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Date : 20150519


Dossier : T‑1775‑14

Référence : 2015 CF 645

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 19 mai 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

ISMAIL GULTEPE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Contexte

[1]               Le demandeur, Ismail Gultepe, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le sous‑ministre d’Environnement Canada a accepté la recommandation d’un comité d’examen indépendant qui avait conclu que le rejet de la demande de promotion du demandeur par le comité d’avancement professionnel (le CAP) devait être confirmé.

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, je suis parvenu à la conclusion que la présente demande devrait être accueillie.

II.                Faits

[3]               Le demandeur occupe un poste de chercheur au sein d’Environnement Canada. Les promotions pour les chercheurs comme lui sont déterminées en fonction d’un processus de nomination fondé sur les qualités du titulaire, défini dans un document intitulé « Cadre de gestion de l’avancement professionnel pour les chercheurs du gouvernement fédéral » (le Cadre). Ce processus de nomination fondé sur les qualités du titulaire n’est pas le même que le processus utilisé pour accorder des promotions aux autres membres de la fonction publique fédérale. Conformément au Cadre, les demandes de promotion sont examinées par des pairs en fonction des critères détaillés qui y sont définis.

[4]               En l’espèce, la demande de promotion du demandeur avait été examinée à l’origine par le Comité de la Direction des sciences et de la technologie atmosphériques, qui a décidé de ne pas recommander la promotion. À la demande du demandeur, le CAP a par la suite examiné sa demande de promotion et, comme je l’ai déjà indiqué, l’a rejetée.

[5]               En réponse au rejet de sa demande de promotion, le chercheur peut présenter une plainte au moyen du mécanisme de recours indépendant (le MRI), défini à l’annexe B du Cadre. En application du MRI, un examinateur ou un comité d’examen est nommé. En l’espèce, un comité d’examen de trois membres (le comité d’examen) a été nommé.

[6]               Le point 3.4 du MRI dispose ce qui suit :

L’examinateur ou le comité d’examen n’a pas le même rôle qu’un CAP. L’examinateur/le comité d’examen a pour mandat d’étudier le dossier de recours sous l’angle du processus utilisé par le CAP pour évaluer les aptitudes du candidat en vue d’une promotion, et selon les motifs invoqués par le plaignant.

[7]               Les motifs de recours prévus par le MRI sont définis au point 2.2. L’un de ces motifs est l’« abus de pouvoir ». L’abus de pouvoir englobe bien des situations, notamment « lorsque le résultat est inéquitable (y compris lorsque des mesures déraisonnables, discriminatoires ou administratives ou rétroactives ont été prises) ». Le point 2.2 dispose également ce qui suit :

L’abus de pouvoir constitue plus que simplement des erreurs ou omissions, cependant le fait que le délégué se fonde sur des éléments insuffisants ou qu’il a pris des mesures par exemple déraisonnables ou discriminatoires peut constituer une erreur grave ou une omission importante qui équivaut à un abus de pouvoir, même s’il est involontaire.

[8]               Le point 3.5 du MRI est ainsi libellé :

Les examinateurs doivent, dans les soixante‑quinze (75)jours civils suivant leur nomination, soit confirmer la pertinence du processus utilisé par le premier Comité d’avancement professionnel, soit déterminer les problèmes qui peuvent avoir influé négativement sur la décision du comité d’avancement professionnel. Les examinateurs peuvent alors recommander à l’administrateur général [le sous‑ministre] qu’un nouveau comité d’avancement professionnel (dont la majorité des membres n’ont pas fait partie du premier comité) réexamine le dossier. La décision de ce nouveau comité d’avancement professionnel sera rétroactive à la date de mise en œuvre de la décision du premier comité d’avancement professionnel. Les examinateurs ne peuvent pas recommander d’accorder l’avancement professionnel.

[9]               En l’espèce, le demandeur a présenté une demande de recours en vertu du MRI, appuyée d’une note énonçant trois motifs, notamment l’abus de pouvoir du CAP.

III.             Décision contestée

[10]           La décision contestée a été prise par le sous‑ministre. Cependant, cette décision était fondée sur les conclusions et les recommandations du comité d’examen, que le sous‑ministre a acceptées. Par conséquent, les motifs fournis par le comité d’examen sont pertinents dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[11]           Le demandeur a contesté, à plusieurs égards, les motifs du comité d’examen et le processus par lequel il a tiré ses conclusions. Aux fins du présent contrôle judiciaire, je n’ai pas à me pencher sur tous ces éléments. Il suffit d’examiner les déclarations du comité d’examen au sujet de la portée de son mandat.

