Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150525


Dossier : IMM-3919-14

Référence : 2015 CF 657

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 mai 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

ASHKAN SAFAEI HAKIMI

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Ashkan Safaei Hakimi (le demandeur) présente une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Le demandeur conteste une décision rendue le 8 avril 2014 par le gestionnaire du programme d’immigration (l’agent) de l’ambassade canadienne à Tel-Aviv, en Israël, lui refusant un permis d’études au Canada.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.                Le contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen d’Israël. Il réside à Jérusalem. Il est écrivain et journaliste à la pige, et occupe également la fonction d’éditeur pour un site Web d’informations en Israël.

[4]               En janvier 2014, le demandeur a été accepté dans le programme de journalisme écrit et diffusé (le programme) du Humber Institute of Technology and Advanced Learning (collège Humber) à Toronto. Le programme devait commencer en septembre 2014 et se terminer en mai 2016.

[5]               Après avoir été accepté dans le programme, le demandeur a présenté une demande de permis d’études à l’ambassade canadienne de Tel-Aviv, le 1er avril 2014. Le 8 avril 2014, la demande a été rejetée. L’agent n’était pas convaincu que le demandeur comblait les exigences requises pour l’obtention d’un permis d’études que prévoient la LIPR et le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

III.             La décision de l’agent

[6]               La décision de l’agent est constituée d’une lettre qui a été envoyée au demandeur le 8 avril 2014, ainsi que des notes de l’agent consignées dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC).

[7]               L’agent n’était pas convaincu que le demandeur disposait de ressources financières suffisantes pour combler ses besoins au cours de la période d’études proposée, sans devoir travailler au Canada. Les notes consignées par l’agent dans le SMGC indiquent que le demandeur avait 32 166 $ dans son compte de banque et qu’il y avait récemment fait des dépôts totalisant 6 300 $. L’agent s’interrogeait sur la provenance de ces fonds, qui n’était pas précisée dans la demande. L’agent a conclu que cette somme aurait pu suffire à couvrir les droits de scolarité et les frais de subsistance « pendant une courte période »; il n’était cependant pas convaincu qu’elle suffirait « à long terme ».

[8]               L’agent a également noté que si les parents du demandeur continuaient à résider dans le pays d’origine du demandeur, soit l’Iran, ils seraient probablement incapables de le soutenir financièrement à cause des sanctions économiques ayant été imposées à ce pays.

[9]               En outre, l’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à l’expiration de son permis d’études. La décision de l’agent était fondée sur plusieurs facteurs, dont les suivants : l’historique de voyage du demandeur; l’étendue de ses liens familiaux dans son pays de résidence; le but de son déplacement proposé au Canada; sa situation relative à l’emploi, ses biens personnels et sa situation financière.

[10]           L’agent a noté que le demandeur ne vivait en Israël que depuis 2010. Il n’a offert aucun élément probant au soutien de sa déclaration selon laquelle il travaillait comme journaliste à la pige depuis 2012. L’agent se questionnait à savoir si le demandeur était bien intégré dans la société israélienne. Étant donné la faiblesse du tissu social et économique entre le demandeur et Israël, l’agent n’était pas convaincu que le demandeur était bien établi dans ce pays ni qu’il allait quitter le Canada à la fin de son séjour.

IV.             Les questions en litige

[11]           Les questions suivantes sont soulevées par la présente demande de contrôle judiciaire :

A.    La décision de l’agent selon laquelle le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences pour obtenir un permis canadien d’études est-elle raisonnable?

B.     Le demandeur s’est-il vu offrir la possibilité de dissiper les préoccupations de l’agent?

V.                Analyse

[12]           Lorsqu’il exerce sa compétence en accordant ou refusant des visas, l’agent des visas rend une décision administrative prise dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. En conséquence, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (My Hong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 463, aux paragraphes 10 à 13 (Hong))

[13]           Quant à savoir si le demandeur s’est vu offrir une possibilité suffisante de dissiper les préoccupations de l’agent, il s’agit d’une question d’équité procédurale. Le défendeur s’appuie sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Maritime Broadcasting System Limited c Canadian Media Guild, 2014 CAF 59, aux paragraphes 50 à 58 (Maritime Broadcasting) pour affirmer qu’il faut faire preuve d’une grande déférence à l’égard des décisions procédurales d’un tribunal spécialisé, et que ces décisions procédurales sont assujetties à la norme de la décision raisonnable.

