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Date : 20150526


Dossier : T-1498-13

Référence : 2015 CF 682

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Winnipeg (Manitoba), le 26 mai 2015

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

demanderesse

et

LE SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

I.                   INTRODUCTION

[1]               La Société canadienne des postes (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l’agent de la santé et de la sécurité au travail Canada, Richard LaFrance (l’agent d’appel), sur le fondement de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Dans cette décision du 8 août 2013, l’agent d’appel a modifié les instructions de l’agente de santé et de sécurité Nicole Dubé (l’ASS Dubé) et a conclu que la demanderesse avait enfreint les alinéas 136(5)g) et 135(7)e) du Code canadien du travail, LRC 1985, c L‑2 (le Code), en plus d’avoir violé les alinéas 125(1)z.11) et 125(1)z.19), violations auxquelles on avait déjà conclu.

[2]               Le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (le STTP) est le défendeur en l’espèce.

II.                CONTEXTE

[3]               La présente demande de contrôle judiciaire a pour origine une plainte de Mme Gayle Bossenberry, première vice‑présidente nationale du STTP.

[4]               Les détails exposés ci‑dessous proviennent des dossiers déposés par les parties, dont les affidavits présentés au nom de la demanderesse par Paul Mekis et Gayle Bossenberry. Le défendeur a également joint l’affidavit de Mme Bossenberry dans son dossier de demande; il n’a déposé en son nom aucun affidavit émanant d’un de ses employés ou représentants.

[5]               En 2004, le défendeur est devenu l’agent de négociation collective des factrices et facteurs ruraux et suburbains (FFRS) de la demanderesse. Peu de temps après, des plaintes ont été déposées concernant la sécurité des livraisons aux boîtes aux lettres rurales (BLR).

[6]               En 2006, la demanderesse a demandé au Conseil national de recherches de concevoir un outil permettant d’évaluer la sécurité des livraisons aux BLR. La demanderesse a fait appel aux services d’iTRANS Consulting pour élaborer un outil d’évaluation de la sécurité de la circulation (OESC). Le défendeur a été consulté dans le cadre de l’élaboration de l’OESC.

[7]               Le 20 septembre 2007, Mme Bossenberry a porté plainte auprès de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC), affirmant qu’en ne faisant pas participer le Comité national mixte de santé et de sécurité (CNMSS), le Comité local mixte de santé et de sécurité (CLMSS) et les représentants de santé et de sécurité (RSS) aux inspections sur place des BLR menées à l’aide de l’OESC, Postes Canada enfreignait l’article 125 et les alinéas 135(7)e) et 136(5)g) du Code. La plainte indiquait par ailleurs que la demanderesse avait enfreint le paragraphe 134.1(6) du Code en ne transmettant pas au CNMSS des renseignements complets sur les évaluations de la sécurité.

[8]               La plainte a été confiée à l’ASS Dubé. Dans son instruction du 8 décembre 2008, elle a conclu que la demanderesse avait enfreint les alinéas 125(1)z.11) et 125(1)z.19) du Code. Elle n’a pas relevé de violation des alinéas 135(7)e) ou 136(5)g).

[9]               Le défendeur a fait appel de cette instruction au motif que l’ASS Dubé a commis une erreur en ne concluant pas que la demanderesse avait enfreint les alinéas 135(7)e) et 136(5)g) ainsi que les paragraphes 134.1(4), 134.1(5) et 134.1(6). Il a par ailleurs soutenu que l’ASS Dubé a eu tort de clore prématurément le dossier, sans donner au STTP l’occasion de présenter des observations.

[10]           La demanderesse a demandé le rejet de l’appel au motif que le défendeur avait dépassé les délais.

[11]           Le 17 avril 2009, l’agent d’appel a conclu à la recevabilité de l’appel. Le 16 février 2010, la Cour fédérale a infirmé cette décision, mais l’appel a été accueilli par la Cour d’appel fédérale le 25 janvier 2011. Le 16 juin 2011, la Cour suprême du Canada refuse l’autorisation de pourvoi.

[12]           Six audiences ont eu lieu à Ottawa entre décembre 2009 et juin 2012. Les observations finales des parties ont été reçues le 23 juillet et les 2 et 13 août 2012.

III.             LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[13]           L’agent d’appel a rendu sa décision le 8 août 2013, concluant qu’outre les instructions données par l’ASS Dubé, la demanderesse avait également enfreint les alinéas 135(7)e) et 136(5)g) du Code.

