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Date : 20150602


Dossier : T‑1759‑14

Référence : 2015 CF 698

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 juin 2015

En présence de madame la juge Gleason

ENTRE :

EMILIA KACZOR

demanderesse

et

CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse, Emilia Kaczor, sollicite, dans la présente demande de contrôle judiciaire, l’annulation de la décision du 21 juillet 2014 par laquelle la déléguée du ministre des Transports a refusé sa demande d’habilitation de sécurité en matière de transport [HST] à l’Aéroport international de Calgary. Mme Kaczor allègue que cette décision aura pour effet de l’empêcher de continuer à travailler comme agente de bord chez Enerjet à Calgary.

[2]               Mme Kaczor soutient que la décision par laquelle sa demande d’HST a été refusée devrait être infirmée parce que le décideur a violé son droit à l’équité procédurale et que la décision est déraisonnable. Pour les motifs énoncés ci‑après, j’ai conclu qu’aucun de ces arguments n’était fondé et, par conséquent, la présente demande sera rejetée.

I.                   Y a‑t‑il eu violation du droit à l’équité procédurale de Mme Kaczor?

[3]               Compte tenu des allégations de Mme Kaczor relatives à l’équité procédurale, la Cour est appelée à répondre à deux questions, soit celles de savoir quelle est la portée de son droit à l’équité procédurale, et si ce droit a été respecté. Chacune de ces questions sera analysée ci‑après.

A.                La nature des obligations envers Mme Kaczor

[4]               S’agissant de la nature des obligations envers Mme Kaczor, la jurisprudence reconnaît que la portée du droit à l’équité procédurale d’un demandeur varie selon qu’il cherche à obtenir une HST pour la première fois, qu’il présente une demande de renouvellement, ou qu’il risque de voir révoquer une HST existante.

[5]               En cas de demande initiale, plusieurs décisions ont déterminé que les droits d’un demandeur en matière d’équité procédurale se résument à ce que sa demande soit examinée et, si elle est rejetée, à ce qu’elle le soit pour un motif raisonnable, puisque dans un tel cas, le demandeur n’a aucun droit préexistant susceptible d’être touché.

[6]               Dans la décision Pouliot c Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2012 CF 347, [2012] ACF no 427 [Pouliot], le juge Rennie explique au paragraphe 13 la raison pour laquelle les exigences en matière d’équité procédurale sont minimes dans le contexte d’une demande initiale d’HST :

Lorsque le litige porte sur une simple demande d’autorisation ou de permis faite par une personne qui n’a aucun droit existant à cette autorisation ou à ce permis, les exigences imposées par l’obligation d’agir équitablement sont minimes. Le ministre doit rendre une décision qui n’est pas fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments à sa disposition [...].

[7]               De même, dans la décision Motta c Canada (Procureur général), [2000] ACF no 27 au paragraphe 13, le juge Pinard notait que lorsque « [l]e refus du Ministre d’accorder l’autorisation d’accès [n’]entraîn[e] le retrait d’aucun droit au demandeur, […] les exigences imposées par l’obligation d’agir équitablement sont minimes et […] il suffi[t] au Ministre, après avoir permis au demandeur de présenter sa demande par écrit comme il l’a fait, de rendre une décision qui ne soit pas fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments à sa disposition ».

[8]               Inversement, lorsqu’une habilitation de sécurité existante est révoquée ou qu’elle n’est pas renouvelée, les demandeurs bénéficient d’un plus haut degré d’équité procédurale qui leur vaut le droit d’être informés des motifs pour lesquels leur HST est potentiellement compromise et de présenter des observations avant qu’une décision défavorable ne soit rendue. Ces demandeurs peuvent prétendre à un degré plus important d’équité procédurale parce que leur droit de gagner leur vie est susceptible d’être touché.

