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Date : 20150513


Dossier : IMM-7143-14

Référence : 2015 CF 630

Ottawa (Ontario), le 13 mai 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

KARNAIL SINGH MULTANI

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] datée du 17 septembre 2014, rejetant la demande de protection de réfugié du demandeur.

II.                Faits

[2]               Le demandeur est un citoyen indien de confession Sikh âgé de 47 ans.

[3]               Au moment de sa retraite de l’armée indienne, le 1er octobre 2004, le demandeur a reçu une somme forfaitaire de 10 lakh de roupies (100 000 roupies).

[4]               Le 3 octobre 2004, un dénommé Joginder Singh [Joginder] a convaincu le demandeur d’investir cette somme avec lui, en lui promettant de doubler ce montant en seulement trois ans.

[5]               En octobre 2007, le demandeur a réclamé son argent à Joginder. Ce dernier a cependant refusé, sous prétexte que la somme investie du demandeur doublerait à nouveau en 2010.

[6]               Le demandeur a alors informé la police du refus de Joginder de lui remettre son argent et suite à des recherches, la police a informé le demandeur que la société financière avec laquelle il croyait faire affaire n’existait pas et qu’il avait vraisemblablement été victime de fraude.

[7]               Cette perte aurait ruiné le demandeur.

[8]               Le 15 octobre 2007, le demandeur a été enlevé et battu par deux hommes qui ont menacé de le tuer si le demandeur sollicitait la protection policière ou que leur chef, Joginder, se faisait arrêter par la police.

[9]               Le demandeur a néanmoins averti les autorités afin de dénoncer l’agression. Cependant, la police a refusé d’intervenir puisque le demandeur ne connaissait pas l’identité de ses assaillants.

[10]           Vers le 30 octobre 2007, le demandeur a été attaqué à nouveau par trois hommes et l’un d’eux a tenté de l’étrangler avec un foulard. Les trois hommes ont alors informé le demandeur qu’ils savaient qu’il avait contacté la police à l’égard de Joginder et l’ont menacé de mort s’il tentait à nouveau de saisir la police ou les tribunaux de l’affaire.

[11]           En janvier 2011, alors qu’il était à Amritsar, le demandeur a croisé Joginder par hasard et lui a demandé son argent, sans quoi il contacterait la police. Un des hommes qui accompagnait Joginder a alors menacé le demandeur de mort avec une arme à feu et Joginder et ses compagnons ont pris la fuite.

[12]           Deux semaines plus tard, deux hommes se sont présentés chez le demandeur. Ils ont informé son épouse, qui était alors seule, qu’ils tueraient le demandeur une fois localisé.

[13]           Le demandeur a alors retenu les services d’un passeur, en vendant les bijoux de son épouse, afin de fuir l’Inde vers le Canada le 16 février 2011.

III.             Décision contestée

[14]           Suite à une audience ayant eu lieu le 11 septembre 2014, la SPR a conclu que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR.

[15]           La SPR fonde sa décision sur le manque de crédibilité du demandeur, l’absence d’une crainte fondée sur l’un des cinq motifs énoncés à l’article 96 de la LIPR, et l’absence de preuve d’un risque auquel le demandeur serait exposé en Inde, tel que prévu à l’article 97 de la LIPR.

IV.             Provisions législatives

[16]           Les dispositions législatives de la LIPR pertinentes à la détermination du statut de réfugié sont reproduites ci-dessous :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

      (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

      (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

      (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

      (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

      (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

      (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

      (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

      (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

Exclusion – Refugee Convention

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

V.                Question en litige

[17]           La décision de la SPR est-elle déraisonnable?

VI.             Analyse

[18]           Il est établi que les conclusions relatives à la crédibilité des demandeurs, décrites comme l’« essentiel de la compétence de la [SPR] », sont des conclusions de fait qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Zhou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2013 CF 619 au para 26; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339 au para 46).

[19]           Le caractère raisonnable tient principalement à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190 au para 47).