[14]           Selon l’agent d’appel, il s’agissait de décider si, en ne permettant pas aux CLMSS et aux RSS de participer aux inspections, conformément à l’obligation que leur impose le Code, la demanderesse avait enfreint les alinéas 135(7)e) et 136(5)g) du Code.

[15]           L’agent d’appel a en premier lieu abordé la question préliminaire consistant à se demander si l’évaluation au moyen de l’OESC constituait bien une inspection ou une étude liée à la santé et à la sécurité d’un employé. Il a conclu que l’évaluation au moyen de l’OESC était une inspection visant la santé et la sécurité des employés au sens du Code.

[16]           L’agent d’appel s’est ensuite penché sur la question de savoir si la demanderesse avait permis aux CLMSS et aux RSS de participer aux évaluations à l’aide de l’OESC d’une manière conforme aux obligations que lui imposent les alinéas 135(7)e) et 136(5)g) du Code.

[17]           L’agent d’appel a examiné la décision Syndicat canadien de la fonction publique, composante d’Air Canada c Air Canada (2010), 361 FTR 61, à l’appui de l’argument de la demanderesse selon lequel rien n’exige une participation physique sur place. Selon l’agent d’appel, on pouvait établir une différence entre l’espèce et la décision Air Canada, précitée, sur le plan des faits, car dans cette affaire, on relevait une large participation à la procédure d’enquête, alors qu’en l’espèce, les CLMSS et les RSS n’ont participé qu’à la phase d’élaboration et non aux inspections ou aux enquêtes. Il a estimé que la participation aux inspections était nécessaire pour répondre aux exigences des alinéas 135(7)e) et 136(5)g) du Code.

[18]           L’agent d’appel a conclu que les CLMSS et les RSS sont tenus de participer aux enquêtes et qu’il leur appartient de fixer le niveau de participation exigé.

[19]           Selon l’agent d’appel, la demanderesse n’a pas permis aux CLMSS et aux RSS d’assister aux évaluations menées au moyen de l’OESC, sauf lorsqu’une plainte avait été formulée ou face à un refus de travailler. Il a par ailleurs estimé que la demanderesse n’avait pas collaboré avec eux, soit en ne communiquant pas avec eux avant la tenue des inspections, soit en ne prévoyant pas de stratégie pour assurer leur participation. En outre, il a conclu que la demanderesse n’avait pas fait en sorte que les CLMSS et les RSS soient informés de leurs responsabilités à cet égard et dotés d’une formation adaptée.

[20]           L’agent d’appel a conclu à une violation des alinéas 135(7)e) et 136(5)g) du Code. Conformément au paragraphe 146.1(1) du Code, il a exercé son pouvoir discrétionnaire et a modifié l’instruction de l’ASS Dubé afin d’y ajouter ces deux contraventions.

IV.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[21]           Les dispositions du Code qui s’appliquent à la présente demande de contrôle judiciaire prévoient ce qui suit :

Comités locaux de santé et de sécurité

Duties of committee

135(7) Le comité local, pour ce qui concerne le lieu de travail pour lequel il a été constitué :

135(7) A work place committee, in respect of the work place for which it is established,

[...]

...

e) participe à toutes les enquêtes, études et inspections en matière de santé et de sécurité des employés, et fait appel, en cas de besoin, au concours de personnes professionnellement ou techniquement qualifiées pour le conseiller;

(e) shall participate in all of the inquiries, investigations, studies and inspections pertaining to the health and safety of employees, including any consultations that may be necessary with persons who are professionally or technically qualified to advise on those matters;

[...]

...

Représentants en matière de santé et de sécurité

Duties of representative

136(5) Le représentant, pour ce qui concerne le lieu de travail pour lequel il est nommé:

136(5) A health and safety representative in respect of the work place for which the representative is appointed,

[...]

...

g) participe à toutes les enquêtes, études et inspections en matière de santé et de sécurité des employés et fait appel, en cas de besoin, au concours de personnes professionnellement ou techniquement qualifiées pour le conseiller;

(g) shall participate in all of the inquiries, investigations, studies and inspections pertaining to the health and safety of employees, including any consultations that may be necessary with persons who are professionally or technically qualified to advise the representative on those matters;

[...]

...

V.                QUESTIONS EN LITIGE

[22]           Il faut trancher la question préliminaire concernant l’admissibilité des affidavits déposés par la demanderesse en l’espèce.

[23]           De façon générale, la question principale que soulève la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si l’agent d’appel a commis une erreur susceptible de contrôle, et plus précisément ce qui suit :

i                      L’agent d’appel a‑t‑il commis une erreur de droit en interprétant mal les alinéas 135(7)e) et 135(7)g) du Code?

ii                    L’agent d’appel a‑t‑il conclu à tort que la manière dont a procédé la demanderesse était incompatible avec l’obligation qui lui était imposée de collaborer avec les CLMSS et les RSS?

