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Date : 20150511


Dossier : IMM-3933-14

Référence : 2015 CF 619

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 11 mai 2015

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

ROZALIA PETER

SZINDI LENA PETER

LASZLO JOZSEFNE BERCZE

VIKTOR BERCZE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs en l’espèce sont membres d’une même famille composée de la demanderesse principale, de son enfant mineure, de son conjoint de fait et de la mère de celui-ci, tous des citoyens roms de Hongrie qui réclament une protection en raison de leur crainte objective et subjective d’être exposés, en cas de retour forcé en Hongrie, à plus qu’une simple possibilité de persécution aux termes de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, ou à un risque probable aux termes de l’article 97, aux mains des Gardes hongrois et de l’ex-conjoint de fait de la demanderesse principale, qui est aussi le père de la demanderesse mineure.

[2]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (SPR) a reconnu l’identité des demandeurs, mais a tiré des inférences défavorables quant à leur crédibilité sur la foi de la preuve produite par chacun des demandeurs adultes concernant les persécutions qu’ils avaient subies en Hongrie. S’agissant du risque potentiel lié au retour des demandeurs en Hongrie, la SPR a néanmoins reconnu ce qui suit en s’appuyant dans la décision sur des extraits d’éléments de preuve très détaillés :

Je reconnais que les renseignements contenus dans la documentation sur le pays font état du très grand nombre d’incidents d’intolérance, de discrimination et de persécution qui ont été signalés à l’égard des Roms en Hongrie.

(Décision, paragraphe 63)

[3]               La SPR en a donc tiré les conclusions suivantes :

Je dois établir si la Hongrie est en mesure d’assurer une protection adéquate à ces demandeurs d’asile en particulier, compte tenu de ce contexte et des circonstances particulières en l’espèce. La Cour a affirmé qu’il n’est pas suffisant de dire que des mesures sont prises en vue d’offrir un jour une protection adéquate de l’État. C’est la protection concrète, actuellement offerte qui compte. Il faut tenir compte de la situation réelle et non de ce que l’État se propose de faire ou a entrepris de mettre en place.Tout effort doit avoir « véritablement engendré une protection adéquate de l’État » sur le plan opérationnel.

(Décision, paragraphes 70 et 71)

[4]               Conséquemment, la SPR a aussi conclu ce qui suit concernant l’existence d’une protection de l’État en Hongrie :

Je reconnais que la preuve documentaire, constituée à partir de différentes sources, comporte certaines incohérences; toutefois, la preuve objective concernant la situation actuelle dans le pays laisse croire que, même si elle n’est pas parfaite, la protection offerte par l’État hongrois aux Roms victimes d’actes criminels, d’abus de pouvoir de la part des policiers, de discrimination ou de persécution est adéquate, que la Hongrie déploie de sérieux efforts pour régler ces problèmes et que la police et les représentants du gouvernement veulent protéger les victimes et sont en mesure de le faire.

[Non souligné dans l’original.] (Décision, paragraphe 75)

[5]               Les demandeurs avancent deux arguments fondamentaux à l’encontre des conclusions de la SPR : les inférences défavorables quant à la crédibilité de la preuve touchant les persécutions passées sont absurdes et la conclusion voulant que la Hongrie offre une protection de l’État adéquate est inintelligible. Pour les motifs qui suivent, je souscris à ces deux arguments.

I.                   Les conclusions défavorables quant à la crédibilité

[6]               Avant de tirer une série de conclusions défavorables quant à la crédibilité, la SPR a déclaré ceci en guise de préambule :

La crédibilité est une question à trancher dans toutes les demandes d’asile examinées par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR). Pour établir si une demande d’asile est fondée, je dois conclure que, selon la prépondérance des probabilités, la preuve est crédible et digne de foi. Le témoignage d’un demandeur d’asile est présumé véridique, à moins que des motifs valides ne permettent d’en douter. Les contradictions, les divergences et les invraisemblances relevées dans la preuve présentée par un demandeur d’asile sont des motifs reconnus qui permettent de conclure à un manque de crédibilité. Une conclusion générale quant au manque de crédibilité du demandeur d’asile peut s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage.

