprend un tableau des concentrations de mercure totales prévues dans l’eau cinq mois après la mise en eau. Par contre, il indique également que la bioaccumulation de mercure dans les biefs des cours d’eau en aval des aménagements hydroélectriques est un phénomène connu. C’est pourquoi le fait de se fier uniquement à une comparaison des concentrations de mercure avant et après la réalisation du Projet n’est pas considéré comme un moyen convenable de surveiller les effets environnementaux. Les concentrations de mercure après la réalisation du Projet seraient donc comparées aux résultats modélisés et aux données de base ainsi qu’avec la documentation portant sur des aménagements hydroélectriques semblables. En outre, bien que des données de base aient été recueillies depuis 2001, elles ont servi à mettre au point le modèle utilisé pour prédire les concentrations après la réalisation du Projet.

[300]       La zone d’étude du programme ÉSEE pour la prise d’échantillons aux fins de détection du mercure comprend la région de Goose Bay et du lac Melville. Des échantillons seront prélevés chaque année jusqu’à ce qu’on observe un sommet visible et une baisse de la concentration. D’autres analyses seront effectuées à ce moment et une surveillance supplémentaire sera faite [traduction« selon un calendrier efficace ».

[301]       Le programme ÉSEE indique que les concentrations de mercure totales de base dans le poisson ont été enregistrées sur une période de 13 ans (depuis 1999) et que la concentration réelle au moment de l’inondation pourrait être différente. On recueillerait et on analyserait donc d’autres échantillons de poisson aux fins d’établissement des charges corporelles en mercure avant l’inondation dans le but de poursuivre la mesure des concentrations de mercure et de tirer le plus de données possible de chaque poisson capturé. Un graphique illustre les concentrations de mercure moyennes qui ont été mesurées jusqu’à ce jour chez neuf types de poisson dans l’axe fluvial en aval de Muskrat Falls. Un autre graphique illustre les concentrations de mercure moyennes mesurées chez onze types de poisson à Goose Bay et au lac Melville. Des informations semblables sont fournies sur les phoques.

[302]       Je le répète : la Réponse du Canada n’adopte pas entièrement la recommandation 6.7. Le demandeur ne cite aucun précédent qui permette de supposer que le Canada est tenu d’accepter les recommandations présentées par la CEC dans le cadre de l’ÉE. Par contre, puisque l’ÉE et le Rapport de la CEC ont pour but de cerner les effets environnementaux et de guider la Réponse du Canada, on ne peut pas, selon moi, simplement balayer du revers de la main les recommandations de la CEC sans raison. Ce faire minerait entièrement le processus d’ÉE et son utilisation par le Canada pour s’acquitter de ses obligations de consultation.

[303]       Or, ici, la recommandation 6.7 n’a pas été entièrement balayée du revers de la main. Au contraire, l’esprit de cette recommandation a été accepté dans la mesure où l’incertitude décelée par la CEC a été reconnue et prise en compte, quoique pas de la manière recommandée par la CEC. La Réponse du Canada expliquait qu’en veillant à ce que les engagements pris par Nalcor et le gouvernement provincial soient tenus, on réduirait les effets nuisibles du Projet et les risques associés à l’incertitude du succès des mesures d’atténuation. Elle disait également que les importants bienfaits énergétiques, économiques, socio-économiques et environnementaux prévus surpassaient les effets environnementaux négatifs importants cernés dans le Rapport de la CEC. L’un de ces effets négatifs était, évidemment, les répercussions pour le demandeur s’il devenait nécessaire de publier des avis relatifs à la consommation.

[304]       Bref, dans sa réponse, le Canada a pris acte des préoccupations et a bien soupesé les intérêts divergents, et explique ainsi pourquoi il est venu à sa conclusion (Haïda, au paragraphe 45; Taku River, au paragraphe 2). Le Canada aurait indubitablement pu expliquer de manière plus approfondie pourquoi il était d’accord avec l’esprit de la recommandation 6.7 sans toutefois l’adopter intégralement, mais on comprend ses raisons au vu du dossier. Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire de la décision de délivrer l’autorisation, cette information est pertinente, car elle touche les consultations et les raisons fondamentales appuyant la Réponse du Canada et sa décision quant à la marche à suivre, qui ont ensuite mené à la délivrance de l’autorisation et à l’établissement de ses conditions.

[305]       De plus, quand bien même l’évaluation supplémentaire recommandée par la CEC aurait pu apporter une certitude accrue dans la prévision des concentrations de mercure, il ressort également des observations soumises par le MPO à la CEC, qui ont été adoptées pour l’essentiel dans la Réponse du Canada, que le MPO était convaincu que la modélisation et les données de Nalcor fournissaient une base prévisionnelle suffisante à laquelle les résultats de mesures de surveillance ultérieures pourraient être comparés lorsqu’elles seraient conjuguées aux prises d’échantillons et aux mesures de surveillance supplémentaires requises par le programme ÉSEE. Autrement dit, le Canada était convaincu que l’incertitude et les risques relatifs à la bioaccumulation du méthylmercure pouvaient être gérés au moyen de programmes de surveillance.

