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Date : 20150410


Dossier : T-1594-06

Référence : 2015 CF 440

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2015

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI DE L’IMPÔT SUR LE REVENU

ET DANS L’AFFAIRE DE COTISATIONS ÉTABLIES PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL EN VERTU DE LA LOI DE L’IMPÔT SUR LE REVENU

CONTRE :

MARIO LAQUERRE

FIDUCIE MARIO LAQUERRE

FIDUCIE ML

9075-3153 QUÉBEC INC.

9015-7769 QUÉBEC INC.

9067-6388 QUÉBEC INC.

9029-0065 QUÉBEC INC.

débiteurs judiciaires

ET

9011-1345 Québec inc. et

gaétan laquerre

opposants

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               En 2007, suite à une requête ex parte  de Sa Majesté (la créancière saisissante), la juge Gauthier, alors de cette Cour, a rendu une ordonnance provisoire de constitution de charge immobilière de cinq immeubles de la région de Québec enregistrés au nom des défendeurs. Elle a également rendu une ordonnance provisoire de constitution de charge immobilière au nom de 9011-1345 Québec Inc. qui, elle, ne devait ni ne doit rien à Sa Majesté.

[2]               L’année suivante, le juge Martineau a constitué une charge définitive contre ces immeubles. Il est persuadé que toutes les sociétés peuvent être considérées comme l’alter ego de Mario Laquerre qui a utilisé les biens de ces sociétés fiduciaires à des fins personnelles. Comme il a dit au paragraphe 21 de ses motifs détaillés publiés à 2008 CF 460 : « Cette confusion constitue un geste pouvant permettre la levée du voile corporatif ».

[3]               La société 9011-1345 Québec Inc. [9011], mise en cause, a déposé des représentations écrites et a comparu devant le juge Martineau à l’encontre de la présente requête. Aujourd’hui, presque sept ans plus tard, 9011 et Gaétan Laquerre, détenteur de la plupart des actions de 9011 et frère du défendeur Mario Laquerre, ont demandé, en vertu de la règle 462 des Règles des Cours fédérales, l’annulation de l’ordonnance de monsieur le juge Martineau. La règle 462 stipule :

La Cour peut, sur requête du débiteur judiciaire ou de toute autre personne ayant un droit sur les biens grevés par une charge provisoire ou définitive, annuler ou modifier l’ordonnance constituant la charge, aux conditions qu’elle estime équitables quant aux dépens.

The Court may, on the motion of a judgment debtor or any other person with an interest in property subject to an interim or absolute charge under rule 458 or 459, at any time, discharge or vary the charging order on such terms as to costs as it considers just.

[4]               La requête est fondée sur trois motifs principaux :

a.                   Le juge Martineau aurait mal lu les matériaux devant lui, donc la règle 462 me permet de contrôler son ordonnance. Si je l’estime erronée, je devrais annuler ou modifier celle-ci.

b.                  Le juge Martineau serait arrivé à une conclusion différente si 9011 et Gaétan Laquerre avaient présenté des preuves (ce qu’ils n’ont pas fait). En tant qu’actionnaire principal de 9011, Gaétan Laquerre aurait dû être signifié à personne, mais ne l’a pas été. Maintenant que ces éléments de preuve sont devant moi, je devrais rejeter l’ordonnance du juge Martineau.

c.                   Depuis l’ordonnance du juge Martineau, les circonstances ont changé : certains biens de 9011 ont été endommagés par le feu; l’hypothèque judiciaire a créé un problème pour l’assurance et le refinancement; Mario Laquerre a fait faillite; Gaétan Laquerre, ayant payé au complet la Caisse Desjardins de Gentilly-Lévrard, détient présentement une hypothèque sur l’immeuble et est subrogé aux droits hypothécaires. Ladite hypothèque a été enregistrée avant l’hypothèque judiciaire de la Couronne.

[5]               La Couronne s’oppose avec véhémence à ces trois motifs principaux de la requête. Elle fait une nette distinction entre 9011 et Gaétan Laquerre.

