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Date : 20150519


Dossier : T‑1928‑14

Référence : 2015 CF 644

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 mai 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

TOBY-LEE SAUNDERS

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse, Toby‑Lee Saunders, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le TDFP) a rejeté sa plainte dans laquelle elle alléguait que sa sélection aux fins de mise en disponibilité par le ministère de la Défense nationale (le ministère) était entachée par la discrimination.

[2]               La demanderesse occupait un poste de commis au Programme de soins dentaires lorsque le Ministère a décidé que ces deux postes seraient fusionnés en un seul poste. Par conséquent, un processus de sélection aux fins de maintien en poste ou de mise en disponibilité (SMPMD) a été effectué, au cours duquel la demanderesse ainsi qu’un autre employé demandaient à être maintenus en poste. Le processus de SMPMD nécessitait l’examen, pour chaque employé, d’une lettre de présentation, d’un curriculum vitae, de deux recommandations et d’une entrevue.

[3]               À la suite du processus de SMPMD, la demanderesse a été avisée qu’elle avait été choisie aux fins de mise en disponibilité. Elle s’est plainte auprès du TDFP, en se fondant sur un certain nombre de motifs, dont une grande partie de ceux-ci ne sont pas contestés dans la présente demande de contrôle judiciaire. Ce qui est pertinent en l’espèce est l’affirmation de la demanderesse selon laquelle le processus de SMPMD a été entaché par le fait qu’on avait tenu compte de certains commentaires défavorables formulés par sa superviseure, l’adjudante-maître Anna Aldrich (l’Adjum Aldrich), dans la lettre de recommandation. La demanderesse prétend que ces commentaires étaient viciés du fait de la relation tendue entre elle et l’Adjum Aldrich, après que la demanderesse eut déployé des efforts afin que l’on réponde à ses besoins occasionnés par son invalidité et par les allégations formulées par la demanderesse selon lesquelles l’Adjum Aldrich avait résisté à la mise en œuvre de certaines des mesures d’adaptation recommandées, y compris l’utilisation d’un système de reconnaissance vocale (SRV) pour pallier les limites de la demanderesse en ce qui a trait à l’utilisation d’un clavier.

[4]               Le TDFP a traité de cet aspect de la plainte de la demanderesse dans les deux paragraphes suivants de sa décision :

76. La plaignante soutient que les commentaires négatifs formulés par l’Adjum Aldrich dans ses réponses, notamment en ce qui a trait à sa tendance à argumenter, pourraient découler du fait qu’elle avait présenté plusieurs plaintes au sujet du SRV, principalement quant à la nécessité de le mettre à jour.

77. Toutefois, rien dans la preuve n’indique que l’Adjum Aldrich était gênée ou agacée par les plaintes ou les demandes de la plaignante à l’égard du SRV; en fait, aucun des éléments de preuve ne vient appuyer d’une quelconque façon l’affirmation de la plaignante.

[5]               La demanderesse conteste la conclusion tirée par le TDFP quant à cette question, au motif que le tribunal a omis d’effectuer une analyse initiale quant à la question de savoir si la demanderesse avait établi l’existence d’une preuve prima facie de discrimination (en tenant pour acquis que la preuve quant à cet élément était crédible), laquelle analyse aurait dû avoir comme conséquence (s’il était conclu qu’une preuve prima facie avait été établie) l’inversion du fardeau de preuve, et le défendeur aurait alors eu à expliquer ses actions : Comm. Ont. des Droits de la Personne c Simpsons‑Sears, [1985] 2 RCS 536, au paragraphe 28 (Simpson‑Sears); Lincoln c Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, au paragraphe 17.

[6]               La demanderesse affirme aussi qu’il y avait amplement de preuve quant aux frictions qui existaient entre elle et l’Adjum Aldrich, lesquelles auraient établi l’existence d’une preuve prima facie de discrimination. La demanderesse soutient que la discrimination est fréquemment voilée et qu’il peut être difficile dans les faits, pour une partie qui allègue l’existence d’une discrimination, de la prouver au moyen d’une preuve directe : Basi c Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1988] DCDP n2, à la page 9. La demanderesse prétend qu’un tribunal commet par conséquent une erreur lorsqu’il examine uniquement s’il existe de tels éléments de preuve directs. La demanderesse soutient aussi qu’il n’est pas nécessaire que l’acte discriminatoire en cause soit le seul élément ayant eu une incidence sur la décision contestée. Il suffit que la discrimination contribue à la décision en question : Sinclair c London (City), 2008 TDPO 48, au paragraphe 53; Besner c Canada (Sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences), 2014 TDFP 2, au paragraphe 17 (Besner).

