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Date : 20150528


Dossier : IMM-7157-14

Référence : 2015 CF 690

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 28 mai 2015

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

MAJID MOJAHED

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], à l’encontre de la décision en date du 18 septembre 2014 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, par application de la section E de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 189 RTNU 150 [la Convention].

[2]               La question centrale dans la présente demande de contrôle judiciaire est la suivante : la SPR a-t-elle correctement appliqué les facteurs exposés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Zeng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 118 [Zeng] dans son application de la section E de l’article premier de la Convention et a-t-elle correctement examiné le risque allégué d’un renvoi en Iran? Après avoir examiné attentivement le dossier et les observations des avocats des deux parties, j’en suis venu à la conclusion que la présente demande doit être rejetée.

Les faits

[3]               Le demandeur, Majid Mojahed, est né en Iran le 26 juillet 1956. Il soutient avoir été un ardent défenseur de la cause monarchiste en Iran depuis plusieurs décennies et avoir reçu des menaces de la part d’agents du gouvernement iranien, tant en Iran qu’en Autriche. Ses prétentions sont exposées ci-dessous.

[4]               Les membres de sa famille étaient supposément des sympathisants bien connus des monarchistes en Iran. Son père dirigeait un journal qui appuyait le shah d’Iran destitué et ce dernier a fui l’Iran en 1979 lorsque la Révolution islamique a renversé le shah. Les autorités autrichiennes ont conclu que le père du demandeur était un réfugié au sens de la Convention; toutefois, le père ne pouvait pas parrainer le demandeur, parce que ce dernier n’était plus un mineur à l’époque.

[5]               Le demandeur a quitté l’Iran en 1980 pour visiter l’Autriche. Il a séjourné dans ce pays pour y faire des études, puis est allé aux États-Unis où il a vécu de 1982 à 1991. Il a présenté une demande d’asile dans ce pays en 1982, mais a été débouté.

[6]               M. Mojahed est retourné en Iran en 1991, prétendument pour être mieux en mesure de venir en aide aux militants pro-monarchistes grâce à ses relations à l’intérieur du pays. Il a vécu en Iran pendant les dix prochaines années. Il soutient que les autorités iraniennes ont eu vent de son assistance aux monarchistes vers 2000 ou 2001, et qu’il a été arrêté et détenu pendant une journée, mais qu’il a réussi à se faire libérer en versant un pot-de-vin. À l’aide de ses relations, il a obtenu un passeport en mars 2001. Il a obtenu un visa de visiteur pour l’Autriche et a pu quitter l’Iran à sa troisième tentative le 24 août 2001. Il a acquis la résidence permanente en Autriche le 28 décembre 2004.

[7]               En janvier 2009, le demandeur a quitté l’Autriche pour Saint-Martin, où il a travaillé dans le domaine de la construction et il a obtenu le statut de visiteur. Étant donné qu’il n’est pas retourné en Autriche ou dans l’Espace économique européen pendant une période ininterrompue d’au moins un an, il y a perdu son statut de résident permanent. Le demandeur soutient qu’il n’est jamais retourné en Autriche parce que, en décembre 2008, un Iranien (un agent du régime iranien, de l’avis du demandeur) l’avait abordé dans un restaurant persan, l’avait insulté et lui avait collé un pistolet sur la tempe.

[8]               En février 2011, le demandeur a appris que des personnes non occidentales étaient à sa recherche à Saint-Martin. Il est ensuite venu au Canada en mai 2011 à titre de visiteur. Il avait auparavant fait quelques voyages au Canada pour rendre visite à une femme avec qui il s’était fiancé et pour se renseigner sur des occasions d’affaires. En juin 2011, il a présenté une demande de fiche du visiteur, qui a été rejetée le 21 juin 2012, si bien qu’il a perdu son statut au Canada. Ayant également appris par son frère qui vit en Iran que les autorités s’intéressaient toujours à son cas, il a présenté une demande l’asile le 3 juillet 2012. Depuis son arrivée à Vancouver, il a tenu des rassemblements politiques à sa galerie d’art et a publié des vidéos en ligne et sur les médias sociaux dans lesquels il appuie la cause monarchiste.

