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Date : 20150608


Dossier : IMM-7189-14

Référence : 2015 CF 717

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

NORMA EL KHOURY

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] datée du 14 novembre 2014 rejetant la demande d’asile de la demanderesse.

II.                Faits

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Liban, malgré qu’elle soit née et qu’elle ait vécu toute sa vie en Syrie. La demanderesse allègue d’une part, une crainte en Syrie, où elle a été victime d’extorsion et de menaces de mort, et d’autre part, une crainte de persécution au Liban, en raison de sa nationalité syrienne imputée.

[3]               Suite à l’audience ayant eu lieu le 2 octobre 2014, la SPR conclut que bien que la demanderesse soit crédible, elle n’a pas démontré qu’elle a la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR, à l’égard de son pays de citoyenneté, le Liban.

III.             Provisions législatives

[4]               Les dispositions législatives pertinentes à la détermination du statut de réfugié sont reproduites ci-dessous :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

      (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

      (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

      (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

      (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

      (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

      (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

      (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

      (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

IV.             Analyse

[5]               La présente demande soulève la question déterminante à savoir si la décision de la SPR est raisonnable en ce qu’elle est conforme aux exigences de transparence, de justification et d’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au para 47).

[6]               La demanderesse reproche à la SPR de n’avoir pas saisi l’essentiel de sa demande d’asile, en ayant adressé sa crainte alléguée au regard de sa citoyenneté libanaise plutôt qu’au regard de sa nationalité syrienne imputée.

[7]               Or, les motifs de la décision démontrent que la SPR considère explicitement les risques invoqués par la demanderesse en fonction du fait qu’elle serait perçue comme étant de nationalité syrienne plutôt que libanaise :

I do not find that you have established a link with a Convention ground with [regard] to your nationality. You explained that though your family has been in Syria for generations and has never lived in Lebanon, because of the way the laws work, you are a Lebanese citizen. However, because of your accent, the people in Lebanon consider you Syrian. You’ve never lived in Lebanon and your longest stay there, according to your testimony, was two nights when you stayed in a hotel. I note that you went regularly for work, shopping, visits, but you have no family in Lebanon.

I recognize that you’ve lived in Syria your entire life. So, in determining whether or not there was link to the Convention ground, I did consider the UNHCR Handbook on Procedures and Criteria for Determining Refugee Status at paragraphs 74-76 where it does explain that nationality does not necessarily mean citizenship. It also refers to membership of an ethnic or linguistic group. I do find that you have established a link with the Convention ground, and that you would be perceived as Syrian though legally, you are a Lebanese citizen.

[Je souligne.]

(Décision de la SPR, Dossier du Tribunal, à la p 6)

[8]               En outre, contrairement à l’allégation de la demanderesse, la SPR considère la preuve documentaire relative à la discrimination subie par les Syriens au Liban et analyse si l’effet cumulatif de la discrimination subie par la demanderesse pourrait s’élever à de la persécution. À cette fin, la SPR s’appuie, entre autres, sur le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés afin d’analyser la distinction entre la discrimination et la persécution.

[9]               À l’issue de son analyse, la SPR conclut que bien que les Syriens ayant fui la Syrie pour trouver refuge au Liban subissent des difficultés dans ce pays, la situation est quelque peu différente à l’égard de la demanderesse, qui possède un statut légal au Liban par l’entremise de sa citoyenneté :

Cumulative Acts of Discrimination and/or Harassment

I have considered whether or not the risks that you fear because of your nationality could amount to persecution if you return to Lebanon. You explained that you were recognized by your accent and you did not fear a specific group of person, but society in general. You also stated that you feared the aggressors that had targeted you in Syria because you said they could find you in Lebanon.

[…]

I asked further about what you feared particularly in Lebanon. You stated that you feared being raped, killed or being a victim of violence or mistreatment and that in the past, upon visits to Lebanon, you have been a victim of verbal mistreatment. You stated that people in Lebanon treat Syrians differently. For example, when you go shopping, they may raise the price and they would insult you verbally. You said that this has been the case in the past, prior to the start of the Syrian conflict, but that the verbal insults have gotten worse since the start of the conflict.

[…]

I have considered whether the elements that you fear, when taken together cumulatively could constitute persecution in your personal situation or if there is any one incident which you may risk or which you have suffered that is serious enough on its own to be considered persecution. I’ve considered the definition of persecution according to the jurisprudence. Jurisprudence shows that persecution is a serious and repeated infringement on a fundamental right.

I also considered paragraph 54 of the UNHCR Handbook. Considering the mistreatment that you have suffered, I do not consider that these events, though unfortunate, could constitute persecution either on their own or cumulatively. I’ve also considered whether or not you would be denied basic human rights based on your perceived nationality as a Syrian (i.e., access to education, healthcare, employment, housing, religious freedom, etc.). Nothing in the objective evidence shows me that you would be denied these basic rights.

