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Date : 20150603

Dossier : T‑1971‑14

Référence : 2015 CF 707

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 3 juin 2015

En présence de madame la juge St‑Louis

ENTRE :

ROSE MARIE JOAN RAE

demanderesse

Et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Par la présente requête déposée contre la ministre du Revenu national [la ministre], la demanderesse, Mme Rose Marie Joan Rae, cherche à faire autoriser une instance comme recours collectif conformément au paragraphe 334.12(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles].

[2]               En 2013, Mme Rae a participé à un régime appelé « widely‑marketed gifting tax shelter » (abri fiscal très commercialisé fondé sur les dons). En avril 2014, son comptable a fait parvenir à l’Agence du revenu du Canada [ARC] sa déclaration de revenus pour l’année 2013, mais Mme Rae n’a pas encore reçu de la ministre son avis de cotisation pour cette même année d’imposition.

[3]               M me Rae sollicite une ordonnance autorisant la présente demande comme recours collectif et la nommant représentante du groupe.

[4]               La présente requête est fondée sur une demande que Mme Rae a présentée en vue d’obtenir un bref de mandamus sommant la ministre de se conformer à l’article 152 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e supp.) [la LIR]. Selon l’article 152 de la LIR, le ministre examine, avec diligence, la déclaration de revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, fixe l’impôt pour l’année ainsi que les intérêts et les pénalités éventuels payables et détermine le montant du remboursement éventuel auquel le contribuable a droit ou le montant d’impôt payable par celui‑ci. Mme Rae demande donc à la ministre d’examiner sans délai sa déclaration de revenus et celle des autres membres du groupe proposé pour l’année 2013, d’établir une cotisation d’impôt correspondante et de lui envoyer l’avis de cotisation approprié.

[5]               En ce qui concerne le fond, Mme Rae sollicitera également une déclaration selon laquelle la ministre n’a pas le pouvoir de retarder le traitement d’une déclaration de revenus et l’envoi d’un avis de cotisation à un contribuable au motif que celui‑ci a participé à un abri fiscal très commercialisé fondé sur les dons, suivant la description faite par l’ARC dans la Gifting Tax Shelter Initiative (initiative relative aux dons utilisés comme abris fiscaux). Subsidiairement, Mme Rae demandera une déclaration selon laquelle la ministre n’a pas le pouvoir de retarder le traitement d’une déclaration de revenus et l’envoi d’un avis de cotisation à un contribuable afin de dissuader ou de restreindre par ailleurs la participation à un abri fiscal enregistré qui est un abri fiscal très commercialisé fondé sur les dons.

[6]               La Cour doit vérifier si chacune des conditions énoncées à l’article 334.16 des Règles à l’égard de l’obtention de l’autorisation est remplie. Pour les motifs exposés ci‑dessous, je suis d’avis que certaines de ces conditions n’ont pas été remplies et, en conséquence, je rejetterai la requête en autorisation de la demande comme recours collectif.

II.                Les faits à l’origine du litige

[7]               Mme Rae est une citoyenne canadienne qui vit à Kelowna, en Colombie‑Britannique.

[8]               En 2013, elle a participé à un abri fiscal très commercialisé fondé sur les dons, plus précisément le Pharma Gifts International Inc. [Pharma Gift 2013], qui est enregistré auprès de la ministre sous le numéro d’identification TS075200. Elle a fait deux dons, soit un en espèces et un en nature, pour lesquels elle a demandé un crédit d’impôt pour don de bienfaisance dans sa déclaration de revenus de 2013, ainsi qu’un remboursement d’impôt.

[9]               Le ou vers le 28 avril 2014, le comptable de Mme Rae a remis la déclaration de revenus de celle‑ci en mains propres à la ministre, mais la demanderesse n’a pas encore reçu d’avis de cotisation de la ministre.

[10]           Le 24 juillet 2014, Mme F. Caligiuri, gestionnaire à la Compliance Service Initiative Branch (direction générale de l’initiative relative aux services de conformité) du Centre fiscal de Winnipeg de l’ARC, a écrit à Mme Rae pour l’informer que l’ARC n’avait pas traité la déclaration de revenus de 2013 de celle‑ci, étant donné qu’elle étudiait actuellement la demande de crédit qu’elle avait présentée relativement à un don utilisé comme abri fiscal. Selon cette même lettre, l’ARC entreprenait également une vérification de l’arrangement d’abri fiscal connexe et il faudrait attendre jusqu’à deux ans avant que cette vérification soit terminée.

[11]           Mme Caligiuri a résumé succinctement l’historique et le résultat général de ces vérifications et mentionné le calendrier de paiement ou de remboursement éventuel de l’intérêt, selon le résultat. Subsidiairement, l’ARC a proposé à Mme Rae de retirer sa demande de crédit d’impôt pour don et de signer une entente de renonciation qui permettrait le traitement de sa déclaration de revenus pour l’année 2013 avant la fin de la vérification. Essentiellement, l’entente de renonciation proposée exigeait que Mme Rae renonce à sa demande de crédit d’impôt pour don pour l’année d’imposition 2013 relativement à la contribution qu’elle avait versée à l’abri Pharma Gift 2013, ainsi qu’au droit de présenter une opposition ou d’interjeter appel à l’égard de la question de son admissibilité au crédit susmentionné pour l’année d’imposition 2013. Mme Rae n’a pas consenti à signer cette entente de renonciation.

[12]           Mme Caligiuri avait joint à sa lettre une copie d’un communiqué de presse que l’ARC avait publié le 10 janvier 2014 et dans lequel celle‑ci a précisé qu’elle « n’établira pas de cotisation à l’égard de l’impôt dû ou n’accordera pas de remboursement aux contribuables qui demandent un crédit d’impôt dans le cadre d’un stratagème relatif à des dons utilisés comme abris fiscaux tant que l’ARC n’aura pas effectué une vérification de l’abri fiscal », en plus de fournir quelques statistiques sur l’historique des refus des demandes de crédit relatives à des dons similaires par suite des vérifications.