[9]               Par exemple, dans la décision Dimartino c Canada (Ministre des Transports), 2005 CF 635, 272 FTR 250, la juge Gauthier a jugé que l’obligation d’équité en cas de révocation ou de non‑renouvellement d’une HST n’implique pas la tenue d’une audience formelle, mais requiert que les demandeurs « aient une occasion réelle de faire valoir leurs points de vue avant que la décision finale soit rendue. Pour ce faire, [ils] doivent savoir ce qui leur est reproché » (au paragraphe 36). De même, dans la décision Rivet c Canada (Procureur général), 2007 CF 1175, le juge Pinard a noté que « les protections procédurales dont bénéficie le demandeur en l’instance [lorsqu’une habilitation de sécurité est révoquée ou qu’elle n’est pas renouvelée] se limitent au droit de connaître les faits reprochés contre lui et au droit de faire des représentations à l’égard de ces faits » (au paragraphe 25).

[10]           En l’espèce, Mme Kaczor soutient que ses droits relèvent de la dernière catégorie et qu’elle peut donc prétendre à un degré plus élevé d’équité procédurale puisqu’elle était employée par Enerjet comme agente de bord et qu’elle ne peut plus travailler en cette qualité à cause du refus de lui octroyer l’HST. Plus spécifiquement, pour remplir ses fonctions, il était nécessaire qu’elle ait accès à certaines zones réglementées de l’Aéroport international de Calgary, et donc qu’elle obtienne une carte d’identité de zones réglementées [CIZR] de l’Autorité aéroportuaire. Pour obtenir ce document, Mme Kaczor devait d’abord se faire délivrer une HST. Elle a donc raison d’affirmer qu’elle avait besoin de cette habilitation pour s’acquitter de ses fonctions d’agente de bord.

[11]           Pendant que sa demande d’HST était en cours de traitement, Mme Kaczor était employée comme agente de bord par Enerjet et elle s’est vu délivrer un laissez‑passer temporaire par l’Autorité aéroportuaire de Calgary afin de pouvoir pénétrer dans les zones réglementées de l’aéroport. Lorsque sa demande a été refusée, l’Autorité aéroportuaire de Calgary a révoqué le laissez‑passer temporaire de Mme Kaczor, lui retirant ainsi l’accès aux zones en question. Les documents dont la Cour dispose ne lui permettent pas de déterminer avec certitude si cet obstacle a entraîné son congédiement d’Enerjet, mais il est clair que Mme Kaczor ne pouvait plus continuer à remplir toutes les fonctions d’une agente de bord dans cette compagnie, compte tenu du refus de lui octroyer l’HST.

[12]           Le défendeur fait valoir que Mme Kaczor ne peut prétendre qu’au droit à l’équité procédurale minimal offert aux premiers demandeurs, attendu qu’elle n’a jamais reçu d’HST. Je ne suis pas d’accord, et je suis d’avis que, dans les circonstances de la présente affaire, Mme Kaczor avait droit à un degré plus élevé d’équité procédurale, car elle n’était pas une simple candidate à un poste et qu’elle avait reçu un permis temporaire (quoique délivré par l’Autorité aéroportuaire et non par le ministre des Transports) afin d’entrer dans les zones réglementées de l’aéroport pour faire son travail. Sa situation est donc comparable à celle des demandeurs qui risquent de voir leur HST révoquée ou non renouvelée, puisque le refus de sa demande d’HST a eu une incidence sur sa capacité à continuer de remplir ses fonctions. Mme Kaczor avait donc le droit d’être informée des préoccupations que soulevait sa demande d’HST et d’avoir l’opportunité d’y répondre avant que l’habilitation ne soit révoquée.

B.                 Le droit à l’équité procédurale de Mme Kaczor a‑t‑il été respecté?

[13]           Ayant défini la portée du droit de Mme Kaczor à l’équité procédurale en jeu en l’espèce, il y a maintenant lieu de déterminer s’il a été respecté.

