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Date : 20150707


Dossier : IMM-6772-14

Référence : 2015 CF 827

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Calgary (Alberta), le 7 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

HURSHED ABDURAHIMOV

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Hurshed Abdurahimov est un citoyen d’Ouzbékistan. Il a commencé à apprendre l’anglais en Angleterre en 2007. Lorsqu’il était en Angleterre, le demandeur s’est converti au christianisme et a été baptisé comme chrétien évangélique. Le demandeur affirme qu’il ne pouvait pratiquer sa religion en toute liberté en Ouzbékistan.

[2]               Le demandeur est venu au Canada le 18 janvier 2014, mais il a quitté le pays très peu de temps après, le 25 avril 2014, sans présenter de demande d’asile, et il a voyagé au Kirghizistan pour épouser sa petite amie. Il est allé en Ouzbékistan par la suite et il est revenu au Canada le 9 juin 2014.

[3]               Lors de son premier séjour au Canada, il a parlé à des gens à la Adam House, une maison pour les réfugiés chrétiens. Il affirme qu’il avait demandé s’il pouvait amener sa petite amie au Canada et qu’on lui a répondu que ce serait long. Il a ajouté qu’il avait obtenu des conseils contradictoires et qu’il était donc confus quant à ce qu’il devait faire. Le demandeur avait aussi entendu dire que les parents de sa petite amie voulaient qu’elle épouse quelqu’un d’autre et il a donc décidé de retourner au Kirghizistan dans le but d’épouser sa petite amie, ce qu’il a fait.

[4]               Le demandeur est ensuite retourné en Ouzbékistan pour demander de l’argent à ses connaissances afin d’obtenir un visa canadien de visiteur pour son épouse et des billets d’avion. Selon son témoignage, il avait dû se rendre en Ouzbékistan pour demander l’argent en personne. Il n’a pas pu obtenir un visa pour son épouse.

[5]               Lorsque le demandeur est arrivé à l’aéroport en Ouzbékistan, il a été mis en détention par les agents de l’immigration, parce qu’il transportait une bible avec lui. Le demandeur a déclaré qu’il apportait la bible pour quelqu’un d’autre et il n’a pas révélé qu’il s’était converti. L’agent d’immigration ne l’a pas cru et l’a frappé au visage. Il a été libéré ultérieurement.

[6]               Le demandeur affirme que son père l’avait menacé d’informer les autorités en Ouzbékistan qu’il avait essayé de répandre le christianisme. Le demandeur a aussi affirmé que sa demi‑sœur s’était convertie au christianisme et que son père et sa belle‑mère la harcelaient et la frappaient afin qu’elle se reconvertisse.

[7]               Le demandeur a relaté dans son témoignage qu’il ne pouvait trouver une église dans sa ville en Ouzbékistan. Il a découvert en effet quelques églises chrétiennes orthodoxes, mais il n’a pas aimé leurs enseignements.

[8]               La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile du demandeur. Ce faisant (i) elle a tiré une inférence défavorable quant à la crainte subjective du demandeur, du fait qu’il a tardé à demander l’asile et qu’il s’est réclamé de nouveau de la protection de l’Ouzbékistan; (ii) elle a conclu qu’il aurait pu avoir reçu de l’argent en contractant un prêt ou en obtenant un billet à ordre et que sa présence en Ouzbékistan n’était pas nécessaire; (iii) elle a tiré des inférences défavorables du fait qu’il n’a pas mentionné la menace de son père ni la conversion de sa demi‑sœur dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA] original; (iv) elle a relevé dans la preuve documentaire sur la situation dans le pays que l’Ouzbékistan est un pays tolérant sur le plan religieux et elle a donc conclu que la crainte du demandeur de pratiquer le christianisme évangélique était conjecturale et elle a rejeté son récit selon lequel il aurait été frappé au visage parce qu’il transportait une bible; (v) elle n’a accordé que peu d’importance aux photos du baptême du demandeur, à son acte de baptême et à la lettre de la pasteure en Angleterre.

[9]               La seule question en litige est celle de savoir si la décision contestée est raisonnable.

[10]           Le demandeur soutient que son retard à présenter sa demande, attribuable au fait qu’il a quitté le pays pour épouser sa petite amie plutôt que de présenter sa demande d’asile, était raisonnable et n’aurait pas dû entraîner une inférence quant à un manque de crainte subjective. Il attire l’attention de la Cour sur des décisions dans lesquelles il a été conclu que la loyauté familiale pouvait à adopter des comportements à risque qui pourraient autrement être considérés comme des actes incompatibles avec une crainte subjective : par exemple, voir Mohammadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1028.

[11]           Je conviens avec le demandeur que ce raisonnement peut s’appliquer à son voyage du Canada au Kirghizistan pour épouser sa petite amie. Toutefois, cela n’explique pas pourquoi le demandeur retournerait en Ouzbékistan. Dans la décision El Kaissi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1234 au paragraphe 29, la Cour a fait remarquer que « [c]ependant, hormis une explication valable ou un besoin pressant, on est présumé s’être volontairement réclamé à nouveau de la protection de son pays, et la crainte subjective du demandeur d’asile peut alors être mise en doute ».

