Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150609


Dossier : IMM‑1272‑14

Référence : 2015 CF 725

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2015

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

WAI KHEONG CHING

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, M. Wai Kheong Ching, un citoyen de la Malaisie, est arrivé en 2005 au Canada, et il a présenté une demande d’asile en juillet 2013.

[2]               M. Ching déclare qu’il sera exposé à un risque de persécution s’il est renvoyé en Malaisie du fait de sa race, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social et de ses opinions politiques. Il affirme également qu’il y serait exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ainsi qu’au risque d’être soumis à la torture, parce qu’il y serait obligé à participer à un entrainement pour le service national.

[3]               La Section de la protection des réfugiés à la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté le 9 octobre 2013 la demande d’asile à titre de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger qu’il avait formée sous le régime des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. Il a interjeté appel de cette décision de la SPR devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. Celle‑ci a rejeté son appel et confirmé la décision de la SPR le 5 janvier 2014. Le demandeur sollicite maintenant, sous le régime de l’article 72 de la Loi, le contrôle judiciaire de cette décision de la SAR.

[4]               La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie uniquement à l’égard de la demande d’asile fondée sur l’article 97. La SAR a commis une erreur en appliquant à l’appel de la décision de la SPR des principes de contrôle judiciaire et la norme de contrôle de la raisonnabilité, et elle a manqué à l’équité procédurale en examinant les conclusions favorables formulées par la SPR sur la crédibilité du demandeur, et ce, sans donner à ce dernier la possibilité de produire une réponse à l’égard de ses préoccupations relativement ces conclusions. La décision de la SAR présente aussi d’autres lacunes, qui découlent de la manière qu’elle conçoit son rôle en tant que tribunal d’appel.

Le contexte

[5]               Le demandeur est entré au Canada au moyen d’un visa de visiteur en juillet 2005. On lui avait alors donné la directive de se présenter en 2006 devant les autorités du service national malaisien pour commencer son entraînement. Bien qu’on lui ait par la suite accordé un sursis d’incorporation, il déclare qu’il devra se présenter à l’enrôlement pour le service militaire à son retour en Malaisie. Il affirme craindre de trouver la mort au cours de son entraînement. Il fait également état de violences de la part de son oncle, d’agressions perpétrées sur sa personne par des gangs en raison de son refus d’y entrer, ainsi que de l’absence de protection policière contre ces gangs. Il soutient en outre qu’il sera persécuté du fait de ses opinions politiques, parce qu’il a milité pour la démocratie et les droits de la personne en Malaisie.

[6]               M. Ching a présenté une demande de résidence permanente en 2011, et une autre en 2012, fondée cette fois sur des motifs d’ordre humanitaire. Il a été débouté, et ce, dans les deux cas. Il a sollicité l’asile en 2013, en fondant sa demande sur les allégations ci-dessus.

[7]               Bien que l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire soit la décision de la SAR, je récapitule ci‑dessous les conclusions de la SPR, pour fournir le contexte nécessaire.

La décision de la SPR

[8]               La SPR a tiré plusieurs conclusions, dont les suivantes : le demandeur était en général crédible concernant les violences qui lui avaient été infligées par son oncle, le recrutement par les gangs et l’obligation de service national; il avait établi en invoquant son opposition au service national l’existence d’un lien avec un motif prévu à la Convention, soit les opinions politiques; le temps extrême qu’il avait mis à demander l’asile n’était pas compatible avec la crainte qu’il prétendait éprouver; il n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État relativement au recrutement par les gangs; il n’avait pas établi qu’il serait personnellement harcelé par les autorités malaisiennes en raison de ses actes de protestation; il n’avait pas produit d’éléments de preuve objectifs à l’appui de son allégation selon laquelle sa vie serait en danger au cours de son service national, et il ne risquerait pas d’être soumis à la torture s’il retournait dans son pays, quoiqu’il puisse être mis à l’amende ou emprisonné jusqu’à six mois pour inexécution du service national.

[9]               Selon la SPR, la question qui décidait le sort de la demande d’asile fondée sur l’article 96, y portant un coup fatal, était le retard « extrême » du demandeur à solliciter l’asile. Celui‑ci n’a pas contesté cette conclusion dans le cadre de son appel devant la SAR.

[10]           Pour ce qui concerne la demande d’asile fondée sur l’article 97, la SPR a conclu que les questions décisives étaient l’échec du demandeur à réfuter la présomption relative à la protection de l’État et le fait qu’il n’avait pas établi que sa vie serait menacée, ou qu’il risquerait d’être soumis à la torture, en cas de retour en Malaisie.