[14]           Dans son formulaire de demande d’HST, Mme Kaczor a consenti à ce que Transports Canada effectue toutes les vérifications nécessaires, et obtienne notamment une autorisation de sécurité, pour évaluer son aptitude à obtenir l’HST. Transports Canada a soumis une demande d’autorisation de sécurité à la GRC. Cette dernière a indiqué en réponse que même si elle n’avait pas de casier judiciaire, Mme Kaczor avait déjà été associée à des membres de deux gangs criminels, les Independent Soldiers et les Hells Angels. Dans le rapport qu’elle a transmis à Transports Canada, la GRC écrivait ce qui suit :

[traduction
2. Certains des individus associés à la demanderesse, décrits ci‑après, sont des membres connus des Independent Soldiers :

a. en décembre 2007, des agents du Groupe des renseignements criminels de Calgary (GRCC) ont vu la demanderesse au Tantra Lounge en compagnie de certains individus;

b. en juin 2008, un agent du Service de police de Calgary (CPS) s’est entretenu avec la demanderesse, qui lui a indiqué qu’elle résidait avec un individu dont elle a divulgué le nom;

c. en juin 2008, un agent du CPS a vu la demanderesse arriver au Tantra Nightclub en compagnie d’un individu;

d. en mars 2009, un agent du CPS a observé un individu conduisant un véhicule immatriculé au nom de la demanderesse;

e. en juin 2010, des agents du CPS se sont entretenus avec la demanderesse alors qu’elle accompagnait un groupe d’individus;

i. le groupe criminel organisé des Independent Soldiers (IS) n’opère plus comme un groupe homogène, mais est présumé prendre part à tous les aspects du commerce de la drogue, y compris la production, le trafic et la vente de cocaïne, de MDMA, de méthamphétamine, d’héroïne, d’ecstasy et de marihuana. Le groupe est structuré en cellules, et il est établi qu’il se livre au trafic de drogues à Kamloops, Kelowna, Prince George, dans l’agglomération de Vancouver, à Calgary et Edmonton. De nombreux membres de la cellule de Vancouver continuent de s’associer entre eux. Ils sont également impliqués dans des infractions liées aux armes et il existe une alliance entre eux et le chapitre West Point des Hells Angels.

3. Sujets mentionnés dans le présent rapport

a. Sujet « A » :

i. était en compagnie de la demanderesse durant plusieurs des incidents rapportés plus haut;

ii. est un ami très proche de la demanderesse;

iii. n’a fait l’objet d’aucune condamnation criminelle connue;

iv. est actuellement accusé de possession aux fins de trafic X 9, de fraude X 2, de possession de biens obtenus par la perpétration d’un crime X 7, de contrefaçon X 8 et d’escroquerie;

v. est un associé notoire des Hells Angels.

b. Sujet « B » :

i. était en compagnie de la demanderesse durant l’un des incidents rapportés plus haut;

ii. a été déclaré coupable de plusieurs (29) accusations entre 1997 et 2010, notamment de possession d’une substance inscrite à l’annexe I, de possession d’une arme à feu ou de munitions en contravention d’une ordonnance d’interdiction, de voies de fait, de possession d’une carte de crédit, d’entrave à un agent de la paix, de possession d’outils de cambriolage, de vol qualifié, de port d’une arme dissimulée et de possession de biens obtenus par la perpétration d’un crime; ces condamnations incluaient des peines d’emprisonnement dont la plus longue était de six mois;

iii. a été accusé de plusieurs infractions entre 2005 et 2010, notamment de trafic d’une substance inscrite à l’une des annexes, de voies de fait, d’entrave à un agent de la paix, de possession et d’exportation de monnaie contrefaite; ces accusations ont été suspendues ou retirées;

iv. il est actuellement accusé de possession d’une substance en vue d’en faire le trafic, de possession d’une substance, de possession de biens obtenus par la perpétration d’un crime, et de possession non autorisée d’une arme à feu.