[6]               La société 9011 est une personne ayant un intérêt dans l’immeuble et a la qualité de faire une requête en vertu de la règle 462. Hormis la décision du juge Martineau, il n’y a que deux décisions sur la portée de cette règle, et elles ne nous aident guère, car elles viennent de provinces de common law et traitent d’intérêts et biens dans ces provinces. Quoi que signifie la règle, elle ne valide pas l’hypothèse voulant qu’une décision peut être contrôlée, faute de nouvelles circonstances.

[7]               Quant au premier motif, si 9011 était mécontente de la décision, elle aurait dû se pourvoir en appel, tel que prévu dans l’art 27 de la Loi sur les Cours fédérales. Ou bien si elle croyait qu’une question nécessitant une décision avait été oubliée ou omise par erreur, 9011 aurait pu faire une requête en réexamen en vertu de la règle 397 des Règles des Cours fédérales. Il y a longtemps que les délais pour agir ainsi ont expiré.

[8]               Quant au deuxième motif, l’opposition devant le juge Martineau était fondée sur un affidavit de Mario Laquerre. Gaétan Laquerre aurait pu déposer un affidavit à l’époque et se soumettre au contre-interrogatoire afin d’affirmer, comme il le fait maintenant, qu’il n’agissait pas comme prête-nom pour son frère mais prenait une part active dans la société. Il est bien trop tard pour soulever ces questions.

[9]               Même si j’acceptais de prendre en considération ces deux questions, ce que je ne devrais pas faire, la Couronne soumet que le juge Martineau n’a pas erré. La preuve devant lui était volumineuse et débordait d’information justifiant amplement sa décision.

[10]           Pour ce qui est de Gaétan Laquerre, en tant qu’actionnaire il a un intérêt dans 9011 mais pas dans les biens que cette société détient, donc pas dans l’immeuble assujetti à l’hypothèque judiciaire de la Couronne. Ainsi il n’a pas la qualité d’agir en vertu de la règle 462.

[11]           Pour terminer, même pour la période après 2008, la Couronne soumet que la faillite de Mario Laquerre et l’incendie n’ont aucune pertinence.

[12]           Il est admis que Gaétan Laquerre, en tant que créancier hypothécaire, a maintenant un intérêt dans l’immeuble en question mais cet intérêt n’est pas supérieur à celui de la Caisse populaire. Rien ne justifie une requête de la part d’un créancier hypothécaire pour annuler ou modifier l’ordonnance rendue par le juge Martineau.

I.                   Décision

[13]           J’en conclus que cette requête doit être rejetée, avec dépens. Les motifs suivants tiennent compte des perspectives de Gaétan Laquerre et de 9011.

II.                Analyse

A.                Gaétan Laquerre

[14]           Il est bien établi qu’une société, étant une personne morale, dispose d’une personnalité juridique bien distincte de celles de ces actionnaires (Salomon v Salomon & Co, Ltd, [1897] AC 22, [1895-99] All ER Rep 33 (HL)). Dans la décision Kosmopoulos c Constitution Insurance Co of Canada, [1987] 1 RCS 2, la Cour suprême refuse de reconnaître un intérêt de l’unique actionnaire dans les biens de sa société. Par ailleurs, tel que l’explique la Cour d’appel du Québec dans Greenberg c Gruber, [2004] JQ nº 6567, REJB 2004-64851 (QC CA), un actionnaire a un intérêt dans la société, mais pas dans les biens de la société. Ainsi, en tant qu’actionnaire, Gaétan Laquerre n’a pas la qualité d’agir.

[15]           Toutefois, il a la qualité d’agir en tant que créancier hypothécaire ; mais absolument rien ne permet à un créancier hypothécaire de soutenir qu’une hypothèque judiciaire inscrite à la suite de la sienne devrait être acquittée.

B.                 9011-1345 Québec Inc.

[16]           Hormis la décision du juge Martineau, les seules autres décisions publiées à l’égard de la règle 462 sont : Canada v Malachowski, 2011 FC 413 et Re Loi de l’impôt sur le revenu, 2010 CF 340. Ces décisions, basées sur celle du juge Martineau, n’établissent pas la portée de la règle 462 des Règles des Cours fédérales.

