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Date : 20150617


Dossier : IMM‑6536‑14

Référence : 2015 CF 758

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 juin 2015

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

MOHAMED FAZIL AHAMED MOHAMED

FATHIMA FARHANA MOHAMMED MANSOOR

FATHIMA AMNA MOHAMMED FAZIL

FATHIMA HANA MOHAMMED FAZIL

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’égard d’une décision rendue le 21 août 2014 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté les demandes d’asile de M. Mohamed Fazil Ahamed Mohamed [le demandeur principal], de sa femme, Fathima Farhana Mohammed Mansoor, et de leurs deux filles mineures, Fathima Amna Mohammed Fazil et Fathima Hana Mohammed Fazil.

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

I.                   Faits

[3]               Les demandeurs sont des Tamouls musulmans citoyens du Sri Lanka. Ils habitaient dans la ville de Kandy, au centre du Sri Lanka. Le demandeur principal exploitait une entreprise dont il était également le propriétaire, connue sous le nom de Kandy Oil Store, où il vendait du pétrole et des aliments.

[4]               Dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP] et son témoignage devant la SPR, le demandeur principal a expliqué qu’il appuie le Parti national uni [UNP] depuis 1995 en préparant des repas, en posant des affiches et en montant des scènes. Il en est devenu un membre officiel en 2000. L’UNP soutenait la candidature à la présidence du général Sarath Fonseka depuis un certain temps, mais, en fin de compte, a décidé d’appuyer un autre candidat lors des élections présidentielles de 2010. Le demandeur principal a affirmé avoir néanmoins continué de soutenir le général Fonseka tout au long du processus électoral en question et ne s’être heurté à aucun problème particulier en raison de ses activités politiques à l’époque.

[5]               Le demandeur principal soutient que ses problèmes ont commencé en octobre 2010. Le général Fonseka avait perdu l’élection de janvier 2010, et le gouvernement l’a arrêté et détenu sous, selon ce que croient de nombreuses personnes, de fausses accusations. Le demandeur principal a travaillé activement pour recueillir des signatures pour une pétition sollicitant la mise en liberté du général Fonseka. Il a dirigé un groupe de partisans et assuré la coordination avec d’autres groupes de partisans pour recueillir des signatures.

[6]               Selon ses allégations, le demandeur principal aurait commencé à recevoir des appels menaçants en octobre 2010 de la part de personnes se présentant comme les truands de l’Alliance du peuple uni pour la liberté [UPFA], le parti au pouvoir au Sri Lanka, et exigeant qu’il cesse ses activités politiques à l’appui du général Fonseka. Il a expliqué à la SPR qu’il croyait au début qu’il s’agissait de blagues téléphoniques. Toutefois, voyant que les appels ne cessaient pas, il a décidé de porter plainte à la police. La police n’a pas assuré le suivi de la plainte, et le demandeur principal a continué de recevoir des appels. Cette fois, l’auteur des appels faisait référence au fait qu’il s’était adressé aux policiers et lui disait que cela ne servait à rien.  

[7]               En mai 2011, des policiers se sont présentés à son commerce et l’ont emmené au poste de police où ils l’ont interrogé au sujet de ses activités à l’appui du général Fonseka. Les policiers lui ont demandé 50 000 roupies en échange de sa libération, ce à quoi il a acquiescé. Le mois suivant, les mêmes policiers l’ont abordé et lui ont demandé de leur verser 20 000 roupies par mois de sorte à « garantir qu’il ne participerait à aucune autre activité contre le gouvernement ». Ils ont menacé de le détenir s’il refusait. Lorsqu’il a refusé, les policiers l’ont battu jusqu’à ce qu’il accepte de les payer.