Pour évaluer la crédibilité, j’ai tenu compte de l’âge, de la scolarité et des antécédents des demandeurs d’asile. En outre, je suis consciente des difficultés auxquelles un demandeur d’asile doit faire face pour établir le bien-fondé de sa demande d’asile, notamment les facteurs culturels, l’environnement de la salle d’audience et le stress attribuable au fait de répondre à des questions posées de vive voix par l’intermédiaire d’un interprète. J’ai tenu compte de ces difficultés lorsque j’ai tiré une conclusion défavorable concernant la crédibilité.

J’ai de sérieux doutes concernant la crédibilité de chacun des demandeurs d’asile adultes.

[7]               Dans le préambule de sa décision, la SPR rappelle à juste titre le principe cardinal qui régit les conclusions en matière de crédibilité : le témoignage d’un demandeur d’asile est présumé véridique à moins qu'il n’existe des raisons valides d’en douter [Maldonado c Canada (MCI), [1980] 2 CF 302]. Cependant, j’aimerais exprimer cette réserve à l’égard du reste du préambule. Conclure qu’une personne ment est une affaire sérieuse, et cela doit être étayé par des motifs convaincants. Toutes les contradictions, disparités ou incohérences ne justifient pas une telle conclusion. Des occurrences de cette nature doivent être individuellement et prudemment examinées dans leur contexte afin de déterminer de manière juste et raisonnable si elles permettent de prouver qu’un mensonge est ou a été proféré. Si une telle conclusion est tirée, les motifs qui l’étayent doivent être clairement et minutieusement expliqués. Il y a de cela près de vingt-quatre ans, le juge Heald confirmait cette exigence dans l’arrêt Hilo c. Canada (Ministre de de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.) (Hilo) :

[…] [L]a Commission se trouvait dans l’obligation de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de la crédibilité de l’appelant. L’évaluation […] que la Commission a faite au sujet de la crédibilité de l’appelant est lacunaire parce qu’elle est exposée en termes vagues et généraux.

Les « sérieux doutes concernant la crédibilité » de la SPR ayant motivé ses conclusions défavorables sur ce point sont reproduits ci-après; j’exposerai ensuite mes préoccupations quant à la qualité du mécanisme décisionnel engagé.

A.                Concernant la demanderesse d’asile principale (Rozalia)

[8]               En premier lieu, la SPR a abordé la crédibilité de Rozalia :

La conseil des demandeurs d’asile a affirmé que la demandeure d’asile principale souffrait de crises de panique. Par conséquent, je lui ai permis de prendre une pause au besoin pendant l’audience. J’ai également tenté de limiter le nombre de questions qui lui étaient directement adressées.

La demandeure d’asile a déclaré qu’elle craignait les membres de la Garde hongroise et le père de la demandeure d’asile mineure. Elle a expliqué que son ex‑conjoint de fait, le père de la demandeure d’asile mineure, ne voulait pas qu’elle donne naissance à l’enfant et souhaitait qu’elle se fasse avorter. Les parents de son ex‑conjoint l’ont aussi avertie de se faire avorter parce qu’ils ne voulaient pas que leur fils, qui n’est pas Rom, ait un enfant Rom. La demandeure d’asile a expliqué en détail que cet homme consommait de la drogue et qu’il s’en était même pris au père de la demandeure d’asile. Elle a affirmé qu’il la suivait et qu’il s’assoyait devant sa maison et que, lorsqu’elle appelait la police, les policiers le relâchaient à peine quelques coins de rue plus loin. Elle a mentionné qu’elle craignait qu’il enlève l’enfant lorsqu’elle était à l’école. Elle a déclaré que son comportement n’avait pas changé même après qu’elle eut commencé à vivre avec son conjoint de fait actuel, Viktor, en 2007. Elle a soutenu qu’elle voulait appeler la police, mais qu’elle ne l’a pas fait parce que, dans les cas de violence conjugale, la police n’intervient pas à moins qu’il y ait effusion de sang.

