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Date : 20150617


Dossier : IMM-7972-14

Référence : 2015 CF 763

Ottawa (Ontario), le 17 juin 2015

En présence de monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

MORANGWA MALAMBU

Demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Ceci est un contrôle judiciaire de Morangwa Malambu [le demandeur] présenté en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] datée du 3 novembre 2014, qui confirme la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejetant la demande d’asile du demandeur.

II.                Faits allégués

[2]               Le demandeur est citoyen de la République démocratique du Congo [RDC].

[3]               Il allègue être Alonzo Mpaka et d’être persécuté en RDC en raison de ses opinions et allégeances politiques.

[4]               Il dit avoir obtenu un passeport sous le nom de Morangwa Malambu afin de quitter la RDC pour la France. En mars 2000, une fois arrivé en France, il a présenté une demande d’asile sous le nom de Morangwa Malambu. Cette demande lui a été refusée. Il est demeuré en France entre mars 2000 et mars 2013.

[5]               Le demandeur prétend être retourné en RDC en mars 2013 pour y visiter sa famille. Il dit avoir été arrêté sous le nom d’Alonzo Mpaka par des policiers lors d’une manifestation organisée par l’Union pour la démocratie et le progrès social [UDPS] et avoir été détenu du 10 mars 2013 au 5 avril 2013.

[6]               Après sa libération, il dit s’être caché chez son oncle avant de retourner en France. Il allègue avoir demeuré en France jusqu’à son départ pour les États-Unis en septembre 2013. Après avoir séjourné trois mois aux États-Unis, le demandeur a fait son chemin au Canada en utilisant un passeport sous le nom de « Tsemengu » afin de traverser la frontière canado-américaine.

[7]               Le demandeur a soumis une demande d’asile au Canada le 20 janvier 2014. La SPR a rejeté sa demande d’asile le 11 avril 2014.

[8]               Le demandeur a fait appel de cette décision à la SAR. La SAR a confirmé la décision de la SPR. Ceci est la décision contestée.

III.             Décision de la Section de la protection des réfugiés

[9]               La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur parce qu’elle était de l’opinion qu’il n’avait pas su établir son identité. Elle n’a également pas jugé crédible l’allégation du demandeur voulant qu’il ait été arrêté par les autorités en RDC lorsqu’il y serait retourné en mars 2013. La SPR a conclu que le demandeur n’était pas en danger en RDC. La SPR a par conséquent déterminé que le demandeur n’était pas un réfugié au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

IV.             Décision contestée de la Section d’appel des réfugiés

[10]           La SAR a rejeté les documents que le demandeur alléguait être de nouvelles preuves parce que ceux-ci avaient été déposés devant la SPR.

[11]           Elle a également rejeté la demande du demandeur de tenir une audience parce que les critères énumérés au paragraphe 110(6) de la LIPR n’étaient pas respectés.

[12]           La SAR a ensuite expliqué son rôle et ses fonctions. Elle a notamment précisé qu’un appel à la SAR n’était pas de la nature d’un contrôle judiciaire ni l’occasion d’un nouveau procès. Elle a précisé qu’elle doit faire sa propre évaluation de la preuve afin de former sa propre opinion. Après avoir fait une analyse de la jurisprudence de la Cour, la SAR a écrit qu’elle doit « se pencher sur le fond du dossier pour déterminer si la décision est bien fondée à la lumière de la preuve présentée devant la SPR et celle contenue au dossier d’appel » (Dossier du demandeur [DD] page 14 au para 36).

[13]           Après avoir évalué la preuve au dossier, la SAR a écrit qu’elle partageait les conclusions de la SPR voulant que le demandeur n’ait pas établi son identité selon la prépondérance de la preuve. Elle a cependant noté ne pas partager les commentaires de la SPR au sujet de l’extrait de l’acte de naissance et du certificat de nationalité, sans que cela ne vicie les conclusions de la SPR. Selon la SAR, les commentaires de la SPR voulant que ces documents d’identité aient été des documents fabriqués de façon artisanale étaient erronés parce que l’expertise faite par l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] avait qualifié ces documents comme étant authentiques et non altérés. La SAR a également noté des contradictions et des incohérences entre ces documents et les informations fournies par le demandeur.

[14]           La SAR a également noté qu’aucune valeur probante ne pouvait être accordée à l’attestation de perte de pièces d’identité, émise à Kinshasa le 12 juin 2012, parce que l’expertise de l’ASFC a révélé que ce document avait été altéré et qu’aucune conclusion n’a pu être établie quant à son authenticité. La SAR a de plus mentionné que les informations que le demandeur a fournies quant à ce document n’étaient pas crédibles.

[15]           La SAR a également examiné un document intitulé « composition familiale » et a noté que ce document comprenait également de l’information contradictoire.

[16]           Pour les raisons susmentionnées, la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi que sa véritable identité était celle d’Alonzo Mpanka.

[17]           Quant aux allégations du demandeur voulant qu’il ait voyagé en RDC en mars 2013, la SAR a écrit que la SPR était justifiée de se questionner à savoir si un quelconque document pouvait établir son voyage en RDC.

[18]           Pour toutes ces raisons, la SAR a confirmé la décision de la SPR, soit que le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. L’appel a donc été rejeté.

V.                Prétentions de parties

[19]           Le demandeur soutient premièrement que la SAR a enfreint un principe de justice naturelle et d’équité en refusant la demande du demandeur de tenir une audience. Il dit que la SAR a mal interprété les articles 110(3), 110(4) et 110(6) de la LIPR et que les conclusions défavorables de la SAR sont fondées sur des éléments de faits non abordés et non explicités devant la SPR. Il soutient également que c’est à tort que la SAR prétend qu’il faut faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de la SPR concernant la crédibilité du demandeur et que la procédure devant la SAR est un procès « de novo ».