[13]           La Cour n’a pas pour tâche d’évaluer la validité des abris fiscaux. Selon la définition figurant au paragraphe 237.1(1) de la LIR, l’abri fiscal est un « arrangement de don », laquelle expression est également définie au paragraphe 237.1(1).

[14]           L’« abri fiscal très commercialisé fondé sur les dons » est un type d’abri fiscal visé par la Gifting Tax Shelter National Program (programme national d’abris fiscaux fondés sur les dons [le programme AFD]) de l’ARC.

[15]           L’expression « widely‑marketed » (très commercialisé) a le même sens que « mass‑marketed » (« destiné au grand public ») (affidavit de M. André Émile Malouf daté du 17 octobre 2014, au paragraphe 31). L’ARC a lancé le programme AFD pour l’année d’imposition 2012 et le programme a été maintenu pour l’année d’imposition 2013.

[16]           D’après la preuve au dossier, Pharma Gift 2013 est un type de « programme de dons financés par emprunt ». Dans le cadre de ce type de programme, le contribuable obtient habituellement un prêt prédéterminé et fait don du prêt et d’une somme supplémentaire à un organisme de bienfaisance, lequel doit utiliser le produit du prêt d’une façon préétablie. Certains programmes sont fondés sur le prêt d’un bien plutôt que de sommes d’argent. Dans le cadre du Pharma Gift 2013, des certificats d’acquisition de produits pharmaceutiques ont été prêtés plutôt que des sommes d’argent.

[17]           Même si le programme AFD n’a pas été mentionné par ce nom ou cet acronyme, il aurait été annoncé pour la première fois au moyen d’un communiqué de presse daté du 30 octobre 2012, qui était joint à l’affidavit daté du 17 octobre 2014 de M. André Émile Malouf. Dans ce communiqué, l’ARC déclare que ce programme national vise à protéger les Canadiens contre des stratagèmes relatifs à des dons utilisés comme abris fiscaux, à éviter le paiement de remboursements invalides et à décourager la participation à des stratagèmes abusifs.

[18]           Conformément au programme AFD, le traitement des déclarations de revenu des contribuables ayant demandé un crédit pour l’année d’imposition 2012 ou 2013 après avoir participé à un régime très commercialisé d’abris fiscaux fondés sur les dons en 2012 ou en 2013 a été suspendu jusqu’à ce que l’ARC termine la vérification de l’abri fiscal. Le programme AFD s’applique également aux contribuables qui ont produit leur déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2012 ou 2013 sans demander de crédit d’impôt pour don de bienfaisance relativement à leur participation à un abri fiscal très commercialisé fondé sur les dons en 2012 ou en 2013, mais qui avaient produit un formulaire « Demande de redressement d’une T1 » après le traitement de leur déclaration afin de demander un crédit de cette nature pour la participation en question. Le traitement des demandes de redressement d’une T1 de ces contribuables est également reporté jusqu’à ce que la vérification de l’abri fiscal soit terminée. Le programme AFD peut aussi s’appliquer au conjoint du contribuable.

[19]           Le programme AFD a été appliqué à quatre abris fiscaux très commercialisés fondés sur les dons pour l’année 2013, dont l’un était Pharma Gifts 2013, et à huit abris fiscaux de cette nature pour l’année 2012. Toutes les vérifications relatives à l’année 2012 ont débuté entre mai et le début de juillet 2013, tandis que celles de trois abris fiscaux pour l’année 2013 ont débuté en juin, juillet et septembre 2014. Une de ces vérifications n’avait pas encore débuté le 17 octobre 2014.

[20]           Environ 2 438 autres contribuables auraient participé de la même façon à un abri fiscal très commercialisé fondé sur les dons pendant l’année d’imposition 2013 et quelque 1 245 contribuables se seraient vu offrir la possibilité de signer une renonciation semblable à celle qui a été proposée à Mme Rae. De plus, 40 contribuables ont présenté une demande de redressement d’une T1 afin de demander un crédit d’impôt pour don de bienfaisance relativement à leur participation à un abri fiscal très commercialisé fondé sur les dons en 2013.

III.             Les questions en litige

[21]           La question à trancher dans la présente requête est de savoir s’il convient d’autoriser la présente instance comme recours collectif suivant les conditions énoncées au paragraphe 334.16(1) des Règles.

IV.             La position des parties

A.                Alinéa 334.16(1)a) : cause d’action valable

(1)               La position de Mme Rae

[22]           Selon la demanderesse, la ministre a admis qu’elle n’avait pas examiné la déclaration de revenus que Mme Rae avait produite pour l’année 2013 ni n’avait établi de cotisation correspondante, et qu’elle ne lui avait pas envoyé d’avis de cotisation non plus.

[23]           La demanderesse ajoute que la ministre a adopté une politique qui consiste à retarder le traitement des déclarations lorsque le contribuable a participé à un abri fiscal très commercialisé fondé sur les dons et que la Cour fédérale a déjà jugé que cette pratique allait à l’encontre de l’article 152 de la LIR dans Ficek c Canada (Procureur général), 2013 CF 502 [Ficek]. Selon Mme Rae, la cause d’action invoquée dans Ficek fait écho aux questions soulevées dans sa requête visant à faire autoriser l’instance comme recours collectif. En conséquence, elle soutient que la demande sous‑jacente soulève une cause d’action valable et a de bonnes chances d’être accueillie.

(2)               La position de la ministre

[24]           La ministre reconnaît que la demande soulève une cause d’action valable conformément à l’alinéa 334.16(1)a), mais elle n’accepte pas la conclusion de Mme Rae quant à l’effet de la décision Ficek.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                        

B.                 Alinéa 334.16(1)b) des Règles : groupe identifiable formé d’au moins deux personnes

(1)               La position de Mme Rae

[25]           Mme Rae invoque notamment l’identification par la ministre d’environ 2 438 contribuables qui ont participé à un abri fiscal très commercialisé fondé sur les dons en 2013 pour faire valoir qu’il existe un groupe facilement identifiable. Elle ajoute qu’une offre de renonciation a été faite à 1 245 personnes faisant partie de ces contribuables, même si la preuve ne permet pas d’établir le nombre de contribuables qui ont accepté cette offre. Mme Rae affirme qu’il existe un groupe facilement identifiable de personnes touchées par le programme AFD, lesquelles ont toutes reçu le même traitement, et que les cotisations de plus de deux personnes n’ont toujours pas été traitées pour l’année d’imposition 2013.

