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Date : 20150604


Dossier : IMM‑188‑15

Référence : 2015 CF 708

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 4 juin 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

AIBUTALIFU AISIKAER

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), de la décision du 18 décembre 2014 par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour présentation erronée, conformément à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[2]               La SAI a également conclu que le demandeur n’avait pas réussi à démontrer qu’il y avait suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier la prise de mesures spéciales en application du paragraphe 69(2) de la LIPR.

II.                Contexte factuel

[3]               Le demandeur est un citoyen de la Chine de 49 ans d’origine ethnique ouïgoure. Son fils Yeleidousi et lui sont résidents permanents du Canada depuis le 16 octobre 2005.

[4]               Le 16 août 2011, le demandeur a fait l’objet d’un rapport conformément au paragraphe 44(1) de la LIPR. Selon ce rapport, il a conclu un mariage de convenance avec sa seconde épouse afin d’obtenir la résidence permanente au Canada.

[5]               Après une audience sur l’interdiction de territoire ayant eu lieu le 29 novembre 2011, la Section de l’immigration (la SI) a conclu que le demandeur était admissible au Canada et qu’il satisfaisait aux exigences de la LIPR. Le défendeur a interjeté appel de cette décision devant la SAI, en vertu du paragraphe 63(5) de la LIPR.

[6]               Le 18 décembre 2014, la SAI a conclu que le demandeur avait directement fait des présentations erronées sur un fait important concernant sa relation avec sa seconde épouse, Malida Tuerdixi, ou une réticence sur ce fait. Par conséquent, la SAI a pris une mesure d’exclusion contre le demandeur au titre de l’alinéa 229(1)h) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227.

[7]               La SAI a accueilli l’appel du fils du demandeur, concluant qu’il avait « réussi à prouver qu’il y a[vait], compte tenu de l’intérêt supérieur de tout enfant directement touché, des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales, conformément au paragraphe 69(2) de la LIPR » (décision de la SAI, Dossier certifié du tribunal, à la page 16).

III.             Dispositions législatives

[8]               Les dispositions pertinentes de la LIPR sont reproduites ci‑dessous.

Fausses déclarations

Misrepresentation

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

b) être ou avoir été parrainé par un répondant dont il a été statué qu’il est interdit de territoire pour fausses déclarations;

(b) for being or having been sponsored by a person who is determined to be inadmissible for misrepresentation;

c) l’annulation en dernier ressort de la décision ayant accueilli la demande d’asile ou de protection;

(c) on a final determination to vacate a decision to allow their claim for refugee protection or application for protection; or

d) la perte de la citoyenneté au titre de l’alinéa 10(1)a) de la Loi sur la citoyenneté dans le cas visé au paragraphe 10(2) de cette loi.

(d) on ceasing to be a citizen under paragraph 10(1)(a) of the Citizenship Act, in the circumstances set out in subsection 10(2) of that Act.

[…]

[…]

Appel du ministre

Minister’s Appeal

69 (2) L’appel du ministre contre un résident permanent ou une personne protégée non visée par le paragraphe 64(1) peut être rejeté ou la mesure de renvoi applicable, assortie d’un sursis, peut être prise, même si les motifs visés aux alinéas 67(1)a) ou b) sont établis, sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

69 (2) In the case of an appeal by the Minister respecting a permanent resident or a protected person, other than a person referred to in subsection 64(1), if the Immigration Appeal Division is satisfied that, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case, it may make and may stay the applicable removal order, or dismiss the appeal, despite being satisfied of a matter set out in paragraph 67(1)(a) or (b).

IV.             Question en litige

[9]               La Cour est appelée à décider si la décision de la SAI est raisonnable.

V.                Norme de contrôle

[10]           Le pouvoir discrétionnaire conféré à la SAI pour ce qui est des questions de savoir si le demandeur est visé à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR et s’il existe des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales, soit des questions mixtes de fait et de droit, est susceptible de contrôle suivant la norme de la décision raisonnable (Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1224, au paragraphe 23 (Patel); Koo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] FCJ no 1152, au paragraphe 20).

[11]           La Cour doit donc accorder un degré élevé de déférence aux conclusions de la SAI (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339, aux paragraphes 4 et 59).

VI.             Analyse

[12]           Le demandeur fait valoir que la décision de la SAI est mal fondée et qu’elle s’appuie sur une interprétation de nature conjecturale et arbitraire. Entre autres, le demandeur soutient que la SAI a imposé ses propres [traduction« valeurs occidentales modernes » dans son évaluation du comportement du demandeur (Mémoire des faits et du droit du demandeur, Dossier du demandeur, à la page 388).