[306]       Le processus de consultation démontre que le Canada a été très bien informé du point de vue du demandeur sur l’ampleur que devrait avoir l’évaluation des effets en aval. Il est toutefois évident que le Canada n’y souscrivait pas. La lettre du 30 mai 2013 du MPO, qui répondait aux commentaires du demandeur sur le programme ÉSEE, traitait de cette question dans le cadre de la phase 5. Le MPO a expliqué qu’en ce qui concernait la recommandation 6.7, selon la Réponse du Canada, Nalcor serait tenue de recueillir des données de base supplémentaires, ce qui a été fait en 2011 et en 2012, et d’autres données encore seraient recueillies avant la mise en eau.

[307]       Point important, le MPO a également expliqué que le programme ÉSEE servait à vérifier des prévisions particulières faites par un promoteur de projet durant une ÉE, surtout lorsqu’il pouvait y avoir de l’incertitude sur la gravité ou l’ampleur d’une répercussion possible, et que, point non négligeable, le programme ÉSEE de Nalcor traitait des prévisions pour lesquelles le MPO jugeait qu’une surveillance était nécessaire aux fins de vérification, notamment en matière de bioaccumulation du méthylmercure.

[308]       Dans l’interrogatoire par écrit, on a demandé à M. Finn si, pour faire de bonnes prévisions des effets en aval, il fallait comprendre le fonctionnement de l’écosystème en aval et, sinon, pourquoi ce n’était pas nécessaire. Il a répondu qu’on pouvait faire des prévisions scientifiquement défendables sur les effets en aval sur le poisson et l’habitat du poisson en combinant des prises d’échantillons et des études de base dans la zone qui serait affectée, de la documentation scientifique, des modélisations, des comparaisons avec d’autres projets, la connaissance des lieux et d’autres renseignements. Il a ajouté qu’à la date de sa réponse, des données de base sur la région en aval du lac Melville avaient été compilées pendant trois ans et que cette compilation se poursuivrait pendant les trois prochaines années, avant la mise en eau du réservoir de Muskrat Falls. Il a affirmé qu’on comprenait assez bien l’écosystème du lac Melville pour évaluer les prévisions sur les répercussions possibles du Projet sur le milieu aquatique en aval.

[309]       Pour l’essentiel, la recommandation 6.7 réclamait une évaluation supplémentaire avant la mise en eau afin qu’on puisse prévoir avec plus de certitude les effets du mercure en aval. Dans sa réponse, le Canada reconnaît en effet que cette incertitude constituait un risque, mais disait par contre que, toute réflexion faite, les avantages du Projet surpassaient ses effets environnementaux négatifs importants, qui pouvaient être gérés au moyen des conditions de l’autorisation. Le demandeur n’est pas d’accord avec cette conclusion, mais ses objections ne portent pas sur les faiblesses supposées du programme ÉSEE. Il ne soutient pas, par exemple, que la prise d’échantillons annuelle est insuffisante, que le nombre d’espèces de poisson visées n’est pas représentatif, ni qu’on ne pourrait prendre des mesures précises pour améliorer la prise d’échantillons de référence ou les efforts de surveillance décrits. Il rappelle plutôt qu’il n’est pas d’accord, en principe, avec la Réponse du Canada.

[310]       Je le répète, il ne fait aucun doute que le Canada aurait pu expliquer bien mieux qu’il ne l’a fait pourquoi il n’était pas nécessaire d’effectuer une évaluation approfondie et pourquoi le programme ÉSEE suffisait, mais son explication était suffisante pour qu’on puisse comprendre ses raisons (Haïda, au paragraphe 44; Ka’a’Gee Tu #2, au paragraphe 131; West Moberly, au paragraphe 144).

[311]       En ce qui concerne les mesures d’accommodement, l’autorisation mettait en œuvre le programme ÉSEE. Le demandeur n’a pas présenté d’observations importantes sur le programme ÉSEE et ne donne pas d’explications, autres que celles décrites précédemment, sur ce qui lui fait dire qu’on ne lui a pas proposé d’accommodements à cet égard. Il ne critique pas non plus d’autres aspects de l’autorisation.