[8]               Le demandeur principal a continué de verser 20 000 roupies par mois aux policiers. En novembre 2011, il s’est rendu en Inde dans le cadre d’un voyage d’affaires. Il a expliqué à la SPR qu’il n’avait pas demandé l’asile en Inde puisque la situation n’y était guère plus favorable qu’au Sri Lanka et qu’il pensait pouvoir endurer la situation. En janvier 2012, la police a porté les versements à 30 000 roupies par mois. Lorsque les policiers ont appris qu’il partait en vacances au Canada, ils ont demandé qu’il verse d’avance les sommes pour les mois où il serait absent. Les policiers l’ont menacé avec une arme lorsqu’il s’est plaint.

[9]               Les demandeurs sont arrivés au Canada le 24 août 2012 et ont demandé l’asile le 19 octobre 2012 lorsqu’ils ont pris connaissance du processus d’examen des demandes d’asile au Canada.

II.                Décision contestée

[10]           Au début de la décision, la SPR a souligné que la question déterminante était celle de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI]. La SPR n’a tiré aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité. Elle est donc présumée avoir accepté l’exposé circonstancié des demandeurs comme étant véridique.

[11]           En ce qui concerne la demande au titre de l’article 96 de la LIPR, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas une crainte fondée de persécution parce que le demandeur principal n’a pas démontré de crainte subjective au regard des appels menaçants. De plus, comme le général Fonseka est sorti de prison en 2012, la raison pour laquelle le demandeur principal a initialement été pris pour cible n’est plus.

[12]           En ce qui a trait à la demande au titre de l’alinéa 97(1)a) de la LIPR, la SPR a jugé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que les policiers qui extorquaient de l’argent au demandeur principal agissaient à titre officiel et a souligné qu’aucune allégation de torture n’avait été formulée.

[13]           En ce qui concerne la demande au titre de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR, la SPR a conclu que les demandeurs ont une PRI dans la ville de Colombo. La SPR a affirmé que l’analyse relative à l’existence d’une PRI comporte deux volets : d’abord, le demandeur d’asile doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté ou exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités ailleurs au Sri Lanka; puis, il doit établir qu’il serait déraisonnable pour lui, compte tenu de toutes les circonstances, de s’y réfugier.

[14]           La SPR a ensuite examiné la preuve concernant l’extorsion par la police et a conclu que ces gestes étaient motivés par des intérêts criminels plutôt que politiques. L’essentiel du raisonnement de la SPR à ce sujet est énoncé au paragraphe 37 de la décision :

[37] Même si l’objet énoncé du versement de l’argent était pour garantir que le demandeur d’asile principal ne participerait à aucune activité à l’encontre du gouvernement, je conclus qu’il ne s’agissait pas du véritable motif. Un versement de 20 000 roupies n’empêcherait pas le demandeur d’asile de mener des activités à l’encontre du gouvernement si c’était effectivement ce qu’il faisait. En fait, s’il menait des activités de la sorte, les 20 000 roupies pouvaient très bien constituer une somme valant la peine d’être donnée de sorte que les policiers ferment les yeux sur ces activités. De plus, si le paiement visait à garantir qu’il ne participe à aucune activité à l’encontre du gouvernement, logiquement, les policiers l’auraient arrêté lorsqu’il a d’abord refusé de payer. Le fait qu’ils l’aient battu jusqu’à ce qu’il convienne de payer laisse fortement entendre que ce n’était que l’argent qui les intéressait.

[15]           La SPR a ajouté que le demandeur principal soutenait ne pas pouvoir se réfugier à Colombo vu que les policiers travaillent en équipe et le prendrait pour cible, peu importe où il se trouverait au Sri Lanka. Comme l’argent est la principale motivation de ce groupe de policiers, la SPR a jugé qu’il était peu probable que ces derniers continuent de pourchasser le demandeur principal dans une autre ville alors qu’ils pourraient tout simplement prendre pour cible d’autres hommes d’affaires à proximité et qu’il était peu probable qu’ils obtiennent l’aide des forces policières de Colombo pour mener à bien leurs objectifs criminels. La SPR a également conclu qu’il y avait peu de chances que ce groupe particulier de policiers soit transféré à Colombo et continue de le harceler.