[13]           Le demandeur a présenté différentes observations pour contester les conclusions de fait de la SAI, mais la Cour conclut que ces arguments ne justifient pas son intervention.

[14]           En fait, la SAI a tiré ses conclusions de fait au terme d’un examen attentif des éléments de preuve dont elle disposait. Dans ses motifs, la SAI mentionne avoir relevé différentes incohérences dans des éléments importants des témoignages oral et écrit du demandeur, ce qui a miné la crédibilité du demandeur. Qui plus est, la SAI a conclu que le demandeur n’avait pas fourni d’explications raisonnables et crédibles qui auraient permis de dissiper ses doutes dans ce dossier.

[15]           Dans la mesure où l’évaluation de la crédibilité relève des connaissances particulières et de la compétence de la SAI, il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau la preuve (décision Patel, précitée, au paragraphe 27; Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 450, au paragraphe 27; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339).

[16]           LA SAI a entre autres fait les observations suivantes concernant l’ensemble des éléments ayant été considérés comme significatifs pour évaluer, du point de vue de la logique, l’ensemble du récit du demandeur :

1.      Le demandeur affirme ne pas savoir ce qu’il est advenu de sa première épouse depuis leur divorce, en 2003; cette femme était la mère de son enfant. Lorsque la SAI a invité le demandeur à expliquer comment il avait pu obtenir son autorisation pour emmener leur enfant au Canada, celui‑ci a dit l’avoir vue à une reprise, et qu’elle a alors accepté de signer les documents nécessaires. La SAI a conclu que l’explication du demandeur n’était pas crédible.

2.      Le demandeur a soumis des éléments de preuve contradictoires concernant sa première rencontre avec sa seconde épouse, Malida, qu’il aurait connue par l’entremise de son frère cadet et de sa belle‑sœur.

Entre autres, la SAI s’est dite préoccupée par le fait que le demandeur ne savait pas comment son frère et sa belle‑sœur avaient connu Malida, et que le frère du demandeur avait encouragé ce dernier à entretenir une relation avec Malida en dépit de sa situation matrimoniale (séparée) et du fait qu’elle avait accouché exactement un mois avant qu’ils soient présentés l’un à l’autre.

3.      Le demandeur a fourni des éléments de preuve contradictoires au sujet de ses communications avec Malida. Il a affirmé l’avoir contactée par téléphone, sauf que selon les éléments de preuve, il a d’abord communiqué avec elle par courriel.

4.      Le demandeur n’a pas été en mesure de donner les raisons pour lesquelles Malida avait divorcé du père de son enfant. De plus, le demandeur ne savait pas qui, de Malida ou de son mari, avait demandé le divorce.

5.      Le demandeur a dit avoir rencontré Malida en personne pour la première fois en mars 2004, à l’aéroport d’Urumqi, en Chine. Elle avait fait le voyage jusqu’en Chine pour leur mariage. Le demandeur a affirmé ne pas avoir rencontré les membres de la famille de Malida à son arrivée en Chine. Selon lui, il aurait été inapproprié qu’il se présente à leur domicile, étant donné que lui et Malida n’étaient pas mariés et qu’ils n’avaient pas été présentés officiellement l’un à l’autre.

La SAI a conclu que les explications du demandeur n’étaient pas crédibles, étant donné que le demandeur avait rencontré les parents de Malida quelques jours après qu’elle soit arrivée, que Malida s’était rendue en Chine dans le but de marier le demandeur, et qu’on peut penser qu’il est approprié qu’une personne rencontre les membres de la famille de sa future épouse avant de contracter le mariage.

En outre, la SAI a souligné que le demandeur avait fait sa demande en mariage sans avoir rencontré Malida en personne, et qu’il avait rencontré les membres de la famille de Malida quelques jours après l’arrivée de cette dernière en Chine, sans qu’il y ait de présentations officielles.

6.      Le demandeur a présenté des éléments de preuve non concordants concernant sa demande en mariage à Malida. De fait, il a affirmé l’avoir demandée en mariage par téléphone, sauf que selon les éléments de preuve, il l’a fait par Internet.

7.      Selon le demandeur, les parents de Malida n’ont pas assisté au mariage, qui a eu lieu en Chine, parce qu’ils étaient occupés et qu’ils n’approuvaient pas cette union. La SAI a souligné que le demandeur n’avait pas été en mesure de dire pourquoi les parents de Malida ne l’aimaient pas.

