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Date : 20150521


Dossiers : IMM-1055-14

IMM-1056-14

Référence : 2015 CF 662

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2015

En présence de monsieur le juge Locke

Dossier : IMM-1055-14

ENTRE :

MOLUMBO MOBA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

Dossier : IMM-1056-14

ET ENTRE :

MOLUMBO MOBA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature des affaires

[1]               Il s’agit de deux demandes de contrôle judiciaire de deux décisions datées du 6 décembre 2013, et rendues par le directeur de la détermination de cas, M. Charles Lajoie (l’agent). La première demande de contrôle judiciaire concerne une décision du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile rejetant la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur en vertu du paragraphe 112 (3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, ch. 27) (LIPR). Cette demande de révision est associée au dossier IMM-1055-14. La deuxième demande de révision judiciaire (celle associée au dossier IMM-1056-14) vise une décision du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration rejetant la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaires du demandeur (demande CH). L’agent a considéré que le demandeur ne serait soumis à aucun risque de torture aux termes de la LIPR ou à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités s'il était renvoyé en République démocratique du Congo.

II.                Faits

[2]               Le demandeur est un citoyen de la République démocratique du Congo (RDC). Son épouse et ses deux enfants sont citoyens canadiens.

[3]               De 1996 à 1999, le demandeur a travaillé en RDC comme agent d’immigration de la Direction générale de l’immigration (DGM). Ses tâches consistaient principalement au contrôle des visas à l’entrée du territoire congolais.

[4]               Le demandeur soutient que certains individus doutaient de sa loyauté vis-à-vis le régime en place parce qu’il vient du centre du pays et qu’il ne parle pas swahili.

[5]               Le demandeur allègue qu’alors qu’il était encore au Congo, il a été soupçonné par les autorités de s’associer aux opposants du président Kabila. En juillet 1999, le demandeur aurait été arrêté et détenue en raison de ses relations alléguées avec des membres Forces armées Zaïroise (FAZ), un groupe militaire rebelle.

[6]               Le 15 novembre 1999, le demandeur a été condamné par la Cour d’Ordre Militaire du Congo à une peine et huit ans de prison et à des travaux forcés pour une période de trois ans. Or, à la suite de sa condamnation, le demandeur aurait été enfermé durant quelques heures dans une pièce, puis conduit dans une maison par l’un des « commandants » qui aurait informé le demandeur qu’il était chargé de le faire évader de prison. Avec l’aide de sa famille et d’un passeur, le demandeur a finalement quitté la RDC.

[7]               Le demandeur est arrivé au Canada le 20 décembre 1999. Il a alors demandé l’asile.

[8]               Le 7 mai 2001, la Section du statut de réfugié (SSR) a rejeté la demande d’asile du demandeur sur la base de l’article 1 Fa) de la Convention relative au statut des réfugiés (la Convention), et ce en raison de l’emploi occupé par le demandeur de 1996 à 1999. Dans cette décision, la SSR mentionne :

Le revendicateur nous décrit son costume en disant qu’il a une enseigne portant les lettres du DGM pour identifier son travail, alors que dans la pièce M-13, paragraphe 14, il n’y a pas d’insigne sur les uniformes. Sa participation est volontaire, il n’est pas obligé en 1996, après que son commerce eu été pillé et qu’il ne fonctionnait pas, il entre volontairement et il y a trois (3) ans et il y est en plus sous les deux (2) régimes, Mobutu et Kabila, extrêmement répressifs. Il dit qu’il est pur fonctionnaire, ce qui est totalement faux, il occupe une fonction fort importante, il est la porte d’entrée qui réfère par la suite à l’inspecteur de l’ANR et qui le conduit, par la suite, aux organismes qui sont coupables des pires exactions. Il est la première personne à recevoir les arrivants et ils les transferts aux inspecteurs de l’ANR, il a donc une très grande responsabilité.

[9]               Plus bas, dans la même décision, la SSR mentionne :

Dans les circonstances, le tribunal ne vous reconnaît pas comme « réfugié au sens de la Convention » au Canada. De plus, le tribunal conclut à l’absence de minimum de fondement en vertu de la [sic] l’article 69.1 (9.1) de la Loi. Nous décrétons votre déchéance du droit à revendiquer le statut de réfugié, nous ordonnons votre exclusion du Canada.

[10]           Le 1er octobre 2001, cette Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire de cette décision de la SSR.

[11]           Le 22 décembre 2003, le demandeur a déposé une première demande CH jointe aux demandes de son épouse et de son fils. Le 12 septembre 2006, le demandeur a déposé une première demande d’ERAR. Le 20 novembre 2006, les demandes CH de son épouse et de son fils ont été accueillies, mais sa demande a été refusée. De plus, le 20 novembre 2006, la première demande d’ERAR du demandeur a été rejetée. Des demandes de contrôle judiciaires de ces décisions ont été déposées devant cette Cour, mais elles ont finalement été renvoyées pour une réévaluation sur consentement des parties.