[16]           La SPR s’est ensuite penchée sur la question de savoir s’il serait déraisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs déménagent à Colombo vu les circonstances qui les ont exposés à une menace à leur vie ou à leur sécurité. Bien que les demandeurs n’aient pas soulevé ce point, la SPR a examiné si les demandeurs seraient exposés à des risques en raison de leur origine ethnique tamoule, mais a conclu que cela était peu probable étant donné qu’ils ne viennent pas du nord du pays et ne sont donc pas soupçonnés d’avoir un lien avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul [TLET]. La SPR a souligné que la situation de ceux qui s’installent ailleurs au Sri Lanka s’est beaucoup améliorée depuis la guerre et que les Tamouls ne sont désormais plus tenus d’enregistrer leurs déplacements, malgré certains incidents où des Tamouls ont dû s’inscrire et faire l’objet d’un contrôle supplémentaire. La SPR a précisé qu’il était peu probable que les demandeurs soient tenus de s’inscrire à Colombo étant donné qu’ils sont musulmans.

[17]           Par conséquent, la SPR a conclu qu’une PRI s’offrait aux demandeurs et que ces derniers ne sont donc pas des réfugiés ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

III.             Questions à trancher

[18]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

                     La SPR a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle en concluant qu’une PRI s’offrait aux demandeurs?

                     La conclusion de la SPR selon laquelle l’allégation d’une crainte fondée sur des opinions politiques n’a aucun fondement objectif est‑elle raisonnable?

IV.             Analyse

[19]           Les parties s’entendent sur le fait que la norme de contrôle applicable aux deux questions est celle du caractère raisonnable. La première question conteste la façon dont la SPR a apprécié la preuve relative à l’existence d’une PRI. Il est bien établi qu’une fois le critère juridique applicable à l’existence d’une PRI déterminé, l’application par la SPR du critère à l’égard des faits est une question mixte de fait et de droit faisant intervenir une évaluation des circonstances particulières du demandeur d’asile et des conditions au sein du pays, domaines qui sont au cœur de l’expertise de la SPR et qui appellent la retenue : Cheema c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 441, au paragraphe 6; Karim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 279, au paragraphe 15; Juhasz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 300, au paragraphe 25. De même, la deuxième question concerne la façon dont la SPR a apprécié la preuve relative à la crainte subjective et objective de persécution politique, soit une autre question mixte de fait et de droit faisant intervenir des conclusions de fait qui relèvent de l’expertise de la SPR; Gunaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 358, au paragraphe 23; Dudu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 626, au paragraphe 8; Portillo Romero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 FC 1452, au paragraphe 41.

[20]           Lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour s’intéresse à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et évalue « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190.

[21]           L’avocat des demandeurs a soulevé deux arguments au regard de l’analyse de la PRI effectuée par la SPR. D’abord, il soutient que la SPR a fait abstraction de la preuve non contestée du demandeur principal selon laquelle les policiers ont affirmé directement qu’ils le prenaient pour cible en raison de ses activités politiques. Selon le demandeur principal, il ne s’agit pas d’un cas où les demandeurs d’asile font des suppositions quant au motif des policiers. Par conséquent, la SPR ne pouvait pas rejeter la preuve en l’absence d’une raison de douter de la crédibilité du demandeur principal.

[22]           Puis, les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte du danger auquel ils seraient exposés en tant que musulmans advenant leur déménagement à Colombo. Ils renvoient aux points 2.3, 2.9 et 13.6 du cartable national de documentation [CND] sur le Sri Lanka, lesquels font état d’incidents violents à l’endroit de musulmans, y compris des manifestations en faveur de la fermeture de commerces halal, le lancement de pierres sur des mosquées et des manifestations bouddhistes à l’encontre des musulmans. D’après les demandeurs, la SPR doit examiner tous les motifs d’une demande d’asile, même s’ils ne sont pas soulevés explicitement par le demandeur d’asile. Ils ajoutent que la preuve en question est pertinente, importante et claire puisqu’elle figure à divers endroits dans le CND. Par conséquent, cette source de risque aurait dû être prise en considération dans l’évaluation du caractère raisonnable d’une PRI.