[312]       Le Canada soutient qu’en se fondant sur les commentaires reçus concernant le programme ÉSEE, le MPO a obligé Nalcor à préciser davantage les protocoles de prise et d’analyse d’échantillons de poisson et de phoque aux fins de détection du méthylmercure alors définis dans les rapports de surveillance de base et qu’il s’agissait d’une mesure d’accommodement prise pour répondre aux préoccupations du demandeur. L’examen d’un brouillon du programme ÉSEE (affidavit souscrit par Bennett le 25 novembre 2013, dossier de Nalcor, vol. 10, tableau 2) indique que ces modifications n’étaient en réalité guère plus que des « détails supplémentaires ». Les modifications apportées à la partie 2.5, qui concerne la bioaccumulation du mercure, éclaircissent les descriptions et n’apportent que quelques changements d’importance, soit que d’autres échantillons de poisson seront recueillis et analysés aux fins d’établissement des charges corporelles en mercure avant l’inondation et des échantillons de phoque seront analysés aux fins d’étude de l’évolution de l’alimentation trophique.

[313]       Je souscris au point de vue du demandeur, selon qui ces modifications étaient modestes. Par contre, eu égard aux circonstances déjà relatées, cela ne constitue pas un manquement à l’obligation d’accommoder.

[314]       Quant à la demande de financement présentée par le demandeur au titre de l’étude qu’il effectuait au moyen d’ArcticNet, le MPO a déclaré dans sa lettre du 30 mai 2013 que normalement, il établit les exigences relatives à la surveillance et à la production de rapports qu’un promoteur de projet doit respecter, mais il ne dicte pas au promoteur à qui il doit confier ces tâches. Comme je l’ai déjà mentionné, il n’est pas nécessaire que les parties tombent d’accord pour qu’il y ait accommodement, et je ne vois pas de raison de conclure que le Canada était obligé de dicter à Nalcor à qui elle devait confier la surveillance exigée comme mesure d’accommodement.

viii.      Libellé général prévoyant l’indemnisation

[315]       En ce qui concerne la recommandation, par le demandeur, quant à l’inclusion d’un libellé général prévoyant un mécanisme d’indemnisation en cas de répercussions comme condition de délivrance de permis, le MPO a fait savoir au demandeur, dans sa lettre du 28 juin 2013, qu’un tel libellé général ne ferait pas partie des conditions de délivrance d’autorisations ou d’approbations puisqu’il ne constituerait pas une condition applicable selon la Loi sur les pêches ou la LPEN. Le demandeur n’a pas contesté cette position.

ix.        Défrichement complet

[316]       En ce qui concerne le défrichement complet du réservoir, qui est proposé comme mesure d’atténuation et qui comprend l’enlèvement de tous les arbres et de la couche supérieure de matière organique, il convient d’abord de noter que la CEC a traité de la préparation du réservoir dans son rapport au chapitre 4, qui porte sur la nécessité du projet et les solutions de rechange, et au chapitre 6, qui porte sur l’environnement aquatique.

[317]       Au chapitre 4, la CEC a décrit les communications de Nalcor sur les justifications environnementales, techniques et économiques des trois solutions de défrichement possibles : aucun défrichement, un défrichement complet et un défrichement partiel. Elle a relaté également le point de vue des participants, dont celui de RNC, selon lequel les méthodes utilisées par Nalcor pour modéliser l’évolution du mercure dans le milieu naturel après le défrichement du réservoir étaient convenables. Par contre, l’ÉIE n’indiquait pas si Nalcor avait étudié l’efficacité d’un défrichement partiel ni si elle avait évalué l’enlèvement de la couche organique de sol ou l’enlèvement sélectif de la broussaille et d’autres matières organiques comme moyen de réduire la formation de méthylmercure. En se fondant sur de nouvelles données sur les lacs expérimentaux, RNC a recommandé l’enlèvement des arbres, de la broussaille et, peut-être, de sol dans la zone de rabattement entre les niveaux d’eau élevés et faibles, étant donné que selon les travaux de recherche, c’est cette zone qui contribuerait le plus à la formation de méthylmercure. Cela étaye donc la solution proposée par Nalcor, qui est le défrichement partiel. Le demandeur a avancé que Nalcor devait enlever le bois et la broussaille dans les limites du réservoir afin de réduire la contamination par le méthylmercure dans la zone du Projet et en aval.

[318]       La CEC a souligné que la solution de « défrichement partiel », proposée par Nalcor, se traduirait par un déboisement seulement dans les zones submergées et par l’enlèvement des glaces le long du périmètre des réservoirs, et seulement aux endroits où cela peut se faire dans les limites des contraintes opérationnelles environnementales, économiques et de sécurité prédéfinies par Nalcor. Autrement, on laissera les arbres. Le « défrichement complet » signifiait, en plus du défrichement partiel, l’enlèvement du bois dans la zone inondée selon les mêmes critères opérationnels que ceux du défrichement partiel. Autrement dit, le « défrichement complet » ne signifiait pas l’enlèvement de tous les arbres.

