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Date : 20150513


Dossier : T‑1632‑13

Référence : 2015 CF 631

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 13 mai 2015

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

ROBERT LAVIGNE

demandeur

et

MICHEL PARE, JOCELYNE CANTIN, LUCIE VEILLETTE, MELANIE MATTE, DANIELLE DESROSIERS, JACINTHE MARLEAU, DAVID LANGTRY

et

 

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les défendeurs, la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) et le procureur général du Canada, présentent une requête dans le but d’obtenir un jugement déclarant que le demandeur, M. Robert Lavigne, est un plaideur quérulent et que la présente action constitue une instance vexatoire. De plus, les défendeurs sollicitent des ordonnances interdisant au demandeur d’engager d’autres instances devant la Cour sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de celle‑ci, demandant au greffe de refuser le dépôt de toute nouvelle action intentée par le demandeur sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de la Cour et rejetant la présente action (dossier T‑1632‑13) dans son intégralité sans possibilité de la modifier. Le tout avec dépens.

[2]               La requête présentée par les défendeurs dans le but de faire déclarer le demandeur plaideur quérulent est fondée sur le paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 (la Loi), qui est libellé ainsi :

40. (1) La Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale, selon le cas, peut, si elle est convaincue par suite d’une requête qu’une personne a de façon persistante introduit des instances vexatoires devant elle ou y a agi de façon vexatoire au cours d’une instance, lui interdire d’engager d’autres instances devant elle ou de continuer devant elle une instance déjà engagée, sauf avec son autorisation.

40. (1) If the Federal Court of Appeal or the Federal Court is satisfied, on application, that a person has persistently instituted vexatious proceedings or has conducted a proceeding in a vexatious manner, it may order that no further proceedings be instituted by the person in that court or that a proceeding previously instituted by the person in that court not be continued, except by leave of that court.

[3]               Dans Olympia Interiors Ltd c Canada, 2004 CAF 195, la Cour d’appel fédérale a réaffirmé la nature extraordinaire du pouvoir conféré à la Cour par le paragraphe 40(1) de la Loi :

[6] Le pouvoir conféré à la Cour par le paragraphe 40(1) de la Loi est, évidemment, très extraordinaire, tant et si bien qu’il doit être exercé avec modération et avec la plus grande prudence. Dans une société comme la nôtre, le sujet a généralement le droit d’avoir accès aux cours de justice en vue de faire valoir ses droits. Les législateurs avaient cette question à l’esprit lorsqu’ils ont vu à ce qu’un certain équilibre soit introduit dans l’article 40 en permettant que des instances soient engagées ou continuées avec l’autorisation de la Cour. Il a été mentionné ce qui suit dans la décision Law Society of Upper Canada c. Chavali (1998), 21 C.P.C. (4th) 20, au paragraphe 20, en rapport avec la loi parallèle qui existe en Ontario : [traduction] « l’ordonnance donne le contrôle de la procédure à la Cour ». Le résultat final est qu’une personne qui fait l’objet d’une ordonnance rendue en vertu du paragraphe 40(1) n’est pas entièrement empêchée d’engager une nouvelle instance ou de continuer une instance en cours. Elle doit d’abord obtenir la permission de la Cour pour procéder.

[4]               De plus, les alinéas 221(1)c) et f) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles) prévoient ce qui suit :

221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

 

[…]

[…]

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

[…]

[…]

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

[5]               Les défendeurs prétendent que le demandeur fait depuis longtemps un usage abusif du système judiciaire en ayant déposé, depuis 20 ans, au moins 18 demandes ou actions devant la Cour, dont un grand nombre visaient à remettre en litige les mêmes questions, et en interjetant systématiquement appel des décisions qui lui étaient défavorables jusqu’à la Cour suprême du Canada, sans succès. À cet égard, la présente action est une instance vexatoire qui a pour but de remettre en litige la question de la compétence de la CCDP et elle reprend des allégations qui ont déjà été jugées sans fondement par la Cour. En outre, le demandeur a fait des allégations non fondées de conduite scandaleuse ou inappropriée visant l’avocat de la partie adverse ou la Cour dans un certain nombre d’instances. De plus, il n’a pas intenté certains recours en temps opportun et il a volontairement omis de se conformer aux Règles et aux ordonnances de la Cour. Le demandeur avait été condamné à payer à la Couronne des dépens totaux de plus de 22 000 $ relativement à plusieurs de ses demandes qui avaient été rejetées depuis 1996, mais il a versé seulement 1 150 $ jusqu’à maintenant. Enfin, les défendeurs demandent à la Cour de leur accorder une somme globale de 4 600 $ au lieu des dépens taxés.  