[26]           En conséquence, Mme Rae propose que le groupe soit défini comme suit : [traduction« toute personne qui n’est pas un non‑résident du Canada au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui a participé à un abri fiscal très commercialisé fondé sur les dons en 2013 et qui a transmis sa déclaration de revenus pour l’année 2013 au ministre. Ce groupe ne comprendrait pas les contribuables qui sont visés par ailleurs par la définition proposée, mais qui ont accepté depuis une offre de renonciation faite par la ministre, ou qui ont donné suite à cette offre ». Au cours de l’audience, Mme Rae a précisé que le groupe excluait également les contribuables dont la déclaration est traitée avant l’instruction au fond de la demande. Mme Rae soutient que la Cour doit vérifier si les conditions relatives à l’autorisation sont remplies et que ni le caractère théorique possible, ni les variantes possibles de cet argument, ne devraient avoir de répercussions à ce stade‑ci.

(2)               La position de la ministre

[27]           La ministre soutient que Mme Rae n’a pas identifié en bonne et due forme un groupe d’au moins deux personnes. En fait, au cours de son contre‑interrogatoire et pendant l’audience tenue par la suite, Mme Rae a précisé que le groupe proposé excluait les contribuables dont la déclaration est traitée avant l’instruction au fond de la demande. La ministre fait donc valoir que le groupe est trop restreint, parce qu’il exclut des contribuables autres que ceux du groupe proposé qui ont demandé un crédit d’impôt pour don de bienfaisance à l’égard d’un abri fiscal très commercialisé fondé sur les dons en 2013 et qui sont touchés par le programme AFD, c’est‑à‑dire les personnes dont la déclaration est traitée avant l’audience. À cet égard, Mme Rae elle‑même serait susceptible d’être exclue, ce qui pourrait mettre fin au recours collectif.

C.                 Alinéa 334.16(1)c) : points de droit ou de fait communs

(1)               La position de Mme Rae

[28]           Mme Rae soutient que les membres du groupe sont touchés par une même question commune, soit la question de savoir [traduction« si la politique adoptée par la ministre et l’excuse invoquée pour retarder le traitement des déclarations des membres du groupe proposé vont de pair avec l’obligation du ministre de traiter leurs déclarations de revenus "avec diligence" conformément au paragraphe 152(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu ».

(2)               La position de la ministre

[29]           La ministre soutient que la question commune proposée doit permettre d’éviter la répétition dans l’appréciation des faits ou l’analyse juridique, mais que la question de droit que Mme Rae propose ici est sans fondement factuel ou juridique.

[30]           Après avoir passé en revue les directives formulées par la Cour suprême du Canada à ce sujet dans l’arrêt Western Canadian Shopping Centres c Dutton, 2001 CSC 46 [Dutton], la ministre examine la question commune proposée par Mme Rae dans le contexte d’une demande de mandamus et fait valoir que la question essentielle à trancher est de savoir si le retard de la ministre à traiter la déclaration de revenus de Mme Rae et à établir un avis de cotisation est déraisonnable. Selon la ministre, Mme Rae tient pour acquise la justification qui sous‑tend le programme AFD, étant donné que cette justification aurait déjà été [traduction« analysée, prise en compte et rejetée » dans Ficek. La ministre affirme que cet argument est sans fondement, parce que la décision Ficek ne concernait pas le programme AFD, mais plutôt le projet pilote du Centre fiscal de Winnipeg [le projet pilote], soit un programme de l’ARC qui, aux fins de la décision rendue Ficek, s’appliquait aux particuliers de la Région des Prairies qui avaient demandé des crédits d’impôt pour dons de bienfaisance par suite de leur participation, en 2010 et en 2011, au programme Global Learning Gifting Initiative [le GLGI], abri fiscal très commercialisé fondé sur les dons.

[31]           La ministre fait valoir que la justification qui sous‑tend le projet pilote est différente de celle du programme AFD, étant donné que le premier visait uniquement à décourager la participation au GLGI, tandis que le second visait non seulement à décourager les abris fiscaux très commercialisés fondés sur les dons, mais aussi à contrôler la validité des demandes de crédit pour dons avant d’envoyer des remboursements d’impôt qui pourraient s’avérer invalides.

[32]           La ministre ajoute que Mme Rae a tort de soutenir que les conclusions de fait tirées dans Ficek lient un autre juge de la Cour fédérale, étant donné que le principe de courtoisie judiciaire ne s’applique pas aux conclusions de fait.

D.                Alinéa 334.16(1)d) : le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit et de fait communs

(1)               La position de Mme Rae

[33]           Mme Rae soutient que le recours collectif est le meilleur moyen en l’espèce, parce qu’il respecte les critères énoncés au paragraphe 334.16(2) des Règles et favorise l’économie des ressources judiciaires, l’accès à la justice et la modification du comportement de la ministre.

[34]           Selon Mme Rae, le fait de désigner une personne à titre de seul représentant de tous les contribuables constitue un moyen logique et rentable et une solution à privilégier pour trancher la question soulevée en l’espèce. Mme Rae se fonde sur le fait que la Cour fédérale a déjà analysé la question sous‑jacente dans Ficek et qu’un nombre élevé de contribuables sont touchés par la politique de la ministre pour affirmer que le recours collectif constitue le meilleur moyen en l’espèce.

[35]           Mme Rae ajoute que, même si la question sous‑jacente a été soulevée dans plusieurs demandes par des contribuables, aucune de ces demandes n’a été tranchée, aucune n’a été autorisée comme recours collectif et aucune ne porte sur l’année d’imposition 2013.