[11]           Le demandeur a soutenu en appel les prétentions suivantes :

         La SPR avait commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

         La SPR avait commis une erreur en n’effectuant pas une appréciation complète du risque personnel au titre de l’article 97.

         La SAR devait, conformément au paragraphe 110(4) de la Loi, admettre ses nouveaux éléments de preuve visant à établir le fondement objectif de sa crainte de trouver la mort au cours de son service national.

La décision de la SAR

[12]           Après avoir récapitulé les points mis en litige par le demandeur dans le cadre de son appel, la SAR a déclaré qu’elle concentrerait son attention sur quatre questions :

         La SPR a‑t‑elle commis une erreur de fait en concluant que les allégations du demandeur relatives à sa crainte des gangs était crédible?

         La SPR a‑t‑elle commis une erreur de fait en concluant que le demandeur ne voulait pas faire son service militaire?

         La SPR a‑t‑elle commis une erreur de fait en concluant que le demandeur était un partisan de l’opposition et qu’il avait établi, du fait de ses opinions politiques supposées, l’existence d’un lien avec un motif prévu à la Convention?

         La SPR a‑t‑elle commis une erreur de fait en concluant que le retard mis par le demandeur à solliciter l’asile démentait sa crainte subjective, ce qui portait un coup fatal à sa demande?

[13]           La SAR s’est ensuite demandé quelle norme de contrôle elle devait appliquer à l’appel de la décision de la SPR. Elle a pris acte des dispositions applicables de la Loi, des facteurs énumérés au paragraphe 44 de Newton c Criminal Trial Lawyers’ Association, 2010 ABCA 399, [2011] 4 WWR 232, et des différences entre la SPR, tribunal de première instance, et la SAR, instituée pour examiner les décisions de la SPR sur des questions de droit, des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit, et investie du pouvoir de substituer au besoin ses propres conclusions à celle de la SPR dans les cas appropriés. La SAR a rappelé que la SPR est, dans la plupart des cas, la mieux placée pour apprécier la crédibilité, ainsi que pour tirer des conclusions sur les questions de droit, les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit, et elle a conclu qu’elle devait appliquer la norme de la raisonnabilité à ces aspects de la décision de la SPR.

[14]           La SAR a examiné la requête du demandeur visant à faire admettre cinq articles comme nouveaux éléments de preuve. Elle a expressément fait mention de chacun de ces articles, et les a tous jugés dénués de pertinence et de caractère substantiel quant aux faits sous‑jacents à la demande d’asile. Elle a constaté, à propos du paragraphe 110(4) de la Loi et du sous‑alinéa 3(3)g)(iii) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257 [les Règles de la SAR], que le demandeur avait formulé une déclaration générale selon laquelle les documents produits étaient conformes aux exigences de la Loi, mais sans préciser de quelle façon, comme le prescrivent les Règles de la SAR. La SAR a également conclu que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas admissibles au motif qu’« ils ne satisf[aisaient] pas aux exigences prévues dans Raza » (en référence à l’arrêt Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, [2007] ACF no 1632 [Raza].

[15]           Bien qu’elle ait expliqué avoir concentré son attention sur les quatre questions énumérées plus haut, la SAR a examiné toutes les conclusions de la SPR, dont elle a jugé certaines raisonnables et d’autres non, pour déclarer en fin de compte raisonnable l’ensemble de la décision de la SPR.

Les conclusions de la SPR jugées déraisonnables par la SAR

[16]           La SAR a estimé que la SPR avait commis une erreur en concluant à la crédibilité de l’allégation du demandeur selon laquelle il craignait les gangs, au motif qu’elle avait omis de prendre en considération des éléments de preuve essentiels à cet égard. La SAR a aussi jugé que la SPR avait commis une erreur en n’examinant pas les omissions entachant le témoignage du demandeur au sujet de ses efforts en vue d’obtenir la protection de la police, témoignage contredit sur ce point par l’affidavit de sa sœur. La SAR était d’avis que, comme la SPR n’avait pas expressément examiné la totalité de la preuve, ses conclusions sur les allégations du demandeur concernant le recrutement par les gangs, sa crainte de ceux‑ci et le refus de le protéger que lui aurait opposé la police n’étaient pas raisonnables.

[17]           La SAR a aussi jugé déraisonnable la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur avait établi l’existence d’un lien avec le motif des opinions politiques prévu à la Convention. La SAR a fait remarquer que la preuve produite par le demandeur divergeait quant à cette question, mais qu’il n’avait été en général qu’un partisan muet.

[18]           La SAR a également jugé erronée la conclusion de la SPR selon laquelle l’opposition du demandeur au service national était liée à ses opinions politiques supposées. Il n’y avait pas de fondement factuel à l’établissement d’un lien entre la participation au service national et la répression de l’opposition par l’État. La SAR a conclu que la preuve ne suffisait pas à établir que le demandeur serait perçu comme ayant des opinions politiques opposées à celles du gouvernement.