[6]               Selon le demandeur, pour conclure qu’il est un plaideur quérulent, la Cour doit d’abord décider que la présente instance n’est pas fondée et est scandaleuse, vexatoire ou frivole. Il prétend que la preuve prima facie contenue dans son affidavit (courriels échangés entre des employés de la CCDP) montre que la CCDP n’avait pas la compétence nécessaire pour approuver le règlement conclu hors cour en janvier 2008 (pièce confidentielle RL‑4) relativement à ses plaintes visant la Société canadienne des postes (le règlement de 2008). Il prétend également que la CCDP avait le devoir, en vertu de la loi, de révéler qu’elle n’avait pas compétence pour approuver ce règlement qui incluait la plainte no 20070118. En conséquence, comme la CCDP n’avait pas compétence, la présente action est fondée et le demandeur ne devrait pas être déclaré plaideur quérulent.

[7]               Au soutien de son action contre les défendeurs, le demandeur soutient que le personnel de la CCDP a commis le délit de dissimilation frauduleuse ou celui d’abus de charge publique en ne révélant pas, en 2008, qu’elle n’avait pas la compétence nécessaire pour approuver le règlement de 2008. Selon lui, les défendeurs ont déposé la présente requête dans le but d’[traduction« entraver l’exercice de son droit de se faire entendre par la Cour ». Le demandeur demande en outre à la Cour de rendre un jugement sommaire déclarant que [traduction« le demandeur n’est pas un plaideur quérulent, au motif que la CCDP a commis une dissimulation frauduleuse à son égard et à l’égard de la Cour en ne révélant pas qu’elle n’avait pas compétence pour approuver le [règlement] ». De plus, le demandeur souligne que les actions intentées dans les dossiers T‑105‑10 et T‑107‑10 ont été rejetées pour cause de retard. En conséquence, ces affaires n’ont pas l’autorité de la chose jugée étant donné que la question de la dissimulation n’a pas été tranchée définitivement.

[8]               Le demandeur prétend en outre que l’affidavit de M. Tony Aquino, qui fait référence à des instances antérieures et qui a été déposé au soutien de la présente requête, devrait être rejeté ou qu’une conclusion défavorable devrait autrement en être tirée étant donné que M. Aquino n’a pas une connaissance directe des faits particuliers allégués par les parties dans ces instances. Selon le demandeur, la Cour doit aussi prendre en considération l’équité de ces instances avant de conclure qu’il est un plaideur quérulent. Même s’il ressort de la preuve documentaire produite par les défendeurs avec leur requête que cinq des actions du demandeur ont été rejetées pour cause de retard après qu’il a omis de respecter des ordonnances de fournir un cautionnement pour les dépens (T‑2200‑07, T‑2201‑07, T‑108‑08, T‑105‑10 et T‑107‑10), le demandeur affirme qu’il n’a pas payé les dépens ou respecté les ordonnances de fournir un cautionnement pour les dépens pour la simple raison qu’il est sans le sou. Il admet en outre qu’il n’a pas respecté certaines règles et certaines échéances, mais que la Cour devrait l’excuser parce qu’il se représente lui‑même et qu’il a agi de manière incompétente. Comme la présente instance n’est pas vexatoire ou frivole à première vue, la présente requête des défendeurs devrait être rejetée sur‑le‑champ et les défendeurs devraient être condamnés à lui payer une somme globale de 8 600 $ au lieu des dépens taxés (voir Lavigne c Canada (Human Resources Development) (1998), 229 NR 205; 1998 CanLII 7959 (CAF); Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts) c Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, au paragraphe 24; Air Canada c Thibodeau, 2007 CAF 115, aux paragraphes 23 et 24).