[14]           L’arrêt Maritime Broadcasting a été décidé dans un contexte de relations de travail et conséquemment, son application à l’affaire en l’espèce est incertaine. La Cour a statué que les questions d’équité procédurale découlant de demandes de visas doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 526, au paragraphe 14 (Singh)). Cela dit, la protection procédurale applicable lors du traitement d’une demande de visa d’étudiant est « moins stricte » (Tran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1377, au paragraphe 2 (Tran)).

A.                La décision de l’agent selon laquelle le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences pour obtenir un permis canadien d’études est-elle raisonnable?

[15]           Les notes de l’agent au SMGC sont rédigées ainsi :

[traduction] Citoyen d’Israël âgé de 30 ans qui désire étudier au collège Humber à Toronto. Célibataire et sans enfant. (Le demandeur) est né en Iran et s’est établi en Israël en 2010. Il déclare travailler comme journaliste pigiste depuis 2012, mais aucune preuve de cela n’a été fournie. Il a 32 166 $ en banque, et a récemment fait des dépôts totalisant 6 300 $. Cela pourrait suffire à couvrir les droits de scolarité et les frais de subsistance pendant une courte période, mais je ne suis cependant pas convaincu que cela suffirait à long terme. Aucun renseignement n’a été fourni quant à la provenance de l’argent, qui pourrait ou pas provenir des parents. Si les parents se trouvent encore en Iran, il est probable qu’ils soient incapables de lui envoyer de l’argent à cause des sanctions internationales. Je remarque que les tampons dans le passeport (du demandeur) indiquent qu’il se trouvait au Canada de septembre 2013 à mars 2014, mais il n’est pas clair s’il a travaillé pendant ce temps (il a écrit dans son formulaire de demande qu’il a étudié pendant qu’il se trouvait au Canada). Il n’est pas clair si (le demandeur) est bien intégré dans la société israélienne, étant donné le temps relativement court qui s’est écoulé depuis son arrivée en Israël. En somme, je ne suis pas convaincu que (le demandeur) soit bien établi en Israël ni qu’il quittera le Canada à la fin de son séjour. Refusé.

[16]           Il est présumé qu’en l’absence de fortes indications contraires, les décideurs ont soupesé et pris en considération l’ensemble de la preuve présentée devant eux (Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 723, au paragraphe 15). Les notes consignées au SMGC par l’agent reflètent raisonnablement les renseignements soumis par le demandeur à l’appui de sa demande. Elles comprennent des renseignements sur son historique de travail, ses dépôts bancaires, ses liens familiaux, son historique de voyage et le but déclaré de son voyage proposé au Canada.

[17]           Le demandeur allègue que les notes consignées au SMGC par l’agent démontrent des suppositions injustifiées, tout particulièrement en ce qui concerne les questions à savoir si le demandeur a travaillé au cours de sa visite précédente au Canada, et si les parents du demandeur continueraient à résider en Iran. Le demandeur soutient qu’il n’existe aucune preuve pouvant justifier de telles suppositions. De plus, la liste de vérification jointe aux notes consignées au SMGC par l’agent montre que ce dernier était préoccupé par l’historique de voyage du demandeur.

[18]           Le défendeur admet que l’inclusion, à titre de préoccupation, de l’historique de voyage du demandeur dans la liste de vérification était une erreur. Le défendeur allègue néanmoins que les questions au sujet de la visite précédente du demandeur au Canada et de savoir si ses parents pouvaient lui fournir un soutien financier découlaient des renseignements fournis par le demandeur ainsi que des exigences de la LIPR et du Règlement et qu’en conséquence, elles étaient légitimes. Je suis d’accord. En outre, aucune de ces considérations n’était au cœur de la décision de l’agent, qui se fondait principalement sur l’insuffisance de fonds existants pour soutenir le demandeur au cours de son séjour au Canada et sur sa volonté de partir à la fin du programme.