Les conclusions de la SPR jugées raisonnables par la SAR

[19]           La SAR a jugé raisonnable la conclusion de la SPR selon laquelle l’obligation du service national ne menaçait pas la vie du demandeur ni ne l’exposait au risque d’être soumis à la torture : sa crainte à cet égard n’était pas objectivement fondée.

[20]           La SAR a aussi fait observer que le demandeur pourrait payer l’amende qui pourrait lui être imposée en raison de son défaut de se présenter pour l’entraînement, amende qui ne dépasserait pas ses moyens.

[21]           La SAR a également jugé raisonnable la conclusion de la SPR portant que le demandeur n’avait pas été personnellement harcelé par les autorités malaisiennes en raison de sa dissidence ou de son profil politique supposés, au motif de l’absence d’éléments de preuve crédibles au soutien de cette allégation.

[22]           En conclusion, la SAR a déclaré, se fondant sur son examen de la totalité de la preuve, que la SPR avait commis une erreur dans son traitement de la preuve relative aux opinions politiques du demandeur et à sa crainte des gangs.

[23]           La SAR a jugé que la SPR n’avait pas commis d’erreur en concluant que le retard du demandeur à solliciter l’asile était extrême et qu’il n’avait pas été expliqué de manière convaincante, en faisant remarquer que cette conclusion n’avait pas été attaquée dans l’appel.

[24]           La SAR a enfin jugé raisonnable la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur ne serait pas personnellement exposé à une menace à sa vie, ni au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ni au risque d’être soumis à la torture, au titre de l’article 97.

Les questions en litige

[25]           La présente demande soulève plusieurs questions en litige, notamment : le rôle de la SAR comme tribunal d’appel et la norme de contrôle qu’elle doit appliquer à une décision de la SPR; le point de savoir si la SAR a manqué à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur en examinant les conclusions de la SPR sur sa crédibilité sans lui donner la possibilité de s’exprimer sur ce sujet et sans tenir d’audience; le point de savoir si la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre de nouveaux éléments de preuve; et enfin, le point de savoir si l’approche adoptée par la SAR dans cet appel peut être perçue comme suscitant une crainte raisonnable de partialité.

Les observations du demandeur

[26]           Le demandeur soutient que la SAR a examiné des questions, en particulier celles concernant les conclusions de la SPR sur sa crédibilité, qu’il n’avait pas soulevées dans son appel, sans l’aviser, ni lui offrir la possibilité de produire des observations en réponse, ce qui constitue selon lui un manquement à l’équité procédurale.

[27]           Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en adoptant la norme de contrôle de la raisonnabilité et en appliquant des principes de contrôle judiciaire à son appel de la décision de la SPR.

[28]           Le demandeur fait observer que, malgré l’adoption par la SAR de la norme de la raisonnabilité, qui constitue une erreur, la SAR n’a pas fait preuve de déférence à l’égard des conclusions de la SPR quant à sa crédibilité. La SAR, en effet, a formulé ses propres conclusions sur la crédibilité, mais sans tenir d’audience. Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas d’audience comme elle l’aurait dû conformément au paragraphe 110(6) de la Loi et/ou aux principes de l’équité procédurale.

[29]           Le demandeur soutient aussi que la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre ses nouveaux éléments de preuve, notamment en se fondant pour ce faire sur le critère dégagé dans l’arrêt Raza. Le demandeur prétend que cet arrêt traite de l’admissibilité de nouveaux éléments quant au risque dans le cadre d’un examen des risques avant renvoi [ERAR], ce qui est un contexte tout à fait différent, et il ne convient pas d’appliquer l’arrêt en question pour ce qui est de l’admission de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’un appel interjeté sous le régime du paragraphe 110(4) de la Loi. Il ajoute que ses nouveaux éléments de preuve sont de nature objective et qu’ils confirment sa crainte subjective de trouver la mort au cours de son service national.

[30]           Le demandeur laisse aussi entendre que la conduite de la SAR pourrait être perçue comme suscitant une crainte raisonnable de partialité, au motif qu’elle a étendu son examen bien au‑delà des questions en litige qu’il avait soulevées, et ce, en vue de faire en sorte que son appel soit rejeté. Il fait enfin valoir que les conclusions défavorables de la SAR sur sa crédibilité pourraient lui porter préjudice dans des demandes ultérieures.

Les observations du défendeur

[31]           Le défendeur attire l’attention sur le fait que, contrairement aux Règles de la SPR, les Règles de la SAR ne prévoient pas l’obligation d’aviser l’appelant des questions qui seront examinées.