[9]               Je rejette pour absence totale de fondement tous les arguments du demandeur exposés ci‑dessus ou soulevés dans ses observations écrites ou orales. Pour les motifs mentionnés dans les paragraphes qui suivent, la présente requête en jugement est fondée et devrait être accueillie. J’estime que, à tous les égards, les allégations d’abus et de conduite vexatoire formulées par les défendeurs sont abondamment étayées par les documents déposés avec leur requête. En outre, il a déjà été statué que les arguments invoqués par le demandeur au regard de l’allégation de [traduction] « dissimulation frauduleuse » en 2008 avaient [traduction] « peu de valeur », et il n’y a aucune raison de ne pas rejeter entièrement la présente action sans possibilité de la modifier, car elle semble à première vue remettre en litige l’affaire qui était en cause dans le dossier T‑105‑10 et qui a été rejetée avec raison pour cause de retard. La preuve d’abus est accablante. Comme la preuve documentaire produite avec l’affidavit de M. Tony Aquino est éloquente, il n’est pas nécessaire, aux fins de la présente requête, que le déposant connaisse personnellement les faits particuliers allégués par les parties dans les nombreuses instances judiciaires auxquelles les défendeurs ont fait allusion. Je rappellerai donc seulement certains faits importants.

[10]           Le demandeur s’est présenté souvent devant la Cour fédérale et la Cour supérieure du Québec depuis plus de 20 ans maintenant. De 1994 à 2006, il a introduit une série d’instances relatives à une atteinte portée à ses droits linguistiques alors qu’il était au service de Développement des ressources humaines; il a aussi tenté d’obtenir un jugement déclarant que la Loi sur les langues officielles, LRC 1985, c 31 (4e suppl), s’appliquait à l’entente sur le marché du travail (l’EMT) conclue par le gouvernement fédéral et la province de Québec :

         T‑293‑94 (Lavigne c Office of the Commissioner of Official Languages and the Queen) : le demandeur voulait une ordonnance déclarant que le Commissariat aux langues officielles (le CLO) devait mener une enquête. L’instance a été abandonnée et la requête visant à obtenir une ordonnance déclarant nul l’abandon a été rejetée;

         T‑1977‑94 (Lavigne c Canada (Développement des ressources humaines), [1997] 1 CF 305) : le demandeur souhaitait obtenir des dommages‑intérêts en vertu des paragraphes 77(1) et (4) de la Loi sur les langues officielles. Il a obtenu une somme de 3 000 $ pour gêne et perte de jouissance de la vie, ainsi que des dépens. Il a interjeté appel à la Cour d’appel fédérale (A‑913‑96, 1998 CanLII 7820). Celle‑ci a rejeté l’appel. Le demandeur a présenté une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême, qui a aussi été rejetée. En juillet 2013, il a présenté une requête en réexamen à la Cour suprême, mais cette requête a été rejetée. Il a aussi porté en appel auprès de la Cour d’appel fédérale la décision lui refusant les honoraires d’avocat inscrits dans le mémoire de frais (A‑104‑97, 1998 CanLII 7959). Son appel a été rejeté. Il a demandé à la Cour d’appel fédérale l’autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême, mais sa demande a été rejetée. Il a ensuite présenté une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême. Cette demande a aussi été rejetée;

         T‑2644‑96 (Lavigne c Office of the Commissioner of Official Languages, Privacy Commissioner of Canada and the Queen) : le demandeur a présenté un avis de requête afin d’obtenir une ordonnance lui donnant accès à des renseignements personnels à l’encontre du CLO. Cette instance a été abandonnée;