La demandeure d’asile a déclaré que l’homme tente toujours de la retrouver, et qu’il harcelait et menaçait ses parents. Elle a même présenté une lettre de ses parents à ce sujet. Cependant, dans la demande d’asile présentée à CIC, la demandeure d’asile a indiqué qu’elle n’avait aucune idée de l’endroit où le père de la demandeure d’asile mineure se trouvait. Elle a mentionné que, lorsqu’elle était tombée enceinte, le père de sa fille avait disparu et n’avait jamais vu l’enfant et que, sur les papiers relatifs à la garde émanant du tribunal, il est écrit que le père de l’enfant est inconnu. Elle n’a donné aucune explication relativement à cette incohérence et elle a affirmé qu’elle ignorait pourquoi elle avait mentionné qu’il était disparu. Je tire une conclusion défavorable.

La demandeure d’asile a aussi fourni des explications confuses concernant les raisons pour lesquelles elle a inventé le nom du père de sa fille qui est inscrit sur le certificat de naissance. Elle a déclaré que, lorsqu’elle a reçu la lettre confirmant la garde, il lui a été dit qu’elle devait indiquer le nom du père dans la demande, et que, par conséquent, elle a inscrit le nom de son propre père, mais une date de naissance différente de celle de son père. Elle a affirmé qu’elle avait obtenu un nouveau certificat de naissance pour sa fille sur lequel le nom du grand‑père de l’enfant était inscrit de même qu’une date de naissance qu’elle avait inventée. J’estime que la demandeure d’asile n’est pas crédible lorsqu’elle affirme que les autorités lui ont demandé d’inscrire de faux renseignements dans un document officiel.

Le manque de crédibilité de la demandeure d’asile en ce qui concerne le père de sa fille fait en sorte que je mets en doute la véracité du reste de ses allégations. Comme elle n’a présenté aucun élément de preuve corroborant, comme un rapport de police ou un rapport médical, mentionnant qu’elle a vraiment été agressée, j’estime que, selon la prépondérance des probabilités, les incidents ne se sont pas produits comme elle les a décrits.

[Non souligné dans l’original] (Décision, paragraphes 37 à 40)

La SPR a donc tiré trois conclusions défavorables quant au témoignage de Rozalia, sur lesquelles je me pencherai tour à tour.

[9]               S’agissant de l’« incohérence » de la déposition de Rozalia concernant sa connaissance du lieu où se trouvait le père de sa fille, l’avocat des demandeurs signale qu’il est possible de l’expliquer par les dates des deux éléments de preuve. La lettre des parents de Rozalia est postérieure aux déclarations qu’elle a faites à son arrivée au Canada; Rozalia est entrée au Canada le 26 juin 2011, tandis que la lettre est datée du 5 novembre 2012. Je souscris à l’argument de l’avocat des demandeurs selon lequel les détails de ces dates viennent miner la conclusion de la SPR selon laquelle la déposition de Rozalia était incohérente.

[10]           Quant à la déclaration imputée à Rozalia selon laquelle « elle ignorait pourquoi elle avait mentionné qu’il était disparu », la décision ne comporte aucun détail sur la nature précise des propos tenus, ou sur le lieu, la date ou le contexte qui s’y rapportent. Par conséquent, j’estime que la SPR a commis une erreur de fait en se servant de cette déclaration pour tirer une conclusion quant à la crédibilité.

[11]           Quant à la manière dont Rozalia a enregistré la naissance de sa fille, rien dans la preuve reproduite ci-haut ne suggère qu’elle a été incitée à fournir de faux renseignements; elle avait ses raisons pour agir comme elle l’a fait. Il est absurde de parvenir à une autre conclusion sur la base de la preuve, y compris la déclaration que lui impute la SPR.