[36]           De l’avis de Mme Rae, l’autorisation de la présente instance comme recours collectif permettra à tous les contribuables de profiter des avantages de la décision rendue dans Ficek, de résoudre la question sous‑jacente et de trancher la principale question de sa demande : la modification du comportement de la ministre.

(2)                                       La position de la ministre

[37]               La ministre allègue que Mme Rae n’a pas démontré que le recours collectif serait un moyen juste, efficace et pratique de faire progresser la demande ou qu’il serait préférable aux autres recours raisonnablement accessibles.

[38]           La ministre ajoute que la demande de mandamus présentée dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire devrait être une procédure sommaire, parce qu’elle peut assurer relativement rapidement l’instruction de l’affaire et que la requête en autorisation [traduction« alourdit ce processus ». En conséquence, il serait plus efficace de procéder par voie de contrôle judiciaire dans le dossier de Mme Rae et le règlement de sa demande pourrait s’avérer utile pour le traitement des demandes de crédit des autres contribuables touchés par le programme AFD.

[39]           La ministre ajoute que, si Mme Rae est exclue du groupe, le recours collectif prendra fin même si d’autres membres du groupe dont la déclaration de revenus n’a pas été traitée ont encore un intérêt dans le règlement de la question commune proposée. En conséquence, la ministre affirme que le recours collectif n’est pas le meilleur moyen de régler de façon juste et efficace la question commune proposée.

E.                 Alinéa 334.16(1)e)des Règles : qualité du représentant demandeur

(1)               La position de Mme Rae

[40]           Mme Rae soutient qu’elle est une représentante demanderesse acceptable aux fins du recours collectif proposé et qu’elle représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe, pour les raisons suivantes : (1) elle n’est pas un promoteur d’abris fiscaux très commercialisés fondés sur les dons et ne l’a jamais été; (2) elle est un contribuable typique; (3) elle s’est engagée à s’acquitter de ses responsabilités au profit de tous les membres du groupe; (4) elle n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe proposé; (5) elle a élaboré un plan d’action acceptable ; (6) elle a communiqué un sommaire de la convention intervenue entre elle et son avocat au sujet des honoraires.

[41]           Plus précisément, Mme Rae propose trois méthodes à utiliser pour donner avis de l’instance aux contribuables. Selon la première méthode, la Cour enjoindra à la ministre de communiquer à Mme Rae les noms et coordonnées de chaque membre du groupe afin que celle‑ci leur transmette l’avis d’instance. Si la ministre s’oppose à la première méthode proposée, Mme Rae propose une deuxième méthode selon laquelle la ministre s’engagera à transmettre l’avis d’instance à tous les contribuables. Selon la troisième méthode proposée, Mme Rae s’engagera à faire paraître l’avis d’instance dans les publications que la Cour estimera indiquées.

(2)               La position de la ministre

[42]           La ministre soutient que, pour déterminer si Mme Rae est en mesure de représenter de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe, la Cour doit examiner les motivations de celle‑ci, se demander si elle défendra avec vigueur et compétence les intérêts du groupe et examiner sa capacité d’assumer les frais qu’elle pourrait avoir à engager ainsi que la compétence de son avocat (Dutton, au paragraphe 41). La ministre affirme qu’un représentant acceptable doit contrôler le déroulement de l’instance, ce qu’il ne fait pas s’il reçoit de l’aide financière d’une tierce partie aux fins de l’instance. Selon la ministre, l’entente de financement par une tierce partie ne devrait pas être tenue secrète.

[43]           Mme Rae a refusé de répondre à quelques‑unes des questions de la ministre au cours de son contre‑interrogatoire, notamment des questions concernant le financement possible par une tierce partie. La ministre fait valoir que, compte tenu de ce refus, il est possible d’inférer qu’une tierce partie finance l’instance.

[44]           La ministre affirme que, si une tierce partie finance l’instance, il se pourrait que Mme Rae ait cédé le contrôle à cette tierce partie ou qu’elle lui ait permis d’exercer une influence sur le déroulement de l’instance, de sorte qu’elle ne serait pas une représentante adéquate, puisqu’elle ne contrôlerait pas le déroulement de l’instance.

[45]           La ministre ajoute que le plan d’action est inadéquat, parce qu’il ne traite pas des dépenses imprévues pouvant découler de l’instance. La ministre souligne aussi que la méthode de notification des membres du groupe serait fondée indûment sur la participation des contribuables ou sur les renseignements personnels de ceux‑ci. Selon la ministre, les première et deuxième méthodes que Mme Rae propose pour la communication de l’avis soulèvent des préoccupations fondées sur l’article 241 de la LIR et sur les articles 3, 7 et 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‑21. De l’avis de la ministre, les renseignements que Mme Rae sollicite ne sont pas nécessaires aux fins de l’application et de l’administration de la LIR et la présente affaire n’est pas une situation pour laquelle la communication des renseignements personnels devrait être autorisée conformément à la loi. Subsidiairement, la ministre affirme que, si la Cour conclut qu’il y a lieu d’utiliser les renseignements des contribuables pour la communication d’avis aux membres éventuels du groupe, la ministre devrait, par l’entremise de l’ARC, le faire de façon à restreindre l’ingérence.

[46]           La ministre soutient que le plan ne traite pas des questions qui pourraient demeurer non résolues et devraient être tranchées séparément. De plus, il ne traite pas des questions individuelles découlant du fait que, étant donné que les membres du groupe ont participé à différents abris fiscaux très commercialisés fondés sur les dons, il se pourrait que la vérification de ces abris ait lieu à des dates différentes.

[47]           La ministre ajoute que le plan d’action ne traite pas de la question du caractère théorique de l’instance. Ainsi, si le groupe est restreint de façon à couvrir les contribuables qui sont touchés par le programme AFD, mais dont la déclaration de revenus a été traitée avant l’instruction de la demande au fond, l’instance deviendra théorique et la Cour devra décider si elle permet que l’instance se poursuive. Cependant, Mme Rae n’a formulé aucune observation à ce sujet.

