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Date : 20150508


Dossier : IMM-2635-14

Référence : 2015 CF 606

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 mai 2015

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

CHENGLIN BAO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. Mme Chenglin Bao conteste la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a rejeté cette demande d’asile. La demande sera accueillie, et ce, pour les motifs exposés ci‑dessous.

I.                   Le contexte

[2]               La demanderesse est une citoyenne de la République populaire de Chine. Elle a été élevée dans la province du Shandong. Sa tutrice d’anglais, Juan Liu, lui a fait connaître le christianisme en 2007. Elle a commencé à participer aux activités d’une église protestante clandestine et elle a été baptisée par la suite.

[3]               En 2008, Mme Bao est venue au Canada pour y étudier. Elle est membre active d’une église chrétienne canadienne depuis ce temps. Elle a visité ses parents en Chine de mars à août 2010. Elle est ensuite revenue au Canada pour y continuer ses études.

[4]               Mme Bao allègue qu’elle a reçu un appel de ses parents le 9 novembre 2010. Ces derniers l’ont informée que des agents du Bureau de la sécurité publique [BSP] s’étaient rendus à leur domicile pour leur demander où la demanderesse était et à quel moment cette dernière reviendrait en Chine. Les agents ne voulaient pas dire ce qu’ils recherchaient. Mme Bao soupçonnait que le BSP avait un intérêt à l’égard de ses activités de nature religieuse. Elle a tenté de communiquer avec plusieurs de ses coreligionnaires en Chine, sans succès.

[5]               Le 15 mai 2012, Mme Bao a reçu un autre appel troublant de ses parents. Ces derniers venaient tout juste de découvrir que Mme Liu et son époux avaient été arrêtés en novembre 2010 et qu’ils avaient été condamnés à une peine de prison d’un an et demi. Ils venaient tout juste d’être mis en liberté. Mme Bao a présenté une demande d’asile en se fondant sur cette information.

[6]               La Commission a rejeté la demande d’asile dans une décision datée du 3 mars 2014. Il s’agit de la décision visée par la demande de contrôle judiciaire.

[7]               La Commission a essentiellement conclu que la demanderesse d’asile n’avait pas produit une preuve suffisamment crédible et digne de confiance pour justifier sa crainte de retourner en Chine. La Commission, selon la prépondérance des probabilités, n’a pas prêté foi à ses allégations concernant ce qui s’était produit en Chine.

[8]               La demanderesse a relaté que la maison église qu’elle fréquentait dans le Shandong avait fait l’objet d’une descente par la police en novembre 2010. Elle a allégué qu’au moins deux membres avaient été arrêtés et condamnés à des peines de prison. La Commission a fait remarquer que la China Aid Association rassemble des renseignements sur le traitement des chrétiens en Chine, en mettant l’accent sur les maisons églises protestantes. Son rapport annuel pour l’année 2010 ne fait pas mention d’une descente policière dans la province du Shandong en novembre 2010.

[9]               La Commission a expliqué qu’elle avait compris que la China Aid Association pouvait ne pas avoir connaissance de tous les incidents en Chine. Par contre, Mme Bao a elle‑même relaté que ses coreligionnaires avaient été arrêtés, poursuivis et condamnés. De plus, elle a produit ce qui semblait être les certificats de mise en liberté qu’ils avaient reçus après avoir purgé leur peine. Puisque la demanderesse n’a pas fait valoir que l’État avait agi secrètement dans cette affaire, la Commission a tenu pour acquis que les gestes posés par l’État chinois auraient dû être portés à l’attention de la China Aid Association.