8.      Le demandeur n’a pas été en mesure de dire pourquoi il s’était marié si rapidement après son divorce d’avec sa première épouse.

9.      Le demandeur a affirmé que Malida et lui n’avaient pas eu de lune de miel parce que cela ne faisait pas partie de leurs coutumes. Or, la SAI a souligné que le demandeur avait pourtant eu une lune de miel avec sa troisième épouse, elle aussi ouïgoure.

10.  La SAI s’est dite préoccupée par le fait que le demandeur n’avait jamais rendu visite au fils de Malida lorsqu’il vivait en Chine en 2004‑2005. La SAI a rejeté l’explication fournie par le demandeur, soit que Malida lui avait dit qu’il n’avait pas à rendre visite à son fils, et a conclu que dans le cadre d’une relation authentique, il y a lieu de s’attendre à ce que le demandeur souhaite garder contact avec son beau‑fils.

11.  Lorsque la SAI lui a demandé d’expliquer pourquoi il avait demandé le divorce en Chine en mars 2006, alors que Malida et lui vivaient tous deux au Canada, le demandeur a expliqué qu’il n’était pas obligatoire d’être séparé depuis au moins un an pour obtenir le divorce en Chine. Le demandeur n’a toutefois pas réussi à expliquer pourquoi il tenait à divorcer si rapidement, soit deux mois suivant la séparation.

12.  Les circonstances du troisième mariage du demandeur en Chine, en avril 2008, et de son divorce subséquent, en novembre 2011, sont nébuleuses. Notamment, la SAI a souligné que ce n’est que lorsque l’identité de la troisième femme du demandeur a été mise en doute que celui‑ci a retiré sa demande de parrainage la concernant. La SAI a rejeté l’explication du demandeur, qui dit avoir retiré sa demande parce que sa femme en avait eu assez des délais inhérents au processus de parrainage, ce qui ne dénote pas d’une relation authentique.

[17]           En outre, la Cour est d’avis qu’il n’y a pas lieu qu’elle intervienne dans la décision de la SAI selon laquelle il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales, sachant qu’il incombait au demandeur d’établir ces motifs (Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 RCS 84, au paragraphe 90 (Chieu)).

[18]           Dans son évaluation des motifs d’ordre humanitaire, la SAI s’est fondée sur les facteurs pertinents énoncés dans la décision Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI 4, et dans l’arrêt Chieu, précité. Entre autres, en ce qui a trait à l’affirmation du demandeur voulant qu’il aurait à subir une contrainte excessive à son retour en Chine, la SAI a tenu compte des possibilités de rétablissement du demandeur en Chine, ainsi que des tensions entre Hans et Ouïgours. Dans son évaluation des motifs d’ordre humanitaire, la SAI a également tenu compte de l’intérêt supérieur du fils du demandeur, Yeleidousi, qui était âgé de 18 ans au moment de l’audience. La SAI a conclu que le renvoi du Canada constituerait un préjudice beaucoup plus grand pour Yaleidousi que pour son père, et qu’il n’avait pas à subir les conséquences des fausses déclarations de son père.

[19]           La SAI a en outre conclu que le demandeur n’avait pas agi de bonne foi :

Le tribunal n’a pas été convaincu de la bonne foi de M. Aisikaer en l’espèce, au contraire. Il est convaincu que M. Aisikaer a contracté un mariage de convenance afin d’obtenir la résidence permanente au Canada. En conséquence, il ne faut pas oublier que, n’eût été son mariage avec Malida, il n’aurait pas obtenu la résidence permanente au Canada.

(Décision de la SAI, Dossier certifié du tribunal, à la page 21).

[20]           Après examen de la décision de la SAI, des observations des parties et du dossier de preuve, la Cour conclut que la décision de la SAI appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et qu’elle est fondée sur la preuve (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

[21]           Le demandeur fait valoir que l’appréciation de la preuve et l’évaluation de la crédibilité du demandeur effectuées par la SAI soulèvent une crainte raisonnable de partialité. Cela dit, cet argument ne peut être retenu, parce qu’il n’a pas été invoqué devant la SAI et parce qu’il est sans fondement.

VII.          Conclusion

[22]           À la lumière de ce qui précède, la demande est rejetée.

[23]           La règle 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, dispose que des dépens ne peuvent être accordés que s’il existe des « raisons spéciales » pour le faire.

[24]           La Cour conclut que de telles circonstances n’existent pas.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Tremblay, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑188‑15

 

INTITULÉ :

AIBUTALIFU AISIKAER c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 JUIN 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

Patricia Gamliel

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Michel Pépin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet Gamliel

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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