[12]           À plus d’une reprise dans ses motifs, le comité d’examen a indiqué que son mandat se limitait aux questions liées au processus et ne l’autorisait pas à examiner le fond de l’analyse du CAP. Il est difficile de critiquer la façon dont le comité d’examen a initialement décrit son mandat :

[traduction] Notre rôle en tant que membres du comité d’examen indépendant consistait, à divers moments, à évaluer la pertinence du processus utilisé par le [CAP], à déterminer les problèmes qui peuvent avoir influé négativement sur la décision du [CAP] et, après en être arrivés à un consensus, à vous présenter, à vous le sous‑ministre, des recommandations écrites. Il convient de souligner que notre rôle n’a jamais consisté à mener un examen indépendant des documents liés à la demande de promotion de M. Gultepe ni d’évaluer quel niveau il mérite au sein du groupe SE‑RES.

[13]           Cependant, le comité d’examen a par la suite fait des déclarations plus larges au sujet de la portée limitée de son mandat. À deux reprises dans ses motifs, le comité d’examen a indiqué qu’il était [traduction« expressément chargé d’examiner le processus seulement ». Le comité d’examen a également affirmé ce qui suit : [traduction« les décisions du CAP ne relèvent pas de notre mandat en tant que comité chargé d’évaluer l’équité du processus utilisé par le CAP ». Toutes ces déclarations ont été invoquées pour justifier le défaut du comité d’examen d’examiner l’évaluation effectuée par le CAP des documents et des observations dont il était saisi dans le contexte de la demande de promotion du demandeur.

IV.             Analyse

[14]           Le mandat du comité d’examen est défini par le MRI. Bien qu’il soit vrai que son mandat ne lui confère pas le même rôle que le CAP (3.4), le comité d’examen est chargé de déterminer si l’analyse du CAP a mené à un résultat inéquitable (2.2). En outre, le comité d’examen est expressément tenu de déterminer les problèmes qui peuvent avoir influé négativement sur la décision du CAP (3.5).

[15]           À mon avis, le comité d’examen a commis une erreur lorsqu’il a refusé d’examiner certains des arguments du demandeur au motif qu’il est [traduction« expressément chargé d’examiner le processus seulement ». Les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle qui s’applique à la décision du comité d’examen relativement à la portée de son mandat. Toutefois, je n’ai pas à trancher cette question, car, à mon avis, la conclusion du comité d’examen à l’égard des limites de son mandat était à la fois incorrecte et déraisonnable. Plusieurs éléments du MRI indiquent que le comité d’examen doit examiner le fond de l’analyse du CAP. Par exemple, le comité d’examen doit déterminer si certains éléments de l’analyse étaient déraisonnables et ont mené à un résultat inéquitable, de façon à constituer un abus de pouvoir.

[16]           Je suis particulièrement préoccupé par la caractérisation erronée faite par le comité d’examen de la portée de son mandat, compte tenu de deux messages qui lui ont été envoyés à ce sujet par la coordonnatrice ministérielle du processus lié aux ressources, Geneviève Charlebois. Mme Charlebois est une employée d’Environnement Canada, mais elle est chargée de fournir des ressources au comité d’examen. Dans son premier message, Mme Charlebois a rappelé au comité d’examen qu’il ne fallait [traduction« pas oublier que le mandat du comité consiste à examiner le processus et non le contenu ». Dans son deuxième message, envoyé quatre jours plus tard, Mme Charlebois a indiqué ce qui suit :

[traduction] J’aimerais profiter de l’occasion pour vous rappeler que le mandat du comité consiste à vérifier si la procédure utilisée par le CAP était équitable, transparente et accessible pour le plaignant. La question de savoir comment le dossier a été préparé et qui a participé à la création du dossier ne relève pas de votre mandat.

[17]           Ni l’un ni l’autre des messages de Mme Charlebois n’ont été communiqués au demandeur avant que la décision contestée ne soit rendue.

[18]           Selon moi, ces deux déclarations sous‑estiment la portée du mandat du comité d’examen. On peut également soutenir que le comité d’examen a adopté ces déclarations lorsqu’il a affirmé qu’il était [traduction« expressément chargé d’examiner le processus seulement ».

[19]           Le demandeur fait valoir que les messages de Mme Charlebois étaient une forme de promotion des intérêts et ont entravé l’indépendance du comité d’examen. Je n’ai pas à trancher cette question. Cependant, il serait normal qu’une personne ressource dans la position de Mme Charlebois limite ses commentaires, notamment en ce qui concerne la portée du mandat du tribunal administratif, aux questions qui ne sont pas controversées. Manifestement, cela n’a pas été le cas en l’espèce. Dans le cas où une personne ressource présenterait de fait des commentaires sur des questions controversées à l’insu du demandeur, il serait également normal que le défendeur ne s’attende pas à ce que ces déclarations, si elles sont adoptées par le tribunal administratif, commandent la déférence.

V.                Conclusion

[20]           Je suis d’avis d’accueillir la présente demande et d’annuler la décision du sous‑ministre.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens.
  2. La décision du sous‑ministre est annulée et l’affaire est renvoyée à un comité d’examen indépendant différemment constitué pour un nouvel examen, conformément aux motifs de la Cour.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A., Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1775‑14

 

INTITULÉ :

ISMAIL GULTEPE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Christopher Rootham

Alison McEwen

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Joshua Alcock

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O’Brien Payne s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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