[48]           La ministre affirme que Mme Rae a un conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe proposé. De l’avis de la ministre, étant donné que le groupe défini par Mme Rae exclut les contribuables qui ont reçu leur avis de cotisation, elle s’est placée dans une situation de conflit d’intérêts possible. Effectivement, si elle reçoit un avis de cotisation dans l’intervalle, elle serait forcée d’abandonner l’instance au détriment des contribuables dont la déclaration de revenu n’aura pas encore été traitée.

[49]           Enfin, la ministre fait valoir que Mme Rae n’a pas présenté un sommaire satisfaisant de la convention relative aux honoraires, parce que le sommaire en question ne comporte pas suffisamment de détails pour permettre à la Cour ou à un membre du groupe de savoir si les honoraires sont raisonnables.

V.                Analyse

[50]           Le paragraphe 334.16(1) des Règles, qui est reproduit dans l’annexe jointe à la présente décision, énonce les cinq conditions qui doivent être réunies pour que la Cour autorise une demande comme recours collectif. La Cour doit vérifier si les conditions sont réunies en l’espèce.

[51]           Les principes généraux établis au sujet des recours collectifs en Colombie‑Britannique et en Ontario peuvent guider la Cour fédérale dans l’application des dispositions des Règles concernant les recours collectifs (Vézina c Canada (Défense nationale, Chef d’État Major), 2011 CF 79, au paragraphe 29 [Vézina]; Tihomirovs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 197, au paragraphe 45). En fait, l’article 334.16 des Règles est très semblable aux dispositions relatives aux recours collectifs des lois correspondantes de la Colombie‑Britannique et de l’Ontario (Class Proceeding Act, RSBC 1996, c 59; Loi de 1993 sur les recours collectifs, LO 1993, c 6).

[52]           Ainsi que l’a affirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt AIC Limited c Fisher, 2013 CSC 69, au paragraphe 48 [Fisher], il incombe à la partie qui cherche à faire autoriser une instance comme recours collectif d’établir un certain fondement factuel pour chacune des conditions d’autorisation. Ainsi, Mme Rae doit convaincre la Cour que les critères énoncés au paragraphe 334.16(1) des Règles sont respectés (Buffalo c Nation crie de Samson, 2010 CAF 165, au paragraphe 13).

[53]           Mme Rae doit prouver qu’il existe un « fondement factuel » à l’égard de chacune des conditions énoncées au paragraphe 334.16(1) des Règles, sauf en ce qui a trait à la condition selon laquelle les actes de procédure doivent révéler une cause d’action valable (Pro‑Sys Consultants Ltd c Microsoft Corporation, 2013 CSC 57, au paragraphe 102 [Pro‑Sys]; Hollick c Toronto (Ville), 2001 CSC 68, au paragraphe 25 [Hollick]).

A.                Alinéa 334.16(1)a) des Règles : cause d’action valable

[54]           Le critère à respecter pour qu’un acte de procédure révèle une cause d’action valable est peu élevé (Buffalo c Nation crie de Samson, 2008 CF 1308, au paragraphe 43 [Buffalo CF]). « [Un] acte de procédure ne devrait pas être radié parce qu’il ne révèle pas de cause d’action à moins qu’il soit [traduction] « manifeste et évident » qu’il n’y a lieu à aucune réclamation » (Hollick, au paragraphe 25).

[55]           Les parties conviennent qu’il y a une cause d’action valable et j’estime que tel est le cas.

B.                 Alinéa 334.16(1)b) des Règles : groupe identifiable formé d’au moins deux personnes

[56]           La définition du groupe doit être faite de manière objective et permettre à la Cour de déterminer si une personne donnée est visée par la définition en question. Le groupe ne doit pas être sans limites (Hollick, au paragraphe 17). De plus, il ne doit pas être « inutilement large, c’est‑à‑dire qu’on ne pourrait lui donner une définition plus étroite sans exclure arbitrairement des personnes ayant le même intérêt dans le règlement de la question commune » (Hollick, au paragraphe 21). La définition trop large ou trop restreinte n’empêche pas une instance d’être autorisée comme recours collectif, pourvu qu’elle ne soit pas illogique ou arbitraire (Ward Branch, Class Actions in Canada (Toronto (ONT) : Canada Law Book, 2014) (édition à feuilles mobiles mise à jour en 2014, mise à jour 38) ch 4, au paragraphe 4.250 [Branch]; voir également Hollick, au paragraphe 21).

[57]           Dans la présente affaire, je suis d’avis que l’exclusion des contribuables dont la déclaration de revenus est traitée avant l’instruction de la demande au fond est illogique ou arbitraire. Ces contribuables partagent le même intérêt dans le règlement de la question commune, qu’ils aient reçu ou non leur avis de cotisation. De plus, la définition exclut les contribuables qui ont produit leur déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2013 sans demander un crédit d’impôt pour don de bienfaisance à l’égard de leur participation à un abri fiscal très commercialisé fondé sur les dons en 2013, mais qui ont produit un formulaire de demande de redressement de la T1 après le traitement de leur déclaration afin de demander un crédit d’impôt pour don de bienfaisance à l’égard de leur participation à un abri de cette nature en 2013. Je suis donc d’avis que la définition du groupe est trop restrictive.

C.                 Alinéa 334.16(1)c) des Règles : points de droit ou de fait communs

[58]           Au paragraphe 108 de l’arrêt Pro‑Sys, la Cour suprême du Canada, renvoyant aux paragraphes 39 et 40 de la décision qu’elle avait rendue dans Dutton, a énuméré les paramètres établis par la juge en chef McLachlin pour l’examen de la question de savoir si les questions proposées aux fins du recours collectif respectent les exigences de l’alinéa 334.16(1)c) :

(1) Il faut aborder le sujet de la communauté en fonction de l’objet.

(2) Une question n’est « commune » que lorsque son règlement est nécessaire au règlement des demandes de chacun des membres du groupe.

(3) Il n’est pas essentiel que les membres du groupe soient tous dans la même situation par rapport à la partie adverse.