[32]           Concernant la norme de contrôle applicable, le défendeur soutient que la Cour devrait appliquer la norme de la raisonnabilité au choix de la SAR d’instruire selon cette même norme les appels des décisions de la SPR.

[33]           Le défendeur ajoute, en ce qui concerne la norme de contrôle applicable, que la SAR n’a pas commis d’erreur : elle doit appliquer la norme de la raisonnabilité aux appels des décisions de la SPR en ce qui concerne les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit.

[34]           Le défendeur fait observer que la jurisprudence de notre Cour étaye l’opinion selon laquelle la SAI peut faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de la SPR sur la crédibilité. Il ajoute que la norme d’appel de l’erreur manifeste et dominante et la norme de contrôle judiciaire de la raisonnabilité prescrivent toutes deux la retenue et que la première conduirait au même résultat que la seconde.

[35]           En ce qui concerne le fond de l’appel, le défendeur soutient que la SAR a agi raisonnablement en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve, se conformant ainsi tant au paragraphe 110(4) de la Loi qu’aux dispositions des Règles de la SAR, qui enjoignent l’appelant de préciser en quoi de tels éléments se rapportent à l’appel. Il était également raisonnable de la part de la SAR de tenir compte du critère dégagé dans l’arrêt Raza, même si cet arrêt portait sur l’application de l’article 113 de la Loi, étant donnée la ressemblance entre le libellé de cet article et celui du paragraphe 110(4).

[36]           En outre, la SAR a examiné les nouveaux éléments de preuve et elle a motivé son refus de les admettre : les articles en question ne concernaient pas le fondement de la crainte du demandeur, mais rendaient plutôt compte de toutes sortes de maladies et de blessures subies au cours du service national, ainsi que de querelles individuelles entre membres du service national.

[37]           Le défendeur soutient aussi que la SAR n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas d’audience. La question de la crédibilité n’a pas joué de rôle essentiel dans la décision de la SAR, étant donné que de nombreuses conclusions étayaient cette décision ainsi que celle de la SPR.

[38]           Au sujet de l’allégation de partialité avancée par le demandeur contre la SAR, le défendeur rappelle la rigueur du critère de preuve applicable et affirme que le dossier ne contient aucun élément tendant à établir le bien‑fondé de cette allégation.

Le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention sous le régime de l’article 96

[39]           La SPR a conclu que le retard du demandeur à solliciter l’asile était extrême et portait un coup fatal à sa demande d’asile fondée sur l’article 96. Cette conclusion n’a pas été contestée en appel.

[40]           Malgré qu’elle ait cru bon de confirmer cette conclusion en y appliquant la norme de la raisonnabilité, la SAR a constaté que l’appelant ne la contestait pas. En outre, le demandeur a convenu à l’audience de la présente instance que la conclusion relative à l’article 96 doit être confirmée.

[41]           Par conséquent, les seules questions en litige dans l’appel interjetées devant la SAR se rapportaient à la demande d’asile fondée sur l’article 97. Pareillement, les seules questions qu’il convient d’examiner dans la présente demande de contrôle judiciaire visant la décision de la SAR sont celles qui se rapportent à cette même demande d’asile.

La norme de contrôle applicable

La norme de contrôle que la Cour doit appliquer

[42]           La jurisprudence est en évolution au sujet de la norme de contrôle que notre Cour doit appliquer à l’égard de la norme que la SAR a choisi d’appliquer et des autres conclusions de cette dernière, notamment celles qui concernent la crédibilité et le point de savoir s’il y a lieu d’admettre de nouveaux éléments de preuve.

[43]           La Cour a traité, dans plusieurs décisions récentes, de la norme de contrôle qu’elle doit appliquer aux décisions de la SAR sur la question de savoir selon quelle norme cette dernière doit instruire les appels visant les décisions de la SPR. Le juge Phelan, aux paragraphes 25 à 34 de Huruglica c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 799, [2015] ACF no 845, s’est livré à une analyse exhaustive, à l’issue de laquelle il a conclu que la Cour devrait examiner le choix de la norme de contrôle par la SAR suivant la norme de la décision correcte. La Cour a suivi cette approche dans d’autres décisions, notamment les suivantes : Iyamuremye c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 494, au paragraphe 20, [2014] ACF no 523 [Iyamuremye]; Eng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 711, aux paragraphes 17 et 18, 245 ACWS (3d) 644; Alvarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 702, au paragraphe 17, [2014] ACF no 740 [Alvarez]; Yetna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 858, aux paragraphes 14 et 15, [2014] ACF no 906 [Yetna]; Triastcin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 975, aux paragraphes 18 et 19, [2014] ACF no 1011 [Triastcin]; Tamayo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1127, au paragraphe 18, [2014] ACF no 1172 [Tamayo]; et Bahta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1245, au paragraphe 10, 248 ACWS (3d) 419 [Bahta].