         T‑909‑97 (Lavigne c Canada (Commissaire aux langues officielles), 1998 CanLII 8632) : le demandeur a demandé le contrôle judiciaire du refus du CLO de divulguer des notes d’entrevue relatives aux plaintes à l’origine du dossier T‑1977‑94. La demande a été accueillie avec dépens. L’appel et l’appel incident ont été rejetés sans dépens par la Cour d’appel fédérale (A‑678‑98, 2000 CanLII 16113) et par la Cour suprême ([2002] 2 RCS 773);

         T‑2152‑99 (Lavigne c Canada (Développement des ressources humaines), 2001 CFPI 1365) : le demandeur réclamait un jugement déclarant que la Loi sur les langues officielles s’appliquait à l’EMT. Il demandait aussi que certaines parties de l’EMT soient déclarées inconstitutionnelles. La demande a été rejetée, de même que l’appel interjeté par le demandeur à la Cour d’appel fédérale (A‑10‑02, 2003 CAF 203);

         le demandeur a saisi la Cour supérieure du Québec (dossier 500‑05‑056434‑002) d’une requête afin d’obtenir un contrôle judiciaire et un jugement reconnaissant son droit de voir le gouvernement du Québec plaider en anglais devant la Cour fédérale. Sa requête a été rejetée. La requête présentée par le procureur général du Canada afin de faire radier l’appel a été accueillie par la Cour d’appel du Québec (dossier 500‑09‑010505‑014). La demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême présentée par le demandeur a quant à elle été rejetée;

         T‑2291‑03 (Lavigne c Canada (Commissaire aux langues officielles) : le demandeur voulait soumettre à nouveau à la Cour l’affaire présentée dans le dossier T‑1977‑94. Les requêtes en radiation des défendeurs (le CLO et la Reine) ont été accueillies par un protonotaire (2004 CF 787) et l’appel du demandeur à la Cour fédérale a été rejeté (2004 CF 1359). Le demandeur a interjeté appel à la Cour d’appel fédérale, où son appel a été rejeté (A‑577‑04, 2005 CAF 210), et à la Cour suprême, où sa demande d’autorisation a aussi été rejetée.

[11]           Depuis 2002, le demandeur a aussi introduit une série d’instances en lien avec son emploi à Postes Canada :

         T‑872‑02 (Lavigne c Société canadienne des postes) : le demandeur a intenté une action en dommages‑intérêts contre Postes Canada en raison d’une présumée contravention de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‑21. La requête en radiation de Postes Canada a été accueillie par un protonotaire (2002 CFPI 863) et un juge de la Cour a rejeté l’appel du demandeur. Celui‑ci a interjeté appel à la Cour d’appel fédérale, où son appel a été rejeté. Sa demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême a aussi été rejetée (A‑596‑02);

         T‑500‑03 (Lavigne c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes) : le demandeur a présenté une demande afin d’obtenir un jugement déclarant que le STTP avait utilisé ses renseignements personnels à mauvais escient. La requête du défendeur demandant le rejet de l’action a été accueillie;

         T‑831‑06 (Lavigne c Pepin) : le demandeur a introduit une action en dommages‑intérêts pour négligence et malversation relativement à la cessation de l’emploi du demandeur à Postes Canada et au présumé harcèlement exercé par un gestionnaire de cette société. La requête en radiation des défendeurs a été accueillie (2007 CF 747). Le demandeur a interjeté appel à la Cour d’appel fédérale, qui a rejeté son appel (2007 CAF 123), et à la Cour suprême, où sa demande d’autorisation a aussi été rejetée;

         T‑206‑07 (Lavigne c Canada Post Corporation) : le demandeur a déposé un avis de demande relativement à sa suspension ordonnée par son employeur. La défenderesse a présenté une requête en radiation et le demandeur, une requête afin d’obtenir une instruction accélérée. En avril 2007, la Cour a rejeté la requête du demandeur et a suspendu la procédure de contrôle judiciaire jusqu’à ce que tous les recours prévus par la convention collective et le Code canadien du travail aient été épuisés. Le demandeur a abandonné sa demande en décembre 2007;