[10]           La Commission a ensuite examiné les prétendus certificats de mise en liberté. Ceux‑ci font état du fait que Mme Juan et son conjoint avaient été condamnés pour « utilisation d’organisations cultes à l’encontre de la loi ». Selon la preuve documentaire, les autorités chinoises apposent l’étiquette de « cultes du mal » ou des « cultes » à certaines organisations. Cependant, les maisons églises protestantes ne sont pas visées par ce terme. Les organisations perçues comme des cultes en Chine attirent généralement un grand nombre d’adeptes. Ce n’était pas le cas pour la maison église de la demanderesse d’asile, laquelle comptait 16 croyants. La Commission a affirmé que, bien que les maisons églises non enregistrées et les groupes déclarés cultes sont tous illégaux, les maisons églises non enregistrées sont « font parfois l’objet d’une certaine tolérance », alors que les membres des cultes sont « poursuivis sans relâche ». Par conséquent, la mention de culte dans les certificats n’était pas compatible avec la preuve documentaire.

[11]           En dernier lieu, la demanderesse a allégué, lors de l’audience, que ses parents lui avaient dit que Mme Juan et son époux avaient été torturés lors de leur détention. Dans l’exposé circonstancié par écrit contenu dans son formulaire de renseignements personnels, il n’y a aucune mention de la torture. La demanderesse d’asile a expliqué qu’elle ne savait pas qu’elle devait inclure ce renseignement. La Commission était d’avis qu’il ne s’agissait pas d’une explication raisonnable, puisque sa description de quatre pages contenait nombre d’autres détails.

[12]           La Commission a ensuite examiné le fondement objectif de la demande d’asile. Elle a affirmé qu’il y avait des dizaines de milliers de maisons églises non enregistrées en Chine, dont la plupart sont peu dérangées par l’État, voire pas du tout, dans l’exercice de leurs activités. Selon la preuve, ce sont les responsables des églises qui sont le plus fréquemment prises pour cible, et non les laïques. Selon la prépondérance de la preuve, la Commission a conclu que Mme Bao serait capable de pratiquer sa religion en Chine, sans être exposée à une possibilité sérieuse d’être persécutée.

II.                Les questions en litige

[13]           La demanderesse a soulevé trois questions en litige dans ses observations écrites :

1.      La Commission a‑t‑elle contrevenu à son obligation d’équité procédurale?

2.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation dans la crédibilité?

3.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation du risque objectif?

[14]           La demanderesse a renoncé à soulever la première question en litige lors de l’audience. La Cour convient qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de discuter davantage de cette question.

[15]           La Cour a conclu que la réponse à la deuxième question en litige est suffisante pour faire droit à la présente demande. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de discuter de la troisième question non plus.

[16]           Il est bien établi en droit que les conclusions relatives à la crédibilité sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité : Triana Aguirre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 571, aux paragraphes 13-14; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1078, au paragraphe 51.

III.             Analyse

[17]           Il convient de présumer que les allégations d’un demandeur d’asile sont véridiques, à moins qu’il n’y ait des raisons de douter de leur véracité : Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1979] ACF no 248 (CAF). La Cour a conclu que les motifs donnés par la Commission pour mettre en doute la crédibilité de la demanderesse en l’espèce n’étaient pas justifiables. Les incompatibilités relevées par la Commission étaient microscopiques, non pertinentes ou conjoncturelles. Par conséquent, la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant le témoignage de la demanderesse.

[18]           Il était déraisonnable de la part de la Commission de douter du récit de la demanderesse simplement du fait que celui‑ci n’avait pas été consigné dans le rapport de la China Aid Association. C’est une chose de conclure que la preuve objective contredit des parties du récit d’un demandeur d’asile. C’en est toute une autre que de se livrer à des conjectures quant au fait que le récit de ce demandeur d’asile n’est pas crédible, tout simplement parce qu’il n’a pas été repris par un organisme qui fait rapport d’incidents dans un pays comptant plus d’un milliard de personnes. Cette deuxième avenue est déraisonnable. La Commission n’avait pas le droit de rejeter le témoignage uniquement parce que celui‑ci n’est pas corroboré par la preuve documentaire d’une source bien précise. Il convient de répéter qu’un témoignage sous serment est présumé être véridique – alors qu’il n’existe aucune présomption selon laquelle un rapport produit en preuve est infaillible.