[23]           Ces arguments sont sans fondement. La SPR pouvait raisonnablement juger, à la lumière de la preuve présentée par les demandeurs, qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour conclure que les cinq ou six policiers qui ont extorqué de l’argent au demandeur principal agissaient à titre officiel ou avaient des motifs politiques. Contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, la SPR pouvait accepter leur preuve relative à l’extorsion et les juger crédibles sans pour autant souscrire à leur interprétation de cette preuve. En effet, les sommes extorquées ont augmenté au moment où le demandeur principal ne participait plus activement à des activités politiques. Le fait que les policiers l’ont fait payer d’avance pour la période durant laquelle il allait s’absenter porte également à croire que l’argent était leur seule, ou du moins leur principale, motivation, ce qui appuie clairement la conclusion de la SPR. Le demandeur principal a également mentionné qu’il craignait que le montant à verser à ses extorqueurs ne cesse d’augmenter, ce qui étaye également la conclusion de la SPR selon laquelle l’extorsion n’avait aucun lien avec la politique. Dans de telles circonstances, la SPR pouvait raisonnablement conclure que les policiers étaient « corrompus » et qu’ils agissaient de leur propre gré en vue de s’enrichir et qu’ils ne disposeraient pas des ressources nécessaires pour pourchasser les demandeurs puisque cela ne s’inscrirait pas dans un mandat officiel nécessitant la coopération d’autres policiers. Ainsi, la SPR pouvait aussi conclure qu’il s’agissait là d’un problème régional et qu’il n’y avait donc pas de possibilité sérieuse que les demandeurs soient exposés à un risque à Colombo.

[24]           En ce qui a trait à la preuve relative au traitement des Tamouls musulmans à Colombo, je conviens avec le défendeur que la SPR n’a pas commis d’erreur en ne l’examinant pas. Les demandeurs n’ont fait aucune mention d’allégation de mauvais traitement des Tamouls musulmans et ne se sont pas opposés à l’idée que Colombo constituerait une PRI dans le cadre de leur audience ou de leurs observations devant la SPR. Dans leur FRP, seules les opinions politiques et l’appartenance à un groupe social particulier, plus précisément le soutien au général Fonseka et l’UNP, ont été citées comme motifs du risque allégué. Lors de leur témoignage devant la SPR, les demandeurs n’ont jamais soutenu avoir une crainte ou être exposés à un risque du fait qu’ils sont Tamouls musulmans. De plus, leur avocat n’a aucunement renvoyé à une telle preuve relative au traitement des Tamouls musulmans à Colombo et ne s’est pas opposé non plus, dans ses observations finales, à l’idée selon laquelle Colombo constituerait une PRI. Cette crainte alléguée a été soulevée pour la première fois dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

[25]           L’avocat des demandeurs a reconnu ce fait dans les observations qu’il a formulées verbalement devant la Cour et a reconnu que la question de la persécution religieuse n’avait jamais été soulevée devant la SPR. Néanmoins, les demandeurs soutiennent que la SPR aurait dû tenir compte, de son propre chef, du risque auquel les demandeurs seraient exposés en tant que Tamouls musulmans vivant à Colombo. Pour étayer cet argument, ils renvoient à la décision Varga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 494 [Varga], dans laquelle le juge Rennie a confirmé la jurisprudence selon laquelle la SPR est tenue de « [tenir] compte de chaque motif soulevé par la preuve, même si le demandeur d’asile n’en fait pas expressément état » (au paragraphe 5). De plus, la Cour a confirmé que « [l]’omission de la Commission de tenir compte d’un motif de persécution qui ressort du dossier constitue un manquement à l’équité procédurale susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte » (au paragraphe 6). Or, le juge Rennie a souligné qu’en concluant que l’omission de la Commission de tenir compte d’un motif de persécution qui ressort du dossier constituait une erreur, il ne « déroge au postulat de base selon lequel il incombe clairement aux demandeurs d’asile d’établir le bien‑fondé de leur demande », et la SPR n’est pas « obligée de se livrer à un examen “microscopique” afin de déceler tout risque éventuel [...] ni de redéfinir la preuve pour qu’elle corresponde à un motif de persécution reconnu » (au paragraphe 7).

