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Date : 20150525


Dossier : IMM-4968-14

Référence : 2015 CF 666

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 mai 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

JIALU SU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Jialu Su [le demandeur] a présenté une demande de contrôle judiciaire sous le régime de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Le demandeur conteste la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a conclu qu’il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.                Contexte

[3]               Le demandeur est citoyen de la Chine. Il demeurait auparavant dans la province du Guangdong. Sa demande d’asile était fondée sur les allégations suivantes :

               En février 2010, le demandeur a découvert que sa petite amie avait été infidèle. Il est devenu frustré et déçu.

               En mai 2010, le demandeur a visité un ami qui l’a informé des avantages de la pratique du Falun Gong, un mouvement spirituel interdit en Chine. En juin 2010, le demandeur a commencé à étudier le Falun Gong avec son ami. Après trois mois de pratique du Falun Gong, il a commencé à se sentir mieux.

               Le 25 août 2011, le demandeur pratiquait sa nouvelle foi dans la maison d’un autre adepte du Falun Gong lorsque le Bureau de la sécurité publique [le BSP] y a effectué une descente. Le demandeur s’est enfui chez un ami et est demeuré là pendant deux mois. Pendant ce temps, le demandeur a appris que le BSP avait fouillé sa maison familiale et cherché à l’arrêter à 15 différentes occasions.

               Craignant le BSP, le demandeur a décidé de quitter la Chine. Avec l’aide d’un ami, il a retenu les services d’un agent qui a fait tous les préparatifs pour que le demandeur puisse quitter la Chine.

[4]               Le demandeur est arrivé au Canada, via Hong Kong et les États‑Unis, le 22 octobre 2011. Il a présenté sa demande d’asile le 31 octobre 2011.

[5]               La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur le 2 juin 2014 au motif qu’il manquait de crédibilité.

III.             La décision de la Commission

[6]               La Commission n’était pas convaincue que le demandeur était un véritable adepte du Falun Gong, en Chine ou au Canada, et n’a pas cru qu’il était recherché par le BSP. La Commission a déterminé que le demandeur ne serait pas exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé dans son pays d’origine.

[7]               La Commission a conclu que le demandeur avait fabriqué son récit afin de soutenir sa demande d’asile. La Commission a fondé sa décision sur plusieurs conclusions défavorables concernant la vraisemblance et la crédibilité de la version des événements livrée par le demandeur :

               Il était invraisemblable que le demandeur ait joint le mouvement Falun Gong simplement à cause de l’échec d’une relation. Le demandeur connaissait les dangers qui guettaient les adeptes du Falun Gong en Chine. Il n’a pas démontré qu’une forte et importante motivation l’avait poussé à le faire, malgré les graves conséquences.

               Le demandeur a affirmé que le BSP n’avait jamais laissé de mandat d’arrestation à sa maison familiale, bien que le BSP l’ait apparemment recherché à 15 différentes occasions. Il aurait été normal qu’un mandat d’arrestation soit lancé, étant donné l’allégation du demandeur selon laquelle le BSP le recherchait assidûment.

               Le demandeur avait pu quitter la Chine à l’aide d’un passeport authentique délivré à son nom. S’il avait été recherché sans relâche par le BSP comme il l’affirmait, il n’aurait pas pu quitter la Chine de cette façon.

               La famille du demandeur avait continué de mener sa vie sans être intimidée par le BSP; toutefois, la preuve documentaire révélait que les membres de la famille des adeptes du Falun Gong étaient punis et persécutés par les autorités chinoises locales.

               Le demandeur a donné des raisons vagues ou détournées pour expliquer la présentation tardive de sa demande.

[8]               Étant donné ses conclusions défavorables sur la crédibilité, la Commission a accordé peu de poids aux éléments de preuve que le demandeur avait produits pour établir sa pratique suivie du Falun Gong au Canada. Ces éléments de preuve ont été jugés intéressés et insuffisants pour dissiper les réserves de la Commission à propos de la sincérité du demandeur.

IV.             Questions en litige

[9]               La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

A.          La Commission a‑t‑elle fait une évaluation raisonnable de la crédibilité du demandeur?

B.           La Commission a‑t‑elle fait une évaluation raisonnable de la demande d’asile sur place du demandeur?

V.                Analyse

[10]           Les conclusions tirées par la Commission sur la crédibilité du demandeur et sur sa demande d’asile sur place sont susceptibles de contrôle devant la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 941, aux paragraphes 14 et 15; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

A.                La Commission a‑t‑elle fait une évaluation raisonnable de la crédibilité du demandeur?

[11]           Le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile est présumé être vrai à moins qu’il n’y ait des raisons de douter de sa véracité (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1980] 2 CF 302 (CF)). Lorsqu’elle évalue le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile, la Commission peut apprécier sa vraisemblance, et faire preuve de bon sens et de rationalité (Ye c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1221, au paragraphe 29). Lorsque les éléments de preuve présentés à la Commission ne concordent pas avec le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile, la présomption de véracité peut être réfutée (Adu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 114 (CAF)).

