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Date : 20150601


Dossier : T-1125-14

Référence : 2015 CF 683

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er juin 2015

En présence de monsieur le juge Beaudry

ENTRE :

BRIAN GIROUX, WILLIAM HATT, WINFRED RISSER, JACK B. ALLEN, ENSEMBLE EN TANT QUE LA WEST 65 30 SCALLOP QUOTA GROUP ASSOCIATION

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’instance

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire au titre de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, dans laquelle les demandeurs sollicitent une injonction et un bref de mandamus relativement à la décision de la ministre des Pêches et Océans du Canada (la ministre) de créer une nouvelle zone de pêche du pétoncle (ZPP) en fixant des conditions relativement aux permis de pêche existants sans en avoir l’autorisation légitime.

[2]               De plus, le 23 avril 2015, les demandeurs ont présenté une requête en autorisation de déposer un affidavit supplémentaire. Le défendeur a contesté la requête, mais a accepté le dépôt de l’affidavit supplémentaire au début de l’audition de la demande de contrôle judiciaire, le 13 mai 2015.

II.                Faits

[3]               À la suite de l’effondrement des stocks de pétoncles dans les années 1970 et 1980, le ministère des Pêches et Océans a créé des zones de pêche du pétoncle en modifiant le Règlement de pêche de l’Atlantique de 1985, DORS 87-672. Par conséquent, les ZPP 28 et 29 ont été créées et séparées par le point situé au nord de la latitude 43o 40’ (voir l’Annexe « A », page 205, dossier du demandeur). Le Règlement a été modifié à nouveau en 1994 pour diviser la ZPP 28 en quatre parties, soit les ZPP 28A à 28D, voir le DORS/94-59. La ZPP 29, quant à elle, n’a jamais été officiellement divisée; toutefois, cinq zones de production de pétoncles (ZPP) ont été créées pour favoriser une meilleure gestion des pêches.

[4]               Les demandeurs, désignés collectivement comme la West 65 30 Scallop Quota Group Association, appartiennent à la flotte East of Baccaro qui pêche dans la ZPP 29 est et ouest. Ils s’opposent à la façon dont les membres de la Full Bay Fleet, expression utilisée pour désigner tous les pêcheurs de la région de la baie de Fundy, étaient autorisés à pêcher dans la ZPP 29 ouest.

[5]               Les demandeurs allèguent que les pêcheurs de la Full Bay Fleet ont toujours pêché dans la ZPP 28. Toutefois, à cause de la surpêche, ceux-ci y ont depuis appauvri les stocks de pétoncles. Par conséquent, la ministre a graduellement autorisé la Full Bay Fleet à pêcher dans la ZPP 29 ouest.

[6]               Selon les demandeurs, en 2013, la ministre a délivré pour la première fois aux pêcheurs de la Full Bay Fleet des permis de pêche pour la ZPP 28 comprenant, dans les conditions des permis, l’autorisation de pêcher dans des parties de la ZPP 29 ouest. Il ressort que, en délivrant des permis de pêche pour la ZPP 28 avec des conditions autorisant la pêche dans la ZPP 29 ouest, la ministre délivrait en fait un permis de pêche dans une ZPP assorti d’une condition autorisant la pêche dans une autre ZPP. Les demandeurs estiment que ces conditions des permis outrepassent le pouvoir discrétionnaire de délivrer des permis dont est investie la ministre, pouvoir qui est large mais non illimité.

[7]               Le défendeur soulève trois questions préliminaires. En premier lieu, il soutient que la Cour devrait rejeter la demande parce que les demandeurs n’ont pas qualité pour contester. En deuxième lieu, il prétend que les demandeurs soulèvent un nouveau motif de contrôle qui n’est pas mentionné dans leur avis de demande. En troisième lieu, il souligne que la demande des demandeurs a été présentée en dehors du délai prescrit.

III.             Analyse

[8]               La Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les questions préliminaires soulevées par le défendeur parce que la demande de contrôle judiciaire ne peut pas être accueillie. La décision de la ministre est raisonnable et ne contrevient à aucun principe de justice naturelle et ne peut pas être perçue comme ayant été prise de mauvaise foi.