[319]       La CEC a énuméré les facteurs qu’elle a jugés particulièrement pertinents pour parvenir à ses conclusions sur les solutions de remplacement concernant la préparation du réservoir. Elle a également dit ceci :

La commission souligne également, comme le mentionne le chapitre 5, que plus le nombre d’arbres retirés est élevé, plus les avantages liés à la réduction d’accumulations de méthylmercure et d’émissions de gaz à effet de serre augmenteront, bien que les gains puissent être petits. La commission note également que Ressources naturelles Canada a recommandé que Nalcor étudie le retrait des sols organiques dans la zone d’abaissement de surface pour réduire la production de méthylmercure dans le terrain inondé. Ce sujet est de nouveau abordé dans le chapitre 6.

[320]       La CEC a conclu qu’il était techniquement et économiquement faisable d’effectuer le « défrichement complet » du réservoir de Muskrat Falls. Dans sa recommandation 4.5, elle dit que si le Projet était approuvé, Nalcor serait tenue de préparer le réservoir en faisant le défrichement complet, comme elle l’a proposé.

[321]       Au chapitre 6 de son rapport, la CEC a également traité du défrichement du réservoir et a décrit les opinions des participants. Nalcor a indiqué que la mobilisation du méthylmercure était une répercussion inévitable des projets hydroélectriques et que le défrichement complet permettrait de réduire d’environ 10 p. cent seulement les concentrations de mercure dans le poisson, ce qui ne justifiait pas les dépenses supplémentaires. Nalcor a indiqué aussi que l’efficacité des autres mesures d’atténuation, comme la pêche intensive de certaines espèces, n’avait pas été prouvée et que ces mesures n’étaient probablement pas applicables. Nalcor a ajouté que l’enlèvement à grande échelle de la végétation et des sols avant l’inondation, recommandé par RNC, avait été essayé seulement au niveau expérimental, ne serait faisable ni techniquement ni économiquement et aurait des effets considérables sur l’environnement.

[322]       RNC a souligné que l’acquisition de connaissances sur la formation de méthylmercure causée par la création de réservoirs en était à ses balbutiements et que les mesures d’atténuation proposées jusqu’à maintenant avaient consisté surtout en la publication d’avis relatifs à la consommation (ce dont la Commission a traité au chapitre 13 de son rapport). Des travaux de recherche récents ont montré que la mesure d’atténuation la plus efficace pourrait être l’enlèvement de la végétation et de la couche supérieure du sol dans ce qui deviendrait la zone de rabattement du nouveau réservoir. En conséquence, RNC a recommandé que Nalcor envisage l’enlèvement à grande échelle des sols riches en mercure et en carbone dans cette zone, dite de l’« anneau du bain », afin de réduire la formation de méthylmercure, tout en reconnaissant que jusqu’à ce jour, cette méthode d’atténuation n’a été employée qu’à petite échelle, à titre expérimental.

[323]       Voici les conclusions de la CEC :

La commission note que Ressources naturelles Canada a remis en question le principe selon lequel la mobilisation du mercure est une conséquence inévitable du développement de centrales hydroélectriques et les avis à la consommation en tant qu’unique intervention suffisent. Les bienfaits de l’atténuation avant l’inondation, comme un défrichement plus intensif de la végétation et des sols, devraient être évalués dans le contexte des effets des niveaux de mercure prédits sur la faune consommatrice de poisson (chapitre 7), l’utilisation de ressources renouvelables (chapitre 8) et la santé humaine (chapitre 13). De même, la signification de l’effet cumulatif d’une autre période de contamination au méthylmercure dans le système de la partie inférieure du fleuve Churchill, après les effets du projet de Churchill Falls, devrait être évaluée dans le contexte de la santé humaine et de l’utilisation de ressources renouvelables.

[…]

La commission accepte la supposition que le retrait sélectif du sol aux rebords du réservoir n’est pas encore une mesure d’atténuation qui a fait ses preuves, mais souligne tout de même que cette approche semble avoir un certain mérite, surtout si le défrichement peut être restreint au pourtour du réservoir. La commission a également souligné que le type de préparation requis pour ce genre d’atténuation serait complémentaire aux mesures de gestion des habitats rivulaires et du poisson que Nalcor prendrait déjà.

La commission conclut en disant que les avis à la consommation transfèrent une partie du coût de la production de l’hydroélectricité aux populations locales, et qu’il importe donc de tenter de trouver de meilleures solutions pour réduire le méthylmercure dans les réservoirs. Par conséquent, la commission estime que Ressources naturelles Canada devrait tester la solution d’atténuation qui consiste à retirer le sol dans la zone de rabattement, et déterminer comment éviter ou réduire au minimum les impacts environnementaux, ainsi que des moyens de faire un usage avisé des matières retirées.