VI.             OBSERVATIONS

A.                Les observations de la demanderesse

[24]           La demanderesse affirme que la décision de l’agent d’appel est susceptible de contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte étant donné que la Cour fédérale a déjà eu l’occasion de se prononcer sur ce qui fait l’objet de la présente demande.

[25]           La demanderesse soutient par ailleurs que l’agent d’appel était lié par le précédent créé dans la décision Air Canada, précitée, relativement à l’interprétation du mot « participe » dans le Code. Invoquant la décision Chernikov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 649 aux paragraphes 11 et 12, la demanderesse soutient que la question de savoir si le précédent jurisprudentiel a été suivi est une question juridique, en l’occurrence une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Par conséquent, la demanderesse fait valoir que le fait que l’agent d’appel n’a pas suivi le précédent établi dans la décision Air Canada constitue une erreur susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[26]           À titre subsidiaire, la demanderesse fait valoir que si l’agent d’appel a suivi le précédent établi dans la décision Air Canada, précitée, la question est donc de savoir si ce précédent a été correctement appliqué. La demanderesse qualifie cette question de question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

B.                 Les observations du défendeur

[27]           À titre préliminaire, le défendeur conteste l’admissibilité de l’affidavit déposé par la demanderesse, en l’occurrence l’affidavit de Mme Gayle Bossenberry. Selon lui, la preuve par affidavit ne peut être utilisée pour étoffer un dossier et devrait se limiter à situer le contexte de l’affaire.

[28]           Le défendeur fait ensuite valoir que la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce, s’appuyant sur les paragraphes 17 et 18 de l’arrêt S.T.T.P. c Société canadienne des postes (2011), 31 Admin. L.R. (5th) 72, de la Cour d’appel fédérale. Il estime que la décision de l’agent d’appel est raisonnable. Selon lui, la décision Air Canada, précitée, n’a pas créé de précédent qui liait l’agent d’appel.

VII.          DISCUSSION ET DISPOSITIF

[29]           Je me pencherai d’abord sur la question des affidavits.

[30]           Le défendeur a présenté un argument quant à l’admissibilité et la pertinence de la preuve par affidavit déposée par la demanderesse. Il affirme qu’on ne peut s’appuyer sur une telle preuve pour trancher le litige factuel et qu’elle ne sert qu’à situer le contexte. À cet égard, le défendeur invoque l’arrêt Association des Universités et Collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (2012), 428 N.R. 297 (CAF), de la Cour d’appel fédérale.

[31]           Il est bien établi que les demandes de contrôle judiciaire sont tranchées en fonction des éléments de preuve dont dispose le décideur désigné par la loi. Dans certains cas, comme le prévoit l’article 312 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, le dossier peut être complété par de nouveaux éléments.

[32]           En l’espèce, il n’existe aucune transcription des audiences tenues devant l’agent d’appel. Dans son affidavit, M. Mekis entend résumer les éléments de preuve présentés à l’agent d’appel. Dans la mesure où il fournit un résumé de la preuve, on ne peut faire objection à son affidavit. Cela dit, les observations personnelles que M. Mekis peut faire au sujet des éléments de preuve qui ont été présentés ne sont pas pertinentes et ne seront pas prises en considération.

[33]           Dans son affidavit, Mme Bossenberry retrace selon l’ordre chronologique les événements précédant l’audience tenue devant l’agent d’appel. Elle résume aussi les éléments de preuve présentés à l’audience.

[34]           Dans la mesure où elle rappelle les faits, sa preuve par affidavit est acceptable. Toutefois, comme je l’ai déjà indiqué en renvoyant à l’affidavit de M. Mekis, tout point de vue personnel quant à la signification d’un élément de preuve présenté devant l’agent d’appel constitue une preuve inadmissible qui ne sera pas examinée par la Cour. Par conséquent, les points de vue personnels de Mme Bossenberry concernant la signification de la preuve ne sont pas pertinents et ne seront pas examinés.

[35]           La prochaine question concerne la norme de contrôle applicable.

[36]           La demanderesse indique initialement que la norme de la décision correcte s’applique parce que l’objet de la plainte a déjà été examiné par la Cour; voir le paragraphe 11 du mémoire des faits et du droit de la demanderesse.