[7]               À l’appui de son argument relatif à la discrimination, la demanderesse renvoie aux lettres de recommandation qu’elle a produites dans le cadre du processus de SMPMD (l’une provenait de l’Adjum Aldrich et l’autre d’un ancien superviseur), et elle souligne les importantes différences entre les deux lettres. Plus précisément, la demanderesse fait remarquer que les commentaires formulés par l’ancien superviseur étaient pratiquement tous positifs, alors que chacun des commentaires positifs formulés par l’Adjum Aldrich était contrebalancé par un commentaire négatif. La demanderesse m’implore de conclure qu’il s’agit là, à tout le moins, d’une preuve prima facie selon laquelle les commentaires de l’Adjum Aldrich consistaient en de la discrimination.

[8]               Les parties ont convenu que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité. Le seul sujet quant auquel elles ne semblent pas s’entendre est le degré de retenue dont il convient de faire preuve à l’égard de la décision du TDFP. Je crois qu’il n’est pas nécessaire que je tranche quant à cette question. Je ne suis pas tenté, même si je devais faire preuve uniquement d’une retenue limitée, de modifier la conclusion du TDFP selon laquelle aucune preuve n’appuie l’allégation selon laquelle les commentaires défavorables formulés par l’Adjum Aldrich à propos de la demanderesse découlaient, même partiellement, de la discrimination.

[9]               La demanderesse met l’accent sur l’énoncé du TDFP au paragraphe 77 à propos de l’absence de preuve du fait que « l’Adjum Aldrich était gênée ou agacée », et elle prétend qu’il s’agit là du mauvais critère. Cependant, dans le même paragraphe, le TDFP mentionne qu’« aucun des éléments de preuve ne vient appuyer d’une quelconque façon l’affirmation de la plaignante ».

[10]           Il est important de garder à l’esprit que l’affirmation de la demanderesse en question n’est pas celle selon laquelle il y avait des frictions entre elle et l’Adjum Aldrich, ni même celle portant qu’elle gênait ou agaçait l’Adjum Aldrich, mais plutôt celle selon laquelle les commentaires défavorables formulés par l’Adjum Aldrich à son égard consistaient en partie à de la discrimination. La preuve à laquelle renvoie la demanderesse ne traite pas de cette question.

[11]           Je reconnais que la Cour devrait tenir compte du fait que la discrimination n’est pas toujours directe. Je reconnais aussi qu’il n’est pas nécessaire d’établir quelque intention de discriminer que ce soit : Simpson‑Sears, au paragraphe 14. Cependant, je ne souscris pas à la thèse selon laquelle la preuve produite par la demanderesse en l’espèce doit nécessairement conduire un tribunal à conclure qu’une preuve prima facie de discrimination a été établie. La conclusion du TDFP selon laquelle aucune preuve n’appuyait l’affirmation de la demanderesse était raisonnable. De plus, je conclus que le TDFP a implicitement conclu qu’une preuve prima facie de discrimination n’avait pas été établie.

[12]           Selon moi, la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Turner c Canada (Procureur général), 2012 CAF 159, peut, pour ce motif, être écartée. Dans cette affaire, le tribunal n’avait pas tranché la question de savoir si une preuve prima facie de discrimination avait été établie. En fait, il a tenu pour acquis qu’une preuve prima facie avait été établie et il avait continué son analyse en conséquence. La Cour d’appel fédérale a critiqué cette façon de faire, parce que plusieurs conclusions de fait quant à la question clé n’avaient pas été tirées. En l’espèce, une conclusion implicite selon laquelle aucune preuve prima facie de discrimination n’était établie a été tirée. Il s’ensuit qu’une analyse supplémentaire n’était pas nécessaire.

[13]           La décision Besner, laquelle portait aussi sur des allégations de discrimination dans le contexte d’un processus de SMPMD, peut être écartée en raison des faits. Dans cette affaire, la plaignante avait été capable d’établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination en démontrant que son invalidité avait donné lieu aux problèmes qui étaient visées par les commentaires défavorables, dans un cas où ces mêmes commentaires ont ensuite été invoqués pour juger qu’elle serait mise en disponibilité. La demanderesse en l’espèce n’a pas réussi à établir l’existence de ce lien. Les commentaires défavorables formulés par l’Adjum Aldrich ne sont pas liés à l’incapacité de la demanderesse.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire en l’espèce est rejetée, avec dépens.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1928‑14

 

INTITULÉ :

TOBY‑LEE SAUNDERS c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 MAI 2015

 

JUGEMENTS ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 19 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

M. Andrew Raven

Mme Morgan Rowe

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Mme Lesa Brown

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne

& Yazbeck LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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