[12]           Pour ce qui est d’étendre les trois conclusions défavorables de manière à remettre en question toute la preuve de Rozalia, j’estime que la SPR s’est livrée à une suramplification déraisonnable. À mon avis, pour que des conclusions défavorables et indépendantes quant à la crédibilité soulèvent des préoccupations autorisant à les élargir à une conclusion négative générale sur ce point, ce qui anéantit au fond la demande de protection des demandeurs d’asile, cela requiert des motifs justificatifs bien plus solides que ceux que la SPR a fournis relativement à la preuve de Rozalia.

[13]            Pour les raisons énoncées, je conclus que l’évaluation du témoignage de Rozalia repose sur une erreur susceptible de contrôle.

B.                 Concernant Viktor Bercze (Viktor)

[14]           La SPR a examiné en deuxième lieu la crédibilité de Viktor :

Le demandeur d’asile a déclaré que l’incident qui avait précipité son départ de la Hongrie avait eu lieu le 8 juin 2011, lorsqu’il a eu un accident de voiture. Il a expliqué que sa voiture avait été emboutie par-derrière par une autre voiture lorsqu’il s’était arrêté à un arrêt obligatoire, qu’il était sorti de la voiture et qu’il avait été agressé par les deux hommes à bord de l’autre voiture. Ceux‑ci l’ont traité de [traduction] « satané tzigan » et l’ont battu. Il a affirmé que les deux hommes portaient des vestes de la Garde hongroise.

Le demandeur d’asile s’est vu demander s’il croyait qu’il s’agissait d’un accident. Il a répondu qu’il l’ignorait et qu’il croyait qu’il s’agissait d’un geste délibéré. Lorsqu’il lui a été signalé que les deux hommes ne pouvaient pas savoir qu’il était Rom lorsqu’ils ont heurté sa voiture, le demandeur d’asile a alors répondu qu’ils auraient pu savoir qu’il était Rom en raison de son apparence, puis il a changé d’avis et a affirmé qu’il n’en savait rien. J’estime qu’il est improbable que les hommes aient pu savoir qu’il était Rom s’ils se trouvaient derrière lui. Comme le demandeur d’asile a déclaré que l’autre voiture avait subi des dommages au pare‑chocs, il lui a été demandé pour quelle raison les deux hommes auraient volontairement endommagé leur propre voiture. Une fois de plus, le demandeur d’asile a répondu qu’il n’en savait rien.

Le demandeur d’asile a produit un rapport de police concernant cet incident. Il est présumé que les renseignements figurant dans le rapport de police proviennent du demandeur d’asile. Cependant, il y a des incohérences entre le rapport de police et le témoignage du demandeur d’asile. Le demandeur d’asile a déclaré qu’il avait été intercepté à un arrêt obligatoire après avoir été embouti par‑derrière, alors que le rapport de police indique qu’il ralentissait, et non qu’il s’immobilisait, lorsqu’il a été heurté par‑derrière. Le demandeur d’asile n’a pu expliquer l’incohérence et il a simplement répété qu’il était arrêté. J’estime qu’il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que les policiers mentionnent qu’il était arrêté si c’est ce que le demandeur d’asile leur avait dit.

À l’égard du même incident, le demandeur d’asile a déclaré qu’il était monté à bord de sa voiture et qu’il allait démarrer, mais que, avant qu’il puisse s’éloigner, les deux hommes sont arrivés et ont endommagé sa voiture. Questionné pour savoir s’il avait vu les hommes monter dans leur voiture et s’en aller, le demandeur d’asile a répondu que non, parce qu’il avait été le premier à quitter les lieux. Toutefois, selon le même rapport de police, les deux hommes ont pris place dans la voiture et ils sont partis. Le demandeur d’asile n’a pu expliquer cette divergence, il a simplement répété qu’il était parti avant eux.

Comme il s’agit de l’incident qui a incité le demandeur d’asile à quitter la Hongrie, j’estime que son souvenir des événements et ce qu’il a dit à la police doivent concorder. Je tire une conclusion défavorable.