[20]           Dès lors, il incombe à la SPR d’apprécier la preuve soumise et d’en tirer les conclusions qui s’imposent (Cienfuegos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2009] FCJ No 1591 au para 29). Tel qu’énoncé par le juge Michel Beaudry dans Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2009] ACF 617 au para 14 :

[14] Le tribunal est le mieux placé pour évaluer les explications fournies par la demanderesse au sujet des contradictions et invraisemblances apparentes. Il n'appartient pas à la Cour de substituer son jugement aux conclusions de fait tirées par le tribunal au sujet de la crédibilité de la demanderesse (Singh c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 181, 146 A.C.W.S. (3d) 325 au par. 36; Mavi c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no. 1 (C.F. 1ère inst.) (QL)).

[21]           Dans ses motifs, la SPR identifie de nombreuses incohérences dans le témoignage écrit et oral du demandeur à l’égard d’aspects déterminants à sa demande de réfugié. Ces constatations ont mené la SPR à conclure que le récit du demandeur était fabriqué.

[22]           À l’appui de sa décision, la SPR invoque les observations suivantes relativement au manque de crédibilité du demandeur :

a)      La SPR tire une inférence négative des contradictions dans la preuve relative aux opérations bancaires du demandeur. Le demandeur a déclaré dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP] qu’il a reçu une somme forfaitaire de 10 lakh de roupies en date du 1er octobre 2004. Cependant, les relevés bancaires révèlent qu’entre le 2 et le 30 septembre 2004, le demandeur a reçu quatre montants totalisant 1 035 066 roupies.

b)      Les dates entourant la rencontre et l’investissement auprès de Joginder ne correspondent pas. Le demandeur allègue avoir rencontré Joginder le 3 octobre 2004 et que c’est à ce moment que ce dernier l’a convaincu d’investir son argent avec lui. Cependant, le relevé bancaire pertinent indique que 10 lakh de roupies ont été retirés le 2 octobre 2004, avant même que le demandeur n’ait fait la connaissance de Joginder.

c)      La situation financière du demandeur est entachée d’incohérences. Le demandeur prétend que son investissement avec Joginder l’a ruiné et qu’il est démuni financièrement. Cependant, les relevés bancaires du demandeur démontrent que le demandeur reçoit une pension mensuelle. De plus, le demandeur a témoigné qu’il est travailleur autonome depuis octobre 2004 en tant que fermier sur sa propre terre (jusqu’à son départ vers le Canada), de laquelle il retire des gains découlant de la vente de riz et de blé afin de subvenir aux besoins de sa famille. En outre, le demandeur habite dans une maison héritée de son père. Finalement, la preuve démontre que le demandeur et sa femme ont eu les moyens financiers de voyager en Thaïlande en 2005-2006.

d)     Le demandeur a produit des déclarations contradictoires quant aux dettes contractées en Inde. Le demandeur prétend que sa vie est également en danger vis-à-vis ses créanciers. Le demandeur a témoigné qu’il a été obligé d’emprunter 20 lakh de roupies afin de payer la dot de sa fille et qu’étant dans l’impossibilité de rembourser la totalité de sa dette, ses créanciers ont porté plainte à la police et seraient à sa recherche. Or, dans son FRP, le demandeur indique que sa fille unique n’est pas mariée.

e)      Le demandeur n’a pas démontré qu’il serait exposé à un risque s’il devait retourner en Inde. La SPR conclut que même si elle acceptait le témoignage du demandeur selon lequel il aurait investi une somme auprès de Joginder, la preuve démontre qu’il est improbable que ce dernier soit à la recherche du demandeur ou souhaite le tuer.

[23]           Il était loisible et raisonnable pour la SPR de soupeser le témoignage fourni par le demandeur et de conclure à son manque de crédibilité au regard de la preuve soumise, en raison des multiples contradictions soulevées (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2007] FCJ 97 au para 28).

[24]           Il était également loisible à la SPR de considérer l’absence de preuve pouvant corroborer les éléments fondamentaux de la revendication du demandeur, notamment quant à sa persécution et sa crainte future alléguées.

[25]           La Cour estime que les conclusions de la SPR sont raisonnables et ancrées dans la preuve au dossier et que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

VII.          Conclusion

[26]           Pour les motifs énumérés ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7143-14

 

INTITULÉ :

KARNAIL SINGH MULTANI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 mai 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 mai 2015

 

COMPARUTIONS :

Claude Whalen

 

Pour la partie demanderesse

 

Charles Junior Jean

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Claude Whalen

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

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