[44]           La juge Gagné est arrivée à la conclusion contraire, au terme d’une analyse non moins exhaustive, qu’elle a exposée aux paragraphes 17 à 26 de la décision Akuffo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1063, [2014] ACF no 1116 [Akuffo]. Selon elle, notre Cour devrait appliquer la norme de la raisonnabilité à l’égard du choix, par la SAR, de la norme de contrôle; la norme de la raisonnabilité, explique‑t‑elle, est la norme présumée, et il n’existe pas de circonstances spéciales justifiant qu’on s’en écarte. Le juge Martineau a formulé la même conclusion à l’issue de son analyse exposée aux paragraphes 13 à 37 de Djossou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1080, [2014] ACF no 1130 [Djossou].

[45]           Il n’est pas contesté que la Cour doit contrôler suivant la norme de la raisonnabilité l’application par la SAR du droit aux faits de l’espèce et la décision de celle‑ci concernant les conclusions de la SPR sur la crédibilité; voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 53 et 54, [2008] 1 RCS 190.

[46]           En ce qui concerne l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve devant la SAR, la juge Gagné a conclu, aux paragraphes 36 à 42 de Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1022, 246 ACWS (3d) 433 [Singh], que la norme de la raisonnabilité s’applique aux questions y afférentes; voir aussi Khachatourian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 182, au paragraphe 37, [2015] ACF no 156 [Khachatourian]).

La norme de contrôle que la SAR doit appliquer à l’égard des décisions de la SPR

[47]           Je prends acte de la thèse du demandeur selon laquelle la SAR doit appliquer la norme de la raisonnabilité dans le contexte d’un appel visant une décision de la SPR, mais me laisserai néanmoins guider par la jurisprudence de notre Cour.

[48]           Il est de jurisprudence constante que le fait, par la SAR, d’exercer une fonction de contrôle judiciaire et d’appliquer la norme de la raisonnabilité aux décisions de la SPR constitue une erreur susceptible de contrôle. La SAR doit plutôt remplir sa fonction de tribunal d’appel; voir Huruglica, au paragraphe 54; Iyamuremye, au paragraphe 38; Alyafi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 952, au paragraphe 10, [2014] ACF no 989; Guardado c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 953, au paragraphe 4, [2014] ACF no 1038; Diarra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1009, au paragraphe 29, [2014] ACF no 1111; Djossou, au paragraphe 37; Bahta, aux paragraphes 11 à 16; Aloulou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1236, aux paragraphes 52 à 59, [2014] ACF no 1307 [Aloulou]; Bui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1145, au paragraphe 22, [2014] ACF no 1271; Genu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 129, au paragraphe 30, [2015] ACF no 159; Alvarez, au paragraphe 30; et d’autres décisions plus récentes.

[49]           En ce qui a trait aux questions de crédibilité, la Cour a conclu que la SAR peut ou doit faire preuve de déférence à l’égard de la SPR, du fait que cette dernière a entendu les témoins directement, qu’elle a pu les interroger sur leurs déclarations ou jouissait par rapport à la SAR d’un autre avantage; voir par exemple : Huruglica, au paragraphe 55; Iyamuremye, au paragraphe 40; Akuffo, au paragraphe 27; et Nahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1208, au paragraphe 25, [2014] ACF no 1254. Le juge Noël a fait observer au paragraphe 31 de Khachatourian que la SAR doit assumer son rôle de tribunal d’appel, et que le même degré de retenue peut ne pas être applicable aux conclusions sur la crédibilité, selon qu’on les examine dans le cadre d’un appel ou d’un contrôle judiciaire. Il a ajouté qu’un certain degré de retenue est permis à la SAR, sous la condition nécessaire qu’elle effectue sa propre appréciation ou analyse. Le juge Mosley constate au paragraphe 23 de Balde c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 624, [2015] ACF no 641, qu’il s’agissait là l’opinion prédominante : « La Cour a toujours eu comme principe que la SAR devait faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR concernant les faits ou la crédibilité, mais aussi que la SAR devait soumettre ces conclusions à sa propre analyse. »

[50]           En l’espèce, la SAR a commis une erreur en concluant qu’il lui fallait appliquer la norme de la raisonnabilité et en instruisant l’appel comme s’il s’agissait d’un contrôle judiciaire.

[51]           Je tiens cependant à souligner que la SAR ne bénéficiait pas, au moment de l’appel, des directives contenues dans la jurisprudence récente.