         T‑1507‑07 (Lavigne c Canada Post Corporation) : le demandeur a déposé un avis de demande concernant le contrôle judiciaire de la décision de la CCDP de refuser de connaître d’une plainte. Un protonotaire a ordonné qu’il soit sursis à la demande indéfiniment en novembre 2007 et le demandeur s’est désisté de celle‑ci en décembre 2007;

         le demandeur a présenté une requête à la Cour supérieure du Québec le 2 août 2007 (dossier 500‑17‑038022‑078) afin d’obtenir une injonction contre Postes Canada et le STTP, mais il s’en est désisté le 21 août 2007;

         T‑2200‑07, T‑2201‑07 et T‑108‑08 (Lavigne c Société canadienne des postes) : le demandeur a déposé trois avis de demande de contrôle judiciaire visant trois décisions du CLO. Il a déposé une requête afin de contraindre le CLO à communiquer des dossiers relatifs aux plaintes en matière linguistique formulées par d’autres employés à l’égard de Postes Canada. Cette requête a été rejetée par un protonotaire et l’appel du demandeur a été rejeté par la Cour le 24 juillet 2009 (2009 CF 756). La Cour a aussi rejeté la requête présentée par le demandeur afin d’obtenir une ordonnance relative aux dépens avant le litige et a accueilli en partie la requête de la défenderesse visant à obtenir une ordonnance exigeant que le demandeur fournisse un cautionnement quant à ses dépens. En octobre 2009, un protonotaire a suspendu les demandes pendant le processus d’appel de l’ordonnance du 24 juillet 2009. En février 2012, le demandeur a dû démontrer pourquoi ses demandes réunies ne devraient pas être rejetées pour cause de retard. En mai 2012, un protonotaire a rejeté les demandes réunies du demandeur pour cause de retard. En juin 2012, la requête présentée par le demandeur afin d’obtenir une prorogation du délai dans lequel devait être déposé un appel de l’ordonnance du protonotaire a été rejetée par la Cour. Le demandeur a interjeté appel à la Cour d’appel fédérale, qui a rejeté son appel (A‑379‑12, 2013 CAF 206), ainsi que sa demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême (A‑429‑12, A‑428‑12 et A‑379‑12);

         en juin 2008, le demandeur a intenté une action contre des employés et des dirigeants de Postes Canada devant la Cour supérieure du Québec (dossier 500‑17‑043720‑088), dans le but d’obtenir des dommages‑intérêts et une injonction. La Cour supérieure a fait droit à la requête des défendeurs, a rejeté l’action et a déclaré le demandeur [traduction] « plaideur vexatoire et querelleur ». Le demandeur a interjeté appel à la Cour d’appel du Québec et les défendeurs ont présenté une requête afin que l’appel soit rejeté. La requête des défendeurs a été accueillie en partie et la Cour d’appel du Québec a confirmé la décision de la Cour supérieure de déclarer le demandeur plaideur vexatoire et querelleur (2009 QCCA 776). La Cour suprême a rejeté la demande d’autorisation du demandeur;

         T‑105‑10, T‑107‑10 (Lavigne c Canada (Commission des droits de la personne); Lavigne c Société canadienne des postes) : le demandeur a intenté deux actions dans le but d’obtenir notamment l’annulation du règlement de 2008 ainsi que des dommages‑intérêts. La requête en cautionnement pour dépens présentée par les défenderesses a été accueillie dans les deux instances et la requête présentée par le demandeur afin que le caractère confidentiel du règlement hors cour soit levé a été rejetée par un protonotaire (2010 CF 1038). Le demandeur a interjeté appel de l’ordonnance du protonotaire à la Cour fédérale, qui l’a rejeté, à la Cour d’appel fédérale, qui l’a aussi rejeté, de même que sa demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême (A‑469‑10/A‑470‑10, 2011 CAF 333), et enfin à la Cour suprême, qui a rejeté sa demande d’autorisation. En janvier 2011, le demandeur a présenté une requête dans le but d’obtenir une ordonnance enjoignant à la défenderesse la CCDP de signifier et de déposer une requête en radiation. Cette requête a été rejetée par un protonotaire et l’appel du demandeur a été rejeté par la Cour fédérale. Le 4 juillet 2012, un protonotaire a rejeté les actions du demandeur pour cause de retard, le demandeur ayant été incapable de justifier le retard et n’ayant pas déposé le montant du cautionnement ordonné pour les dépens. Le demandeur a interjeté appel de l’ordonnance du 4 juillet 2012 auprès d’un juge de la Cour fédérale, qui a rejeté l’appel; auprès de la Cour d’appel fédérale, qui a aussi rejeté l’appel ainsi que sa demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême (A‑428‑12/A‑429‑12, 2013 FCA 207); finalement, auprès de la Cour suprême, qui a rejeté sa demande d’autorisation (2014 CanLII 46946). Le 7 janvier 2015, le demandeur a tenté de déposer une nouvelle requête, mais le greffe l’a refusée;

