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Date : 20150529


Dossier : IMM-5664-14

Référence : 2015 CF 694

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

BUSHRA AZIZ

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée sur le fondement du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] de la décision datée du 10 juin 2014 par laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi (agent d’ERAR) a rejeté la deuxième demande d’examen des risques avant renvoi (demande d’ERAR) déposée par la demanderesse.

II.                Contexte

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Pakistan âgée de 58 ans et membre de la communauté ahmadiyya, un groupe religieux issu de l’islam, mais considéré comme non musulman par de nombreux musulmans et par le gouvernement pakistanais. Craignant d’être persécutée en raison de sa religion, la demanderesse est venue au Canada en août 2005 et a demandé l’asile en février 2006. En janvier 2007, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a conclu que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La SPR était préoccupée par les incohérences contenues dans le témoignage de la demanderesse et par les éléments de preuve qui semblaient indiquer que la demanderesse n’éprouvait pas la crainte subjective nécessaire.

[3]               En octobre 2007, un agent d’ERAR a rejeté la première demande d’ERAR de la demanderesse.

[4]               La demanderesse soutient qu’elle et sa famille ont été persécutées au Pakistan en raison de leur confession ahmadiyya. La demanderesse affirme que la discrimination qu’elle et sa famille subissaient était légère du vivant de son époux, parce que celui‑ci travaillait comme agent de police. Toutefois, la situation a empiré après la mort de son époux en 2003. La demanderesse allègue qu’elle et ses enfants : i) faisaient régulièrement l’objet de violence verbale et de menaces proférées par les fondamentalistes, ii) ont été menacés de mort et d’enlèvement au téléphone; et (iii) avaient de la difficulté à pratiquer leur religion à cause des actes haineux commis contre des mosquées ahmadies.

[5]               En août 2005, la demanderesse a obtenu un visa canadien et s’est rendue au Canada. Ses sept enfants se seraient enfuis du Pakistan, et trois d’entre eux ont obtenu l’asile au Royaume‑Uni et en Allemagne.

III.             Décision

[6]               L’agent d’ERAR a reconnu que la demanderesse était une musulmane ahmadie qui avait eu de la difficulté à pratiquer sa religion au Pakistan. Toutefois, l’agent d’ERAR a estimé que les facteurs de risque survenus depuis le premier ERAR ne suffisaient pas pour lui permettre d’accueillir la demande d’ERAR. L’agent d’ERAR a jugé que les documents du Home Office du Royaume‑Uni indiquant que l’asile avait été accordé à trois des enfants de la demanderesse ne lui donnaient pas l’information dont il avait besoin pour tirer une conclusion sur le fondement des allégations de la demanderesse. L’agent d’ERAR a aussi tenu compte du fait que la demanderesse n’était pas une femme sans protection au Pakistan, car le neveu de celle‑ci, un homme d’affaires prospère, offrait du soutien financier à la demanderesse et à sa famille.

[7]               De plus, d’après son examen de la documentation sur le pays, l’agent d’ERAR a conclu que [traduction] « la situation au Pakistan pour les musulmans ahmadis n’a guère changé depuis le dernier ERAR ». L’agent d’ERAR a aussi déterminé que les éléments de preuve ne suffisaient pas à établir que la demanderesse était personnellement exposée à un risque de préjudice. Par conséquent, l’agent d’ERAR a conclu que la demanderesse [traduction] « ne serait pas exposée à plus qu’une simple possibilité de persécution ».

IV.             Question en litige

[8]               L’affaire soulève la question suivante :

  1. L’agent d’ERAR a‑t‑il commis une erreur en concluant que la demanderesse ne serait pas exposée au risque d’être soumise à la torture ou persécutée, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle était expulsée au Pakistan?

V.                Analyse

[9]               Les parties conviennent, et je suis du même avis, que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Il est bien établi en droit que les conclusions d’un agent d’ERAR commandent une grande retenue : James c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 318, aux paragraphes 16 et 17; Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1385, au paragraphe 10. Néanmoins, une évaluation des risques ne peut être raisonnable si elle a été faite sans égard à la preuve : Lakhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 656, au paragraphe 35; Ariyathurai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 716, aux paragraphes 6 et 7; Ramon Alcaraz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 639, au paragraphe 10.

[10]           Les parties reconnaissent également que l’agent d’ERAR n’avait pas pour rôle de réexaminer les éléments de preuve qui avaient déjà été appréciés dans le contexte de la demande d’asile ou de la première demande d’ERAR de la demanderesse, mais devait plutôt s’intéresser aux changements importants qui étaient survenus dans la situation au pays ou dans les circonstances personnelles de la demanderesse depuis le premier ERAR effectué en 2007 : Cupid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 176, au paragraphe 4; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 11, au paragraphe 24.