(4) Il n’est pas nécessaire que les questions communes l’emportent sur les questions non communes.  Les demandes des membres du groupe doivent toutefois partager un élément commun important afin de justifier le recours collectif.  Le tribunal évalue l’importance des questions communes par rapport aux questions individuelles.

(5) Le succès d’un membre du groupe emporte nécessairement celui de tous.  Tous les membres du groupe doivent profiter du dénouement favorable de l’action, mais pas nécessairement dans la même proportion.

[59]           Dans la présente affaire, le règlement de la question commune proposée par Mme Rae est nécessaire au règlement des demandes de chacun des membres du groupe, et chacun d’eux profitera du dénouement favorable de l’action. De plus, le règlement de la question présentée par Mme Rae à titre de question commune dans le cadre d’un recours collectif permettra « d’éviter la répétition dans l’appréciation des faits ou l’analyse juridique » (Dutton, au paragraphe 39).

[60]           Je conviens avec la ministre que la décision qu’a rendue le juge Phelan dans Ficek concerne les faits de cette affaire et j’estime que les conclusions de fait et le raisonnement invoqués dans cette décision ne peuvent être transposés en l’espèce. Cependant, je ne vois pas en quoi cette décision pourrait avoir une incidence sur l’appréciation de la question commune proposée qui est décrite en l’espèce. À mon avis, les conclusions de fait tirées dans la décision Ficek ne sont pas en soi, de par la question formulée, pertinentes.

[61]           En conséquence, je conclus que la question proposée par Mme Rae constitue un point de droit ou de fait commun qui remplit la condition énoncée à l’alinéa 334.16(1)c) des Règles.

D.                Alinéa 334.16(1)d) : le meilleur moyen de régler de manière juste et équitable les points de droit ou de fait communs

[62]           La Cour suprême du Canada a décidé que, pour déterminer si le recours collectif serait le meilleur moyen, il faut comparer ce recours aux autres voies procédurales possibles en conservant à l’esprit les trois objectifs des recours collectifs : l’accès à la justice, la modification des comportements et l’économie des ressources judiciaires (Fisher, au paragraphe 16). Le paragraphe 334.16(2) des Règles, reproduit dans l’annexe jointe aux présents motifs, dresse une liste non exhaustive des facteurs à prendre en compte pour décider si le recours collectif est le « meilleur moyen ».

[63]           Dans l’arrêt Hollick, la Cour suprême du Canada a précisé que, pour satisfaire à la condition énoncée à l’alinéa 334.16(1)d) des Règles, la partie qui demande l’autorisation doit démontrer (1) que le recours collectif serait un moyen juste, efficace et pratique de faire progresser l’instance et (2) que le recours collectif serait préférable à tous les autres moyens raisonnables offerts pour régler les demandes des membres du groupe (Hollick, aux paragraphes 28 et 31). Ainsi, selon cette condition :

[traduction] « [i]l n’est pas nécessaire de démontrer qu’il serait impossible pour chaque membre d’engager des poursuites séparément afin de justifier l’autorisation de l’instance comme recours collectif, mais simplement qu’il serait difficile de le faire dans les circonstances, en raison, notamment, du nombre de membres que compte le groupe (Branch, au paragraphe 4.1030)

[64]           J’examinerai maintenant à tour de rôle les facteurs énoncés au paragraphe 334.16(2) des Règles.

(1)               La prédominance selon l’alinéa 334.16(2)a) des Règles

[65]           Dans la présente affaire, Mme Rae n’a proposé qu’un seul point de droit ou de fait commun. La ministre n’a mentionné qu’une seule question qui nécessitera une appréciation individuelle : si la Cour conclut que la justification invoquée pour retarder le traitement des déclarations de revenus n’était pas raisonnable, la Cour devra décider si la ministre prend tout simplement trop de temps pour traiter les déclarations, selon l’abri fiscal donné auquel le membre du groupe a participé. Comme la Cour fédérale l’a mentionné dans Buffalo CF, pour savoir si les points de droit ou de fait communs prédominent sur ceux qui ne concernent qu’un membre, la Cour doit déterminer « s’il existe des questions communes dont le règlement permettrait de faire progresser l’instance » (Buffalo CF, aux paragraphes 100 et 130). Je suis d’avis que le règlement de la question commune proposée par Mme Rae permettra de répondre à la question qui est au cœur des demandes que formuleraient les membres du groupe et que toute question individuelle qui resterait pourrait être tranchée de manière efficace par le juge qui instruirait le recours collectif. En conséquence, je suis d’avis que ce facteur milite en faveur de la conclusion que le recours collectif est le meilleur moyen en l’espèce.

(2)               Membres du groupe ayant un intérêt légitime à poursuivre des instances séparées selon l’alinéa 334.16(2)b) des Règles

[66]           La seule observation des parties au sujet de cette question a été formulée par la ministre et concerne la possibilité que le recours collectif prenne fin si Mme Rae fait l’objet d’une cotisation avant le règlement de la question de fait commune proposée. Effectivement, la ministre invoque le fait que Mme Rae a restreint la définition du groupe de façon à exclure les contribuables dont la déclaration de revenus est traitée avant l’instruction de la demande au fond.

[67]           Cependant, il serait possible de présenter une requête visant à révoquer Mme Rae à titre de représentante demanderesse et à la remplacer par un autre membre du groupe ou à annuler l’autorisation de l’instance comme recours collectif si une cotisation est effectivement établie à son endroit avant l’instruction de la demande au fond, afin d’empêcher que le recours collectif ne prenne fin (Grant c Canada (Attorney General), [2009] OJ No 5232, au paragraphe 136 (SJON)).

[68]           En conséquence, rien ne prouve que le groupe compte un nombre important de membres qui ont un intérêt légitime à poursuivre des instances séparées; je conclus donc que ce facteur milite en faveur de la conclusion que le recours collectif est le meilleur moyen en l’espèce.