[15]           Après la réception de ce rapport de la GRC, Transports Canada a informé Mme Kaczor par écrit que [traduction« durant le processus de vérification, des renseignements défavorables ont été révélés et [ont suscité] des préoccupations quant à [son] aptitude à obtenir une [HST] ». La lettre énumérait ensuite tous les détails contenus dans le rapport de la GRC.

[16]           Mme Kaczor a répondu à la lettre de Transports Canada en expliquant qu’elle travaillait durant les périodes en question à la boîte de nuit Tantra, où elle devait socialiser avec les clients, mais qu’elle n’avait pris part à aucune activité ou association illégale. Elle a également indiqué qu’elle avait déménagé fréquemment et qu’elle avait eu plusieurs colocataires, mais qu’elle n’avait jamais sciemment vécu avec un individu ayant des antécédents criminels ou impliqué dans des activités criminelles. D’autre part, même si elle ne pouvait que présumer de l’identité des individus évoqués dans la lettre de Transports Canada, elle [traduction« n’avait aucun contact avec les sujets mentionnés depuis les dates rapportées des incidents ». Elle ajoutait qu’en date de sa demande d’HST, elle n’était et ne voulait nullement être associée à des personnes impliquées dans des activités criminelles, et elle a mis l’accent sur les changements positifs qu’elle avait apportés à sa vie, notamment l’emploi qu’elle a obtenu chez Enerjet qui nécessitait une HST.

[17]           Après avoir reçu sa réponse, l’organisme consultatif du Programme d’habilitation de sécurité de Transports Canada a recommandé le rejet de la demande d’HST de Mme Kaczor, en raison de ses [traduction« nombreuses associations à des membres notoires du crime organisé », lesquelles « soulevaient des préoccupations quant à son jugement, sa loyauté et sa fiabilité ». Dans sa recommandation l’organisme soulignait par ailleurs qu’il ne s’était pas écoulé assez de temps depuis les associations criminelles pour témoigner d’un changement dans les comportements et les fréquentations de Mme Kaczor, que sa lettre de réponse ne fournissait pas de renseignements suffisants pour dissiper les préoccupations de l’organisme consultatif, et que ce dernier a conclu qu’elle pouvait être [traduction« sujette ou incitée à commettre un acte, ou à aider ou à encourager » quelqu’un d’autre à commettre un acte susceptible de perturber l’aviation civile.

[18]           La déléguée du ministre a accepté la recommandation de l’organisme consultatif et rejeté la demande d’HST de Mme Kaczor en s’appuyant largement sur les motifs donnés par cet organisme.

[19]           Mme Kaczor fait valoir qu’elle a été privée de son droit à l’équité procédurale dans le cadre de ce processus pour trois raisons : elle soutient, premièrement, qu’il était nécessaire qu’on lui révèle l’identité des sujets « A » et « B » pour qu’elle soit en mesure de dissiper adéquatement les préoccupations de Transports Canada; deuxièmement, ces préoccupations auraient dû lui être communiquées de façon plus détaillée afin qu’elle puisse y répondre correctement; et enfin, la lettre de Transports Canada aurait dû spécifier que son jugement, sa loyauté et sa fiabilité étaient mis en question.

[20]           Je suis d’avis qu’aucun de ces arguments n’est fondé.

[21]           Pour ce qui est de l’identité des individus, la réponse de Mme Kaczor indique qu’elle les connaissait puisqu’elle a déclaré qu’elle n’avait pas eu de contacts avec les sujets depuis les dates mentionnées. Elle n’aurait pas pu faire cette déclaration si elle n’avait pas su de qui il s’agissait.