[17]           Sans vouloir être exhaustif, la règle 462 aurait pu s’appliquer si les défendeurs avaient contesté avec succès leurs évaluations fiscales, ou bien s’ils avaient payé le montant dû. Dans un tel cas, on ferait vraisemblablement une requête sur consentement pour faire annuler la charge de l’hypothèque judiciaire. La règle 462 pourrait également s’appliquer s’il s’avérait que Sa Majesté détenait plus de garanties qu’il n’en fallait. Selon une procédure pareille au « marshalling » de la common law, il aurait pu convenir de casser la charge sur les biens de 9011 qui, elle, n’est pas débitrice judiciaire. Voir également l’article 2754 du Code civil du Québec, RLRQ c C-1991. La preuve révèle que la Couronne n’a pas d’excès de garanties. Néanmoins, je conviens que malgré tout recours dont peut disposer 9011, je ne peux pas casser la décision du juge Martineau, même si je m’y trouve en désaccord. La société aurait dû se pourvoir en appel ou peut-être faire une requête en réexamen en vertu de la règle 397 des Règles des Cours fédérales.

[18]           La société 9011 cherche maintenant à rouvrir le débat sur la requête devant moi. Or la décision du juge Martineau est chose jugée. Rien n’empêchait Gaétan Laquerre, en tant que président et actionnaire principal, de déposer un affidavit. Comme il l’explique au paragraphe 47 de son plus récent affidavit, il avait jugé qu’il n’était pas nécessaire de le faire :

À tort, manifestement, j’ai toujours cru qu’il s’agissait de procédures qui n’auraient aucun impact sur moi ou sur 9011-1345 Québec inc., puisque cette dernière n’était que mise en cause.

[19]           En tant que mise en cause, 9011 s’est vue signifiée à personne la requête pour que l’ordonnance provisoire de constitution de charge soit définitive. Dans sa capacité de président et actionnaire principal, Gaétan Laquerre est censé savoir ce qui se passait. Bien évidemment, il n’y avait pas d’obligation de le signifier en tant qu’actionnaire.

[20]           Tel que l’explique le juge Hugessen au nom de la Cour d’appel dans l’arrêt Rostamian v Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 129 NR 394, [1991] ACF nº 525 (QL), au paragraphe 5 :

Le caractère définitif des jugements sert un intérêt public important. Un tribunal ne devrait pas annuler sans réflexion une décision pour le motif que des faits nouveaux ont par la suite été découverts. Il incombe aux plaideurs d’exposer leur cause de façon aussi complète que possible en première instance; s’ils cherchent à faire annuler ou modifier une décision, ils doivent agir avec toute diligence raisonnable et démontrer qu’ils ont agi ainsi. La présente demande ne parvient pas à ce faire et sera par conséquent rejetée.


ORDONNANCE

POUR LES MOTIFS ÉNONCÉS;

LA COUR ORDONNE que la requête est rejetée avec dépens.

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1594-06

INTITULÉ :

DANS L'AFFAIRE DE LA LOI DE L’IMPÔT SUR LE REVENU ET DANS L’AFFAIRE DE COTISATIONS ÉTABLIES PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL EN VERTU DE LA LOI DE L’IMPÔT SUR LE REVENU CONTRE MARIO LAQUERRE; FIDUCIE MARIO LAQUERRE; FIDUCIE ML; 9075-3153 QUÉBEC INC.; 9015-7769 QUÉBEC INC.; 9067-6388 QUÉBEC INC., 1392, 4e AVENUE QUÉBEC (QUÉBEC) G1J 3B6 ET 9029-0065 QUÉBEC INC. 825, CHEMIN HIBOU STONEHAM (QUÉBEC) G0A 4P0

LIEU DE L’AUDIENCE :

QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 MARS 2015

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :

LE 10 AVRIL 2015

COMPARUTIONS :

Me Martin Lamoureux

pour SA MAJESTÉ LA REINE

Me Catherine Gendron

POUR LES INTIMÉS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

pour SA MAJESTÉ LA REINE

Lavery, de Billy, s.e.n.c.r.l.

Avocats

Québec (Québec)

POUR LES INTIMÉS

 

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