[9]               La SPR a entendu sa demande d’asile sur une période de plusieurs jours entre le 7 novembre 2013 et le 26 juin 2014. Pendant le déroulement de l’audience, il a été révélé qu’il y avait un mandat d’arrestation à l’échelle nationale en instance contre le demandeur en Autriche : il était recherché pour fraude, fraude grave, abus de confiance, faillite frauduleuse et destruction de documents, et faisait l’objet d’un avis de recherche ou de localisation lancé par Interpol. Selon le demandeur, il ignorait qu’il y avait des accusations criminelles en instance contre lui en Autriche jusqu’à ce qu’il signe un formulaire de consentement pour autoriser une demande d’information, à la demande de la commissaire de la SPR, et que les résultats des recherches du ministre ont été communiqués dans le cadre de la demande d’asile.

La décision contestée

[10]           Dans la décision datée du 18 septembre 2014, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié par application de la section E de l’article premier de la Convention, parce qu’il avait volontairement perdu son statut de résident permanent en Autriche. En particulier, la SPR a tiré les conclusions suivantes :

         l’exclusion au titre de l’alinéa Fb) de l’article premier – la SPR a constaté que le demandeur avait été accusé d’infractions aux États-Unis et en Autriche et elle a reconnu que le demandeur avait été disculpé à l’égard des accusations aux États-Unis. En ce qui a trait aux accusations en instance en Autriche, la SPR a constaté que le demandeur n’avait pas été déclaré coupable. Elle a conclu qu’elle ne disposait pas d’une preuve suffisante pour exclure le demandeur au titre de l’alinéa Fb) de l’article premier au motif qu’il avait commis un crime grave de droit commun à l’extérieur du Canada;

         l’exclusion au titre de la section E de l’article premier – la SPR a appliqué le critère énoncé au paragraphe 28 de l’arrêt Zeng :

Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a-t-il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.

         la perte de statut en Autriche – le demandeur avait des droits et des obligations similaires à ceux d’un ressortissant de ce pays, du fait qu’il avait acquis le statut de résident permanent en 2004. La SPR a accepté la preuve présentée par le demandeur et l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] selon laquelle il avait perdu ce statut parce qu’il est resté à l’extérieur de l’Espace économique européen pendant plus d’un an. La SPR a conclu que cette perte de statut était volontaire puisque le demandeur avait quitté l’Autriche de son plein gré. Elle a conclu que le demandeur manquait de crédibilité en ce qui concerne son affirmation selon laquelle il ignorait avoir perdu son statut en Autriche, en faisant remarquer qu’il avait donné des réponses évasives et contradictoires dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP], lors de son entrevue avec les agents de l’ASFC au moment où il a présenté sa demande d’asile et lors de son témoignage livré de vive voix lors de l’audition de sa demande d’asile. La SPR a également relevé que le demandeur est très instruit et qu’il a une vaste expérience de la résidence, des demandes de visa et des voyages partout dans le monde. En outre, elle a noté que le demandeur est un homme riche et qu’il a recouru aux services d’avocats pour des procédures antérieures en matière d’immigration;

         la SPR a également conclu que le demandeur n’était pas crédible dans ses allégations selon lesquelles il avait été exposé à un risque aux mains de ressortissants iraniens en Autriche et qu’il y avait eu un attentat à sa vie lors de l’incident au restaurant en décembre 2008. La SPR a noté que le demandeur avait de la difficulté à décrire de manière détaillée ce qui était prétendument produit lors de cet incident. De plus, elle a conclu que le rapport de police que le demandeur a produit en preuve, qui signalait qu’une plainte avait été déposée le 11 décembre 2008 au restaurant « Hafes », ne corroborait pas ses allégations, car le rapport est très général, ne fait mention ni du demandeur ni de toute autre victime, et ne comporte aucune description d’une personne qui pointe une arme à feu en direction de quiconque;

         de plus, la SPR a signalé que le demandeur aurait pu conserver son statut de résident permanent en Autriche en retournant dans n’importe quel autre pays de l’Union européenne dans le délai d’un an et que, avant de quitter l’Autriche, il n’avait fait que des tentatives minimales pour se prévaloir des solides mécanismes de protection de l’État à sa disposition dans ce pays. Par conséquent, la SPR a conclu que le prétendu risque auquel il était exposé en Autriche ne constituait pas un motif valable d’avoir permis que son statut expire dans ce pays et qu’il avait volontairement renoncé à son statut de résident permanent en Autriche;