Le demandeur d’asile a déclaré qu’il s’était adressé à une organisation de lutte pour l’autonomie des Roms afin d’obtenir de l’aide relativement à des questions juridiques liées à l’accident de voiture. Cependant, il a été très vague en ce qui concerne ses attentes à l’égard de l’organisation. Il a affirmé qu’il ignorait ce qu’il souhaitait que l’organisation fasse parce que la police ne l’avait pas aidé. Il lui a été demandé si, selon lui, les employés de l’organisation rom ne l’avaient pas aidé parce qu’ils n’avaient pas eu l’occasion de le faire ou parce qu’ils ne souhaitaient pas l’aider. Il a répondu qu’il estimait que l’organisation ne pouvait pas l’aider. Cependant, dans son FRP, le demandeur d’asile a indiqué que les employés ne l’avaient pas aidé parce qu’ils craignaient de perdre leur emploi et que, par conséquent, ils ne voulaient pas l’aider. Pour expliquer cette incohérence, le demandeur d’asile a affirmé que ce qui était écrit dans son FRP était erroné, mais il n’a pas expliqué l’incohérence. Je tire une conclusion défavorable.

En réalité, le demandeur d’asile a déclaré que le dernier problème important auquel il avait fait face est survenu en 2000, lorsque, selon ses allégations, il a été agressé par des gardes de sécurité dans une discothèque. Rien n’indique qu’il a été agressé parce qu’il était Rom; l’agression aurait pu être attribuable, par exemple, à un comportement désordonné. Il est toutefois évident que, au cours des onze années précédentes, il a été en mesure de travailler, de façon plus ou moins continue. Il était impliqué auprès d’une organisation de lutte pour l’autonomie des Roms. Il devait gagner beaucoup d’argent parce que pour pratiquer la plongée, son passe‑temps, il a voyagé dans plusieurs pays, y compris en Croatie, en Australie et en Égypte. Il a également mentionné que, lorsqu’il était enfant, il était allé en Espagne et en Allemagne pour les vacances.

[Non souligné dans l’original.] (Décision, paragraphes 41 à 47)

La SPR a donc tiré quatre conclusions défavorables quant au témoignage de Viktor, sur lesquelles je me pencherai tour à tour.

[15]           Pour ce qui est de sa conclusion selon laquelle « qu’il est improbable que les hommes aient pu savoir qu’il [Viktor] était Rom s’ils se trouvaient derrière lui », la SPR suppose que l’incident est survenu pour un autre motif que la persécution. La conclusion d’invraisemblance, qui fonde cette supposition, est une conjecture non étayée et dépourvue de tout contexte. La description par Viktor de la gravité et de la durée des violences confirme que l’incident procédait de la persécution. À mon avis, le fait que la SPR n’ait pas examiné la preuve dans son contexte annule son évaluation de l’incident.

[16]           Quant à la question de savoir si Viktor était [traduction] « immobilisé » ou plutôt s’il « ralentissait », la fixation de la SPR sur une différence perçue témoigne d’une volonté d’exagérer l’importance de détails, au point de conclure que Viktor a menti sur tout l’incident. À mon sens, cet élément de la décision de la SPR s’appuie sur une constatation de fait illogique. La conclusion selon laquelle « il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que les policiers mentionnent qu’il était arrêté si c’est ce que le demandeur d’asile leur avait dit » est une simple conjecture. Comme les attentes de la SPR reposent sur des hypothèses, elles sont déraisonnables.

[17]           Quant à l’« incohérence » concernant l’expérience de Viktor avec le gouvernement autonome rom soulignée par la SPR, un examen raisonnable de la preuve citée n’en révèle aucune. Prises raisonnablement ensemble, les deux déclarations en cause établissent l’impuissance de l’organisation. Le refus de la SPR d’envisager cette perspective ne peut correctement mener à la conclusion ambigüe et défavorable quant à la crédibilité, « [j]e tire une conclusion défavorable ».