[20]           Le défendeur répond que la décision de la SAR de ne pas tenir une audience était raisonnable étant donné que le demandeur ne satisfaisait pas les critères lui permettant d’en obtenir une. La SAR n’a donc pas enfreint de principes de justice naturelle et a correctement interprété les paragraphes 110(3), 110(4) et 110(6) de la LIPR. Il écrit également que la SAR doit procéder à un examen indépendant et complet du dossier présenté à la SPR. Il soutient que la SAR doit faire preuve de retenue face aux conclusions de crédibilité de la SPR et qu’il s’agit non pas d’un appel de novo, mais d’un véritable appel.

[21]           Le demandeur soutient également que la SAR a erré en concluant que le demandeur n’était pas crédible sur la question de sa véritable identité. Il écrit que la SAR a mal évalué la preuve documentaire et qu’elle a rejeté sans motifs valables ses bulletins scolaires et son attestation de nationalité. Il prétend que la SAR cherchait de la preuve au-delà de tout doute raisonnable. Il soutient aussi que la SAR a violé les principes d’équité consacrée par l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker] parce que la SAR n’aurait pas tenu compte de toute la preuve au dossier et de la substance de sa demande de réfugié.

[22]           Le défendeur réplique que la décision de la SAR est raisonnable. Il soutient qu’elle a soulevé suffisamment d’inférences négatives de la preuve pour confirmer la décision de la SPR. Le défendeur argumente également que le demandeur invoque à tort l’affaire Baker, parce que la SAR est libre de faire ses propres choix de nature procédurale et parce que les droits de participation du demandeur avaient été respectés tant devant la SPR que lors de son appel à la SAR.

VI.             Questions en litige

[23]           Après avoir révisé les prétentions des parties et leur dossier respectif, je propose les questions en litige comme suit :

1.      La SAR a-t-elle erré en refusant d’accorder une audience au demandeur?

  1. La SAR a-t-elle erré en confirmant la décision de la SPR voulant que le demandeur n’ait pas établi son identité selon la prépondérance de la preuve?

VII.          Norme de révision

[24]           Plusieurs juges de cette Cour se sont prononcés sur la norme de contrôle que cette Cour doit appliquer en contrôle judiciaire des décisions de la SAR (Yin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1209 au para 32 [Yin]; Nahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1208 au para 24 [Nahal]; Ngandu v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2015 FC 423 aux paras 8 à 10). La question de savoir quelle norme de contrôle la Cour devrait appliquer aux décisions exige une approche pragmatique.

[25]           En l’espèce, l’application de la SAR des dispositions législatives aux faits en l’espèce, soit concernant la tenue d’une audience, est une question mixte de faits et de droit et s’évalue sous la norme de la décision raisonnable (Akuffo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1063 aux paras 26 et 27, voir aussi les paras 15 à 25; Bui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1145 au para 17). Pour ce qui est de la question à savoir si la SAR a erré en confirmant la décision de la SPR voulant que le demandeur n’avait pas établi son identité est une question de fait. Dans une telle situation, la norme de la décision raisonnable est applicable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 53 [Dunsmuir]). Pour ces deux questions, cette Cour n’interviendra donc que si la décision est déraisonnable, soit qu’elle tombe en dehors « des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité au para 47).

VIII.       Analyse

A.                Cadre législatif pertinent

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

Appel devant la Section d’appel des réfugiés

Appel

110.

Fonctionnement

(3) Sous réserve des paragraphes (3.1), (4) et (6), la section procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la Section de la protection des réfugiés, mais peut recevoir des éléments de preuve documentaire et des observations écrites du ministre et de la personne en cause ainsi que, s’agissant d’une affaire tenue devant un tribunal constitué de trois commissaires, des observations écrites du représentant ou mandataire du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et de toute autre personne visée par les règles de la Commission.

[…]

Éléments de preuve admissibles

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

[…]

Audience

(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

Décision

 (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

(1.1) [Abrogé, 2012, ch 17, art. 37]

Renvoi

(2) Elle ne peut procéder au renvoi que si elle estime, à la fois :

a) que la décision attaquée de la Section de la protection des réfugiés est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) qu’elle ne peut confirmer la décision attaquée ou casser la décision et y substituer la décision qui aurait dû être rendue sans tenir une nouvelle audience en vue du réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la Section de la protection des réfugiés.

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Appeal to Refugee Appeal Division

Appeal

110.

Procedure

(3) Subject to subsections (3.1), (4) and (6), the Refugee Appeal Division must proceed without a hearing, on the basis of the record of the proceedings of the Refugee Protection Division, and may accept documentary evidence and written submissions from the Minister and the person who is the subject of the appeal and, in the case of a matter that is conducted before a panel of three members, written submissions from a representative or agent of the United Nations High Commissioner for Refugees and any other person described in the rules of the Board.

[…]

Evidence that may be presented

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[…]

Hearing

(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

Decision

 (1) After considering the appeal, the Refugee Appeal Division shall make one of the following decisions:

(a) confirm the determination of the Refugee Protection Division;

(b) set aside the determination and substitute a determination that, in its opinion, should have been made; or

(c) refer the matter to the Refugee Protection Division for re-determination, giving the directions to the Refugee Protection Division that it considers appropriate.

(1.1) [Repealed, 2012, c 17, s 37]

Referrals

(2) The Refugee Appeal Division may make the referral described in paragraph (1)(c) only if it is of the opinion that

(a) the decision of the Refugee Protection Division is wrong in law, in fact or in mixed law and fact; and

(b) it cannot make a decision under paragraph 111(1)(a) or (b) without hearing evidence that was presented to the Refugee Protection Division.