[9]               La Loi sur le ministère des Pêches et Océans, LRC 1985, c F-15, confère à la ministre un vaste pouvoir discrétionnaire pour la gestion des pêches. Ce pouvoir discrétionnaire comprend la délivrance des permis de pêche; voir la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F-14, paragraphe 7(1).

[10]           Dans Malcom c Canada (Pêches et Océans), 2014 CAF 130, la Cour a énoncé les principes généraux suivants aux paragraphes 3, 24, 40 et 52 :

Paragraphe 3 : [….] Pour décider s’il y a lieu de transférer une part du TAC [total autorisé des captures] d’un secteur des pêches à un autre, le ministre peut prendre en compte des facteurs socio‑économiques.

Paragraphe 24 : le juge de la Cour fédérale a également conclu que "rien n’empêche le ministre de favoriser un groupe de pêcheurs aux dépens d’un autre"

Paragraphe 40 : La Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F-14, confère au ministre un pouvoir discrétionnaire absolu en matière de gestion des ressources halieutiques du Canada, dans la mesure où il tient compte de l’intérêt public. Comme l’a fait remarquer le juge Major à l’occasion de l’affaire Comeau’s Sea Foods, aux pages 25 et 26, ces ressources sont un « bien commun » qui appartient à tous les Canadiens; en vertu de la Loi sur les pêches, le ministre a l’obligation de gérer, de conserver et de développer les pêches au nom des Canadiens et dans l’intérêt public.

Paragraphe 52 : Comme je l’ai déjà mentionné, la Loi sur les pêches confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de gérer les ressources halieutiques dans l’intérêt public. […] [ L]e ministre peut tenir compte de considérations sociales, économiques ou autres dans la gestion et la répartition des ressources halieutiques.

En l’espèce, les demandeurs contestent l’autorisation de pêcher dans la ZPP 29 ouest prévue dans les conditions des permis qui ont été délivrés aux pêcheurs de la Full Bay Fleet.

[11]           La Cour convient avec le défendeur que l’argument des demandeurs selon lequel la ministre a contrevenu à la loi n’est pas étayé par le dossier ni par le droit. En fait, les permis qui ont été produits en preuve par les parties montrent clairement que les permis de pêche délivrés à la Full Bay Fleet concernent la ZPP 28 et la ZPP 29 ouest. Les conditions des permis fixent simplement les limites géographiques de chaque ZPP où la Full Bay Fleet peut pêcher. Cette approche est conforme à l’alinéa 22(1)c) du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53, lequel prévoit que le ministre peut indiquer sur un permis toute condition concernant « les eaux dans lesquelles la pêche peut être pratiquée ».

[12]           Il est bien connu que les décisions de nature discrétionnaire ou politique commandent l’appréciation de la norme de la décision raisonnable; voir : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 51. Selon cette norme, il faut se demander si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir, au paragraphe 47.

[13]           Vu les faits et le droit applicable en l’espèce, la Cour conclut que la ministre est autorisée par la loi de prendre les mesures en cause et que celles-ci appartiennent aux issues possibles au sens de l’arrêt Dunsmuir. De plus, les éléments de preuve produits par les demandeurs ne permettent pas de conclure que la décision est entachée de mauvaise foi ou qu’elle contrevient à la justice naturelle.

[14]           Les parties ont convenu que des dépens de 2 000,00 $ devraient être adjugés à la partie gagnante.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Les demandeurs doivent payer au défendeur des dépens de 2 000,00 $.

“Michel Beaudry”

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1125-14

 

INTITULÉ :

BRIAN GIROUX, WILLIAM HATT, WINFRED RISSER, JACK B. ALLEN, ENSEMBLE EN TANT QUE LA WEST 65 30 SCALLOP QUOTA GROUP ASSOCIATION ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

halifax

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 MAI 2015

 

JUGeMENT et motifs :

le juge beaudry

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 1ER JUIN 2015

COMPARUTIONS :

Gary A. Richard

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Reinhold M. Endres, c.r.

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gary A. Richard

Burchell MacDonald

Truro (Nouvelle-Écosse)

 

pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Reinhold M. Endres, c.r.

Halifax (N.-É.)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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