RECOMMANDATION 6.5 Étude pilote sur l’atténuation du méthylmercure par l’enlèvement du sol

La commission recommande que Ressources naturelles Canada, en collaboration avec Nalcor et, éventuellement, d’autres promoteurs de projets hydroélectriques au Canada, réalise une étude pilote afin de déterminer a) la faisabilité technique, économique et environnementale de l’atténuation de la production du méthylmercure dans les réservoirs en enlevant la végétation et le sol dans la zone de rabattement et b) l’efficacité de cette mesure d’atténuation. L’étude pilote devrait se dérouler dans un endroit où les paramètres pertinents peuvent être contrôlés efficacement (c.‑à‑d., ailleurs que dans le bassin hydrologique de la partie inférieure du fleuve Churchill) et tout devrait être mis en œuvre pour que l’étude soit terminée avant de prendre les décisions d’approbation relatives à Gull Island. Si les conclusions de l’étude pilote sont positives, Nalcor devrait, dans la mesure du possible, entreprendre la mise en œuvre de cette mesure d’atténuation à Gull Island et surveiller les résultats.

(Rapport de la CEC, p 81 et 82)

[324]       La recommandation 6.5 ne visait pas le réservoir de Muskrat Falls.

[325]       La Réponse du Canada à la recommandation 4.5 a été de dire que celle-ci visait les activités de Nalcor réglementées par la Province, mais que le Canada collaborerait avec les parties au besoin. Le demandeur n’a pas contesté cette conclusion relative à la compétence dans la présente demande de contrôle judiciaire. Si le Canada n’avait pas compétence en matière de défrichement complet, son pouvoir d’accommoder le demandeur serait limité dans la même mesure. C’est pourquoi il était raisonnable de la part du Canada de ne pas prendre de mesures d’accommodement en faveur du demandeur à cet égard.

[326]       Il faut également souligner que bien que la Province ait retenu la solution du défrichement partiel en mars 2012, le demandeur n’a pas soulevé la question du défrichement du réservoir en tant que mesure d’atténuation avant le 2 juillet 2013, soit sept jours avant la délivrance de l’autorisation. C’est aussi à cette date que le demandeur a soulevé pour la première fois la question de l’enlèvement de sols. Dans sa lettre au ministre, le demandeur a dit que même s’il était peut-être impossible d’empêcher totalement l’augmentation des concentrations de mercure et de méthylmercure en aval, la principale mesure d’atténuation qui pourrait être prise était le défrichement complet de la zone du réservoir, qui comprenait l’enlèvement des arbres et de la couche supérieure de matière organique, et qu’on pourrait l’exiger comme première mesure d’accommodement en réponse aux préoccupations des Inuits. Le ministre a répondu à cette proposition dans sa lettre du 27 août 2013 en faisant remarquer que, dans sa réponse, le Canada était d’accord avec l’esprit des recommandations de la CEC sur la question, mais ne s’engageait pas à entreprendre une étude pilote sur l’enlèvement de la matière organique ni à prendre d’autres mesures recommandées à cet égard, rappelant que les exigences en matière de défrichement complet de la végétation étaient prévues par la législation provinciale.

[327]       Il aurait assurément été préférable que le ministre réponde à la proposition du demandeur concernant le défrichement complet et l’enlèvement de la couche supérieure de matière organique avant la délivrance de l’autorisation, mais le fait d’avoir tardé à répondre n’est pas très grave dans la présente affaire, étant donné que le processus de consultation a duré six ans, que le demandeur a soulevé tardivement cette question en tant que mesure d’atténuation et qu’il s’était déjà déclaré favorable au défrichement complet sans préciser qu’à son avis, cela devrait inclure l’enlèvement de tous les arbres et de la couche supérieure de matière organique.

[328]       Enfin, dans la réponse de la Province au Rapport de la CEC, rendue publique le 15 mars 2012, la Province a souscrit seulement au « défrichement partiel » (Nunatsiavut, 2015 NLTD, au paragraphe 55).

[329]       Comme je l’ai expliqué précédemment, la décision du Canada de ne pas prendre de mesures d’accommodement en faveur du demandeur à cet égard était raisonnable compte tenu des limites de ses compétences. Cette décision serait aussi défendable si on se fondait sur le fait que l’enlèvement de sols comme mesure d’atténuation n’en est qu’au stade expérimental et que la CEC n’a recommandé ni l’enlèvement de tous les arbres ni l’enlèvement de sols.