(3)               Réclamations ayant fait ou faisant l’objet d’autres instances selon l’alinéa 334.16(2)c) des Règles

[69]           Tel qu’il est mentionné plus haut, Mme Rae soutient que plusieurs demandes ont été déposées par des contribuables à l’égard de la question commune soulevée en l’espèce, mais qu’aucune de ces demandes n’a été tranchée de façon définitive, aucune n’a été autorisée comme recours collectif et aucune ne porte sur l’année d’imposition 2013. La ministre ne formule aucune observation au sujet de ce facteur.

[70]           Pour la simple raison que le présent recours collectif proposé concerne l’année d’imposition 2013 et que les parties n’ont mentionné aucune autre demande déposée à cet égard, j’estime que ce facteur milite en faveur de la conclusion qu’un recours collectif est le meilleur moyen en l’espèce.

(4)               L’aspect pratique comparatif selon les alinéas 334.16(2)d) et e) des Règles

[71]           La ministre soutient que le recours collectif serait moins efficace qu’une instance individuelle, invoquant à cet égard le paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, qui énonce que le contrôle judiciaire est une procédure sommaire. Selon la ministre, le contrôle judiciaire [traduction« peut assurer relativement rapidement l’instruction de l’affaire [et la requête en autorisation de la demande comme recours collectif] alourdit ce processus. »

[72]           Mme Rae pourrait solliciter une réparation au moyen d’une demande de contrôle judiciaire qui serait probablement instruite plus rapidement qu’un recours collectif. Je conviens avec la ministre que le règlement de la présente demande pourrait s’avérer utile pour le traitement des demandes des autres contribuables.

[73]           Cependant, je ne partage pas le point de vue de la ministre selon lequel la tenue d’instances séparées serait plus efficace que le recours collectif. La ministre n’a présenté aucun élément de preuve montrant que le recours collectif occasionnerait plus de difficultés que les autres voies judiciaires possibles. Tous les autres contribuables qui sont touchés par cette même question seraient tenus de porter séparément celle‑ci devant la Cour fédérale et, eu égard au nombre de ces contribuables, je ne puis conclure que cette option serait plus efficace que le recours collectif. En conséquence, conservant à l’esprit l’objectif des recours collectifs (accès à la justice, modification des comportements et économie des ressources judiciaires), je suis d’avis que ce facteur milite en faveur la conclusion que le recours collectif est le meilleur moyen en l’espèce.

[74]           En conséquence, j’estime que le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, la question commune soulevée en l’espèce.

E.                 Alinéa 334.16(1)e) des Règles : qualité du représentant demandeur

[75]           Lorsque Mme Rae a été contre‑interrogée, son avocat s’est opposé aux questions liées au financement par une tierce partie au motif que ces questions n’étaient pas pertinentes. La ministre invoque ce fait pour soutenir que certaines préoccupations existent au sujet de l’indépendance de Mme Rae.

[76]           Dans le jugement Fairview Donut Inc c The TDL Group Corp, 2012 ONSC 1252 [Fairview], le juge Strathy, de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, a conclu que le financement par une tierce partie [traduction« pourrait être une raison de douter de l’indépendance et de la qualité du représentant demandeur » (Fairview, au paragraphe 358). Au cours de leur contre‑interrogatoire, les demandeurs avaient refusé de répondre à des questions concernant l’existence d’ententes avec une tierce partie au sujet du financement du procès. Le juge Strathy a conclu qu’avant que la requête en autorisation soit accueillie, le représentant du groupe devrait répondre aux questions concernant le financement par une tierce partie (Fairview, au paragraphe 364). En fait, le financement par une tierce partie soulève des préoccupations au sujet de la personne qui contrôle le déroulement de l’instance (Fehr c Sun Life Assurance Company of Canada, 2012 ONSC 2715, au paragraphe 139).

[77]           Eu égard à ce qui précède, je suis d’avis que le refus par Mme Rae de répondre à ces questions soulève des préoccupations.

[78]           Afin de démontrer qu’elle pourrait représenter de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe, Mme Rae doit prouver qu’elle a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement.

[79]           À l’étape de l’autorisation, la Cour n’examinera pas en détail le plan pour savoir s’il est adéquat et permettrait de faire progresser l’affaire jusqu’à l’instruction sans être modifié. Dans Buffalo CF, la Cour fédérale a énoncé, au paragraphe 151, une liste non exhaustive des éléments que doit couvrir le plan de déroulement de l’instance :

(i) les mesures qui seront prises pour déterminer l’identité des témoins nécessaires, les trouver et recueillir leur preuve;

(ii) la collecte des documents pertinents auprès des membres du groupe et d’autres personnes;

(iii) l’échange et la gestion des documents produits par toutes les parties;

(iv) la remise d’un rapport régulier aux membres du groupe;

(v) les mécanismes permettant de répondre aux questions des membres du groupe;

(vi) la probabilité qu’un interrogatoire préalable soit tenu auprès de certains membres du groupe et, dans l’affirmative, la procédure envisagée à cette fin;

(vii) la nécessité de recourir à des experts et, dans l’affirmative, les mesures à prendre pour les trouver et retenir leurs services;

(viii) les mesures envisagées pour résoudre les questions individuelles qui demeureront encore en litige après le règlement des questions communes, le cas échéant;

(ix) la façon dont les indemnités et autres formes de réparation seront évaluées ou déterminées une fois que les questions communes auront été tranchées.

[80]           Le plan d’action doit démontrer que le demandeur et son avocat « ont réfléchi au déroulement de l’instance et […] en saisissent les complexités » (Buffalo CF, au paragraphe 148). Cependant, un tel plan peut être jugé adéquat même s’il n’est pas suffisamment détaillé et la Cour peut accorder l’autorisation de réviser le plan lorsque les autres conditions d’autorisation sont remplies (voir Glover c Toronto (City) (2009), 176 ACWS (3d) 947, au paragraphe 97 (CSJO); Branch, au paragraphe 4.590). La question de savoir jusqu’à quel point le plan doit être détaillé dépend de la nature, de la portée et de la complexité du litige (Buffalo CF, au paragraphe 150).