[11]           Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas réussi à établir que la situation des musulmans ahmadis au Pakistan avait empiré depuis 2007. Le défendeur estime que [traduction] « le seul changement survenu dans la situation personnelle de la demanderesse, c’est le fait que l’asile a été accordé à ses fils au Royaume‑Uni ». Le défendeur ajoute que la demanderesse n’a pas établi de lien entre sa situation personnelle et le risque général auquel les Ahmadis sont exposés au Pakistan.

[12]           La demanderesse soutient, et je suis d’accord avec elle, que l’agent d’ERAR a commis une erreur en concluant que la situation des Ahmadis au Pakistan n’avait pas changé depuis 2007, et que la demanderesse n’avait pas établi de lien direct entre la preuve et ses circonstances personnelles.

[13]           La preuve documentaire révèle clairement ce qui suit :

  1. La liberté religieuse s’est détériorée au Pakistan depuis 2010, et les Ahmadis sont les plus touchés (voir par exemple les violentes attaques perpétrées contre les Ahmadis, les lois discriminatoires et la vente forcée de propriétés religieuses par le gouvernement) : U.S. Commission on International Religious Freedom, Annual Report 2013, mai 2013; Commission des droits de la personne de l’Asie, citée dans le U.K. Home Office, Country of Origin Information (COI) Report : Pakistan, août 2013, au paragraphe 19.05;
  2. L’État du Pakistan ne considère pas l’assassinat d’Ahmadis comme un crime : Commission des droits de la personne de l’Asie, citée dans le U.K. Home Office, Country of Origin Information (COI) Report : Pakistan, août 2013, au paragraphe 19.05;
  3. Le climat de violence (torture, attentats à la bombe, assassinats, etc.) à l’encontre des Ahmadis a empiré depuis 2010 : UNHCR Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Members of Religious Minorities from Pakistan, mai 2012, aux pages 21 et 22; U.K. Home Office, Country of Origin Information (COI) Report : Pakistan, août 2013, au paragraphe 19.157; Human Rights Watch, Pakistan : Prosecute Ahmadi Massacre Suspects, 27 mai 2012;
  4. [traduction] « Les victimes de violence sont le plus souvent des femmes issues de minorités religieuses » : U.K. Home Office, Country of Origin Information (COI) Report : Pakistan, août 2013, au paragraphe 19.11.

[14]           Ces documents révèlent qu’en 2010 et en 2011, des centaines d’Ahmadis ont été assassinés pendant des cérémonies religieuses pacifiques, et que les assassinats ciblés d’Ahmadis ont été perpétrés sous les ordres de chefs religieux.

[15]           L’analyse de la preuve documentaire effectuée par l’agent d’ERAR semble se limiter à une note de bas de page qui renvoie à une directive opérationnelle du Home Office du Royaume‑Uni. Ce document ne contredit pas la preuve montrant que la persécution des musulmans ahmadis a empiré depuis 2010. Je sais bien que les conclusions de l’agent d’ERAR commandent la retenue. Cependant, la preuve ne soutient tout simplement pas la conclusion de l’agent d’ERAR selon laquelle [traduction] « la situation au Pakistan pour les musulmans ahmadis n’a guère changé depuis [2007] ».

[16]           Le défendeur souligne également que la demanderesse n’a pas réussi à établir de lien entre les conditions générales au Pakistan pour les Ahmadis et ses circonstances personnelles. À mon avis, le fait que l’agent d’ERAR a retenu que la demanderesse et sa famille avaient éprouvé de la difficulté à pratiquer leur religion au Pakistan suffit à établir ce lien. En outre, la demanderesse a produit des éléments de preuve indiquant que, pour des raisons de sécurité, les femmes et les enfants ahmadis ne pouvaient plus fréquenter de mosquée au Pakistan depuis mai 2010.

VI.             Conclusion

[17]           À mon avis, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.      La présente demande est accueillie, et la décision du 10 juin 2014 de l’agent d’ERAR est annulée.

2.      La demande d’examen des risques avant renvoi de la demanderesse est renvoyée à un autre agent d’ERAR pour nouvelle évaluation.

3.      Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5664-14

 

INTITULÉ :

BUSHRA AZIZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Mme Georgina Murphy

POUR LA DEMANDERESSE

 

Mme Nicole Rahaman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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