 

B.                 La SAR a-t-elle erré en refusant d’accorder une audience au demandeur?

[26]           La question d’accordée ou non une audience tient aux paragraphes 110(3), 110(4) et 110(6) de la LIPR ainsi que l'alinéa 3(3)g) des Règles de la Section d'appel des réfugiés, DORS/2012-257 [les Règles]. Le paragraphe 110(3) dispose que « [s]ous réserve des paragraphes (3.1), (4) et (6), la section procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la Section de la protection des réfugiés […] ». Le paragraphe 110(6) stipule que la SAR « peut tenir une audience si elle estime qu'il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois : (a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause; (b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d'asile; (c) à supposer qu'ils soient admis, justifieraient que la demande d'asile soit accordée ou refusée, selon le cas ». Le paragraphe 110(3) renvoi au paragraphe 110(4), qui explique que dans le cadre d’un  appel à la SAR le demandeur « ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet ». Le sous-alinéa 3(3)g)(v) des Règles stipule que le « dossier de l’appelant comporte […] un mémoire qui inclut des observations complètes et détaillées concernant : […] les motifs pour lesquels la Section devrait tenir l’audience visée au paragraphe 110(6) de la Loi, si l’appelant en fait la demande ».

[27]           Il revient également à la SAR, selon son évaluation du dossier de l’appelant, en vertu du paragraphe 111(1) de la LIPR de confirmer la décision attaquée, de casser la décision et y substituer la décision qui aurait dû être rendue ou renvoyée, conformément à ses instructions, l’affaire à la SPR. Le paragraphe 111(2) de la LIPR vient préciser que la SAR  ne peut procéder au renvoi de l’affaire à la SPR que si elle estime, à la fois,

(a) que la décision attaquée de la Section de la protection des réfugiés est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

(b) qu’elle ne peut confirmer la décision attaquée ou casser la décision et y substituer la décision qui aurait dû être rendue sans tenir une nouvelle audience en vue du réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la Section de la protection des réfugiés (mon soulignement).

[28]           La lecture combinée des articles 110 et 111 de la LIPR et de la règle 3 des Règles viennent donc expliquer que lorsqu’il n’y a pas de nouvelle preuve présentée à la SAR, mais que la SAR est de l’avis que la décision de la SPR est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait et qu’elle ne peut confirmer ou casser la décision contestée sans elle-même tenir une audience pour réexaminer la preuve présentée, elle doit renvoyer l’affaire à la SPR.

[29]           La SAR procède donc en se fondant sur le dossier de la SPR, mais peut utiliser sa discrétion et accorder une audience lorsque le demandeur le demande, si de nouveaux éléments de preuve sont présentés par le demandeur et acceptés par la SAR et que la SAR est satisfaite que ces éléments preuves remplissent les critères définis à l’article 110(6) de la LIPR. La SAR ne peut donc décider de tenir une audience que lorsqu'un appelant invoque de nouveaux éléments de preuve documentaire visés au paragraphe 110(4) de la LIPR. Cette analyse des dispositions législatives concernant la SAR est cohérente avec la jurisprudence récente de la Cour, comme il le sera démontré plus loin.

[30]           Dans son mémoire écrit, le demandeur soutient que la SAR a erré en refusant de lui accorder une audience et que cela viole par conséquent un principe de justice naturelle et d’équité. Il prétend que le paragraphe 110(6) vise à la fois des nouveaux éléments de preuve autant que des éléments de preuve déjà au dossier. À l’audience, en réponse à la question de la Cour à savoir quelle était l’interprétation statutaire à donner à l’article 110 de la LIPR, l’avocat du demandeur a répondu qu’il était clair qu’il est nécessaire d’avoir de nouveaux éléments de preuve afin de pouvoir avoir une audience devant la SAR. Il a confirmé cette position dans ses prétentions supplémentaires soumises après l’audience. Il a ajouté, par contre, que lorsqu’une question sérieuse de crédibilité se pose, même s’il n’y a pas de nouvelles preuves, la SAR peut user de sa discrétion et tout de même décider de tenir une audience, ce qui aurait dû être fait en l’espèce. L’avocat du demandeur affirme sa position sur la règle audi alteram partem, et se réfère à la décision de la Cour suprême du Canada dans Singh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 RCS 177 [Singh CSC] pour dire que la justice fondamentale exige qu’une audience doit être tenue lorsqu’une question importante de crédibilité est en cause.

[31]           En réponse aux arguments du demandeur, l’avocate du défendeur a soulevé la décision Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, au paragraphe 39 qui stipule que :

[39]      Par conséquent, même si les exigences de l’équité procédurale varient en fonction des circonstances et du contexte législatif et administratif, on ne peut certainement pas présumer que le législateur a voulu permettre à l’administration de traiter inéquitablement ses administrés. La règle générale veut au contraire qu’il y ait obligation de faire preuve d’équité (voir G. Régimbald, Canadian Administrative Law (2008), p. 226-227), sauf disposition législative claire ou déduction nécessaire écartant son application : Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie‑Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52, [2001] 2 R.C.S. 781, par. 22. Ni la LIPR  ni la loi qu’elle a remplacée ne renferment pareille disposition écartant la présomption.

Selon l’avocate du défendeur, en se basant sur ce passage, un tribunal a une obligation de faire preuve d’équité, tout en respectant le cadre législatif en jeu. Elle est de l’avis que, basée sur l’article 110 de la LIPR, la SAR doit se voir présenter de nouveaux éléments de preuve afin de pouvoir user de sa discrétion pour octroyer une audience à un appelant. J’abonde dans le même sens.

[32]           En l’espèce, la SAR a présenté son analyse de la LIPR quant au processus d’appel et de présentation de nouvelle preuve devant elle (DD, Décision de la SAR, Onglet 3, pages 10-11 aux paras 15 à 22). Elle a rejeté les deux documents présentés comme étant de la nouvelle preuve par le demandeur, soit une attestation de composition de famille, émise le 27 janvier 2014 à Lemba, ainsi qu’un certificat de nationalité, émis le 18 novembre 2013 à Kinshasa, parce que ces éléments de preuve avaient été déposés devant la SPR. En effet, ces deux documents ont été soumis dans le dossier d’appel à la SAR en tant que nouvelles preuves (Dossier certifié du tribunal [DCT] aux pages 57 et 58) alors qu’ils avaient été présentés devant la SPR (DCT aux pages 159 et 202). La SAR a donc raisonnablement conclu que ces documents ne respectaient pas les critères du paragraphe 110(4) de la LIPR afin d’être admissibles en tant que nouvelle preuve. Par conséquent, à la lecture des paragraphes 110(3), 110(6) et 110(4) de la LIPR référés plus haut, parce que le demandeur n’a pas fourni de nouveaux éléments de preuve, la SAR a, à bon droit, déterminé qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience. Le cadre législatif mis en place à l’article 110 précise clairement les situations où une audience peut être tenue et le demandeur n’a présenté aucune jurisprudence contraire à cette position. La jurisprudence de la Cour est cohérente sur la question de la tenue d’une audience devant la SAR.