[52]           Comme on l’a vu plus haut, ce n’est pas une erreur de la part de la SAR que de faire preuve de déférence à l’égard des conclusions sur la crédibilité, dans un cas où elle‑même une analyse suffisamment indépendante. En l’espèce, la SAR a analysé la preuve au dossier pour conclure que celle‑ci n’étayait pas les conclusions sur la crédibilité et, en fait, qu’elle les contredisait. Elle a donc déclaré déraisonnables les conclusions de la SPR sur la crédibilité. Logiquement, la SAR serait arrivée au même résultat – portant que les conclusions sur la crédibilité étaient mal fondées – si elle avait appliqué une norme d’examen commandant un moindre degré de retenue.

[53]           Toutefois, les conclusions relatives à la crédibilité n’étaient pas déterminantes quant à la demande fondée sur l’article 96, et les seules questions en litige dans l’appel se rapportaient à la demande formée au titre de l’article 97.

[54]           Comme on le verra plus en détail ci‑dessous, la SAR a commis une erreur en ne donnant pas au demandeur la possibilité de répondre par des observations relativement à ses préoccupations à propos des conclusions sur la crédibilité, conclusions qui n’avaient pas été contestées par le demandeur.

Les nouveaux éléments de preuve

[55]           La décision de la SAR à savoir si elle devait admettre de nouveaux éléments de preuve en appel relève de sa propre conclusion, tirée en fonction des dispositions applicables de la Loi et des Règles. Ce qu’il faut ici se demander, c’est si le rejet par la SAR des nouveaux éléments proposés est raisonnable; voir Singh, aux paragraphes 36 à 42; et Khachatourian, au paragraphe 37.

[56]           Je conviens avec le demandeur qu’on ne peut appliquer automatiquement le critère de l’arrêt Raza aux conclusions relevant du paragraphe 110(4). Ce critère, qui commande l’examen de facteurs tels que la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel, n’est pas nécessairement applicable au paragraphe 110(4), qui régit le point de savoir si de nouveaux éléments de preuve sont admissibles dans le cadre d’un appel – par opposition à un ERAR. La juge Gagné a fait remarquer au paragraphe 57 de la décision Singh que le contexte est un facteur de distinction important et qu’il ne faut pas prendre pour acquise l’applicabilité du critère de Raza aux conclusions relatives à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve sous le régime du paragraphe 110(4).  

[57]           En l’espèce, la SAR a renvoyé aux facteurs de la pertinence et du caractère substantiel dégagés dans l’arrêt Raza, quoiqu’elle n’ait pas bien cité ce dernier facteur. Elle a déclaré de manière plus générale que les nouveaux éléments de preuve en question ne remplissaient pas les conditions définies dans l’arrêt Raza. Elle a aussi fondé son rejet sur le libellé du paragraphe 110(4) de la Loi, ainsi que sur celui de l’article 33 des Règles, qui exigeait du demandeur qu’il établisse un lien entre les nouveaux éléments et son appel.

[58]           Étant donné que présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie en raison de l’erreur que la SAR a commise en appliquant la norme de la raisonnabilité, la SAR devra étudier à nouveau, dans le cadre de son réexamen de l’appel, la question de savoir si les nouveaux éléments de preuve remplissent les conditions fixées par la Loi et les Règles. Si elle décide de s’inspirer de l’arrêt Raza, étant donné le libellé analogue des dispositions concernées de la Loi, elle devra se demander comment il convient d’adapter le critère de cet arrêt au contexte d’un appel portant sur des questions bien précises. Je rappelle qu’en l’espèce, le demandeur a essayé de faire admettre de nouveaux éléments de preuve à l’appui de ses allégations de risque personnel relevant de l’article 97.

La tenue d’une audience est l’exception

[59]           Il ressort à l’évidence des dispositions applicables de la Loi que la SAR instruit les appels sur dossier, sous réserve d’exceptions déterminées.

[60]           Le paragraphe 110(3) de la Loi est libellé comme suit :

(3) Sous réserve des paragraphes (3.1), (4) et (6), la section procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la Section de la protection des réfugiés, mais peut recevoir des éléments de preuve documentaire et des observations écrites du ministre et de la personne en cause ainsi que, s’agissant d’une affaire tenue devant un tribunal constitué de trois commissaires, des observations écrites du représentant ou mandataire du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et de toute autre personne visée par les règles de la Commission.

(3) Subject to subsections (3.1), (4) and (6), the Refugee Appeal Division must proceed without a hearing, on the basis of the record of the proceedings of the Refugee Protection Division, and may accept documentary evidence and written submissions from the Minister and the person who is the subject of the appeal and, in the case of a matter that is conducted before a panel of three members, written submissions from a representative or agent of the United Nations High Commissioner for Refugees and any other person described in the rules of the Board.

