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Date : 20150420


Dossier : IMM-7324-13

Référence : 2015 CF 503

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 20 avril 2015

En présence de monsieur le juge Diner

Dossier : IMM-7324-13

ENTRE :

SHAMAILA KHAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu de l’affaire

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a rejeté la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Par une lettre datée du 15 octobre 2013, CIC a fait savoir à la demanderesse qu’elle ne lui avait pas fourni la documentation demandée pour l’approbation de sa demande, tel qu’il avait été demandé dans une lettre datée du 31 mai 2013 (la lettre). Cela étant, la demanderesse n’avait pas établi qu’elle répondait aux conditions prévues pour l’octroi de la résidence permanente aux termes de l’alinéa 72(1)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002‑227).

II.                Les faits

[2]               La demanderesse, originaire de Lahore, au Pakistan, est divorcée. Elle a deux enfants issus d’un mariage précédent, dont elle a la garde. En 2010, Mme Khan a déposé une demande d’asile qu’a rejetée la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, et la demande de contrôle judiciaire présentée à l’égard du rejet de sa demande d’asile a été rejetée par la Cour au mois d’août 2012.

[3]               Alors même qu’elle faisait appel du rejet de sa demande d’asile, elle a rencontré, dans un cinéma de Toronto, celui qui allait parrainer sa demande de résidence permanente. Les deux se sont mariés en janvier 2013, et deux jours après, le 21 janvier 2013, ils ont présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux.

[4]               La demande a été déposée par l’ancien avocat de la demanderesse. Le 31 mai 2013, CIC a écrit à la demanderesse après avoir constaté qu’il manquait à son dossier certains documents nécessaires au traitement de sa demande. L’agent de CIC lui réclamait des documents précis, dont un certificat de divorce et divers renseignements concernant son passeport, le tout devant être envoyé au plus tard le 29 août 2013.

[5]               CIC a envoyé la lettre à l’adresse postale figurant au dossier, en l’occurrence celle de son avocat, évoqué plus haut, adresse où, ainsi que le reconnaît la demanderesse, de la correspondance envoyée par CIC avait été reçue tant avant qu’après la lettre en question (Dossier de la demanderesse, pages 8 et 9, paragraphes 11 et 12; affidavit de June Tkachuk, pages 2 et 3, paragraphes 7 et 9). Mme Khan affirme ne pas avoir reçu cette lettre, et fait par conséquent valoir qu’on ne lui a pas donné la possibilité de répondre à son contenu.

[6]               Dans son affidavit, la demanderesse affirme que, par téléphone, CIC lui a simplement demandé de produire son certificat de divorce, ce qu’elle a fait dans une lettre adressée à CIC le 2 juillet 2013 (la réponse). Mme Khan a terminé sa lettre de réponse en demandant à CIC de lui faire savoir si d’autres documents étaient exigés d’elle :

[traduction]

Veuillez me faire savoir s’il y a d’autres documents qu’il me faudrait produire. En l’attente d’une réponse, je vous remercie.

(Dossier certifié du Tribunal (DCT), à la page 76).

[7]               Le 15 octobre 2013, CIC a rejeté la demande de résidence permanente présentée par Mme Khan, estimant qu’elle n’avait pas fourni tous les documents demandés dans la lettre en question (DCT, page 74). CIC a envoyé le même jour à son mari un avis portant approbation de la demande de parrainage de Mme Khan dans le cadre de sa demande de résidence permanente.

III.             Les positions des parties

[8]               Selon la demanderesse, il était, de la part de l’agent de CIC, déraisonnable de fonder sa décision sur l’absence de certains documents, alors que dans sa réponse elle avait clairement laissé entendre qu’elle pensait que sa demande répondait entièrement aux exigences. La demanderesse estime qu’il y a en l’occurrence un renversement du fardeau incombant normalement aux demandeurs pour ce qui est de prouver que les documents expédiés ont bien été reçus.

[9]               La demanderesse fait en outre valoir qu’il était, de la part de l’agent de CIC, inconséquent de rejeter sa demande de résidence permanente le jour même qu’il approuvait la demande de parrainage présentée par son mari.

[10]           Le défendeur réplique qu’il n’a pas manqué à l’obligation d’équité procédurale. La lettre en question énumère les documents requis, et, dans sa réponse, Mme Khan n’a fourni qu’une partie des documents demandés par CIC. La demanderesse n’a pas expliqué pourquoi les autres documents énumérés dans la lettre n’avaient pas été envoyés. CIC a pris des mesures raisonnables pour aviser la demanderesse de ce qu’il manquait dans sa demande, et on ne relève en l’occurrence aucun manquement à l’équité procédurale.

IV.             La question en litige

[11]           La seule question qui se pose en l’espèce est de savoir si CIC a porté atteinte au droit à l’équité procédurale de la demanderesse lorsqu'il a rejeté la demande présentée par celle‑ci en raison du caractère insuffisant des documents fournis, alors qu’elle avait demandé à CIC de le lui faire savoir s’il avait besoin d’autres documents.