[81]           Dans le plan d’action qu’elle a présenté, Mme Rae propose trois méthodes à utiliser pour informer les membres du groupe de l’instance et prévoit les délais par la mention de mesures procédurales générales. À mon avis, ce plan ne respecte pas les conditions énoncées dans la jurisprudence. Je ne suis pas convaincue non plus que Mme Rae représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe.

[82]           Mme Rae doit également communiquer un sommaire des conventions intervenues entre elle et son avocat au sujet des honoraires et des débours afin de prouver qu’elle est une représentante demanderesse acceptable. Comme l’a expliqué le juge De Montigny, de la Cour fédérale, au paragraphe 57 de la décision Vézina, l’objet de cette communication est de :

[permettre] à un membre de décider s’il entend s’exclure du groupe ou s’il entend chercher à faire modifier la convention d’honoraires puisque cette convention liera tous les membres du groupe et affectera le montant de la réparation qu’ils pourraient obtenir alors même qu’ils n’ont pas participé à la négociation de la convention.

[83]           À mon avis, la convention relative aux honoraires que Mme Rae a présentée ne permet pas de savoir si les honoraires sont raisonnables. En fait, la lettre fait état du taux horaire de l’avocat inscrit au dossier et de celui des autres membres du personnel. Cependant, cette convention n’est pas suffisante pour permettre aux membres du groupe de déterminer le montant qu’ils devront verser chaque mois à l’avocat inscrit au dossier. En conséquence, j’estime que la convention relative aux honoraires que Mme Rae a présentée ne remplit pas la condition énoncée au sous‑alinéa 334.16(1)e)(iv).

[84]           Eu égard à ce qui précède, je ne puis conclure que Mme Rae représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe. Étant donné que cette condition n’est pas remplie, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de la méthode qu’il convient de suivre pour donner avis de l’instance aux membres du groupe.

VI.             Conclusion

[85]           Dans la présente affaire, je suis d’avis que Mme Rae n’a pas respecté les critères énoncés au paragraphe 334.16(1). Plus précisément, elle ne remplit pas la condition prévue à l’alinéa 334.16(1)b) des Règles, parce qu’elle n’a pas identifié en bonne et due forme un groupe formé d’au moins deux personnes. De plus, certaines questions demeurent sans réponse en ce qui concerne son indépendance. En conséquence, je ne puis conclure que Mme Rae est une représentante demanderesse acceptable au sens de l’alinéa 334.16(1)e) des Règles. De plus, le plan d’action et la convention relative aux honoraires que Mme Rae a présentés ne sont pas suffisamment précis et détaillés pour satisfaire aux exigences des Règles et la jurisprudence.

[86]           En conséquence, je rejetterai la requête.

[87]           Chacune des parties supportera ses propres dépens dans la présente requête.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la requête est rejetée sans frais.

« Martine St‑Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.




Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106

Par un membre du groupe

334.12 (1) Malgré la règle 302, une action ou une demande peut être introduite par un membre d’un groupe de personnes au nom du groupe, auquel cas la mention « Recours collectif — envisagé » est placée en tête de l’acte introductif d’instance.

Présentation d’une requête en autorisation

(2) Le membre présente une requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif et de se faire nommer représentant demandeur.

[…]

Conditions

334.16 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une instance comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux‑ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

e) il existe un représentant demandeur qui :

(i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe,

(ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement,

(iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs,

(iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

Facteurs pris en compte

(2) Pour décider si le recours collectif est le meilleur moyen de régler les points de droit ou de fait communs de façon juste et efficace, tous les facteurs pertinents sont pris en compte, notamment les suivants :

a) la prédominance des points de droit ou de fait communs sur ceux qui ne concernent que certains membres;

b) la proportion de membres du groupe qui ont un intérêt légitime à poursuivre des instances séparées;

c) le fait que le recours collectif porte ou non sur des réclamations qui ont fait ou qui font l’objet d’autres instances;

d) l’aspect pratique ou l’efficacité moindres des autres moyens de régler les réclamations;

e) les difficultés accrues engendrées par la gestion du recours collectif par rapport à celles associées à la gestion d’autres mesures de redressement.

[…]


Federal Courts Rules, SOR/98‑106

By class member

334.12 (1) Despite rule 302, a member of a class of persons may commence an action or an application on behalf of the members of that class, in which case the originating document shall be prefaced by the heading “Proposed Class Proceeding”.

Motion for certification of proceeding

(2) The member shall bring a motion for the certification of the proceeding as a class proceeding and for the appointment of the member as representative plaintiff or applicant.

[…]

Conditions

334.16 (1) Subject to subsection (3), a judge shall, by order, certify a proceeding as a class proceeding if

(a) the pleadings disclose a reasonable cause of action;

(b) there is an identifiable class of two or more persons;

(c) the claims of the class members raise common questions of law or fact, whether or not those common questions predominate over questions affecting only individual members;

(d) a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact; and

(e) there is a representative plaintiff or applicant who

(i) would fairly and adequately represent the interests of the class,

(ii) has prepared a plan for the proceeding that sets out a workable method of advancing the proceeding on behalf of the class and of notifying class members as to how the proceeding is progressing,

(iii) does not have, on the common questions of law or fact, an interest that is in conflict with the interests of other class members, and

(iv) provides a summary of any agreements respecting fees and disbursements between the representative plaintiff or applicant and the solicitor of record.

Matters to be considered

(2) All relevant matters shall be considered in a determination of whether a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact, including whether

(a) the questions of law or fact common to the class members predominate over any questions affecting only individual members;

(b) a significant number of the members of the class have a valid interest in individually controlling the prosecution of separate proceedings;

(c) the class proceeding would involve claims that are or have been the subject of any other proceeding;

(d) other means of resolving the claims are less practical or less efficient; and

(e) the administration of the class proceeding would create greater difficulties than those likely to be experienced if relief were sought by other means.

[…]

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

T‑1971‑14

 

INTITULÉ :

ROSE MARIE JOAN RAE c MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

ledécembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge ST‑LOUIS

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 3 juin 2015

COMPARUTIONS :

Joseph W.L. Griffiths

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Arnold H. Bornstein

POUR La ministre

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dorif Law Office Professional Corporation, Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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