[12]           La question que la Cour doit trancher est celle de savoir s’il était déraisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur s’était réclamé de nouveau de la protection de l’Ouzbékistan, au sens où il avait été véritablement contraint d’y retourner sans avoir présenté une demande d’asile. Après avoir lu la transcription de l’audience, je conclus que l’appréciation de la SPR selon laquelle la présence personnelle du demandeur n’était pas requise était juste. Le demandeur soutient que le fait que son retour en Ouzbékistan ne présentait pas de risque imminent à ses yeux n’a pas été pris en compte et que ce fait doit nuancer l’appréciation du fait qu’il s’est de nouveau réclamé de la protection. Je ne souscris pas à sa thèse. Tout d’abord, cette conclusion va à l’encontre de la preuve du demandeur selon laquelle il avait été frappé au visage immédiatement à son arrivée parce qu’il transportait une bible. Deuxièmement, la crainte d’un demandeur d’asile, qu’elle soit fondée sur un risque immédiat ou un risque ultérieur, ne doit pas être hypothétique et ne doit pas se rapporter à un risque dont personne ne sait à quel moment il se concrétisera. Par conséquent, quel que soit le fondement de la crainte, le fait de se réclamer de nouveau de la protection sans y être contraint peut être considéré comme une preuve de l’absence de crainte subjective.

[13]           Le demandeur soutient que les conclusions négatives en matière de crédibilité tirées des modifications du formulaire FDA n’étaient pas raisonnables. Il a expliqué à la SPR qu’il avait omis ces faits initialement, parce que le bureau qui l’avait aidé à remplir ce formulaire lui avait dit d’abréger la description narrative. En ce qui concerne la conversion de sa demi‑sœur, le demandeur déclare qu’il en avait informé son avocat dès qu’il s’était rendu compte que cette information était manquante.

[14]           La SPR a rejeté ces explications. Le demandeur s’appuie sur Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1062, au paragraphe 22, où la Cour a énoncé ce qui suit :

La SPR tire également une inférence défavorable du fait que le demandeur n’a pas fait mention de la sommation dans son FRP initial. Cependant, en cela, elle fait abstraction de la modification que le demandeur a apportée à son FRP et qui faisait référence à la sommation. Les demandeurs sont autorisés à modifier ce qu’ils ont déclaré dans leur FRP avant la tenue d’une audience à la Commission, après avoir obtenu l’aide et l’avis d’un conseil bien au fait du processus d’immigration. L’approche qu’a suivie la SPR est problématique car elle donne à penser que l’on peut aisément faire abstraction des modifications juste parce qu’il s’agit de modifications.

[15]           Cependant, je souscris à l’observation du défendeur selon laquelle cela ne signifie pas qu’une inférence défavorable ne peut jamais être tirée à la suite du défaut de mentionner un incident : voir, par exemple, Aragon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 144. La SPR n’a pas tiré d’inférence défavorable du simple fait que les renseignements supplémentaires avaient été omis dans le premier formulaire FDA; elle a plutôt examiné l’importance relative des renseignements manquants et l’explication donnée par le demandeur à savoir pourquoi il ne les avait pas inclus. L’explication fournie n’était pas crédible, puisqu’il avait signé le formulaire FDA, signature par laquelle il attestait avoir lu le formulaire et le caractère complet de celui-ci. L’appréciation de la SPR selon laquelle le demandeur ajoutait ces faits afin de bonifier son récit était raisonnable.

[16]           La SPR a reconnu que l’acte de baptême et la photo du baptême démontraient que le demandeur avait été baptisé dans la baignoire de son appartement. Cependant, comme elle l’a constaté, cela « ne prouve pas qu’il est un chrétien évangélique authentique ». Elle n’a accordé que peu d’importance à la lettre de la pasteure laïque, car « une grande partie de l’information contenue dans la lettre de la pasteure laïque lui a été fournie par le demandeur d’asile; et […] le tribunal a conclu que celui‑ci n’est généralement pas crédible ». Le demandeur a relaté le contenu de la lettre à la Cour en vue de me convaincre que la SPR a commis une erreur lui attribuant une « grande partie » de la source de son contenu factuel. Je suis prêt à croire qu’une partie des renseignements consistaient en des éléments de preuve directs, mais les autres renseignements à cet égard provenaient du demandeur. L’appréciation de la SPR, qui ne correspond pas nécessairement à celle à laquelle je serais arrivé, ne peut être considérée comme déraisonnable.

[17]           Je conviens avec le demandeur que l’appréciation faite par la SPR de la preuve sur la situation dans le pays était discutable. La Cour est particulièrement perturbée par la conclusion selon laquelle le fait que les restrictions en matière de prosélytisme s’appliquaient à tous, y compris les musulmans, a pour conséquence que les chrétiens évangéliques ne seraient pas exposés à la persécution, puisque toutes les religions sont assujetties à la même interdiction. Cela est non seulement absurde, mais aussi erroné en droit. Le fait que toute la population d’un pays soit victime de persécution ne signifie pas que nul n’a droit à la protection conférée par la Convention; cela suppose plutôt que tous ont le droit à la protection. En outre, la déclaration de la SPR ne tient pas compte du fait que le prosélytisme n’est pas une composante clé de chaque religion, alors que le demandeur a déclaré qu’elle en était une de sa religion.

[18]           Bien que les conclusions de la SPR à cet égard soient déraisonnables, le demandeur pourrait avoir gain de cause dans le cadre de la présente demande uniquement si sa crainte et son allégation quant à sa religion étaient reconnues comme étant valides. Cependant, la SPR a conclu que :

[…] [q]u’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour établir le profil ou les allégations du demandeur d’asile. Le tribunal conclut que le demandeur d’asile n’est généralement pas crédible […]

[19]           Cette conclusion est raisonnable et constitue un fondement suffisant pour rejeter la demande, quelles que soient les conditions en Ouzbékistan pour les chrétiens évangéliques.

[20]           Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6772-14

 

INTITULÉ :

HURSHED ABDURAHIMOV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE l’AUDIENCE :

Toronto (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 30 juin 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 7 juillet 2015

 

COMPARUTIONS :

Elyse Korman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sybil Thompson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis et Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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