[330]       Toutefois, le défrichement en tant que mesure d’atténuation est directement lié à la question de la bioaccumulation du méthylmercure et à la possible nécessité de publier des avis relatifs à la consommation en aval de Muskrat Falls et au lac Melville. En conséquence, bien que sa réponse ait été fondée sur les compétences fédérales, le Canada devait savoir que la Province entendait exiger le défrichement partiel plutôt que le défrichement complet recommandé par la CEC. Pourtant, dans sa réponse à la recommandation 4.5, le Canada n’a pas pris en compte l’augmentation des concentrations de méthylmercure qui en résulterait ni expliqué comment cela avait été pris en compte ailleurs. Étant donné que les concentrations de méthylmercure étaient une préoccupation majeure du demandeur et une question centrale pour la CEC, que le Canada a respecté en partie son obligation de consultation par le processus de la CEC, et que le Rapport de la CEC a guidé la Réponse du Canada, le demandeur aurait pu s’attendre à ce qu’on étudie la question explicitement plutôt que de la régler simplement en disant que le défrichement complet était de compétence provinciale.

[331]       Par contre, comme je l’ai déjà expliqué, le Canada a jugé que les modélisations, la cueillette de données de base, la prise d’échantillons et les mesures de surveillance prévues par Nalcor et améliorées par le programme ÉSEE, qui constituaient une partie de l’autorisation, étaient suffisantes pour répondre à l’incertitude et au risque et pour déceler toute augmentation imprévue des concentrations de méthylmercure dans le poisson et le phoque. Voilà pourquoi sa décision de délivrer l’autorisation sans mesure d’accommodement en faveur du demandeur en ce qui concerne le défrichement complet, par opposition au défrichement partiel, était étayée et raisonnable, d’autant plus que la CEC avait reconnu que les avantages du défrichement complet, comparés à ceux du défrichement partiel, pouvaient être minimes.

IV.             Conclusion

[332]       Comme conclusion générale sur la question de l’accommodement, je signale que dans l’arrêt Little Salmon, la Cour suprême du Canada a jugé que le critère d’accommodement ne consistait pas en une obligation d’accommoder jusqu’au point où la population non autochtone subit une contrainte excessive. Comme des consultations suffisantes ont eu lieu, la tâche de la Cour est d’examiner l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire, en tenant compte de tous les intérêts en jeu et des circonstances (voir également Haïda, aux paragraphes 47‑50).

[333]       Le jugement rendu dans l’affaire Katlodeeche le dit bien :

[101]    Une décision doit parfois être prise même lorsqu’un groupe autochtone affirme que les consultations ne sont pas suffisantes, et le fait de prendre une décision dans ces circonstances n’est pas déraisonnable (Première Nation des Ahousaht c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2007 CF 567 (CanLII) [Ahousaht]). Les intéressés n’ont aucune obligation de parvenir à une entente et la clôture rapide du processus de consultation ne prive pas nécessairement un groupe autochtone du bénéfice d’une véritable consultation lorsque le processus qui a précédé cette consultation a lui-même été suffisamment long et adéquat (Taku River, précité).

[334]       De plus, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Taku River :

[2]        Je conclus que, dans le processus décisionnel relatif à la demande d’approbation de projet de Redfern, la province avait l’obligation de consulter véritablement la PNTTR. Cependant, cette dernière a joué dans l’évaluation environnementale un rôle suffisant pour qu’il soit possible de conclure que la province s’est comportée honorablement et qu’elle s’est acquittée de son obligation. Lorsqu’une véritable consultation a eu lieu, il n’est pas essentiel que les parties parviennent à une entente. L’obligation d’accommodement exige plutôt que les préoccupations des Autochtones soient raisonnablement mises en balance avec l’incidence potentielle de la décision sur ces préoccupations et avec les intérêts sociétaux opposés. L’idée de compromis fait partie intégrante du processus de conciliation. En l’espèce, la province a pris des mesures d’accommodement à l’égard des préoccupations de la PNTTR en adaptant la procédure d’évaluation environnementale et les conditions imposées à Redfern pour que son projet soit approuvé. Par conséquent, j’estime que la province s’est acquittée de son obligation envers la PNTTR.

[335]       Dans le cas qui nous occupe, la bioaccumulation du méthylmercure était une des questions primordiales relatives au Projet depuis 2006. À l’étape des travaux de la CEC, les Lignes directrices de l’ÉIE ont été modifiées de manière à ce que Nalcor soit tenue, aux fins de l’applicabilité de l’Accord, de répondre à la question de savoir s’il était raisonnable de s’attendre à ce que le Projet ait des effets environnementaux négatifs dans la RRIL et d’expliquer comment elle a délimité les zones d’étude (annexe 21 de l’affidavit de M. Chapman, p. 2560 à 2570). Cette explication a été rejetée par le demandeur, le MPO et la CEC, avec le résultat que Nalcor a été obligée d’étudier les effets en aval de Muskrat Falls, y compris à Goose Bay et au lac Melville.