[19]           La Cour fait remarquer, en passant, qu’il y avait une certaine confusion à l’audience quant à la question de savoir si le rapport de la China Aid Association contenu dans le dossier certifié du tribunal était celui auquel la Commission avait renvoyé dans ses motifs. Il ne s’agit pas là d’une question importante. Pour les motifs exposés ci‑dessus, la Commission ne pouvait pas raisonnablement tirer l’inférence contestée, et ce, de tout rapport rédigé par la China Aid Association.

[20]           La Cour fait aussi remarquer que l’arrêt Adu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 114 (CAF), un précédent cité par le défendeur, peut être écarté. Dans cette affaire, la Commission a mis en doute la crédibilité du demandeur, parce qu’il n’y avait pas de preuve objective pour corroborer l’existence d’une disposition législative qui, comme le prétendait le demandeur d’asile, avait été invoquée pour le persécuter. On peut s’attendre à ce que les lois et les décrets officiels adoptés par un État soient publiés par les organismes de l’État en question. Toutefois, il n’y a aucune raison de s’attendre à ce qu’une organisation militante ait la capacité de faire un rapport de chaque incident qui se produit dans son champ d’intérêt.

[21]           La Commission a aussi tiré une inférence défavorable déraisonnable des certificats de mise en liberté. Il faut garder à l’esprit que la Commission n’a pas exprimé de réserve quant à l’apparence matérielle de ces documents, au sujet de tout autre possible signe de faux. La Commission a tout simplement exprimé l’avis selon lequel cet élément de preuve n’était pas crédible, parce qu’il faisait mention du fait que les amis de la demanderesse avaient purgé une peine de prison pour avoir fait partie d’un « culte ». La Commission a affirmé que ce terme ne s’appliquait pas aux églises chrétiennes en Chine, parce que de telles églises « font parfois l’objet d’une certaine tolérance » [non surligné dans l’original] – malgré leur illégalité et le fait que leurs dirigeants peuvent être emprisonnés.

[22]           La Commission s’est contredite en tirant cette conclusion. Il est bien établi en droit que les pratiques en matière d’application des lois varient selon les régions en Chine : Weng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 422, au paragraphe 17. De plus, la Commission a reconnu que les églises non enregistrées sont illégales en Chine et que leurs dirigeants sont exposés à l’emprisonnement. La Commission n’a pas expliqué de manière intelligible pourquoi les autorités chinoises ne pouvaient pas se fonder sur les dispositions législatives contre les cultes pour condamner et emprisonner deux membres bien précis d’une église illégale. Le fait que les autorités puissent avoir agi différemment dans d’autres cas ne rend pas invraisemblable la conduite décrite par la demanderesse.

[23]           En dernier lieu, la demanderesse a allégué que ses amis avaient été torturés en prison à l’audience, mais elle avait omis de le faire dans son formulaire de renseignements personnels. La Commission pouvait raisonnablement en tirer l’inférence selon laquelle la demanderesse tentait d’embellir sa demande d’asile et en tirer une inférence défavorable. Cependant, la Cour ne comprend pas pourquoi la Commission aurait rejeté l’ensemble de son témoignage tout simplement en raison de cette inférence. Une conclusion raisonnable ne peut racheter une décision par ailleurs viciée. Dans l’ensemble, la Commission a commis une erreur dans l’appréciation de la crédibilité de la demanderesse.

[24]           L’appréciation erronée de la crédibilité de Mme Bao par la Commission est suffisante pour annuler la décision. Il n’est pas nécessaire que la Cour traite des préoccupations de la demanderesse quant à la manière dont la Commission s’est penchée sur le fondement objectif de sa demande d’asile.

[25]           Les parties n’ont pas proposé de questions à des fins de certification et aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2635-14

INTITULÉ :

CHENGLIN BAO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

 

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 MAI 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 8 MAI 2015

COMPARUTIONS :

Mark Rosenblatt

POUR LA DEMANDERESSE

Hillary Adams

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mark Rosenblatt

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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