[18]           À mon avis, l’emploi de l’expression « [j]e tire une conclusion défavorable » en guise de conclusion relative à la crédibilité ne satisfait pas à la norme requise par l’arrêt Hilo, précité. La SPR devait expliquer par des motifs spécifiques pourquoi elle a conclu que les deux déclarations citées soulevaient un problème de crédibilité. Il ne suffit pas de constater une « incohérence » perçue, et de justifier une conclusion défavorable quant à la crédibilité par cette impression sans s’expliquer minutieusement.

[19]           Quant à son rejet du témoignage de Viktor concernant son agression dans un bar en l’an 2000, la SPR ne l’a justifié que par cette déclaration fantaisiste : « Rien n’indique qu’il a été agressé parce qu’il était Rom; l’agression aurait pu être attribuable, par exemple, à un comportement désordonné ». À mon avis, la SPR devait examiner l’incident dans le contexte de la preuve concernant les persécutions atroces dont sont victimes les Roms en Hongrie, qu’elle a citée dans la décision. Le défaut par la SPR d’apprécier et de considérer cette réalité lorsqu’elle a reçu le témoignage de Viktor et en a tiré des conclusions – défaut qui fait l’objet du présent contrôle – constitue une prise de décision arbitraire.

[20]           Pour les raisons énoncées, je conclus que l’évaluation du témoignage de Viktor repose sur une erreur susceptible de contrôle.

C.                 Concernant Laszlo Jozsefne Bercze (Laszlo)

[21]           La SPR a examiné en troisième lieu la crédibilité de Laszlo :

La demandeure d’asile a décrit deux incidents importants qui lui ont causé une grande détresse. J’estime qu’elle n’était pas crédible à l’égard des deux incidents.

Le premier incident a eu lieu en 2007, lorsque la famille s’est rendue dans un parc d’attractions. La demandeure d’asile a déclaré que des membres d’un parti de droite les ont agressés au parc d’attractions et qu’elle a tenté de se protéger et de protéger ses petits‑enfants, mais que son fils aîné saignait, de sorte qu’ils ont quitté les lieux. Lorsqu’il lui a été demandé ce qui était arrivé à ses petits‑enfants, la demandeure d’asile a affirmé que ceux‑ci couraient dans tous les sens parce qu’ils étaient effrayés. Elle a ajouté que lorsqu’ils ont tenté d’obtenir de l’aide médicale pour son fils qui était blessé, le médecin ne leur a même pas donné un pansement parce que, selon lui, le fils n’avait pas de problème grave. Questionnée pour savoir si quelqu’un d’autre avait été blessé, la demandeure d’asile a répondu que non et que ses petits‑enfants étaient effrayés, mais qu’ils n’avaient pas été battus, même si l’un d’entre eux s’était fait pousser. Toutefois, lorsqu’il a été souligné à la demandeure d’asile que, dans son FRP, elle avait indiqué que des membres de la Garde hongroise avaient battu ses trois fils et ses petits‑enfants, elle a répondu qu’il y avait une erreur dans l’exposé circonstancié de son FRP et que son fils était le seul à avoir subi des blessures. Je tire une conclusion défavorable du fait que la demandeure d’asile n’a pas expliqué cette incohérence.

La demandeure d’asile a soutenu que le deuxième incident avait eu lieu à la même date que l’accident de voiture de son fils, dont il a été question précédemment. Dans son FRP, elle affirme que l’incident a eu lieu en mai 2011. Elle n’a pas été questionnée relativement à cette divergence.