[22]           Quant aux détails fournis, la lettre de Transports Canada exposait une quantité substantielle d’informations concernant l’identité des individus avec lesquels Mme Kaczor était soupçonnée d’être associée, et soulignait clairement que c’était pour cette raison que son aptitude à obtenir une HST était mise en question. Plus spécifiquement, la lettre l’informait que :

  • elle avait vécu avec l’un des individus soupçonnés d’affiliation criminelle en 2008, et la police de Calgary l’avait interrogée la même année après qu’elle eut confirmé l’identité de la personne avec qui elle vivait;
  • la police s’est de nouveau entretenue avec elle en 2010 alors qu’elle était avec un groupe d’individus soupçonnés d’être liés aux Independent Soldiers;
  • elle a prêté sa voiture en 2009 à l’un de ces individus;
  • elle a été vue arrivant à la boîte de nuit Tantra en décembre 2007 en compagnie de membres soupçonnés des Independent Soldiers.

[23]           À mon avis, ces détails étaient suffisants pour permettre à Mme Kaczor de dissiper les préoccupations, de nier les affirmations (si elles étaient inexactes) ou de les expliquer. C’est d’ailleurs ce qu’elle a tenté de faire dans sa réponse en essayant de minimiser son association avec les individus en question, en déclarant que celle‑ci découlait de son travail à la boîte de nuit Tantra et qu’elle était bien révolue lorsqu’elle avait présenté sa demande d’HST.

[24]           À certains égards, la présente affaire s’apparente à l’affaire MacDonnell c Canada (Procureur général), 2013 CF 719, 435 FTR 202 [MacDonnell], dans laquelle Transports Canada avait adressé au demandeur une lettre exposant les détails d’un trafic de drogue auquel il était soupçonné de prendre part avec cinq individus qui n’étaient pas nommés. Dans l’affaire MacDonnell comme en l’espèce, le demandeur faisait valoir qu’il était contraire à l’équité procédurale de ne pas divulguer les noms, mais la preuve indiquait qu’il connaissait l’identité de certains de ces individus (et qu’il avait d’ailleurs vécu avec l’un d’entre eux). Le juge Harrington a conclu que le demandeur n’avait pas été victime d’iniquité procédurale puisqu’il n’était pas nécessaire que les noms des individus en question soient fournis au demandeur pour qu’il sache ce qui lui était reproché et qu’il soit donc en mesure de se défendre.

[25]           De même en l’espèce, Mme Kaczor s’est vu communiquer les dates précises entre lesquelles elle avait vécu avec l’un des membres soupçonnés du gang, les dates auxquelles elle avait été soupçonnée d’avoir prêté sa voiture à un autre de ces membres, ainsi que les dates auxquelles elle avait été questionnée par la police, soit en présence de membres du gang, soit à leur sujet. Il est inconcevable que ces détails aient été insuffisants pour lui permettre de déterminer l’identité des individus en question, et d’ailleurs, elle ne prétend pas dans l’affidavit qu’elle a déposé à l’appui de la présente demande qu’elle ne savait pas qui étaient les sujets « A » et « B ». De plus, comme dans l’affaire MacDonnell, Mme Kaczor a été mise au fait des détails de sa conduite qui soulevait des préoccupations, à savoir qu’elle était soupçonnée de fréquenter des membres des Independent Soldiers et des Hells Angels.

[26]           Quant à l’allégation selon laquelle Mme Kaczor ne savait pas que Transports Canada évaluait sa loyauté, son aptitude et sa fiabilité, j’estime qu’il aurait dû lui paraître évident que ces qualités sont liées à son aptitude à obtenir une HST, puisque cela va de soi. De plus, comme l’a noté la Cour dans la décision Pouliot, il n’est pas nécessaire que Transports Canada avise les demandeurs d’HST des motifs particuliers qui pourraient être invoqués au titre de la politique pertinente du ministère pour refuser de leur octroyer l’HST. À cet égard, le juge Rennie notait ce qui suit au paragraphe 14 de cette décision :

