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Date : 20150602


Dossier : T‑1820‑14

Référence : 2015 CF 697

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 2 juin 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

KINGSLEY BOATENG

demandeur

et

LA COMMISSION DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le demandeur sollicite, en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch. F‑7, le contrôle judiciaire de la décision par laquelle, le 25 juillet 2014, la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la Commission] a rejeté la demande de suspension de son casier judiciaire présentée en vertu de l’article 3 de la Loi sur le casier judiciaire, LRC 1985, c C‑47 [la Loi].

II.                Les faits

[2]               Le 17 mai 1993, en vertu de l’alinéa 267(1)b) du Code criminel, le demandeur a été déclaré capable de voies de fait causant des lésions corporelles. Il a été condamné à une peine discontinue de 90 jours d’emprisonnement assortie d’une période de probation de deux ans.

[3]               Le 30 mai 2000, le demandeur a bénéficié d’une réhabilitation.

[4]               Entre 2008 et 2010, le demandeur a été accusé des infractions suivantes : voies de fait; défaut ou refus d’obtempérer à une demande de fournir un échantillon et conduite avec facultés affaiblies; profération de menaces; harcèlement criminel; vol de moins de 5 000 $; emploi de documents contrefaits; entrave à un agent de la paix, et il a fait l’objet de neuf accusations relativement à des documents portant des marques contrefaites (notamment des permis de conduire du Québec et des cartes d’assurance sociale); et de vol de moins de 5 000 $.

[5]               Par conséquent, le pardon accordé au demandeur a été révoqué en mars 2012.

[6]               Le 15 octobre 2012, le demandeur a déposé une demande de suspension de son casier judiciaire. Le 25 juillet 2014, sa demande a été rejetée par la Commission.

III.             La décision contestée

[7]               Par lettre datée du 25 juillet 2014, la Commission se propose de ne pas ordonner la suspension du casier judiciaire du demandeur, et donne à celui‑ci l’occasion de répondre aux préoccupations de la Commission.

[8]               La Commission se penche sur les observations écrites du demandeur, datées du 12 juin 2014, au sujet des accusations portées contre lui entre 2008 et 2009, et fait remarquer que :

[traduction]
Dans votre lettre du mois de juin 2014, vous reconnaissez avoir agressé votre épouse en avril 2009, reconnaissez avoir commis une infraction lorsqu’en mai 2009 vous avez été arrêté, car vous sentiez l’alcool, reconnaissez avoir, en novembre 2009, menacé votre ancienne petite amie de la battre, et pris son sac et son téléphone cellulaire, et reconnaissez avoir contrefait des documents obtenus de source douteuse et avoir en outre volé la boîte appartenant à la Légion canadienne et contenant des dons destinés à la Campagne nationale du coquelicot.

Certes, vous regrettez ces infractions, mais le fait est que vous les avez commises.

La Commission prend note de votre franchise, mais ne saurait admettre ce que vous avez fait.

[9]               Dans son analyse, la Commission conclut que les infractions commises par le demandeur ne sont pas le fait [traduction] « d’un citoyen respectueux des lois et qui se comporte en conséquence » et que bien que le demandeur ait été acquitté, ou qu’il ait bénéficié d’une absolution inconditionnelle, d’une remise en liberté ou du retrait des accusations, il reconnaît néanmoins avoir commis ces actes criminels. La Commission relève par ailleurs que certaines des infractions en question étaient accompagnées de violences et que le demandeur a reconnu fréquenter [traduction] « la pègre » (décision de la Commission, dossier du demandeur, aux pages 7 et 8).

[10]           La Commission a conclu que le demandeur ne répondait pas aux critères de bonne conduite prévus dans la Loi :

[traduction]
La Commission doit d’abord vérifier si, depuis le crime que vous avez commis en 1993, vous vous êtes bien conduit. Étant donné les faits que vous avez reconnus, les rapports de police et des preuves irréfutables, et compte tenu de la nature de certaines des infractions que vous avez commises et du début de traitement ou de thérapie démontrant à la Commission que vous avez pris des mesures en vue de modifier votre comportement, la Commission ne peut que confirmer sa décision antérieure et conclure que, depuis 1993, vous ne vous êtes pas bien conduit, que vous ne répondez donc pas au critère de bonne conduite énoncé dans la Loi et que votre demande de suspension de votre casier judiciaire doit être par conséquent rejetée.