[33]           Effectivement, M. le juge Shore a écrit, dans l’affaire Sajad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), 2014 CF 1107, que :

17        D'abord, une audience ne peut être tenue devant la SAR que lorsqu'un appelant invoque de nouveaux éléments de preuve documentaire visés au paragraphe 110(4) de la LIPR. Le demandeur n'a présenté aucun nouvel élément de preuve devant la SAR pouvant justifier la tenue d'une audience en vertu du paragraphe 110(6) de la LIPR. La SAR fonde son analyse, à juste titre, sur le dossier ayant été porté devant la SPR (au para 17).

[34]           Le soussigné a repris cette analyse dans l’affaire Yin, précité, au paragraphe 30. Dans la décision Bui, précité aux paragraphes 18 à 21, M. le juge Shore a écrit, à nouveau, concernant une demande d’audience refusée par la SAR à un demandeur, que:

18        D'abord, l'alinéa 3(3)g) des Règles de la Section d'appel des réfugiés, DORS/2012-257 [les Règles], ci-dessous, énonce qu'un dossier d'appel devant la SAR doit inclure des observations complètes et détaillées concernant la pertinence et la conformité de nouveaux éléments de preuve invoqués en appel, selon les exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR.

19        Ensuite, la SAR procède généralement à l'examen d'un appel sans la tenue d'une audience. Cependant, la SAR peut tenir une audience dans des circonstances limitées, conformément aux paragraphes 110(3) et 110(6) de la LIPR. De plus, il incombe au demandeur de justifier la tenue d'une audience en soumettant à la SAR des observations complètes et détaillées, selon les exigences de l'alinéa 3(3)g) des Règles.

[…]

20        Or, dans ses motifs, la SAR rejette les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur, en se fondant sur le motif que le demandeur n'a pas établi les critères exigés par la LIPR et les Règles. De plus, la SAR indique que les éléments de preuve déposés en appel sont datés du 7 et du 25 novembre 2013 et étaient donc disponibles avant que la SPR ait rendu sa décision le 4 décembre 2013. De plus, la SAR indique que le manque de pertinence de ces éléments de preuve appuie davantage leur caractère inadmissible. En outre, la SAR énonce que le demandeur n'a pas démontré que la tenue d'audience était justifiée en vertu des paragraphes 110(3) et 110(6) de la LIPR.

21        À la lumière de son analyse de la preuve et du cadre législatif, il était raisonnable pour la SAR de conclure à l'inadmissibilité des éléments de preuve présentés en appel par le demandeur, en raison de leur manque de conformité avec les exigences prévues par la LIPR et les Règles. Il était également loisible et raisonnable pour la SAR de conclure que les circonstances ne justifiaient pas la tenue d'audience.

[35]           Dans la décision Djossou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1080, au paragraphe 41, M. le Juge Martineau explique que :

41        Or, il est clair à la lecture des dispositions susmentionnées que la SAR peut casser la décision de la SPR et y substituer la décision qui aurait dû être rendue, ce qui fait que la SAR a des pouvoirs en appel beaucoup plus étendus que ceux que possède une cour de justice traditionnelle siégeant en révision judiciaire. Qui plus est, la SAR peut notamment admettre en appel des nouvelles preuves et décider de tenir une audition orale dans les cas que précise le législateur (paragraphes 110(3) à (6) de la LIPR). Au reste, la SAR exerce en appel une compétence spécialisée au moins égale à celle de la SPR en première instance (paragraphe 162(1) de la LIPR) et d'ailleurs la SAR peut elle-même rendre la décision qui aurait dû être rendue par la SPR (article 111 de la LIPR). Ce n'est pas le cas de la Cour fédérale dont la compétence est limitée par les articles 72 à 75 de la LIPR, ainsi que par les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. De plus, les pouvoirs de réparation de la Cour fédérale sont limités en principe à la cassation de la décision et au renvoi de l'affaire pour re-détermination, ce qui n'est pas le cas de la SAR vis-à-vis de la SPR (mon soulignement).

[36]           Donc, étant donné qu’il est nécessaire de présenter de nouvelles preuves, qui doivent être admises par la SAR, afin que celle-ci puisse déterminer s’il y a lieu de tenir une audience, tel que défini par le cadre législatif de l’article 110 de la LIPR, et qu’il n’y a pas de nouvelles preuves en l’espèce, la SAR a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience comme le souhaitait le demandeur. Elle a donc à bon droit procédé en se basant sur le dossier de la SPR.

[37]           Les arguments du demandeur voulant que la SAR ait dû tenir une audience parce que la justice naturelle exige qu’une audience soit tenue lorsque qu’une question sérieuse de crédibilité se pose, selon Singh CSC, précité, et que la SAR a violé les principes consacrés par l’arrêt Baker, précité, ne peuvent être acceptés en l’espèce. Bien que l’affaire Baker, précité, à laquelle le demandeur se réfère, porte sur une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada pour des raisons d’ordre humanitaire [demande humanitaire], les principes qui y ont été établis sont applicables en l’espèce. Bien que les objectifs et le cadre procédural entourant des demandes humanitaires sont complètement différents des objectifs et du cadre procédural entourant un appel devant la SAR, je suis de l’opinion que l’énoncé véhiculé par la Cour suprême, soit qu’une audience n’est toujours nécessaire pour garantir l’audition et l’examen équitables des questions en jeu (aux paras 33 et 34) est applicable dans le dossier qui nous préoccupe. Donc, lorsqu’il est question de la SAR, le droit à une audience devant celle-ci n’est pas absolu et ce droit peut être enclenché par la présentation de nouvelle documentation écrite à la discrétion de la SAR, comme l’explique l’article 110.