         11‑T‑7 (Lavigne c Canada (Commission des droits de la personne) : le demandeur a déposé une requête en prorogation du délai de dépôt d’une demande. Elle a été rejetée par la Cour (2011 CF 290). Le demandeur a interjeté appel le 13 avril 2011, puis s’en est désisté le 16 mai suivant;

         T‑1632‑13 (Lavigne c Paré et al) : la présente instance, dans laquelle le demandeur a intenté une nouvelle action contre la CCDP, le président par intérim, certains des employés de la CCDP et le procureur général du Canada. Les défendeurs demandent maintenant à la Cour de rejeter cette action – le seul dossier actif dont la Cour est saisie – au motif qu’elle est clairement vexatoire et qu’il s’agit d’un abus de procédure.

[12]           La Cour dispose d’une preuve démontrant clairement la propension du demandeur à soumettre aux tribunaux des questions qui ont déjà été tranchées, ainsi que l’introduction d’actions ou de requêtes frivoles. Au risque de me répéter, il était question, par exemple, des mêmes allégations de discrimination, de harcèlement, de suspension discriminatoire ou de cessation d’emploi discriminatoire concernant le demandeur dans un grief, trois plaintes déposées auprès de la CCDP, six actions intentées devant la Cour fédérale (T‑831‑06, T‑206‑07, T‑1507‑07, T‑105‑10, T‑107‑10 et T‑1632‑13) et deux instances de la Cour supérieure. Dans les faits, il a déjà été établi dans différentes ordonnances et décisions que le demandeur essayait de remettre en litige les mêmes questions, par exemple les ordonnances rendues par le protonotaire Morneau dans les affaires T‑2291‑03 (2004 CF 787, au paragraphe 47) et T‑105‑10 et T‑107‑10 et la décision rendue par la juge Casgrain de la Cour supérieure dans l’affaire 500‑17‑043720‑088. À quatre occasions, le demandeur a présenté une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême, après que la Cour d’appel du Québec ou la Cour d’appel fédérale a refusé de faire droit à cette demande. Enfin, le demandeur a formulé des allégations de conduite scandaleuse ou inappropriée dénuées de fondement contre la partie adverse, l’avocat ou la Cour. Il a aussi présenté des allégations de mauvaise foi, de parti pris, de fraude, de malhonnêteté, de complot, d’abus de pouvoir et de malversation dans l’exercice d’une charge publique contre la Reine, Postes Canada, le CLO, le STTP, la CCDP et le protonotaire Morneau. Il est évident également que le demandeur a contrevenu aux conditions explicites de l’ordonnance de fournir un cautionnement pour les dépens et au paragraphe 416(3) des Règles, en continuant d’introduire des instances frivoles ou vexatoires, notamment une requête visant à contraindre la CCDP à présenter une requête en radiation de sa demande, qui a été considérée comme une tentative inacceptable de diviser des instances judiciaires afin de poursuivre seulement certains des défendeurs en dépit de l’ordonnance de fournir un cautionnement pour les dépens. La présente instance a été introduite plusieurs années après que ses appels concernant le rejet de ses demandes dans T‑105‑10 et T‑107‑10 ont été épuisés. Elle devrait être rejetée parce qu’elle est abusive et qu’elle constitue seulement une nouvelle tentative du demandeur pour échapper aux effets de l’ordonnance de fournir un cautionnement pour les dépens et de l’ordonnance rejetant son action pour cause de retard dans le dossier T‑105‑10.