[37]           Les arguments de la demanderesse favorables à l’application de la norme de la décision correcte reposent sur l’idée que, selon elle, l’agent d’appel a commis une erreur de droit en n’appliquant pas le précédent ayant force obligatoire quant au sens du mot « participe », en l’occurrence la décision Air Canada, précitée, de la Cour fédérale. Selon la demanderesse, le fait de ne pas suivre un précédent ayant force obligatoire constitue une erreur de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. À cet égard, la demanderesse invoque la décision Chernikov, précitée, aux paragraphes 11 et 12.

[38]           À mon sens, les observations de la demanderesse concernant le [traduction] « précédent ayant force obligatoire » ne sont pas convaincantes.

[39]           L’argument de la demanderesse n’est pas bien fondé, car il repose sur l’hypothèse que la décision Air Canada, précitée, a effectivement force obligatoire.

[40]           La décision Air Canada, précitée, est un jugement de la Cour fédérale prononcé dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision rendue par un décideur administratif, en l’occurrence un agent de santé et de sécurité, conformément aux dispositions du Code. Cette décision portait sur l’interprétation du mot « participe », dans le contexte précis des faits propres à l’affaire.

[41]           Appliquant la norme de la décision raisonnable, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire. Si le jugement rendu par la Cour a eu pour effet de « confirmer » la décision du décideur administratif, ni la décision en cause ni la décision de la Cour n’a créé de précédent ayant force obligatoire.

[42]           Selon la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Domtar Inc. c Québec (Commission d’appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 RCS 756, les décisions d’offices, de commissions ou d’autres tribunaux administratifs établis en vertu d’une loi fédérale ne constituent pas des précédents ayant force obligatoire.

[43]           Comme il en a été question dans l’arrêt récent Jones’ Masonry Ltd. c Union internationale des journaliers d’Amérique du Nord, section locale 900 (2013), 408 N.B.R. (2d) 163 (C.A.N.‑B.), la règle du stare decisis ne s’applique pas dans le contexte des tribunaux administratifs.

[44]           De plus, selon la loi, les cours de révision n’ont pas pour mission de veiller à la cohérence des processus décisionnels administratifs en appliquant la norme de la décision correcte plutôt que celle de la décision raisonnable.

[45]           Dans l’arrêt Domtar, précité, aux pages 784 à 801, la Cour suprême s’est penchée sur la question du manque de cohérence entre les décisions rendues par divers décideurs administratifs et a conclu que si les décisions rendues dans les limites de la compétence du décideur ne sont pas déraisonnables, le principe de retenue judiciaire doit primer; voir Domtar, précité, à la page 795.

[46]           À la page 786 du même arrêt, la Cour suprême relève que si les tribunaux judiciaires étaient tenus d’examiner les décisions administratives afin d’en supprimer les incohérences, cela risquerait de transformer le contrôle judiciaire en recours en appel, contrairement à ce qu’a voulu le législateur. La Cour suprême a conclu que le fait de voir dans l’existence de décisions administratives incompatibles un motif autonome de contrôle judiciaire équivaudrait à faire une entorse à la liberté et à l’indépendance décisionnelle reconnues aux décideurs administratifs par le législateur; voir l’arrêt Domtar, précité, aux pages 800 et 801.

[47]           Ce résumé de la jurisprudence montre bien qu’il n’appartient pas aux tribunaux judiciaires chargés du contrôle judiciaire de trancher la question des conflits jurisprudentiels au sein d’instances administratives; voir l’arrêt Jones’ Masonry, précité, au paragraphe 6.

[48]           En l’espèce, la demanderesse sollicite l’application de la norme de la décision correcte sur le fondement d’une erreur de droit. Les observations de la demanderesse à cet égard ne sont pas fondées et ignorent le rôle d’une cour de justice en matière de contrôle judiciaire. Ce rôle consiste à examiner les étapes qui ont abouti à la décision en cause, au regard des dispositions législatives applicables.

[49]           En l’espèce, la législation applicable est le Code. L’agent d’appel était tenu de tirer des conclusions de faits et d’appliquer les dispositions pertinentes du Code.

[50]           Le sens du mot « participe » revêt en l’espèce une importance critique. La question de savoir si le degré de participation exigé a été atteint est une question mixte de fait et de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[51]           Dans la décision Air Canada, précitée, le décideur a estimé que, compte tenu des circonstances, la présence sur les lieux n’était pas exigée pour permettre aux membres du Comité de santé et de sécurité au travail de « participer » à une enquête dangereuse menée conjointement.