[38]           En l’espèce, le demandeur a eu la chance de se faire entendre et de faire valoir son argumentation devant la SPR. Le demandeur n’a pas présenté de nouvelle preuve devant la SAR lui permettant de présenter une demande d’audience. La décision de la SAR de ne pas tenir une audience en application des paragraphes 110(3), 110(4) et 110(6) et de procéder basé sur le dossier de la SPR était donc, encore une fois, raisonnable (Baker, aux paras 33-34); voir une approche similaire dans le contexte de demande de réouverture d’une audience relative à la demande visant l'annulation d’un statut de réfugié dans Seyoboka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1143 aux paras 28-30 et dans le contexte d’une demande d’évaluation des risques avant renvoi dans Lupsa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 311 aux paras 30-36. Les droits de participation du demandeur ont donc été respectés et il n’y a pas lieu pour cette Cour d’intervenir.

[39]           Le demandeur argumente également que la procédure devant la SAR est une procédure « de novo » alors que le défendeur soutient qu’il s’agit d’un véritable appel. Tel que discuté par M. le juge Martineau dans l’affaire Djossou, précité, la question de savoir si un appel à la SAR constitue un « « véritable appel », un « appel de novo », ou un autre type d'appel administratif » n’a pas encore été déterminée par la Cour d’appel fédérale. Sur cette question, je souscris aux propos tenus par M. le juge Martineau qui a écrit, entre autre, que :

[46]      On s’accorde pour dire qu’il existe habituellement trois types d’appel : l’appel véritable (« true appeal »); l’appel de novo; et l’appel hybride. Frank Falzon en donne l’aperçu suivant :

3. [TRADUCTION] Il existe trois principales catégories d’appels à des tribunaux administratifs spécialisés. La plus restrictive est celle à laquelle on fait référence dans l’arrêt Dupras [v. Mason, 1994 CanLII 2772, 120 D.L.R. (4th) 127 (B.C.C.A.)] qu’on décrit comme un appel véritable. Il s’agit d’un appel fondé sur le dossier dans lequel l’appelant doit démontrer une erreur de droit, de fait ou de procédure susceptible de révision. L’appel le plus étendu est celui que Dupras décrit comme un appel de novo, où la décision du tribunal inférieur est ignorée dans tous ses aspects, sauf possiblement pour les besoins du contre-interrogatoire. La troisième catégorie d’appel est un modèle d’appel hybride dans lequel l’appelant conserve le fardeau de démontrer l’erreur. Le tribunal d’appel reçoit le dossier, mais l’appel n’est pas limité quant aux motifs; le tribunal d’appel révise la décision du premier décideur selon la norme de la décision correcte et de la nouvelle preuve peut être produite sans restriction. Ces trois grands modèles sont des points de départ conceptuels, et sont sujets à des variations selon l’intention précise de la loi habilitante.

[47]      L’utilisation laxiste des qualificatifs « appel de novo », « appel véritable », ou encore « appel complet » ne peut que contribuer à alimenter la confusion qui semble exister présentement entre les parties ou les procureurs. En l’occurrence, ce qui distingue, sur le plan juridique, un appel de novo d’un véritable appel (« true appeal »), c’est que dans un appel de novo, l’affaire est instruite comme la première fois : le second décideur n’a pas à se préoccuper d’identifier une erreur de fait ou de droit commise par le premier décideur (Dupras v Mason, 1994 CanLII 2772 (BC CA)). En somme, la décision dont il est fait appel ne jouit d’aucune déférence. En ce sens, l’appel devant la SAR ressemble donc, à première vue, à un appel véritable, mais il pourrait également constituer un appel hybride. En effet, si certains collègues expriment l’avis que l’appel devant la SAR n’est peut-être pas un appel de novo au sens strict, ils n’excluent cependant pas la possibilité d’un réexamen de la preuve qui était devant la SAR (Iyamuremye, précité au para 35; Eng, précité au para 26; Alvarez, précité au para 25; Huruglica, précité aux paras 52 et 54).

[48]      Rappelons que le texte de loi peut lui-même préciser qu’un appel est entendu de novo, mais ce n’est pas toujours le cas. Il faut notamment tenir compte du contexte législatif de la nature des organismes en cause et de l’impact des décisions sur les droits des individus. Par exemple, l’article 63 de la LIPR (les anciens articles 79 et 77 de Loi sur l’immigration, LRC 1985, c I-2, abrogée depuis) ne prévoit pas expressément que la SAI puisse entendre un appel de novo. Il n’empêche, selon la jurisprudence, l’appel du refus d’un agent d’immigration de délivrer un visa de résident permanent à une personne parrainée au titre du regroupement familial est entendu de novo par la SAI (Mohamed c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 3 RCF 90 aux paras 9-13; Kahlon c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 14 ACWS (3d) 81, [1989] ACF no 104 (CAF) au para 5; Kwan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 971, [2001] ACF no 1333 aux paras 15-18 [Kwan]).

[…]

[40]           Ce qui est évident au présent dossier est que la SAR, à bon droit, refusa la demande d’audience. Dans un tel cas, il est clair qu’un procès de novo n’est pas à envisager. Aux fins de notre dossier, la question de savoir de quel type d’appel il s’agit devant la SAR n’est pas déterminante en l’espèce. Il n’y a pas lieu de se prononcer à ce sujet pour finaliser le présent dossier.

C.                 La SAR a-t-elle erré en confirmant la décision de la SPR voulant que le demandeur n’ait pas établi son identité selon la prépondérance de la preuve?