[12]           Le demandeur soutient que la conclusion de la Commission sur l’invraisemblance de son récit est déraisonnable. Il s’appuie à cet égard sur la décision Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776 (CF), au paragraphe 9 [Valtchev] :

Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est‑à‑dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur.

[13]           La Cour doit faire preuve d’une grande retenue à l’endroit des conclusions concernant la crédibilité tirées par la Commission, étant donné le rôle central de la Commission à titre de juge des faits, son expertise et la possibilité qu’elle a d’observer directement le comportement des témoins (Aguilar Zacarias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1155, au paragraphe 9; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF), au paragraphe 4). La Cour interviendra seulement lorsque la décision de la Commission n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). La décision de la Commission est déraisonnable seulement si la Commission l’a rendue de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait (Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, au paragraphe 118).

[14]           La Commission a fondé sa conclusion concernant l’invraisemblance du récit du demandeur en se fondant sur son expertise, sur le témoignage du demandeur et sur la preuve documentaire produite. Il n’était pas déraisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur, un jeune homme au début de la vingtaine, ne se serait pas mis en danger et n’aurait pas mis sa famille en danger en devenant un adepte du Falun Gong simplement parce que sa petite amie avait été infidèle.

[15]           Le demandeur soutient aussi que la Commission s’est montrée sélective dans son utilisation de la preuve documentaire. La Commission est présumée avoir tenu compte de tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés (Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 946 (CAF), au paragraphe 3). Le fait de ne pas mentionner un élément de preuve particulier ne signifie pas que cet élément a été ignoré ni que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle (Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 266, au paragraphe 19).

[16]           La preuve documentaire confirme que le BSP n’applique pas toujours une pratique uniforme lorsqu’il s’agit de laisser des sommations. Toutefois, en l’espèce, l’évaluation défavorable de la crédibilité du demandeur faite par la Commission était raisonnable, compte tenu du témoignage de celui‑ci quant au nombre de visites que le BSP avait faites à sa maison (Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1398, au paragraphe 35; Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 654). La preuve documentaire ne démontre pas que le BSP ne laisse jamais de mandat d’arrestation aux membres de la famille de la personne recherchée dans la province du Guangdong (Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1200, au paragraphe 30).

[17]           De même, la Commission pouvait à bon droit tirer une conclusion défavorable du fait que le demandeur avait pu quitter la Chine à l’aide d’un passeport authentique délivré à son nom. La preuve documentaire contenait des renseignements sur le système de surveillance de la police nationale et sur les procédures d’entrée et de sortie des citoyens chinois voulant se rendre à Hong Kong. Bien que les pratiques d’échange de renseignements au sein des postes de police ne soient pas systématiques, surtout dans les petites villes, seul le poste de police local aurait pu délivrer un permis de sortie au demandeur.

B.                 La Commission a‑t‑elle fait une évaluation raisonnable de la demande d’asile sur place du demandeur?

[18]           Il est permis à la Commission d’analyser une demande d’asile sur place au regard des préoccupations relatives à la crédibilité se rapportant à l’authenticité initiale d’une demande d’asile (Zhou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 5, au paragraphe 23; Jiang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1067, au paragraphe 28 [Jiang]; Hou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 993, au paragraphe 57; Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 849, au paragraphe 19). La Commission doit néanmoins déterminer, implicitement ou explicitement, si le demandeur, en raison des événements qui se sont produits depuis qu’il a quitté son pays d’origine, est devenu membre d’un groupe persécuté et s’il serait maintenant exposé à la persécution à son retour (Jiang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 635, au paragraphe 15).

[19]           En l’espèce, je retiens l’analyse à laquelle s’est livré le juge Zinn dans la décision Jiang, au paragraphe 27 :

Dans la présente affaire, la Commission a conclu que la demanderesse avait fabriqué son histoire afin de demander l’asile. Il est raisonnable de déduire de cette constatation que les connaissances actuelles de la demanderesse, les photographies d’elle‑même et les lettres de soutien obtenues pendant l’intervalle de deux ans visaient à étayer cette demande frauduleuse.

[20]           Je rejette l’allégation du demandeur selon laquelle la Commission a effectué une analyse superficielle de la demande sur place et omis de fournir des motifs. Je conclus que la Commission a dûment examiné la preuve qui lui avait été présentée et raisonnablement conclu que le demandeur avait fabriqué cette partie de son récit pour appuyer sa demande artificielle (Meng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 365, au paragraphe 27). L’avocat du demandeur a reconnu franchement qu’il n’y avait aucune raison de croire que les autorités chinoises étaient au courant des activités du demandeur ayant trait au Falun Gong au Canada.

VI.             Conclusion

[21]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier aux fins d’un appel, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction non- certifiée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4968-14

 

INTITULÉ :

JIALU SU c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Nkunda Kabateraine

 

POUR Le demandeur

 

Rafeena Rashid

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nkunda Kabateraine

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR Le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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