[26]           Dans l’affaire Varga, la preuve d’un risque de violence familiale était un argument aisément percevable dans le dossier dont la SPR aurait dû tenir compte. La peur de la demanderesse a été énoncée dans son FRP, puis corroborée par des documents à l’appui et expliquée dans son témoignage devant la SPR. Cette affaire se distingue de la décision Galyana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 254 [Galyana], où un demandeur d’asile iraquien a soutenu devant la SPR faire l’objet de persécution en raison de ses croyances chrétiennes, allégation que la SPR a rejetée. Dans le cadre du contrôle judiciaire, le demandeur a soulevé pour la première fois un argument selon lequel il serait perçu comme un chrétien en Iraq parce qu’il était chaldéen. La Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire après avoir conclu que rien d’apparent ne ressortait du dossier pour appuyer l’allégation formulée (dans le même sens, voir Paramanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 338 [Paramanathan]).

[27]           La présente affaire s’apparente beaucoup plus aux décisions Galyana et Paramanathan qu’à la décision Varga. Les allégations de risque de préjudice formulées par les demandeurs du fait qu’ils sont Tamouls musulmans semblent être le fruit d’une réflexion après coup et ne sont de toute évidence pas au cœur de leur demande. Les seuls éléments de preuve concernant cette allégation sont deux extraits figurant dans l’important CND de la SPR sur le Sri Lanka. Cette preuve documentaire révèle effectivement que les lieux de culte et les commerces des musulmans au Sri Lanka sont de plus en plus souvent la cible d’attaques commises par des groupes de militants bouddhistes, mais cette preuve est relativement négligeable et très générale. Par ailleurs, il ne ressort pas de cette preuve que les incidents sont organisés ou soutenus par le gouvernement ou la police ni qu’ils sont propres à la région de Colombo.

[28]           On ne pouvait s’attendre à ce que la SPR tente de découvrir un autre éventuel motif de persécution en l’absence de toute indication en ce sens de la part des demandeurs qui laisserait entendre qu’ils pourraient être exposés à un risque à cet égard. Non seulement y a‑t‑il très peu d’éléments de preuve démontrant que les musulmans ordinaires sont la cible de menaces à Colombo, mais on ne sait même pas si les demandeurs se disent musulmans. La SPR ne peut apprécier la preuve documentaire dans l’abstrait. Par ailleurs, en l’absence de toute observation au sujet des circonstances personnelles des demandeurs, il aurait été inapproprié et injustifié que la SPR approfondisse cet angle d’analyse. Il incombe aux demandeurs de s’acquitter du fardeau de la preuve et de démontrer, au moyen d’une « preuve réelle et concrète » qu’il leur serait déraisonnable de chercher et d’obtenir une protection ailleurs au Sri Lanka. Les extraits fragmentaires de la preuve documentaire relative aux activités de groupes de militants bouddhistes au Sri Lanka qui figurent dans le CND sont bien loin de satisfaire à ce critère.

[29]           En ce qui concerne la conclusion de la SPR selon laquelle l’allégation de crainte fondée sur des opinions politiques n’a aucun fondement objectif, les demandeurs ne sont pas d’accord avec l’idée que cette crainte s’est dissipée au moment de la libération du général Fonseka et de son retour sur la scène politique. D’après l’avocat, la SPR a commis une erreur en n’évaluant pas les risques prospectifs au regard du profil politique du demandeur principal ainsi que la preuve documentaire démontrant que les militants politiques et les partisans de l’UNP sont encore pris pour cible depuis la libération du général Fonseka.