(Décision de la Commission, dossier du demandeur, à la page 9)

IV.             Dispositions légales applicables

[11]           La Loi contient des dispositions encadrant la suspension d’un casier judiciaire :

Attributions

Jurisdiction of the Board

2.1 La Commission a toute compétence et latitude pour ordonner, refuser ou révoquer la suspension du casier.

2.1 The Board has exclusive jurisdiction and absolute discretion to order, refuse to order or revoke a record suspension.

Effet de la suspension du casier

Effect of record suspension

2.3 La suspension du casier :

2.3 A record suspension

a) d’une part, établit la preuve des faits suivants :

(a) is evidence of the fact that

      (i) la Commission, après avoir mené les enquêtes, a été convaincue que le demandeur s’était bien conduit,

      (i) the Board, after making inquiries, was satisfied that the applicant was of good conduct, and

      (ii) la condamnation en cause ne devrait plus ternir la réputation du demandeur;

      (ii) the conviction in respect of which the record suspension is ordered should no longer reflect adversely on the applicant’s character; and

b) d’autre part, sauf cas de révocation ultérieure ou de nullité, entraîne le classement du dossier ou du relevé de la condamnation à part des autres dossiers judiciaires et fait cesser toute incapacité ou obligation — autre que celles imposées au titre des articles 109, 110, 161, 259, 490.012, 490.019 ou 490.02901 du Code criminel, du paragraphe 147.1(1) ou des articles 227.01 ou 227.06 de la Loi sur la défense nationale ou de l’article 36.1 de la Loi sur le transfèrement international des délinquants — que la condamnation pouvait entraîner en vertu d’une loi fédérale.

(b) unless the record suspension is subsequently revoked or ceases to have effect, requires that the judicial record of the conviction be kept separate and apart from other criminal records and removes any disqualification or obligation to which the applicant is, by reason of the conviction, subject under any Act of Parliament — other than section 109, 110, 161, 259, 490.012, 490.019 or 490.02901 of the Criminal Code, subsection 147.1(1) or section 227.01 or 227.06 of the National Defence Act or section 36.1 of the International Transfer of Offenders Act.

Demandes de suspension du casier

Application for record suspension

3. (1) Sous réserve de l’article 4, toute personne condamnée pour une infraction à une loi fédérale peut présenter une demande de suspension du casier à la Commission à l’égard de cette infraction et un délinquant canadien — au sens de la Loi sur le transfèrement international des délinquants — transféré au Canada par application de cette loi peut présenter une demande de suspension du casier à la Commission à l’égard de l’infraction dont il a été déclaré coupable.

3. (1) Subject to section 4, a person who has been convicted of an offence under an Act of Parliament may apply to the Board for a record suspension in respect of that offence, and a Canadian offender, within the meaning of the International Transfer of Offenders Act, who has been transferred to Canada under that Act may apply to the Board for a record suspension in respect of the offence of which he or she has been found guilty.

Suspension du casier

Record suspension

4.1 (1) La Commission peut ordonner que le casier judiciaire du demandeur soit suspendu à l’égard d’une infraction lorsqu’elle est convaincue :

4.1 (1) The Board may order that an applicant’s record in respect of an offence be suspended if the Board is satisfied that

a) que le demandeur s’est bien conduit pendant la période applicable mentionnée au paragraphe 4(1) et qu’aucune condamnation, au titre d’une loi du Parlement, n’est intervenue pendant cette période;

(a) the applicant, during the applicable period referred to in subsection 4(1), has been of good conduct and has not been convicted of an offence under an Act of Parliament; and

b) dans le cas d’une infraction visée à l’alinéa 4(1)a), que le fait d’ordonner à ce moment la suspension du casier apporterait au demandeur un bénéfice mesurable, soutiendrait sa réadaptation en tant que citoyen respectueux des lois au sein de la société et ne serait pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

(b) in the case of an offence referred to in paragraph 4(1)(a), ordering the record suspension at that time would provide a measurable benefit to the applicant, would sustain his or her rehabilitation in society as a law-abiding citizen and would not bring the administration of justice into disrepute.

Fardeau du demandeur

Onus on applicant

(2) Dans le cas d’une infraction visée à l’alinéa 4(1)a), le demandeur a le fardeau de convaincre la Commission que la suspension du casier lui apporterait un bénéfice mesurable et soutiendrait sa réadaptation en tant que citoyen respectueux des lois au sein de la société.