Le risque de se laisser influencer et l’association avec d’autres personnes sont l’un et l’autre mentionnés dans la politique de Transports Canada, à défaut de l’être dans la lettre du 25 février 2011. La lettre invite expressément le demandeur à consulter la politique. Ce que le demandeur cherche à obtenir, en l’espèce, au titre de l’équité procédurale, c’est la possibilité de réfuter les conclusions raisonnables qui sont le fait de sa conduite, ou à y répondre. Transports Canada ne peut pas être obligé d’indiquer à l’avance, dans le but d’aviser le demandeur de la preuve à réfuter, lequel des facteurs pourrait être jugé déterminant pour l’examen de la demande d’habilitation de sécurité, car ce serait lui imposer une obligation d’équité plus stricte que celle qui s’applique dans le présent contexte, alors que cela n’est pas justifié selon la jurisprudence susmentionnée. […]

[27]           Par conséquent, Mme Kaczor a obtenu suffisamment de détails au sujet des préoccupations entourant sa demande d’HST, et elle a eu la possibilité de les dissiper. Son droit à l’équité procédurale a donc été respecté en l’espèce et son premier motif de contrôle doit donc échouer.

II.                La décision de la déléguée était‑elle raisonnable?

[28]           En ce qui concerne le second motif soulevé par Mme Kaczor, il est incontesté que la norme applicable au contrôle de la décision de la déléguée du ministre est celle de la décision raisonnable (voir p. ex. Clue c Canada (Procureur général), 2011 CF 323, 200 ACWS (3d) 4 [Clue], au paragraphe 14, et MacDonnell, au paragraphe 29). Une décision est raisonnable si elle est justifiée, transparente et intelligible, et que son résultat appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au paragraphe 47).

[29]           L’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique, LRC 1985, c A‑2, en vertu duquel les HST sont octroyées, confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire d’accorder ou de refuser ces habilitations, et prévoit que « [l]e ministre peut, pour l’application de la présente loi, accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité ». L’application de la loi a notamment pour objet la promotion de la sécurité aérienne (voir p. ex. Fontaine c Canada (Procureur général), 2007 CF 1160, 313 FTR 309 au paragraphe 26 [Fontaine]).

[30]           Au moment d’exercer son pouvoir discrétionnaire aux termes de l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique, le ministre (ou sa déléguée) peut refuser ou révoquer une HST s’il a des motifs raisonnables de croire qu’un demandeur peut être sujet ou incité à commettre ou à aider quelqu’un à commettre un acte qui peut illégalement perturber l’aviation civile, ce qui suppose d’évaluer la réputation ou les penchants de la personne concernée (voir p. ex. Clue, au paragraphe 15). Ces penchants peuvent raisonnablement fonder le refus ou la révocation d’une HST si le demandeur a fait l’objet d’accusations criminelles n’ayant pas mené à une condamnation, ou s’il s’est associé avec des individus considérés comme une menace à la sécurité.

[31]           Par exemple, dans la décision Clue, le juge Barnes a maintenu le refus d’octroyer une HST à un demandeur qui avait été accusé (mais non déclaré coupable) de possession de biens volés et qui était soupçonné d’avoir placé une arme à bord d’un aéronef dans des circonstances telles que la preuve était insuffisante pour porter des accusations contre lui. Dans la décision Fontaine, le juge Shore a maintenu la décision par laquelle l’HST avait été refusée en raison de l’association de l’individu visé à des membres notoires d’une organisation criminelle. Dans les deux cas, la preuve était bien en deçà du niveau requis pour une condamnation criminelle.