[52]           La décision Air Canada a été rendue dans le contexte du contrôle judiciaire de la décision d’un décideur désigné par la loi qui avait estimé que le mot « participe », au sens du Code, n’exige pas une présence sur les lieux. La décision de ce décideur a été examinée par la Cour fédérale selon la norme de la décision raisonnable.

[53]           Pour qu’une décision soit jugée raisonnable, il faut qu’elle soit transparente, justifiée et intelligible. La décision doit en outre appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.

[54]           En droit administratif, la notion de retenue joue un rôle fondamental en matière de contrôle judiciaire et permet de distinguer le contrôle judiciaire de l’appel. Relative aux questions d’interprétation des lois, la retenue à l’égard des tribunaux administratifs a pour effet de reconnaître et de protéger un éventail d’interprétations raisonnables lorsque le décideur interprète sa loi constitutive; voir Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), [2011] 3 RCS 471, aux paragraphes 29 et 30.

[55]           Dans la procédure en cause, l’agent d’appel a estimé que la présence des CLMSS et de RSS sur les lieux de l’enquête était nécessaire pour qu’ils puissent accomplir le mandat qui leur est imposé par les alinéas 135(7)e) et 136(5)g). Cette conclusion était‑elle raisonnable?

[56]           Compte tenu des faits en l’espèce, je considère que cette conclusion était raisonnable.

[57]           Les activités de la demanderesse consistent à assurer un service de livraison postale. Les enquêtes menées sur place devaient permettre d’évaluer la sécurité des boîtes aux lettres rurales en examinant divers facteurs tels que : le nombre de voies de circulation et la vitesse de la circulation; la question de savoir si, lors de la livraison, un véhicule se trouve ou non sur la route; le dénombrement des véhicules qui passent près des boîtes aux lettres rurales; la prise en considération de diverses autres circonstances influant sur la sécurité, telles que l’emplacement de la boîte aux lettres à proximité d’une côte, d’une courbe ou de toute autre obstruction; la question de savoir si une boîte aux lettres rurale qui n’est pas conforme aux critères d’inspection de l’OESC pourrait être déplacée vers un emplacement plus sûr.

[58]           L’agent d’appel avait autorité pour décider, au vu des éléments de preuve dont il disposait, ce que signifie et exige le mot « participe ». Il n’était aucunement tenu d’adopter et d’appliquer l’interprétation du mot « participe » retenue dans la décision Air Canada, précitée. La norme de la décision raisonnable autorise une gamme d’issues possibles; voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47. Cela veut dire que selon les faits propres d’une affaire, le mot « participe » peut être interprété de plusieurs façons.

[59]           L’agent d’appel a examiné attentivement la décision Air Canada, précitée. Aux paragraphes 142 à 144 de sa décision, il a établi une distinction entre la situation en cause et celle dans la décision Air Canada au vu des faits.

[60]           Je suis convaincue que dans les circonstances de l’espèce, la décision de l’agent d’appel quant au sens du mot « participe » est raisonnable.

[61]           Passons maintenant à la prochaine question, c’est-à-dire à la conclusion déraisonnable selon laquelle la conduite de la demanderesse était incompatible avec son devoir de collaboration.

[62]           À cet égard, la demanderesse fait essentiellement valoir que l’agent d’appel n’a pas soupesé la preuve au regard du soi-disant critère énoncé dans la décision Air Canada, précitée.

[63]           Comme je l’ai déjà indiqué, aucun « critère » ne découle de la décision Air Canada, précitée. De plus, par l’argument qu’elle avance, la demanderesse semble inviter la Cour à soupeser à nouveau les éléments de preuve dont disposait l’agent d’appel. Or, il est de droit constant que dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau des éléments de preuve : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 61.

[64]           En outre, je suis convaincue que l’agent d’appel a fait une évaluation raisonnable des éléments de preuve. Sa décision montre bien qu’il a résumé la preuve et qu’il a tiré des conclusions de fait fondées sur cette preuve, y compris les témoignages et les observations des parties. Sur le fondement de l’ensemble de la preuve dont il disposait, il a conclu que le degré de participation et de collaboration était insuffisant pour répondre aux obligations prévues par le Code. Il lui était loisible de parvenir à cette conclusion, que j’estime raisonnable.

[65]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire a été rejetée avec dépens aux termes du jugement prononcé le 20 mars 2015.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1498-13

 

INTITULÉ :

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES c LE SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 SEPTEMBRE 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Stephen Bird

Sheri O. Enikanolaiye

POUR LA DEMANDERESSE

 

David I. Bloom

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bird Richard

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Cavalluzzo Hayes Shilton McIntyre & Cornish LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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