In consideration of the evidence on file, I do recognize that there are difficulties for Syrians escaping the crisis and having gone to Lebanon. I’ve considered the reports at Tabs 2.3, 2.4 and 13.2 of the National Documentation Package. Again, the reports speak of a lack of legal status for Syrians which does not apply in your case and causes problems for these Syrians. It is clear that those who are fleeing violence in Syria and seeking refuge in Lebanon have had difficulties. However, I find that the situation does not amount to persecution according to the Guidelines.

[Je souligne.]

(Décision de la SPR, Dossier du Tribunal, aux pp 6 à 9)

[10]           D’ailleurs, les extraits reproduits par la demanderesse dans son mémoire devant la Cour ne font que confirmer la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse pourrait être exposée à de la discrimination plutôt que de la persécution. Certains de ces extraits, ayant été tirés de la preuve documentaire, sont reproduits ci-dessous :

[…] Thankfully no one was hurt. But the incident captures a new level of tension in Lebanon, as the small country struggles with more than 1.5 million Syrians from all walks of life who have fled their country’s civil war. Lebanon’s population is barely 4.5 million.

[…]

I have personally experienced rudeness from Lebanese profession at the instant they realized I was Syrian.

[…]

I had already been hearing from Syrian expats in Lebanon about a marked rise in anti-Syrian sentiments. Many swear they’ve been told by Lebanese merchants “We don’t sell to Syrians” as soon as a Syrian accent gave them away.

[…]

After more than three years of civil war in Syria, the noose appears to be tightening on the enormous Syrian refugee population who have settled in neighbouring Lebanon. Racism, mistrust and suspicion are on the rise, and the stage is set for policy changes that will likely lead to those escaping the brutality in Syria being discriminated against, expelled, from Lebanon and even turned away at the border.

[…]

Discrimination and mistreatment are key barriers to accessing services.

[…]

A 2011 report funded by the EU and written by a coalition of local human rights organizations, A Culture of Racism in Lebanon, identified a widespread pattern of discrimination against individuals who did not appear ethnically Lebanese. Lebanese of African descent attributed discrimination to the color of their skin and claimed harassment by police, who periodically demanded to see their papers. Arab, African, and Asian students, professionals, and tourists reported being denied access to bars, clubs, restaurants and private beaches. For example, on August 22, Joumana Haddad blogged on Now Lebanon’s website that she planned to take her domestic migrant helper, Mehret, to spend a day at the beach as a birthday gift. As soon as they entered the swimming pool, the lifeguard blew his whistle and said “servants” were not allowed in the pool.

Syrian workers, usually employed in the manual labor and construction sectors, continued to suffer discrimination, as they did following the 2005 withdrawal of Syrian forces from the country.

(Mémoire de la demanderesse, Dossier de la demanderesse, aux pp 163-166)

[11]           Au regard de ce qui précède, la Cour considère que la SPR a raisonnablement reconnu que les traitements que risquerait de subir la demanderesse au Liban, bien qu’ils puissent être de nature discriminatoire, considérés isolément ou même cumulativement, ne s’élèvent pas à de la persécution aux fins de la LIPR. Cette conclusion est ancrée dans le témoignage de la demanderesse à l’audience et dans le dossier de preuve.

[12]           La SPR a raisonnablement constaté que la situation de la demanderesse diffère de celle de la plupart des Syriens au Liban, en raison de sa citoyenneté libanaise. Entre autres, la SPR a constaté que la demanderesse ne serait pas contrainte à habiter près de la frontière libano-syrienne.

[13]           Or, la SPR ne s’est pas bornée aux classifications. Plutôt, l’approche de la SPR des risques invoqués reflète une vue d’ensemble des circonstances personnelles de la demanderesse, qui se retrouve en quelque sorte entre deux nationalités.

[14]           En somme, l’analyse de la SPR, telle qu’en font foi ses motifs, s’appuie sur un examen approfondi du dossier dont elle était saisie. Sa décision est raisonnable et l’intervention de la Cour n’est pas requise.

V.                Conclusion

[15]           À l’égard de ce qui précède, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

OBITER

Ceci est un cas d’espèce d’une demanderesse qui a presque toute sa famille (enfant, mère, père, sœur) au Canada. Malgré qu’elle ne soit pas réfugiée, son cas pourrait peut-être être vu d’un autre angle au niveau des autres dispositions législatives.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7189-14

 

INTITULÉ :

NORMA EL KHOURY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 juin 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 juin 2015

 

COMPARUTIONS :

Éric Taillefer

 

Pour LA DEMANDERESSE

 

Geneviève Bourbonnais

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Handfield & Associés

Montréal (Québec)

 

Pour LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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