[32]           En l’espèce, je suis d’avis que la déléguée du ministre disposait d’assez d’informations pour conclure raisonnablement que Mme Kaczor puisse être sujette ou incitée à commettre ou à aider quelqu’un à commettre un acte pouvant illégalement perturber l’aviation civile. Il s’agit, comme l’a fait remarquer le juge Barnes dans la décision Clue, au paragraphe 20, d’une norme de preuve peu exigeante. La déléguée n’avait pas à disposer d’une preuve répondant à la norme applicable en matière criminelle concernant le fait que Mme Kaczor avait eu une relation étroite avec les individus susmentionnés, qu’elle était au fait de leurs activités criminelles, et qu’elle a continué de les fréquenter ou qu’elle commettrait un acte ou aiderait à commettre un acte qui pouvait illégalement perturber l’aviation civile. De fait, il suffisait qu’il y ait des motifs raisonnables de croire que Mme Kaczor puisse être sujette ou incitée à commettre ou à aider quelqu’un à commettre un acte pouvant illégalement perturber l’aviation civile.

[33]           À mon avis, il était loisible à la déléguée du ministre de conclure, sur la base de la preuve dont elle disposait, que Mme Kaczor pouvait constituer une telle menace à la sécurité en raison de ses relations passées avec des membres des Independent Soldiers et des Hells Angels. Par définition, de telles relations soulèvent un risque en matière de sécurité, comme l’a conclu le juge Shore dans la décision Fontaine. Le simple passage du temps depuis les derniers événements reprochés à Mme Kaczor ne justifie pas une conclusion contraire, compte tenu surtout de l’explication qu’elle a fournie.

[34]           Dans la lettre qu’elle a transmise en réponse à Transports Canada, Mme Kaczor n’a pas nié ses associations passées et a fourni des explications qui contredisaient les renseignements figurant dans sa demande d’HST. Plus spécifiquement, elle n’a pas indiqué dans cette demande qu’elle avait travaillé dans le secteur des boîtes de nuit ni au Tantra Lounge là où elle devait énumérer ses antécédents professionnels. Cependant, dans sa lettre à Transports Canada, Mme Kaczor affirmait qu’elle avait travaillé au Tantra Lounge. Elle indiquait également qu’elle avait beaucoup déménagé et qu’elle avait eu plusieurs colocataires différents, alors qu’elle ne fournit dans sa demande que trois adresses antérieures.

[35]           De plus, dans sa lettre à Transports Canada, Mme Kaczor n’a pas mis au clair plusieurs de ses interactions connues avec des membres des Independent Soldiers. Par exemple, elle n’a pas expliqué pourquoi l’un d’entre eux conduisait sa voiture, pourquoi elle ne se rappelait pas avec qui elle vivait en juin 2008, ou pourquoi elle était arrivée à la boîte de nuit Tantra avec des membres des Independent Soldiers si elle n’avait de rapports avec eux que parce qu’elle travaillait là.

[36]           Compte tenu de ce qui précède, il y avait des motifs raisonnables de nourrir des préoccupations légitimes quant à la loyauté, l’aptitude et la fiabilité de Mme Kaczor . Il n’est donc pas possible d’affirmer que les motifs manquent ici de justification, de transparence et d’intelligibilité ou que la décision n’appartient pas aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. En bref, la déléguée avait des motifs amplement suffisants pour s’inquiéter raisonnablement du danger que Mme Kaczor pouvait représenter pour la sécurité, compte tenu de ses associations précédentes et du fait qu’elle ne les a pas justifiées. Par conséquent, la décision de refuser d’octroyer l’HST à la demanderesse est raisonnable.

III.             Conclusion

[37]           La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. Les parties ont convenu que les dépens devaient suivre l’issue de la cause et être fixés à un montant global de 700 $. Je conviens que cette somme est appropriée en l’espèce et adjuge donc les dépens au défendeur au montant de 700 $.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.    La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.    Les dépens sont fixés à un montant global de 700 $, incluant les taxes et débours, et doivent être versés par la demanderesse au défendeur.

« Mary J.L. Gleason »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T‑1759‑14

 

INTITULÉ :

EMILIA KACZOR c CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 janvier 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

Michael Aasen

 

POUR LA demanderesse

 

James Elford

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Aasen

McLennan Ross LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LA demanderesse

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR LE défendeur

 

 

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