         le droit de retour en Autriche – en ce qui a trait au facteur consistant à savoir si le demandeur pourrait retourner en Autriche, la SPR a conclu que les questions soulevées relativement à cette possibilité étaient « mixtes ». Elle a conclu que le demandeur ne disposait d’aucun droit d’entrer de nouveau en Autriche, car il avait perdu son statut de résident permanent. Toutefois, étant donné que les autorités autrichiennes avaient lancé un mandat d’arrestation contre lui pour diverses infractions liées à la fraude, la SPR a conclu que si le demandeur d’asile était renvoyé en Autriche, les autorités autrichiennes l’accepteraient probablement dans le but d’intenter contre lui un procès au criminel. La Commission a constaté que rien ne garantissait qu’il puisse demeurer en Autriche. Toutefois, l’Autriche est un pays qui dispose d’un système de protection des réfugiés et où des membres de la famille du demandeur ont obtenu l’asile par le passé;

         le risque en Iran – la SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible dans ses allégations selon lesquelles il était un défenseur de longue date du mouvement pro‑monarchiste, et la SPR a noté que le demandeur avait démontré une tendance générale à donner des réponses évasives, à modifier son témoignage, à se contredire et à omettre de communiquer des renseignements importants pour sa demande d’asile (par exemple, sa demande d’asile rejetée aux États-Unis en 1982 et les accusations criminelles contre lui dans ce même pays). De plus, la SPR a conclu que certains faits – à savoir qu’il était retourné vivre en Iran pour dix ans en 1991, qu’il n’avait rien fait pour éviter l’expiration de son statut de résident permanent en Autriche, et qu’il n’avait pas demandé l’asile en Autriche, à Saint-Martin ou au Canada jusqu’à ce que son visa de visiteur expire – démentaient l’existence d’une crainte subjective et ne concordaient pas son allégation selon laquelle les autorités iraniennes le menaçaient depuis de nombreuses années;

         de plus, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas présenté une preuve suffisante pour démontrer son prétendu soutien à la cause pro-monarchiste au cours des trente dernières années, et qu’il n’était pas en mesure d’exposer ses positions avec la moindre clarté. La SPR a aussi conclu que c’était seulement après l’arrivée du demandeur au Canada et après la présentation de sa demande d’asile qu’il s’est mis à produire des vidéos en ligne dans lesquelles il exprimait ses prétendues opinions politiques et à tenir des événements en l’appui au shah à sa galerie d’art à Vancouver. La SPR a conclu que le demandeur avait produit ces vidéos et tenu ces événements dans le seul but d’étayer sa demande d’asile. Toutefois, la SPR a également conclu que, compte tenu de la nature publique de ces activités, il existait une possibilité sérieuse que le demandeur soit exposé à un risque de persécution en Iran. Même si le demandeur n’est pas crédible en ce qui a trait à la preuve sur les risques auxquels il aurait été exposé en Iran au moment où il est arrivé au Canada et a présenté sa demande d’asile, il est possible que les autorités iraniennes prennent connaissance des commentaires anti-régime du demandeur;

         les obligations internationales – en ce qui a trait aux obligations internationales du Canada, la SPR a noté qu’il existe diverses options et possibilités, dont l’examen des risques avant renvoi, le processus de renvoi qui permettra de décider vers quel pays il sera expulsé, ainsi que la réponse du Canada à l’avis lancé par la section autrichienne d’Interpol. La SPR a reconnu que ces autres possibilités ne relèvent pas de son expertise;

         l’appréciation des facteurs – la SPR a conclu que l’abus du processus de demande d’asile de la part du demandeur était énorme, du fait qu’il avait volontairement renoncé à son droit de retourner en Autriche et qu’il s’était fabriqué un profil politique en ligne qui attirerait l’attention des autorités iraniennes. La SPR a énuméré les objectifs exposés dans l’arrêt Zeng et conclu que la manipulation par le demandeur du système d’immigration et d’octroi de l’asile n’assurait pas l’intégrité du système canadien de protection des réfugiés et constituait une sorte de recherche du meilleur pays d’asile, laquelle est incompatible avec l’aspect auxiliaire de la protection internationale des réfugiés. Bien que la SPR ait affirmé qu’elle « conv[enait] que le demandeur d’asile ne devrait pas être renvoyé en Iran en raison du risque potentiel auquel il est exposé dans son pays d’origine », elle a conclu que l’octroi de l’asile, avec les droits et l’ouverture vers un autre statut au Canada qu’il comporte, n’était pas la voie à suivre pour protéger le demandeur contre ce risque potentiel en Iran. La SPR a conclu que l’exploitation flagrante des délais et des processus d’immigration par le demandeur, ainsi que la possibilité de retourner en Autriche, l’emportaient sur les autres facteurs exposés et que, par conséquent, le demandeur devrait se voir refuser la qualité de réfugié.