[41]           Un demandeur réclamant le statut de réfugié doit premièrement, selon la règle 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, établir son identité devant la SPR. Il a le lourd fardeau de produire des documents acceptables établissant son identité (Su c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 743 au para 4). Lorsqu’un demandeur faille à établir son identité, la SPR peut en tirer une conclusion négative quant à la crédibilité de son récit (Matingou-Testie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 389 au para 2 [Matingou]).

[42]           Le demandeur soutient premièrement que la SAR ne doit pas faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de la SPR concernant sa crédibilité. Au contraire, comme le démontre la jurisprudence de la Cour, lorsque la crédibilité d'un demandeur est en jeu, la SAR peut avoir un certain niveau de déférence envers les conclusions de crédibilité de la SPR (Bui, précité au para 25, citant Yetna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 858 au para 17; Yin, précité au para 36; Sajad, précité aux paras 20 à 22 et 26).

[43]           En l’espèce, la SAR a effectué sa propre évaluation de la preuve. Bien qu’elle ait conclu au même résultat que la SPR, elle n’a pas partagé les commentaires de la SPR au sujet de l’extrait de naissance et du certificat de nationalité du demandeur (DD, page 15 au para 42). Bien que la SPR ait écrit que ces documents aient pu être fabriqués par n’importe qui (DCT, décision de la SPR, page 33 au para 9 et page 36 au para 23), la SAR commenta que l’expertise de l’ASFC démontre que ces documents sont authentiques et non altérés (DD, décision de la SAR page 16 aux paras 45, 48, 49). La SAR a évalué ces documents, en plus de l’attestation de perte de pièces d’identité du demandeur et un document intitulé « composition familiale ». Elle a adéquatement identifié des incohérences entre les informations contenues dans ces documents et les informations fournies par le demandeur, se tournant parfois également vers la preuve documentaire pour ensuite en venir à sa propre conclusion (DD, décision de la SAR page 17 au para 50).

[44]           La SAR a également effectué une analyse plus poussée que celle faite par la SPR (DD, décision de la SAR page 17 au para 52). Elle a soulevé d’autres incohérences non soulevées par la SPR. Entre autres, la SAR a noté que le demandeur prétendait être né à Kinshasa, alors que les attestations de naissance de ses enfants indiquent qu’il serait né à Goma (DD, décision de la SAR page 18 au para 53; voir les actes de naissance des enfants aux pages 290-291 du DCT et le formulaire de demande d’asile du demandeur à la page 136 du DCT).

[45]           Le demandeur argumente également que la SAR a rejeté ses bulletins scolaires sans motifs. Il n’y a effectivement aucune mention des bulletins scolaires dans l’analyse de la SAR, alors que ceux-ci ont été mentionnés dans la décision de la SPR. Cela étant dit, ces bulletins scolaires étaient compris au dossier d’appel devant la SAR (DCT aux pages 98-99). La SAR n’est pas obligé de se référer à tous les documents compris au dossier; les raisons de la SAR en l’espèce sont suffisantes en soi pour démontrer que le dossier du demandeur a été évalué en profondeur par celle-ci. (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16). Les bulletins scolaires ne peuvent non plus à eux seuls servir à établir l’identité du demandeur. Le fait qu’ils n’aient pas été mentionnés dans l’analyse de la SAR ne rend pas donc la décision déraisonnable.

[46]           L’argument du demandeur voulant que la SAR ait appliqué un fardeau de la preuve au-delà de tout doute raisonnable doit également échouer. La SAR a effectué une analyse complète de la preuve et a raisonnablement décidé de confirmer la décision de la SPR voulant que le demandeur n’ait pas établi son identité selon la prépondérance de la preuve (DD page 15 au para 42). Rien dans la décision de la SAR ne laisse croire qu’elle a imposé un fardeau plus élevé que nécessaire au demandeur. De plus, la décision sur laquelle s’appuie le demandeur pour soutenir son argument ne joue pas en sa faveur. Effectivement, le passage de la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Singh, 2004 CF 1634 [Singh] sur lequel il s’appuie explique que :

[38]      En consultant les articles applicables de la Loi, on constate qu'il incombe au ministre de décider s'il est convaincu de l'identité d'un étranger. Il ne s'ensuit pas pour autant que le ministre soit chargé de parcourir le monde à la recherche de renseignements permettant d'établir l'identité de l'étranger en question. À mon avis, il est indéniable que c'est à l'étranger lui-même qu'il appartient d'établir sa propre identité. De toute évidence, lorsque cet étranger produit des documents, le ministre fait tout en son pouvoir pour les vérifier et pour se convaincre de l'identité de l'étranger. Le fardeau n'est pas déplacé de l'étranger au ministre : l'entière responsabilité d'établir l'identité de l'étranger revient à celui-ci. En l'espèce, l'étranger a fourni à diverses reprises des renseignements concernant son identité dont la plupart étaient faux ou fabriqués de toutes pièces. Le fait qu'il ne soit pas en mesure de fournir un document valide pour prouver son identité ne signifie pas qu'il devrait demander à un tiers de témoigner au sujet de son identité; si le défendeur a effectivement déjà vécu en Inde, il devrait rester des traces de son passage là-bas et il devrait être relativement facile de trouver ces documents, une tâche qui lui revient et non au ministre (au para 38) (mon soulignement).

En l’espèce, les documents produits par le demandeur ont été examinés par l’ASFC et c’est sur la base de cette expertise et les incohérences notées entre les documents examinés et les informations fournies par le demandeur que la SAR en est venue à la conclusion de confirmer la décision de la SPR, le demandeur n’ayant pas établi son identité selon la prépondérance de la preuve. L’intervention de cette Cour n’est donc pas justifiée.