 

[soulignement ajoutés]

 

[Emphasis added]

[61]           Le paragraphe 110(6) de la Loi confère à la SAR le pouvoir discrétionnaire de tenir une audience dans le cas où trois conditions sont réunies :

(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

 

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

 

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

 

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

[62]           Le demandeur soutient que la SAR aurait dû tenir une audience, parce qu’elle a examiné les conclusions de la SPR sur sa crédibilité, lesquelles il n’avait pas mises en litige dans son appel, sans lui offrir la possibilité de présenter des observations en réponse aux préoccupations exprimées par la SAR quant à ces conclusions.

[63]           Les conditions de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de tenir une audience ne se trouvaient pas remplies en l’espèce, parce que la SAR s’est fondée seulement sur le dossier de la SPR, et non sur les autres éléments de preuve documentaire. En outre, les conclusions de la SPR sur la crédibilité n’étaient pas essentielles pour la prise de la décision en question relative à la demande d’asile. En effet, bien que la SPR ait formulé certaines conclusions favorables sur la crédibilité, c’est pour d’autres motifs qu’elle avait rejeté la demande d’asile du demandeur pour d’autres motifs.

[64]           Cependant, la question de savoir si la SAR aurait dû donner au demandeur la possibilité de produire des observations en réponse à l’égard de ses préoccupations quant aux conclusions de la SPR en matière de crédibilité exige un plus examen approfondi, indépendamment des conditions formulées au paragraphe 110(6).

L’équité procédurale

[65]           Comme il a été mentionné précédemment, la SAR doit assumer son rôle de tribunal d’appel plutôt que d’adopter des principes de contrôle judiciaire. En l’espèce, la SAR a confirmé les conclusions déterminantes de la SPR selon une méthode propre au contrôle judiciaire et d’après la norme de la raisonnabilité, tout en examinant un ensemble plus large de questions, conformément à la règle à suivre dans un véritable appel fondé sur les faits. Cependant, elle ne s’est pas demandé si elle avait le pouvoir discrétionnaire de soulever une nouvelle question, ni si, dans l’affirmative, il y avait lieu d’exercer ce pouvoir, ni si un tel exercice poserait des problèmes au point de vue de l’équité procédurale.

[66]           La Cour suprême du Canada a examiné, dans l’arrêt R c Mian, 2014 CSC 54, [2014] 2 RCS 689 [Mian], l’étendue de la compétence des tribunaux d’appel pour soulever de nouvelles questions, en quoi consiste une nouvelle question, dans quels cas cette compétence doit être exercée et la procédure à suivre quand on l’exerce. L’arrêt Mian portait sur une affaire pénale, mais les principes ont été appliqués à d’autres types d’instances, y compris en matière administrative.

[67]           La Cour suprême a défini ce qu’est une « nouvelle question » au paragraphe 30 de cet arrêt :

Une question est nouvelle lorsqu’elle constitue un nouveau fondement sur lequel on pourrait s’appuyer – autre que les moyens d’appel formulés par les parties – pour conclure que la décision frappée d’appel est erronée. Les questions véritablement nouvelles sont différentes, sur les plans juridique et factuel, des moyens d’appel soulevés par les parties (voir Quan c. Cusson, 2009 CSC 62, [2009] 3 R.C.S. 712, par. 39) et on ne peut pas raisonnablement prétendre qu’elles découlent des questions formulées par les parties. Vu cette définition, dans le cas de nouvelles questions, il faudra aviser les parties à l’avance pour qu’elles puissent en traiter adéquatement. [Non souligné dans l’original.]

[68]           La Cour suprême a conclu au paragraphe 41 que, s’il est vrai qu’une cour d’appel a compétence pour soulever une nouvelle question, elle doit l’exercer rarement, et uniquement « si son omission de le faire risquerait d’entraîner une injustice. La cour doit aussi se demander si suffisamment d’éléments au dossier justifient de soulever la question et si, le faisant, elle causerait un préjudice d’ordre procédural à l’une ou l’autre des parties. »

[69]           La Cour suprême a ensuite exposé plus en détail, aux paragraphes 50 à 52, les facteurs afférents au pouvoir discrétionnaire d’une cour d’appel de soulever de nouvelles questions, soit : sa compétence pour examiner la question en cause, la question de savoir s’il y a suffisamment d’éléments au dossier pour la trancher, et celle de savoir si l’exercice de ce pouvoir entraînerait pour l’une ou l’autre des parties un préjudice d’ordre procédural (par exemple, les parties auront‑elles la possibilité de présenter des observations?).