Les questions en litige

[11]           Il y a une seule question de fond à trancher dans la présente demande : la SPR a-t-elle commis une erreur de droit ou de fait en concluant que M. Mojahed n’a pas qualité de réfugié par application de la section E de l’article premier de la Convention?

Analyse

[12]           La section E de l’article premier de la Convention a été mis en œuvre à l’article 98 de la LIPR, et ce, dans le but de décourager la recherche du meilleur pays d’asile. Cette disposition empêche une personne d’obtenir l’asile si cette elle jouit déjà essentiellement des mêmes droits et obligations que les ressortissants d’un autre pays d’adoption. La section E de l’article premier est rédigée comme suit :

1E. Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

1E. This Convention shall not apply to a person who is recognized by the competent authorities of the country in which he has taken residence as having the rights and obligations which are attached to the possession of the nationality of that country.

[13]           Les parties s’entendent sur le fait que le cadre approprié pour décider si une personne satisfait au critère de la section E de l’article premier a été exposé dans l’arrêt Zeng de la Cour d’appel fédérale et que la SPR a correctement relevé les facteurs devant servir à examiner la demande d’asile du demandeur.

[14]           Les parties divergent sur la question de savoir si les faits de l’espèce entraînent l’exclusion. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, assujettie à la norme de contrôle de la raisonnabilité et appelant « une grande retenue » à l’égard de la SPR, d’après la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Zeng (au paragraphe 11). Voir également : Zhong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 279, aux paragraphes 15-16; Dieng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 450, au paragraphe 18. Par conséquent, la Cour n’interviendra pas si le processus décisionnel cadre bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité et si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47; Canada c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59.

[15]           Les parties s’entendent sur le fait que le demandeur avait le statut de résident permanent en Autriche et qu’il a perdu ce statut après avoir séjourné à l’extérieur de ce pays et de l’Espace économique européen pendant une période ininterrompue d’au moins un an. Par conséquent, la SPR devait examiner et soupeser les divers facteurs exposés dans l’arrêt Zeng.

[16]           Le demandeur n’a pas contesté sérieusement la conclusion de la SPR selon laquelle il avait volontairement renoncé à son statut de résident permanent en Autriche, ou que ses actions équivalaient à tout le moins à une renonciation implicite à son statut dans ce pays. La SPR pouvait raisonnablement conclure que le demandeur, qui est très bien instruit et prospère et qui a beaucoup voyagé dans le monde, devait être conscient, lorsqu’il a quitté l’Autriche et n’y est pas retourné pour une longue période, qu’il renonçait à son statut là-bas. Ainsi, son départ était délibéré et il est clair que la perte de son statut était volontaire. De même, la Commission pouvait raisonnablement conclure que la justification avancée par le demandeur pour avoir permis l’expiration de son statut (soit le présumé attentat en décembre 2008) n’était pas valide, non seulement en raison des incohérences dans son récit et de l’absence de documents corroborants, mais aussi parce qu’il n’a pas fait d’effort sérieux pour se réclamer de la protection de l’État en Autriche et qu’il aurait pu conserver son statut tout simplement en s’établissant dans n’importe quel autre pays de l’Union européenne dans le délai prévu d’un an.

[17]           Il ne s’agit peut-être pas d’un cas typique de « recherche du meilleur pays d’asile », car le demandeur n’avait pas précédemment demandé l’asile en Autriche. De plus, il n’est pas clair si le demandeur tentait de « déjouer le système » ou de « resquiller » les listes d’attente du système d’immigration en vue de passer d’un pays sûr à un autre pays qu’il préférait. En fait, le demandeur a d’abord tenté d’obtenir un statut au Canada à titre d’investisseur dans des entreprises, et n’a présenté sa demande d’asile qu’après le refus de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) de prolonger son visa de visiteur. Cela étant dit, le demandeur avait des droits et des obligations similaires à ceux d’un ressortissant d’un pays sûr et il a volontairement omis de conserver son statut, et la SPR pouvait conclure qu’il s’agissait d’un facteur défavorable à sa cause. Il se pourrait fort bien que la situation soit différente si une personne omet de conserver son statut dans un tiers pays avant qu’il n’y ait de menace contre elle dans son pays d’origine. Dans un tel scénario, il se pourrait que la personne ne tombe pas sous le coup de la section E de l’article premier, dont l’objectif est d’exclure les personnes n’ayant pas besoin de protection. Toutefois, une telle réserve ne s’applique pas en l’espèce.