[13]           En conséquence, je suis convaincu que, même si certaines demandes du demandeur dans le domaine des langues officielles ont été accueillies dans le passé, ses actions subséquentes, en particulier celles relatives à son emploi à Postes Canada, font en sorte qu’il semble posséder de plus en plus les caractéristiques d’un plaideur quérulent qui sont décrites dans Wilson c Canada, 2006 CF 1535 (Wilson) :

[29] Pour rendre une ordonnance aux termes de l’article 40, la Cour doit être convaincue que M. Wilson a de façon persistante introduit des instances vexatoires devant elle ou a agi de façon vexatoire au cours de la présente instance et des instances connexes. J’ai conclu qu’il est approprié en l’espèce de prononcer pareille ordonnance parce que la conduite de M. Wilson au cours du litige a été vexatoire de façon persistante et qu’elle a été qualifiée d’abus de procédure de la Cour à plusieurs reprises.

[30] La jurisprudence a interprété le terme « vexatoire » comme étant de façon générale synonyme de la notion d’abus de procédure : voir Foy c. Foy (1979), 102 D.L.R. (3d) 342 (C.A. Ont.). Il n’est donc pas surprenant que l’une des caractéristiques notables d’un plaideur vexatoire soit sa propension à la remise en cause d’affaires qui ont déjà été tranchées en sa défaveur : Vojic c. Canada (Ministre du Revenu national), [1992] A.C.F. no 902 (1re inst.).

[31] Parmi les autres indices de comportement vexatoire, on trouve l’introduction d’actions ou de requêtes frivoles, la formulation d’allégations non fondées reprochant à la partie adverse, aux avocats ou à la Cour d’avoir posé des actes irréguliers, le refus ou l’omission de se conformer aux règles ou aux ordonnances de la Cour, l’emploi d’un langage scandaleux dans les actes de procédure ou devant la Cour, l’omission ou le refus de payer les dépens adjugés dans les instances antérieures et l’omission d’intenter des poursuites en temps opportun : Vojic, précitée; Canada c. Warriner (1993), 70 F.T.R. 8, [1993] A.C.F. no 1007; Canada c. Olympia Interiors Ltd., [2001] A.C.F. no 1224, 2001 CFPI 859; Mascan Corp. c French (1988), 49 D.L.R. (4th) 434, 64 O.R. (2d) 1 (C.A.); Foy, précité; Société canadienne des postes c. Varma (2000), 192 F.T.R. 278, [2000] A.C.F. no 851; Nelson c. Canada (Ministre de l’Agence des douanes et du revenu), [2002] A.C.F. no 97, 2002 CFPI 77.

[14]           En conclusion, la présente affaire constitue l’un de ces cas où une ordonnance doit être rendue en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi afin de maintenir l’intégrité du processus judiciaire et de protéger la Cour et les défendeurs éventuels contre les instances frivoles (Canada c Olympia Interiors Ltd, 2001 CFPI 859, au paragraphe 50 (Olympia Interiors)). Il n’est pas nécessaire qu’il y ait mauvaise foi ou désir de vengeance de la part du demandeur pour qu’une ordonnance soit rendue en vertu du paragraphe 40(1) (Olympia Interiors, précitée). Le long historique judiciaire décrit ci‑dessus montre clairement que le demandeur possède de nombreuses caractéristiques du plaideur quérulent, notamment une propension à remettre en litige des questions qui ont déjà été tranchées, l’introduction d’instances frivoles (notamment plus de 20 appels ou demandes d’autorisation d’appel), la formulation d’allégations non fondées reprochant aux parties adverses et à la Cour leur comportement inapproprié, ainsi que l’omission de payer les dépens et d’intenter des poursuites en temps opportun (Wilson, précitée, aux paragraphes 30 et 31).