V.                La norme de contrôle applicable

[12]           Lorsqu’il est question d’atteinte à l’équité procédurale dans le cadre de demandes de résidence permanente, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Miah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 36, au paragraphe 27; Essaidi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 411, au paragraphe 11).

VI.             Analyse

[13]           Il ressort clairement de la jurisprudence que, dans les cas où CIC n’a aucune indication que la communication a échoué, ou que le courrier a été livré à la mauvaise adresse, le demandeur assume le risque de défaut de livraison (Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 935, au paragraphe 12). Autrement dit, à partir du moment où le décideur établit, selon la prépondérance des probabilités, que la communication a été transmise, le fardeau de la preuve est reporté sur le demandeur, qui doit prouver qu’il n’a pas reçu la communication (Mannil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 70, au paragraphe 30). Lorsque CIC n’a aucune indication que la communication a échoué, ou que le courrier a été livré à la mauvaise adresse, le demandeur assume le risque de défaut de livraison (Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 935, au paragraphe 12).

[14]           Ainsi que la juge Snider l’a relevé dans la décision Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 124, au paragraphe 14, il y a de bonnes raisons de reporter sur le demandeur le fardeau de la preuve. S’assurer que chaque avis a été reçu imposerait un fardeau considérable à CIC et aurait une incidence négative sur l’aptitude de CIC de traiter rapidement les demandes.

[15]           Les circonstances entourant la demande présentée par Mme Khan n’ont rien d’exceptionnel. Dans la décision Halder c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1346 (Halder), on avait, là aussi, demandé au demandeur de fournir des renseignements concernant son passeport. L’agent chargé du dossier avait envoyé une lettre rappelant que les documents demandés devaient être envoyés dans les 30 jours. Le demandeur n’ayant pas fourni de copies du passeport, sa demande a été rejetée (Halder, aux paragraphes 7 et 12). Saisi d’une demande de contrôle judiciaire, le juge Russell a confirmé la décision en cause.

[16]           Mme Khan fait valoir que ce qui distingue son dossier de cette autre affaire, c’est que, dans sa réponse, elle a demandé à CIC de lui faire savoir s’il exigeait d’elle d’autres documents. J’estime pour ma part que ce fait ne suffit pas à établir un manquement à l’équité procédurale.

[17]           Ainsi que le juge Nadon, de la Cour d’appel fédérale, l’a relevé dans l’arrêt Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 45, ce qu’exige l’équité procédurale doit être évalué dans le contexte de l’affaire en cause (voir également Ross c Canada (Procureur général), 2015 CF 344, au paragraphe 5; Adams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1193, au paragraphe 21). Je n’exclus pas la possibilité que, dans certaines circonstances, le silence de CIC face aux efforts faits par un demandeur pour qu’on lui confirme que son dossier est bien complet puisse entraîner un manquement à l’équité procédurale si, par exemple, les efforts du demandeur sont soutenus et/ou précis. En l’espèce, les faits ne justifient cependant pas une telle conclusion.

[18]           Il est de droit constant que c’est au demandeur qu’il appartient de veiller à ce que sa demande soit complète et exacte (Paashazadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 327, au paragraphe 17). Bien que je sois sensible aux efforts qu’a faits la demanderesse pour s’assurer que le dossier de sa demande était bien complet, une simple ligne insérée dans une lettre ne suffit pas à déplacer le fardeau de la preuve. Autrement, il suffirait à un demandeur d’ajouter, en fin de lettre, une formule de style, telle que [traduction] « vous êtes priés de me signaler tout document qui viendrait à manquer » ou [traduction] « je tiens pour acquis que mon dossier est complet », pour se décharger du fardeau de la preuve qui lui incombe.

[19]           Ajoutons qu’en l’occurrence il n’est pas clair que la demanderesse n’a pas reçu la lettre en question. Comme je l’ai mentionné précédemment, étant donné qu’il est avéré que des lettres envoyées à l’adresse postale mentionnée ont bien été reçues tant avant qu’après l’expédition de la lettre en question, c’est à la demanderesse qu’il incombe de prouver qu’elle ne l’a pas reçue. La demanderesse a répondu à certaines des exigences formulées dans la lettre. Même si elle a agi par suite d’un appel téléphonique de CIC, et non en réponse à une lettre de sa part, on peut raisonnablement en déduire que l’agent de CIC aurait en même temps informé la demanderesse des documents exigés d’elle. J’estime donc que la demanderesse n’a pas réfuté la présomption voulant qu’elle ait reçu les documents en question, et qu’il n’y a pas eu, en l’espèce, de manquement à l’équité procédurale.

[20]           Cela dit, j’encourage la demanderesse à présenter une nouvelle demande, et lui souhaite bonne chance pour ce qui est de son établissement au Canada.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée. Il n’y aura pas d’adjudication des dépens.

« Alan Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

M.-C. Gervais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7324-13

 

INTITULÉ :

SHAMAILA KHAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 FÉVRIER 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 20 AVRIL 2015

 

COMPARUTIONS :

John Savaglio

 

pour la demanderesse

 

Nadine Silverman

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Savaglio

Avocat

Pickering (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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