[30]           Pour établir une crainte de persécution, un demandeur d’asile doit démontrer la présence d’une crainte subjective et prouver que cette crainte a un fondement objectif bien établi. Au moment d’évaluer le fondement objectif, la SPR a raisonnablement examiné plus particulièrement l’allégation principale formulée par les demandeurs dans leur demande d’asile, à savoir celle selon laquelle leurs problèmes n’ont commencé qu’en 2010 en raison du rôle qu’a joué le demandeur principal dans la pétition en vue de la libération du général Fonseka après la défaite de ce dernier aux élections présidentielles. Le demandeur principal a déclaré n’avoir subi aucun problème en raison de sa participation auprès de l’UNP au cours de la période de 1995 à 2010. La demande d’asile des demandeurs est fondée sur les allégations de menaces, d’extorsion et d’agressions commises par des policiers de la région à cause du rôle joué par le demandeur principal dans le cadre de la pétition en faveur de la libération du général Fonseka. La SPR pouvait raisonnablement conclure que, depuis la libération du général Fonseka en mai 2012 et son retour sur la scène politique, le motif initial de la prise pour cible et des menaces n’est plus, dans la mesure où les demandeurs ont été pris pour cible et menacés pour des raisons politiques.

[31]           En ce qui concerne l’allégation des demandeurs selon laquelle ils sont encore exposés à un risque du fait que le demandeur principal soutient le général Fonseka, allégation qu’ils appuient par des éléments de preuve documentaire démontrant que les militants politiques et les partisans de l’UNP sont encore pris pour cible, et ce, même après la libération du général Fonseka, la SPR pouvait raisonnablement la rejeter. Tout d’abord, il n’y a aucun élément de preuve qui démontre que le demandeur principal a continué de soutenir activement l’UNP et le général Fonseka après avoir quitté le Sri Lanka en août 2012. Fait plus important encore, les demandeurs n’ont pas prouvé qu’ils se trouvaient dans une situation semblable ou qu’ils feraient vraisemblablement l’objet de mauvais traitements en raison des attaques sporadiques survenues au Sri Lanka depuis 2012. Le demandeur principal a affirmé avoir fait l’objet de menaces parce qu’il soutenait le général Fonseka et non parce qu’il faisait campagne pour l’UNP. La preuve documentaire qui tend à indiquer que les partisans de l’UNP sont encore pris pour cible depuis la libération du général Fonseka n’est donc d’aucune aide pour les demandeurs. Enfin, la SPR a conclu que, bien que les activités politiques du demandeur principal l’aient porté à l’attention des policiers de la région, l’extorsion subséquente dont ont été victimes les demandeurs est un acte criminel commis par des policiers corrompus motivés par l’argent. Par ailleurs, la Cour a conclu, dans des décisions antérieures, que tous les membres des collectivités tamoules au Sri Lanka, et en particulier les hommes d’affaires tamouls, sont exposés à un risque généralisé d’extorsion : voir, par exemple, Ramanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 319, au paragraphe 28.

[32]           En conclusion, à mon avis, il n’était pas déraisonnable que la SPR conclue que l’intérêt que portaient les policiers à l’égard du demandeur principal visait principalement son argent plutôt que ses convictions politiques et que, par conséquent, les demandeurs sont exposés à un risque régional, soit un risque auquel ils ne seraient plus exposés s’ils déménageaient à Colombo. Ces conclusions peuvent être raisonnablement étayées par la preuve, et il n’appartient pas à la Cour de soupeser de nouveau la preuve qui a déjà été examinée par la SPR.

[33]           Pour tous les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.

« Yves de Montigny »

Juge

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6536‑14

 

INTITULÉ :

MOHAMED FAZIL AHAMED MOHAMED ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

Shane Molyneaux

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Mark East

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shane Molyneaux Law Office

Avocat

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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