[336]       En ce qui concerne les répercussions en aval de Muskrat Falls, la CEC a conclu que s’il fallait publier des avis relatifs à la consommation à Goose Bay et au lac Melville, cela voulait dire que le Projet aurait des effets nuisibles considérables sur les activités traditionnelles de récolte des Inuits du Labrador, notamment la récolte d’aliments traditionnels. La CEC a traité abondamment des avis relatifs à la consommation et de leurs répercussions dans d’autres parties de son rapport, dont les chapitres 8, 9, 10 et 13.

[337]       La CEC a étudié de manière exhaustive les effets du méthylmercure en aval, notamment en ce qui concerne le défrichement du réservoir et la publication d’avis relatifs à la consommation. Le Canada comprenait donc fort bien le risque existant et sa gravité. Il a été informé du fait que les répercussions du Projet sur la pêche et la chasse au phoque à Goose Bay et au lac Melville se feraient sentir dans les activités traditionnelles de récolte des Inuits du Labrador s’il fallait publier des avis relatifs à la consommation.

[338]       Dans sa réponse, le Canada reconnaît explicitement que la CEC recommandait la réalisation d’une analyse plus poussée dont le but était de réduire l’incertitude concernant les effets environnementaux du Projet en aval. Quant à la question de savoir si les effets environnementaux négatifs importants du Projet pouvaient être justifiés, le Canada a tenu compte des effets négatifs possibles du Projet et des engagements qui avaient déjà été pris par le gouvernement fédéral et Nalcor. Autrement dit, le Canada a reconnu et soupesé les effets négatifs et les avantages et a décidé d’autoriser le Projet, en exigeant de Nalcor certaines mesures d’atténuation, la surveillance des effets environnementaux et une gestion adaptative, ainsi que des études supplémentaires sur les effets en aval. Le Canada a conclu que ces mesures réduiraient le risque lié à l’incertitude quant au succès des mesures d’atténuation.

[339]       Ainsi, par la Réponse du Canada, le risque que des avis relatifs à la consommation soient publiés et que les droits du demandeur en soient affectés a été, en fait, accepté lorsqu’il a été comparé aux avantages du Projet. Au moyen de l’autorisation et de la condition 6 de l’autorisation, le Canada a bel et bien imposé quelques exigences supplémentaires à Nalcor en matière de prise d’échantillons de poisson et de phoque aux fins de détection du mercure et de surveillance des concentrations de mercure. Le demandeur estime que ce n’était pas une mesure d’accommodement convenable. Or, pour dire cela, il se fonde sur son point de vue voulant qu’il soit nécessaire d’effectuer une étude globale du lac Melville avant qu’un programme ÉSEE convenable ne soit mis en œuvre. Le Canada ne souscrit pas à ce point de vue. Il aurait certes pu mieux expliquer, aux phases 4 et 5 des consultations, pourquoi il se contentait d’un programme de surveillance plutôt que d’exiger des modélisations plus précises avant l’inondation, mais je ne puis conclure qu’il a manqué à son obligation d’accommoder.

[340]       Mon avis à ce sujet est passablement influencé par le fait que, tout au long des travaux de la CEC, la seule mesure d’atténuation proactive jugée possible a été la préparation du site du réservoir. Dans sa recommandation 6.7, où elle propose la réalisation d’une évaluation préalable à la mise en eau, la CEC n’indique aucune autre mesure d’atténuation proactive qui aurait pu être mise en œuvre en cas de nécessité. Les mesures d’atténuation réactives se bornaient à une surveillance, suivie de la publication d’avis relatifs à la consommation au besoin.

[341]       Comme les mesures d’atténuation relatives à la bioaccumulation du méthylmercure sont limitées, les mesures d’accommodement le sont aussi. La CEC n’a pas rejeté le concept de publication d’avis relatifs à la consommation, dont on s’est déjà servi dans la région du fleuve Churchill, mais elle reconnaît que la publication de tels avis aurait un effet négatif important sur la pêche et la chasse au phoque dans la région. Le demandeur admet dans sa lettre du 30 mai 2013 que l’augmentation des concentrations de méthylmercure puisse être une conséquence inévitable de l’inondation et que la seule mesure d’atténuation susceptible de réduire ce risque ou les concentrations de mercure avant l’inondation est le défrichement du réservoir et l’enlèvement de sols. Bien que le demandeur soutienne, conformément à la recommandation 6.7, qu’on devrait effectuer une autre évaluation prévisionnelle avant la mise en eau, il n’a pas soutenu que d’autres mesures d’atténuation pourraient être mises en œuvre si l’évaluation indiquait que les concentrations de méthylmercure seront supérieures aux prévisions de Nalcor. Dans le programme ÉSEE, le MPO a imposé la prise d’échantillons et la mise en œuvre des mesures de surveillance qu’il jugeait nécessaires pour vérifier les prévisions de Nalcor; il a donc reconnu les incertitudes, notamment en ce qui concerne la présence de méthylmercure dans le poisson et le phoque en aval. Les modifications apportées au programme ÉSEE à la suite de la consultation de la phase 5 n’ont pas apporté un grand changement par rapport à ce qui était proposé à l’origine, mais dans toutes les circonstances, les mesures d’accommodement et la décision de délivrer l’autorisation étaient raisonnables.