[12]           Le demandeur allègue qu’à la suite de son départ du Congo, il a été recherché par les autorités et qu’à la suite de sa demande de passeport formulée à partir du Canada en 2006, sa sœur a était arrêtée, battue, et tuée parce qu’elle savait que le demandeur se trouvait au Canada.

[13]           Le demandeur allègue que depuis son arrivée au Canada, il a participé à différents actes de protestation et qu’il est connu comme un militant de l’opposition. Le demandeur allègue que son neveu est décédé en 2012 en raison de ses activités de protestation. Le demandeur allègue donc qu’il serait persécuté et qu’il risque la mort à son retour en RDC, car les autorités de ce pays le perçoivent comme un opposant politique associé aux groupes rebelles.

III.             Analyse

[14]           Plusieurs questions ont été soulevées dans ce litige, mais il n'est nécessaire d’en considérer qu'une :

  1. L’agent a-t-il erré dans son évaluation des risques auxquels fera face le demandeur à son retour en RDC?

[15]           La norme de la décision raisonnable s’applique aux conclusions tirées dans cadre d’une demande d’ERAR et dans le cadre d’une demande CH impliquant des questions mixtes de faits et de droit : Kandel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 659 au para 17; Hamida c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 998 au para 36. Conformément aux principes de non-refoulement, un agent d’ERAR doit se garder de refouler un demandeur d’asile dans un pays où il serait à risque de torture, de persécution, de menace à sa vie, ou d’autres « sorts inadmissibles » : Jama c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 668 au para 17. Dans le cadre d’une demande CH, l’agent doit également déterminer si le demandeur ferait face à des difficultés inhabituelles, injustifiées, ou excessives s'il devait retourner en RDC : Ariyaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 608 au para 39.

[16]           Le défendeur soutient que l’agent a effectué une analyse exhaustive de la preuve soumise par le demandeur et a raisonnablement conclu sur cette base qu’il n’a pas démontré qu’il serait à risque à son retour en RDC. Pour les raisons qui suivent, je ne peux souscrire à cette position.

[17]           L’agent considère que le demandeur a simplement réitéré les risques allégués devant la SSR. Or, la SSR n’a effectué aucune analyse du risque auquel fera face le demandeur à son retour en RDC. Bien que l’agent reconnaisse que les opposants politiques et les gens qui critiquent le gouvernement peuvent faire l’objet de représailles, il conclut que l’implication politique du demandeur est insuffisante pour considérer qu’il serait persécuté à son retour en RDC. Pourtant, le demandeur a soumis un article du journal le Potentiel daté du 17 juillet 1999 qui corrobore la majorité des allégations centrales de sa demande d’asile. Cet article confirme que le demandeur était : (i) un prisonnier militaire (ii) soupçonné d’agir comme intermédiaire avec des groupes rebelles en RDC, et (iii) qu’il est donc directement visé par le gouvernement Kabila puisqu’il est perçu comme un opposant politique. L’agent ne soulève aucune raison pour douter l’authenticité de cet article. De fait, dans les deux décisions visées par la présente demande de contrôle judiciaire, l’agent rejette cet élément de preuve sur la base qu’il est insuffisant pour renverser la conclusion de la SSR faisant état de l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile du demandeur. Selon ma compréhension de la décision de la SSR, cette conclusion était basée sur l'implication du demandeur dans les crimes majeurs des régimes Mobutu et Kabila, et n'indiquait pas une considération de l'authenticité de l'article. En fait, la SSR s'est basée sur cet article pour conclure à l'importance de l'implication du demandeur dans de tels crimes. Puisque la SSR n’a effectué aucune analyse du risque, cet élément de preuve fut écarté sans fondement.

[18]           En effet, la décision de la SSR repose exclusivement sur la déchéance du droit d’asile politique du demandeur sur la base de l’article 1 Fa). C’est sur cette seule base que la SSR a conclue en l’absence de minimum de fondement de l’ancienne Loi sur l’immigration, LRC (1985), ch I-2. Il en résulte que l’analyse du risque de retour effectuée dans les deux décisions visées par la demande de contrôle judiciaire est basée sur une prémisse erronée : celle que le risque fut initialement évalué dans la décision de la SSR.

[19]           L’analyse erronée justifie d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. Les présentes demandes de contrôle judiciaire sont accordées et renvoyées pour réévaluation devant un nouvel agent.
  2. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossiers :

IMM-1055-14 ET IMM-1056-14

 

DOSSIER :

IMM-1055-14

 

INTITULÉ :

MOLUMBO MOBA c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

ET DOSSIER :

IMM-1056-14

 

INTITULÉ :

MOLUMBO MOBA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 mars 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 mai 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Stewart Istvanffy

 

Pour le demandeur

 

Me Émilie Tremblay

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude légale Stewart Istvanffy

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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