[47]           Le demandeur soutient également que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration avait été satisfait par la preuve que le demandeur avait soumise pour établir son identité et lui a par conséquent délivré un « Document du demandeur d’asile » sous le nom d’Alonzo Mpaka, soit la personne qu’il prétend être (DD page 50). Je note premièrement que ce document n’est pas compris au Dossier certifié du tribunal. Il ne peut donc pas être considéré aux fins du présent contrôle judiciaire. Cela étant dit, j’ai quelques remarques à faire sur ledit document. Malgré l’existence de ce document, comme il est mentionné plus haut, selon la règle 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, le demandeur doit établir son identité devant la SPR. Je note également que le ministre est intervenu devant la SPR via un dépôt de documents, sans toutefois être présent à l’audience, ce qui démontre que le ministre doutait de l’identité du demandeur (DCT aux pages 226-229). De plus, une agente de Citoyenneté et Immigration Canada a écrit, dans un document intitulé « Recommandation de Détention » que le demandeur ne l’avait pas satisfaite de son identité et a recommandé sa détention afin que son identité soit confirmée. Ce document a été émis à la même date que le « Document du demandeur d’asile » présenté par le demandeur, soit le 20 janvier 2014. De plus, la signature du représentant du ministre compris au « Document du demandeur d’asile » est la même que celle comprise au document « Recommandation et détention » ce qui démontre que la même personne est à l’origine de ces deux documents. Donc, malgré que le « Document du demandeur d’asile » ait été délivré au demandeur sous le nom d’Alonzo Mpaka, contrairement à ce que prétend le demandeur, il ne peut être dit que le ministre eût été satisfait de la preuve que le demandeur était véritablement Alonzo Mpaka.

[48]           À l’audience, l’avocat du demandeur a mis l’accent sur l’absence d’analyse de la SAR concernant le certificat de nationalité du demandeur (DCT à la page 176), ce qui constitue, selon lui, la meilleure pièce d’identité d’un individu. Dans sa décision, la SAR a écrit dans son analyse que ses commentaires portant sur l’extrait de naissance du demandeur pouvaient s’appliquer au certificat de nationalité du demandeur (DD page 17 au para 51). Je suis donc d’avis que contrairement à l’argument du demandeur, la SAR a évalué le document et a précisé que les conclusions de l’ASFC quant à l’extrait de naissance du demandeur étaient également applicables au certificat de nationalité, à savoir qu’à lui seul, un tel document ne peut établir l’identité d’une personne. De plus, la lecture de l’expertise de l’ASFC effectuée pour ce document, auquel la SAR se réfère (DD page 17 au para 48), précise qu’il n’a pu être déterminé si ce document avait été frauduleusement obtenu (DCT page 238). La SAR ajouta que ce document a été publié après l’arrivée du demandeur au Canada (Ibid). Effectivement, ce document a été publié le 18 novembre 2013, alors que le demandeur est arrivé au Canada en septembre 2013. La SAR a donc évalué ce document et l’analyse qui en a été faite par l’ASFC. L’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

[49]           La SAR a également noté dans son analyse de l’extrait de naissance du demandeur que la prétendue mère du demandeur est ménagère, alors qu’à l’audience devant la SPR, le demandeur a déclaré que sa mère est fonctionnaire (DD, décision de la SAR, page 17 au para 50). Dans son affidavit, le demandeur a précisé que sa mère était en fait une enseignante, et que l’utilisation du terme ménagère est en un mot « fourre-tout » qui est utilisé par l’administration afin de désigner la profession d’une femme lorsque sa profession exacte est inconnue (DD, Affidavit du demandeur, page 25 au para 25). Étant donné les contradictions concernant la carrière de la mère du demandeur, il était raisonnable pour la SAR de douter des prétentions du demandeur.

[50]           Je note également que le demandeur se présente avec trois identités distinctes. Le demandeur dit véritablement être Alonzo Mpaka. Il allègue être persécuté sous ce nom en RDC. Il possède également l’identité de Morangwa Malambu, soit le nom qu’il prétend avoir emprunté pour quitter la RDC pour s’en aller en France. Il possède également une troisième identité, sous le nom de « Tsemengu », soit celle qu’il aurait utilisée pour traverser la frontière séparant les États-Unis et le Canada (DCT, Décision de la SPR, page 67 au para 10). Aucun document n’a été présenté quant à cette troisième identité. Étant donné que deux des documents concernant l’identité d’Alonzo Mpaka ont été considérés authentiques et non altérés par l’expertise de l’ASFC, soit un certificat de nationalité et un extrait d’acte de naissance, et que le passeport du demandeur sous le nom de Morangwa Malambu a également été jugé authentique et non altéré et que c’est sous cette identité (Morangwa Malambu) que le demandeur a fait une demande de réfugié en France, qui lui a été refusée parce que ses craintes de persécutions n’étaient pas suffisamment fondées (DD, Affidavit du demandeur, Onglet 4 pages 20-21 au para 9), qu’il a vécu de 2000 à 2013 en France sous ce nom, et que c’est sous cette identité qu’il a voyagé en RDC en mars 2013, il était raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur n’avait pas démontré son identité sous le nom d’Alonzo Mpaka.

[51]           Quant au prétendu voyage du demandeur en RDC en mars 2013, la SAR a adéquatement évalué la preuve présentée et à juste titre déterminé qu’étant donné les doutes sur l’identité du demandeur et le témoignage du demandeur à ce sujet à l’audience devant la SPR, il était raisonnable de conclure que le demandeur ne s’était pas déchargé de son fardeau d’établir ce fait (Matingou, précité au para 2). Selon sa version, le demandeur a voyagé en RDC en mars 2013 avec son passeport comprenant le nom de Morangwa Malambu. Son passeport ne comporte par contre aucune estampille de ce voyage. Comme il est souligné dans la décision Singh, précité au paragraphe 38, il revient au demandeur de présenter les documents nécessaires démontrant le voyage, ce qu’il n’a pas fait en l’espèce. La SAR a effectivement noté que le demandeur n’avait présenté aucun billet d’avion ni de carte d’embarquement pour démontrer qu’il avait bel et bien voyagé en RDC en mars 2013. La SAR a de plus écrit que le passeport du demandeur ne contient aucune trace de ce prétendu voyage (DD, Décision de la SAR, pages 19-20 au para 56). Encore une fois, la décision de la SAR sur ce point est raisonnable.