[18]           L’argument central du demandeur est que la SPR a commis une erreur dans l’appréciation de son droit de retour en Autriche et en formulant la conclusion hypothétique selon laquelle il serait possible de le renvoyer dans ce pays. D’après le demandeur, la conclusion de la SPR selon laquelle il pourrait être renvoyé en Autriche en raison du mandat d’extradition ne relève pas de la compétence de la SPR; de même, la possibilité d’un renvoi en Autriche à l’issue du processus d’ERAR est dépourvue de fondement, d’autant plus que le ministre n’avait jamais suggéré cette possibilité.

[19]            Par souci d’équité, la SPR a reconnu que le demandeur ne dispose d’aucun droit de retourner en Autriche et que l’Autriche n’est aucunement obligée de l’admettre à nouveau. Après avoir signalé ce fait, la SPR a fait remarquer que le demandeur fait l’objet d’un mandat d’arrestation valide et qu’il est recherché par la police autrichienne relativement à des accusations de fraude. Ainsi, la SPR pouvait raisonnablement conclure que les autorités autrichiennes s’intéressent au demandeur; la question de savoir si cela les pousserait à demander l’extradition du demandeur ou à accepter son renvoi du Canada, à tout le moins dans le but d’intenter un procès contre lui conformément au droit autrichien, reste évidemment ouverte. Toutefois, il n’était manifestement pas déraisonnable de conclure, à la lumière des circonstances, qu’il s’agit d’une possibilité réelle.

[20]           La SPR était consciente du fait qu’une telle issue ne pouvait être tenue pour acquise et que l’admission possible du demandeur en Autriche en vue que des poursuites soient intentées contre lui ne garantissait pas qu’il pourrait par la suite réacquérir son statut de résident permanent. Le paragraphe suivant de la décision de la SPR est révélateur à cet égard :

[34] Il s’agit d’un cas unique qui est très particulier à la situation du demandeur d’asile. Si les autorités autrichiennes voulaient refuser l’entrée au demandeur d’asile, alors pourquoi demanderaient-elles à Interpol de le retrouver ou de lancer une alerte pour découvrir où il se trouve? Je suppose que ces renseignements démontrent que, si le demandeur d’asile était renvoyé du Canada, il serait accepté par l’Autriche, quoique dans le seul but précis de tenter de le déclarer coupable des crimes dont il est accusé. Après l’acquittement ou la déclaration de culpabilité du demandeur d’asile et après qu’il aurait subi les conséquences de ses actes, rien ne garantit qu’il pourrait demeurer en Autriche. Parallèlement, l’Autriche est un pays où la loi prévoit l’octroi de l’asile ou du statut de réfugié, où le gouvernement a établi un système de protection des réfugiés et où les membres de la famille du demandeur d’asile ont obtenu l’asile par le passé.

[21]           Ce paragraphe démontre que la SPR a fait une appréciation très lucide de la situation du demandeur et qu’elle ne se faisait aucune illusion quant à son droit de retourner en Autriche. En fait, les incertitudes à cet égard ont poussé la SPR à conclure que les questions soulevées relativement à ce facteur étaient mixtes. Je ne relève rien de déraisonnable dans le raisonnement de la SPR ou dans sa conclusion relative à ce facteur.

[22]           De plus, selon l’avocat du demandeur, la SPR a omis de tenir compte des obligations internationales du Canada en décidant que M. Mojahed pouvait être exclu, et ce, malgré une preuve claire démontrant qu’il serait exposé à des risques suivant son renvoi en Iran, en raison de ses activités au Canada. Cet argument est dénué de fondement.

[23]           Tout d’abord, la SPR a reconnu que le demandeur – même s’il n’était pas crédible dans les éléments de preuve présentés quant au risque auquel il aurait été exposé en Iran au moment où il est arrivé au Canada et a présenté sa demande d’asile – avait une demande d’asile sur place qui était valide en raison des activités qu’il avait exercées depuis ce temps. La SPR a même affirmé que les récentes activités du demandeur sur Internet avaient donné lieu à une « possibilité sérieuse » de persécution et avaient créé un risque d’emprisonnement en Iran, dans des conditions qui pourraient être inhumaines.