[15]           Dans le cadre de l’exercice du pouvoir inhérent de la Cour de contrôler sa procédure et compte tenu du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par les articles 47, 53 et 221 des Règles, j’estime également que la présente action devrait être rejetée sans aucune possibilité de la modifier, car elle est vexatoire et constitue autrement un abus de procédure. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une autre tentative du demandeur de remettre en litige la question de l’absence de compétence de la CCDP pour approuver le règlement de 2008 (pièce confidentielle RL‑4) à la suite de la séance de médiation du 18 janvier 2008, selon ce qui ressort de mon examen attentif des instances, ordonnances et décisions contenues dans les dossiers T‑105‑10 et T‑107‑10 (voir la déclaration modifiée (T‑105‑10), pièce 79, aux pages 926 et suivantes, en particulier les paragraphes 32 à 38; Lavigne c Canada (Commission des droits de la personne), 2010 CF 1038, aux paragraphes 21 et 22; le dossier de requête concernant l’appel interjeté à l’encontre de l’ordonnance rejetant l’action pour cause de retard (T‑105‑10), pièce 92, aux paragraphes 33 à 41; l’ordonnance rejetant la requête, pièce 94, aux pages 1046 et 1047; le mémoire des faits et du droit (A‑428‑12, A‑429‑12), pièce 95; Lavigne c Canada (Commission des droits de la personne), 2013 FCA 207).

[16]           En conséquence, compte tenu de tous les facteurs mentionnés à l’article 400 des Règles, notamment les circonstances de l’affaire, les dépens taxables en vertu du tarif B, la conduite du demandeur, l’imposante charge de travail des défendeurs et les recherches qu’ils ont dû effectuer pour préparer la requête en jugement et le projet de mémoire de dépens qu’ils ont présenté, j’estime qu’une somme globale de 4 600 $, incluant tous les honoraires et débours, est raisonnable et devrait être adjugée aux défendeurs au lieu des dépens taxés.


JUGEMENT

VU la requête en jugement présentée par les défendeurs, la Commission canadienne des droits de la personne et le procureur général du Canada, afin que la Cour déclare que le demandeur, M. Robert Lavigne, est un plaideur quérulent en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales et qu’elle leur accorde différents redressements en conséquence;

COMPTE TENU de la preuve au dossier et des observations des défendeurs et du demandeur;

ESTIMANT, pour les motifs joints au présent jugement, que la requête en jugement est fondée et qu’un jugement devrait être rendu en conséquence;

LA COUR ADJUGE, DÉCLARE ET ORDONNE :

1.                  La requête des défendeurs est accueillie avec dépens.

2.                  Le demandeur est un plaideur quérulent.

3.                  La présente action est une instance vexatoire et constitue autrement un abus de procédure.

4.                  Le demandeur ne peut instituer, que ce soit en son nom ou par l’entremise d’une autre personne le représentant, aucune autre instance de quelque type que ce soit devant la Cour fédérale sans avoir d’abord obtenu l’autorisation de celle‑ci.

5.                  Le greffe de la Cour fédérale ne peut accepter aucune autre instance de quelque type que ce soit qui est introduite par le demandeur en son nom ou par l’entremise d’une autre personne le représentant sans avoir d’abord obtenu l’autorisation de la Cour.

6.                  La présente action est rejetée dans son intégralité sans aucune possibilité de la modifier.

7.                  Le demandeur est condamné à payer aux défendeurs une somme globale de 4 600 $ au lieu des dépens taxés.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A., Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1632‑13

 

INTITULÉ :

ROBERT LAVIGNE c MICHEL PARE, JOCELYNE CANTIN, LUCIE VEILLETTE, MELANIE MATTE, DANIELLE DESROSIERS, JACINTHE MARLEAU, COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE, PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 AVRIL 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Robert Lavigne

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Me Erin Morgan

Me Caroline Laverdière

 

POUR LES DÉFENDEURs

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert Lavigne

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LES DÉFENDEURs

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

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