[52]           C’est donc basé sur sa propre analyse des documents soumis par le demandeur et des incohérences soulevées que la SAR a confirmé la décision de la SPR, soit que le demandeur n’avait pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités. Elle a fait sa propre analyse et ses propres déterminations, elle confirma la décision de la SPR. En conséquence, la décision de la SAR est raisonnable.

IX.             Conclusion

[53]           La SAR a conclu de ne pas tenir d’audience étant donné qu’il n’y avait pas de nouvelles preuves au dossier. Suite à sa propre évaluation de la preuve, la SAR a raisonnablement conclu de confirmer la décision de la SPR, soit que le demandeur n’avait pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités. L’intervention de cette Cour n’est pas justifiée.

[54]           Dans ses soumissions supplémentaires, le demandeur propose la question à certifier suivante :

Dans le cadre de l’application du paragraphe 110(6) de la LIPR, lorsqu’une question importante concernant la crédibilité d’une demandeuse ou d’un demandeur se pose devant la SAR, les éléments de preuve documentaire ouvrant la voie à la possibilité d’une audience : (1) comprennent-ils également les éléments de preuve déjà contenus dans le dossier de la SPR visé au paragraphe 110(3) de la LIPR mais non étudiés ou insuffisamment étudiés par cette dernière; ou (2) sont-ils limités uniquement aux nouveaux éléments de preuve documentaire visés au paragraphe 110(4) de la LIPR, à l’exclusion des éléments de preuve déjà présents dans le dossier qui a été instruit par la SPR?

[55]           Le défendeur répond à la certification de cette question en argumentant que les articles 110 et 111 de la LIPR sont clairs, à savoir qu’il est nécessaire de présenter de la nouvelle preuve en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR afin que la SAR puisse tenir une audience. Parce qu’il n’y a pas de nouvelles preuves en l’espèce, la question présentée n’est pas une question qui se pose dans le cadre du présent litige. Par conséquent, elle ne peut pas être certifiée.

[56]           Les principes gouvernant la certification d’une question en vertu du paragraphe 74(d) de la LIPR ont été établis par la Cour d’appel fédérale. Afin de certifier la question, le juge doit être d’avis que la « question transcende les intérêts des parties au litige, qu'elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage, [1994] ACF no 1637, 176 NR 4 aux paras 4-6). La question doit être une question sérieuse qui permet de trancher l’appel (Varela c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145 aux paras 22-29).

[57]           Cela étant dit, « la Cour n'agira pas de façon à simplement valider les questions à certifier proposées par les parties : une analyse plus poussée est nécessaire si le « mécanisme de contrôle », ainsi appelé dans l'arrêt Varela [Varela c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145], au paragraphe 43, est pris au sérieux. Tel est le rôle de la Cour dans le traitement des questions certifiées » (Harkat (Re), 2011 CF 75 au para 13; voir également Galvez Padilla c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 247 au para 87).

[58]           En l’espèce, la question proposée n’a pas lieu d’être certifiée.

[59]           Effectivement, l’avocat du demandeur a admis à l’audience et dans ses soumissions supplémentaires qu’il est nécessaire, à la lecture des articles 110 et 111 de la LIPR de présenter de la nouvelle preuve à la SAR afin que celle-ci puisse envisager une audience à l’appelant qui le demande. Le demandeur n’a pas soumis de nouvelle preuve devant la SAR. Le demandeur n’a également pas présenté de jurisprudence contredisant les décisions de la Cour dans Sajad, Yin, Bui et Djossou, précités, qui expliquent qu’il est nécessaire d’avoir de nouvelles preuves afin que la SAR puisse décider d’accorder une audience à un appelant la lui demandant.

[60]           De plus, si l’on devait répondre positivement à la partie (1) de la question à certifier proposée par le demandeur, le paragraphe 111(2) de la LIPR perdrait tout son sens. Effectivement, selon ce paragraphe, la SAR ne peut procéder au renvoi que si elle estime, à la fois « que la décision attaquée de la Section de la protection des réfugiés est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait » et « qu’elle ne peut confirmer la décision attaquée ou casser la décision et y substituer la décision qui aurait dû être rendue sans tenir une nouvelle audience en vue du réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la Section de la protection des réfugiés ». La réponse du demandeur à la première partie de sa question se trouve donc dans le paragraphe 111(2) lui-même.

[61]           La partie (2) de la question proposée n’est également pas déterminante en l’espèce : tel que mentionné, l’avocat du demandeur a lui-même admis qu’il était nécessaire d’avoir de la nouvelle preuve afin que la SAR puisse potentiellement tenir une audience et il n’y a pas de nouvelle preuve en l’espèce.

[62]           Mais encore plus important ici, les faits mis de l’avant par le demandeur pour démontrer son identité ou encore qu’il a besoin de protection ne sont tout simplement pas crédibles. Ce que le demandeur recherche par une autre audition, c’est d’ajuster son témoignage afin de pouvoir réinstaurer sa crédibilité. Les faits, tels que relatés ci-haut, parlent d’eux-mêmes. La SPR ne l’a pas cru, la SAR non plus et le soussigné conclu que la conclusion de la SAR est raisonnable. Sur cette base, il serait inapproprié de certifier une question dans de telles circonstances. Le demandeur a eu l’occasion de se faire entendre à deux reprises et dans la présente procédure, une troisième fois. Sa crédibilité fut fatalement remise en question. De là, la raisonabilité de la décision de la SAR, qui constate de façon éloquente que la crédibilité quant aux faits du dossier mis de l’avant par le demandeur est nul.

[63]           Donc, à la lumière de tous les faits en l’espèce et de l’analyse ci-haut, et dans de telles circonstances, on ne peut pas certifier la question.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      Le contrôle judiciaire est rejeté;

2.      Aucune question n’est certifiée.

« Simon Noël »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7972-14

 

INTITULÉ :

MORANGWA MALAMBU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

Me François Kasenda Kabemba

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Claudine Patry

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet François K.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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