[19]           Le demandeur avait le fardeau de convaincre l’agent qu’il n’était pas un immigrant et qu’il satisfaisait aux exigences de la LIPR et du Règlement (Obeng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 754, au paragraphe 20 (Obeng)). Dans Hong, la Cour s’est exprimée ainsi :

[31] Les demandes de visas d’étudiants doivent être analysées en cas par cas et le rôle de l’agent des visas n’est pas de compléter la preuve des demandeurs, comme semble le suggérer l’avocat de Mme Hong. Il est bien établi en droit que c’est le demandeur qui a le fardeau de fournir à l’agent des visas toute l’information pertinente et la documentation complète afin de convaincre celui-ci que la demande répond aux exigences prescrites dans la Loi et le Règlement (Tran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1377. En l’espèce, de façon plus particulière, la demanderesse avait la responsabilité de fournir à l’agent des visas toute la preuve nécessaire pour convaincre l’agent des visas de sa capacité financière.

[20]           La décision de l’agent était de nature discrétionnaire. Elle se fondait principalement sur des questions de fait. Compte tenu de l’expertise particulière de l’agent, la Cour doit faire preuve de retenue face à sa décision (Obeng, au paragraphe 21; Singh, au paragraphe 31; Hong, au paragraphe 13). Le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve, mais de déterminer si le résultat faisait partie des issues raisonnables possibles (Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, aux paragraphes 4, 59 et 61). Or, à mon avis, la décision de l’agent appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier en regard des faits et du droit.

B.                 Le demandeur s’est-il vu offrir la possibilité de dissiper les préoccupations de l’agent?

[21]           Le demandeur allègue qu’il aurait dû être convoqué en entrevue, ou alors qu’on aurait dû lui donner l’occasion, par lettre ou conversation téléphonique, de dissiper les préoccupations de l’agent sur sa volonté de quitter le Canada et ses moyens financiers lors de son séjour au Canada. Je ne suis pas d’accord. La LIPR et le Règlement stipulent qu’un ressortissant étranger désirant obtenir un visa d’études doit convaincre l’agent des visas qu’il n’est pas inadmissible au Canada et qu’il satisfait aux exigences d’admissibilité établies par la loi. Comme il l’a été mentionné ci‑dessus, la protection procédurale applicable à une demande de visa d’étudiant est « moins stricte », et il n’existe aucune exigence selon laquelle un demandeur doit avoir l’occasion de dissiper les préoccupations d’un agent lorsqu’elles émergent (Tran, au paragraphe 30).

[22]           Si un agent a l’intention de fonder sa décision sur de l’information extrinsèque dont le demandeur n’est pas au courant, ce dernier devrait avoir l’occasion de dissiper chez l’agent les réserves découlant de cette preuve (Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 145, au paragraphe 7). Cependant, lorsque la préoccupation naît de documents fournis par le demandeur, et c’est le cas en l’espèce, il n’existe aucune obligation de fournir l’occasion de donner une explication, étant donné que le fournisseur de l’information est réputé connaître le contenu des documents (Poon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 198 CFPI 56, au paragraphe 12, citant Wang c Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 173 CFPI 266).

[23]           En outre, un droit à un entretien peut naître lorsque la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements produits par le demandeur est à l’origine des doutes d’un agent (Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 FC 1283, au paragraphe 24). En l’espèce cependant, je crois, comme le défendeur, que le fondement de la préoccupation de l’agent n’était pas la crédibilité du demandeur, mais plutôt le caractère suffisant des renseignements qu’il a fournis au soutien de sa demande.

[24]           Le demandeur avait le fardeau de convaincre l’agent qu’il n’était pas un immigrant. Il incombait donc au demandeur d’établir qu’il était de bonne foi et qu’il quitterait le Canada à la fin de la période autorisée. L’agent des visas devrait pouvoir faire cette évaluation au vu de la demande (Singh, au paragraphe 32).

[25]           Je suis donc d’avis que le défendeur s’est conformé à ses obligations en matière d’équité procédurale. L’agent a apprécié de manière raisonnable les renseignements fournis par le demandeur et a pris sa décision conformément au cadre légal de la LIPR et du Règlement. Le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau lui incombant lors de sa demande initiale. L’agent n’avait pas l’obligation de lui donner l’occasion de fournir des renseignements supplémentaires afin d’étoffer sa demande insuffisante.

[26]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3919-14

 

INTITULÉ :

ASHKAN SAFAEI HAKIMI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

11 mai 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

25 mai 2015

 

COMPARUTIONS :

Mehran Youssefi

Pour le demandeur

 

Tamrat Gebeyehu

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mehran Youssefi

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.