La demandeure d’asile a affirmé que, dans la soirée du 8 juin 2011, elle était assise sur la galerie et des skinheads sont arrivés, puis l’ont agressée. Ils lui ont lancé des pierres et craché dessus. Ils l’ont traitée de [traduction] « satanée tzigane », et ils ont dit qu’elle mourrait. Elle est rentrée dans la maison et, le lendemain matin, son fils lui a dit qu’il y avait des graffitis sur la maison indiquant [traduction] « vous mourrez, satanée tzigane ». Elle a téléphoné aux policiers, mais ceux‑ci n’ont pas semblé prendre la situation au sérieux parce qu’ils ont affirmé que les auteurs des graffitis étaient inconnus.

La demandeure d’asile a présenté un rapport de police qui mentionne les graffitis, mais nullement l’agression contre la demandeure d’asile. J’estime qu’il n’est pas crédible que, si l’incident s’était produit tel qu’allégué, la police se soit concentrée sur des mots plutôt que sur l’agression physique de la demandeure d’asile.

En résumé, j’estime que, collectivement, les demandeurs d’asile n’étaient pas crédibles en ce qui concerne la persécution dont ils auraient fait l’objet en Hongrie.

[Non souligné dans l’original.] (Décision, paragraphes 48 à 53)

[22]           La SPR a donc tiré deux inférences défavorables quant au témoignage de Laszlo, sur lesquelles je me pencherai tour à tour.

[23]           Pour ce qui est du témoignage concernant le parc d’attractions et de l’inférence défavorable tirée de l’incapacité perçue de Laszlo d’expliquer l’incohérence de sa preuve, j’estime que la SPR n’a pas dégagé et formulé sa conclusion avec assez de soin. Laszlo a expliqué l’incohérence entre son FRP et son témoignage : une erreur a été commise dans le FRP. Elle a prêté serment quant à la véracité de cette déclaration, qui doit être acceptée à moins qu’il n’existe un motif de ne pas la croire. À première vue, la SPR n’a pas fourni de motifs dans la décision. Comme je l’ai déclaré dans l’analyse des conclusions de la SPR concernant Viktor, une « conclusion défavorable » seule est dépourvue de contenu. Il faut fournir des motifs appuyés par la preuve.

[24]           Quant au contenu du rapport de police, aucune preuve ne permet d’expliquer pourquoi il est ainsi rédigé. Cette déclaration de la SPR : « [j]’estime qu’il n’est pas crédible que, si l’incident s’était produit tel qu’allégué, la police se soit concentrée sur des mots plutôt que sur l’agression physique de la demandeure d’asile », est totalement conjecturale. Par conséquent, j’estime qu’il s’agit d’une conclusion d’invraisemblance non étayée (voir : Zakhour c Canada (MCI), 2011 CF 1178).

[25]           Pour les raisons énoncées, j’estime que l’évaluation du témoignage de Laszlo repose sur une erreur susceptible de contrôle.

II.                La conclusion concernant la protection de l’État

[26]           Outre la preuve de la persécution des Roms en Hongrie, et la conclusion de la SPR portant qu’il existe une protection de l’État dans ce pays, telles qu’énoncées aux paragraphes 2 et 4 précités, aucun raisonnement clair ne permet à mon avis de passer de l’abondance de preuves établissant que l’État hongrois n’offre pas aux Roms de protection adéquate sur le plan opérationnel, à la conclusion de la SPR à l’effet contraire : le raisonnement qui y mène est inintelligible. Par conséquent, j’estime que la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État n’est pas raisonnable, et la décision sous contrôle ne se justifie pas au regard des faits et du droit (voir : Hanko c Canada (MCI), 2014 CF 474).

III.             Conclusion

[27]           Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision faisant l’objet du présent contrôle est déraisonnable.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la décision faisant l’objet du contrôle soit infirmée et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

Il n’y a aucune question à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-3933-14

 

INTITULÉ :

ROZALIA PETER, SZINDI LENA PETER, LASZLO JOZSEFNE BERCZE, VIKTOR BERCZE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 mai 2015

ordonnance ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :

LE 11 mai 2015

COMPARUTIONS :

James Gildiner

POUR LES demandeurS

Prathima Prashad

POUR LE défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

James Gildiner

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES demandeurS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE défendeur

 

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