[342]       Lorsqu’il a comparu devant moi, le Canada a fait valoir que l’autorisation permettait également au MPO de prendre d’autres mesures si la surveillance et le suivi effectués par Nalcor indiquaient que ses prévisions n’étaient pas vérifiées. Plus précisément, la condition 1.1 de l’autorisation stipule que si les effets permis sur le poisson et son habitat sont plus importants que ceux prévus, le MPO peut suspendre les travaux, entreprises, activités ou opérations associé au Projet et enjoindre à Nalcor d’effectuer les travaux, modifications ou activités jugés nécessaires. En outre, si le MPO est d’avis qu’il pourrait y avoir des répercussions plus importantes que prévu, il peut également modifier ou révoquer l’autorisation.

[343]       Bien entendu, Nalcor prévoit que les concentrations de mercure dans le poisson et le phoque n’augmenteront pas au point où il faudra publier des avis relatifs à la consommation. Si elle se trompe dans ses prévisions et si les mesures de surveillance révèlent que les concentrations augmentent au point où la publication de tels avis sera probablement nécessaire, il est incontestable qu’à ce stade, il n’y aura pas grand-chose à faire pour réduire les concentrations de mercure. Lorsqu’il a comparu devant moi, l’avocat du Canada a déclaré que si cela se produisait, on pourrait mettre fin au Projet. Je ne pense pas qu’à ce stade, il y aurait la moindre possibilité d’abandonner ou de mettre en veilleuse un projet de construction de cette envergure, qui va coûter plusieurs milliards de dollars, parce que les concentrations de mercure en aval dépassent les prévisions de Nalcor. L’avocat du Canada affirme également que si cela arrivait, le demandeur pourrait réclamer des dommages-intérêts à Nalcor. Peut-être bien.

[344]       Toutefois, selon moi, un tel résultat constituerait une mesure d’accommodement. Si, au bout du compte, les mesures de surveillance permettent d’établir que la bioaccumulation du mercure dans le poisson et le phoque dépasse les prévisions de Nalcor et qu’il faille publier des avis relatifs à la consommation, alors, pour respecter l’honneur de la Couronne, de nouvelles mesures de consultation et d’accommodement s’imposeront. À ce moment-là, le Canada pourrait bien être tenu de prendre des mesures d’accommodement en faveur du demandeur en accordant à ce dernier une réparation financière, en faisant en sorte qu’il obtienne une telle réparation ou en prenant d’autres mesures jugées convenables.

[345]       En résumé, le demandeur a été consulté et ses préoccupations ont été identifiées et prises en compte de manière raisonnable. Elles ont également été bien mises en balance avec les répercussions possibles de l’autorisation sur ces questions et avec les préoccupations sociales divergentes. Le demandeur n’a pas obtenu le résultat qu’il souhaitait, mais l’obligation de consultation a été respectée, des mesures d’accommodement convenables ont été prises envers lui et la décision de délivrer l’autorisation était raisonnable.

[346]       En conséquence, la requête en contrôle judiciaire du demandeur est rejetée et les réparations qu’il réclame sont refusées. Toutefois, étant donné la nature de l’affaire et l’importance de la question soulevée par le demandeur au sujet de la bioaccumulation du mercure, il ne sera pas condamné aux dépens malgré le rejet de sa demande.


JUGEMENT

LA COUR :

a.       rejette la demande;

b.      n’adjuge aucuns dépens.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1347‑13

 

INTITULÉ :

GOUVERNEMENT DU NUNATSIAVUT c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (MINISTÈRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS) ET AUTRES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 20 ET 21 OCTOBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

Randall J. Earle

Raman Balakrishnan

 

POUR LE demandeur,

le GOUVERNEMENT DU NUNATSIAVUT

Reinhold M. Endres

James Gunvaldsen‑Klaassen

 

pour le défendeur,

le PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (MINISTÈRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS)

Rolf Pritchard

Justin Melor

 

POUR LA DEUXIÈME DÉFENDERESSE,
SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DE LA CONSERVATION

Maureen Killoran

Thomas Gelbman

 

pour la troisième défenderesse,
Nalcor Energy


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

O’Dea, Earle Law Offices

Avocats

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador)

 

POUR Le demandeur,

LE GOUVERNEMENT DU NUNATSIAVUT

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador)

 

POUR LE défendeur,
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (MINISTÈRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS)

Ministère de la Justice

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador)

 

POUR LA deuxième défenderesse,
SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DE LA CONSERVATION

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

pour la troisième défenderesse, Nalcor Energy

 

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