[24]           Deuxièmement, la SPR a souligné, à juste titre, qu’il existe d’autres processus permettant d’éviter la possibilité que le Canada manque indirectement à ses obligations internationales. Il y a des précédents de la Cour d’appel fédérale et de la Cour suprême, dans le contexte d’exclusions fondées sur la section F de l’article premier, qui rejettent l’argument selon lequel l’exclusion de la protection conférée par l’asile équivaut à une décision définitive concernant le renvoi et qui affirment que, dans les dossiers où un demandeur se voit refuser la qualité de réfugié en application de la section F de l’article premier, l’évaluation du risque relève plutôt de l’agent d’ERAR ou de l’agent chargé du renvoi. À cette étape, le choix du pays de renvoi sera plus clair et l’examen quant au risque sera effectué par des personnes ayant des connaissances spécialisées, sur la base des renseignements les plus récents.

[25]           Par exemple, dans l’arrêt Xie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250, la Cour d’appel fédérale a signalé qu’il était encore possible de réclamer la protection, malgré le refus d’une demande d’asile au Canada. La Cour d’appel a affirmé très clairement que l’examen quant aux risques de torture relevait de la compétence de l’agent d’ERAR, et non de celle de la SPR (au paragraphe 39).

[26]           Dans la même veine, dans l’arrêt Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 RCS 431, qui portait également sur une exclusion fondée sur la section F de l’article premier de la Convention pour des motifs de grande criminalité, la Cour suprême a affirmé que le régime d’asile n’est pas le seul mécanisme par lequel le Canada peut se conformer à ses obligations internationales en matière de protection des personnes à risque. La juge en chef McLachlin, s’exprimant au nom de la majorité, a conclu que l’article 98 de la LIPR était compatible avec la Charte et que la Charte n’accorde aucun droit positif à l’égard de l’asile. Elle a plutôt signalé (aux paragraphes 67-68) qu’un sursis à la mesure de renvoi serait l’instrument approprié dans de tels cas afin de protéger les droits garantis par la Charte, si le renvoi du demandeur à son pays d’origine l’exposait à la mort, à la torture ou à des traitements ou peines cruels ou inusités.

[27]           En l’espèce, la SPR a soupesé les facteurs exposés dans l’arrêt Zeng et a conclu que le demandeur devait se voir refuser l’asile en application de la section E de l’article premier de la Convention, parce qu’il avait volontairement permis que son statut de résident permanent en Autriche expire, parce qu’il manquait de crédibilité et parce qu’il s’était livré à une conduite intéressée en générant les conditions propices à une demande d’asile sur place. L’avant-dernier paragraphe des motifs de la SPR saisit l’essentiel de son exercice de pondération :

[61] Le demandeur d’asile a quitté l’Autriche en ayant des droits et des obligations similaires à ceux d’un ressortissant de ce pays. Il aurait pu conserver ce statut en retournant en Autriche ou dans un autre pays de l’UE, mais il ne l’a pas fait, et son statut de résident permanent a expiré. Plus de trois ans après avoir quitté l’Autriche, il a présenté une demande d’asile au Canada, mais celle-ci manque de crédibilité. Les actes délibérés que le demandeur d’asile a commis ensuite ont cependant créé une situation où il est exposé à un risque potentiel en Iran, même si le risque en question n’existait pas nécessairement auparavant. Dans ces circonstances, j’estime que l’abus flagrant du moment opportun et des processus d’immigration de la part du demandeur d’asile, ainsi que la possibilité de retourner en Autriche, l’emportent sur les autres facteurs exposés et que le demandeur d’asile devrait se voir refuser l’asile par application de la section E de l’article premier de la Convention.

[28]           Voilà exactement le type d’exercice de pondération envers lequel la Cour doit faire preuve de retenue suivant la norme de contrôle de la décision raisonnable, compte tenu de la nature spécialisée de la SPR et de sa pleine compétence pour ce qui est de déterminer la vraisemblance des témoignages, d’apprécier la crédibilité d’un récit et de tirer les conclusions qui s’imposent. La SPR s’est donné la peine de reconnaître que le demandeur ne devrait pas être renvoyé en Iran en raison des risques auxquels il pourrait être exposé dans ce pays, mais elle a ajouté que l’octroi de l’asile n’était pas la voie appropriée pour lui assurer une telle protection. Il s’agit manifestement du genre de décision que la SPR est en droit de rendre, et le demandeur ne m’a pas convaincu que la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

Conclusion

[29]           Pour tous les motifs exposés ci-dessus, je suis d’avis de rejeter la présente demande.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

« Yves de Montigny »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM-7157-14

 

INTITULÉ :

MAJID MOJAHED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 mai 2015

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :

Le 28 mai 2015

COMPARUTIONS :

Craig Costantino

POUR Le demandeur

Helen Park

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associates

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR Le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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