(2) In the case of an offence referred to in paragraph 4(1)(a), the applicant has the onus of satisfying the Board that the record suspension would provide a measurable benefit to the applicant and would sustain his or her rehabilitation in society as a law-abiding citizen.

V.                Question en litige

[12]           La demande de contrôle judiciaire soulève la question suivante : la décision de la Commission de refuser d’ordonner la suspension du casier judiciaire du demandeur était-elle raisonnable?

VI.             Analyse

[13]           Dans le cadre de la décision en cause, qui relevait de la compétence exclusive de la Commission, celle-ci était appelée à évaluer les faits qui sous-tendent la demande de suspension du casier judiciaire présentée par le demandeur. La norme de contrôle applicable à cette décision est celle de la décision raisonnable (Foster c Canada (Procureur général), 2013 CF 306, au paragraphe 18).

[14]           Ainsi, le contrôle judiciaire de la décision de la Commission commande une grande retenue de la part de la Cour.

[15]           Selon le paragraphe 4.1(1) de la Loi, la Commission peut ordonner la suspension d’un casier judiciaire si elle est convaincue que le demandeur s’est bien conduit. Ce concept de « bonne conduite » n’est pas défini clairement dans la Loi et repose sur l’appréciation des faits par la Commission, laquelle appréciation relève purement de sa compétence (Saini c Canada (Procureur général), 2014 CF 375, au paragraphe 26; Conille c Canada (Procureur général), [2003] ACF 828, au paragraphe 22).

[16]           En outre, il incombe au demandeur de démontrer l’existence des éléments du critère conjonctif prévu aux alinéas 4.1(1)a) et b) de la Loi.

[17]           Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur de fait et de droit lorsqu’elle a omis de prendre en compte l’ensemble des éléments de preuve dont elle disposait, ce qui a rendu sa décision déraisonnable. En particulier, le demandeur soutient que la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve suivants : sa participation à un programme de réadaptation et de prévention de la criminalité, la renouvelée du demandeur avec la foi chrétienne, la poursuite d’études supérieures en soins infirmiers.

[18]           Après un examen approfondi de la décision de la Commission, des arguments des parties et de l’ensemble du dossier de preuve, la Cour ne trouve aucun fondement sur lequel elle peut intervenir. Il entrait nettement dans les compétences de la Commission de soupeser les facteurs pertinents et de tirer ses conclusions au vu des circonstances particulières de l’affaire (M.Y. c Canada (Procureur général), 2014 CF 599, aux paragraphes 25 à 28 (M.Y.)).

[19]           Il est évident que la Commission a examiné les éléments de preuve qui lui étaient soumis, notamment les observations du demandeur, datées du 12 juin 2014, dans lesquelles le demandeur décrit, entre autres, les initiatives qu’il a prises en vue d’améliorer son comportement.

[20]           La Commission a aussi conclu que, bien qu’aucune des accusations portées contre le demandeur entre 2008 et 2010 n’ait entraîné de déclaration de culpabilité, le demandeur a néanmoins reconnu avoir commis les infractions en question. Il était raisonnable que la Commission tienne compte, des éléments de violence relativement aux comportements du demandeur entre 2008 et 2010, et qu’elle conclût qu’un tel comportement ne satisfait pas aux critères de bonne conduite exigés par la Loi.

[21]           La Cour souligne que les objectifs de suppression des conséquences défavorables découlant d’un casier judiciaire doivent être soupesés égard à sécurité du public, et qu’il convient de s’assurer que ceux qui bénéficient d’un pardon adoptent des comportements compatibles avec « un style de vie respectueux des lois » (M.Y., précité, au paragraphe 28).

[22]           Au vu de ce qui précède, la décision rendue par la Commission est raisonnable et ne justifie pas l’intervention de la Cour.

VII.          Dispositif

[23]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, la décision de la Commission est confirmée, le tout avec dépens.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1820-14

 

INTITULÉ :

KINGSLEY BOATENG c LA COMMISSION DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER JUIN 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE du jugement et DES MOTIFS :

LE 2 JUIN 2015

COMPARUTIONS :

Idorenyin E. Amana

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Marjolaine Breton

 

POUR La défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet d’avocat Amana

Avocats

Cornwall (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR La défenderesse

 

 

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