[70]           La Cour suprême a précisé que, lorsque la cour qui siège en appel soulève une nouvelle question, elle a en général l’obligation d’en aviser les parties et de leur offrir la possibilité de produire des observations en réponse à la nouvelle question.

[71]           À mon sens, il convient d’étendre la validité de ces principes au‑delà du contexte des appels en matière criminelle et de les appliquer, compte tenu des modifications nécessaires, aux appels interjetés devant la SAR. Celle‑ci devrait d’abord se demander si la question est « nouvelle » et si le fait de ne pas la soulever risquerait d’entraîner une injustice. Dans le cas où elle décidera d’aller de l’avant avec la nouvelle question, il paraît évident que l’équité procédurale l’obligera à aviser la ou les parties intéressées, ainsi qu’à leur donner la possibilité de présenter des observations.

[72]           Dans le cadre d’un véritable appel fondé sur les faits, il ne serait pas interdit à la SAR d’examiner de nouvelles questions qui n’étaient pas soulevées dans l’appel. En l’espèce, le demandeur a soulevé trois questions en litige. La SAR a déclaré qu’elle concentrerait son attention sur quatre questions, mais une seule d’entre elles se rapportait à l’une des questions soulevées par le demandeur, soit sa crainte du service national. Si l’on applique et adapte les principes de l’arrêt Mian aux appels portés devant la SAR, cette dernière aurait dû à tout le moins se demander si les conclusions sur la crédibilité constituaient de nouvelles questions et s’il était essentiel d’examiner ces conclusions pour éviter une injustice. Dans l’affirmative, le demandeur aurait dû se voir offrir la possibilité de présenter des observations à ce sujet.

[73]           Comme je le disais plus haut, la conclusion qui a scellé le sort de la demande fondée sur l’article 96 n’intéressait pas la crédibilité, mais le retard du demandeur à solliciter l’asile. Les conclusions sur la crédibilité que la SAR a jugées déraisonnables se rapportaient à la crainte des gangs alléguée par le demandeur et à ses affirmations selon lesquelles la police avait refusé de le protéger. La SAR n’avait pas à réexaminer ces questions, puisque la demande fondée sur l’article 96 avait été rejetée au motif du retard du demandeur à solliciter l’asile et que cette conclusion n’était pas visée par l’appel. Cependant, comme le souligne le demandeur, les conclusions défavorables de la SAR quant à sa crédibilité pourraient avoir une incidence négative sur les décisions ultérieures concernant son statut au Canada.

[74]           Indépendamment de la question de savoir si la SAR doit ou non appliquer les directives formulées dans Mian, c’est un principe fondamental de la justice naturelle et de l’équité procédurale que toute partie doit se voir offrir la possibilité de s’exprimer au sujet des nouvelles questions et préoccupations qui auront une incidence sur une décision la concernant.

[75]           La Cour suprême du Canada a dressé, aux paragraphes 23 à 28 de Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, [1999] ACF no 39, une liste de facteurs applicables à l’obligation d’équité procédurale, en soulignant que le contenu de cette obligation doit être déterminé dans le contexte particulier de chaque espèce. Après avoir précisé que cette liste n’était pas exhaustive, elle a rappelé que l’équité procédurale se fonde sur le principe que les intéressés doivent avoir la possibilité de présenter leur thèse et pouvoir s’attendre à ce que les décisions ayant une incidence sur leurs droits et intérêts soient rendues à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, « adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision ».

[76]           Certes, la portée de l’obligation d’équité procédurale varie selon le cas, mais la SAR aurait dû à tout le moins offrir au demandeur, sous quelque forme que ce soit, la possibilité de produire des observations en réponse à ses préoccupations en ce qui concerne les conclusions favorables de la SPR sur la crédibilité, même si ces conclusions ne devaient rien changer à la décision en cause.

La SAR n’a manifesté aucune partialité

[77]           Le critère applicable pour établir s’il existe une partialité réelle ou une crainte raisonnable de partialité consiste à se demander à quelle conclusion arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique : croirait‑elle que, consciemment ou non, le décideur – en l’occurrence la SAR – ne rendra pas une décision juste? Voir l’arrêt Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, à la page 394, 68 DLR (3d) 716.

[78]           Les allégations de partialité sont chose sérieuse et ne doivent pas être formulées à la légère.

[79]           Aucun élément du dossier ne donne à penser que la SAR ait manifesté la moindre partialité. Il est vrai qu’elle a étendu son examen à des questions que le demandeur n’avait pas soulevées, mais cela semble être lié à la manière dont elle concevait son rôle de tribunal d’appel – rien de plus.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie en ce qui a trait à la demande d’asile fondée sur l’article 97.

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1272‑14

 

INTITULÉ :

WAI KHEONG CHING c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.