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Date : 20150709


Dossiers : T‑2022‑89

T‑1254‑92

Référence : 2015 CF 836

[TRADUCTION FRANÇAISE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Russell

Dossier : T‑2022‑89

ENTRE :

LE CHEF VICTOR BUFFALO, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA BANDE ET DE LA NATION INDIENNES DE SAMSON, ET LA BANDE ET LA NATION INDIENNES DE SAMSON

défendeurs

(demandeurs)

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN ET LE MINISTRE DES FINANCES

demandeurs

(défendeurs)

Dossier : T‑1254‑92

ET ENTRE :

LE CHEF JOHN ERMINESKIN, LAWRENCE WILDCAT, GORDON LEE, ART LITTLECHILD, MAURICE WOLFE, CURTIS ERMINESKIN, GERRY ERMINESKIN, EARL ERMINESKIN, RICK WOLFE, KEN CUTARM, BRIAN LEE, LESTER FRAYNN, LE CHEF ET LES CONSEILLERS ÉLUS DE LA BANDE ET DE LA NATION INDIENNES D’ERMINESKIN, EN LEUR NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA BANDE ET DE LA NATION INDIENNES D’ERMINESKIN

défendeurs

(demandeurs)

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN ET LE MINISTRE DES FINANCES

demandeurs

(défendeurs)

JUGEMENT ET MOTIFS

I.      INTRODUCTION.. 3

II.    CONTEXTE.. 4

III.  QUESTIONS EN LITIGE.. 6

IV.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES. 7

V.    ARGUMENTS. 12

A.     Canada. 12

B.      Les demandeurs de Samson. 20

C.      Les demandeurs d’Ermineskin. 28

D.     Les observations en réponse du Canada. 36

E.      Intervenante ‑ Alberta. 38

F.      Réponse des demandeurs de Samson à l’intervenante. 41

G.     La réponse des demandeurs d’Ermineskin à l’intervenante. 42

VI.  ANALYSE.. 44

A.     Les actions. 45

B.      Le fond des demandes. 46

C.      Jugement sommaire. 47

(1)       La position du Canada. 53

(2)       T‑2022‑89 – La position de Samson. 55

a)    Aucun délai de prescription promulgué en vertu de la Constitution. 55

b)    La question de la qualification. 74

c)    Les lois applicables sont celles de quelle province?. 80

d)   Le délai de prescription de l’Alberta pertinent 83

e)    À quel moment le délai de prescription a‑t‑il commencé à courir?. 92

f)    L’affaire se prête‑t‑elle à un jugement sommaire?. 108

(3)       T‑1254‑92 – La position d’Ermineskin. 114

a)    Aucun délai de prescription promulgué en vertu de la Constitution. 114

b)    Aucun précédent 117

c)    L’article 39 porte atteinte à première vue aux droits d’Ermineskin issus d’un traité. 123

d)   L’honneur de la Couronne. 124

e)    L’on ne devrait pas faire fi des griefs historiques. 126

f)    Le conflit fondamental 128

g)    Atteinte injustifiée. 129

h)    La question de la qualification. 130

i)     Paiement en nature. 133

j)     Obstacles juridiques et pratiques. 142

k)    Fraude en equity. 144

(4)       Manque de diligence et acquiescement 146

I.                   INTRODUCTION

[1] La Cour est saisie de deux requêtes en jugement sommaire. Les défendeurs (demandeurs) [Canada] présentent la même requête, dans les actions portant les numéros de dossier T‑2022‑89 et T‑1254‑92, en vertu du paragraphe 213(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. Le Canada demande un jugement sommaire au motif que les réclamations des demandeurs dans les deux actions sont prescrites. Vu la ressemblance des contextes factuels, la nature du litige général dans le cadre duquel s’inscrivent ces requêtes et les observations présentées à la Cour, les motifs exposés s’appliqueront aux deux dossiers et une copie sera versée dans chacun des ces dossiers (T‑2022‑89 et T‑1254‑92). Les demandeurs (défendeurs) dans l’action T‑2022‑89 seront appelés les « demandeurs de Samson » ou « Samson », tandis que les demandeurs (défendeurs) dans l’action T‑1254‑92 seront appelés les « demandeurs d’Ermineskin » ou « Ermineskin ». Collectivement, les demandeurs de Samson et les demandeurs d’Ermineskin seront appelés les demandeurs.

II.                CONTEXTE

[2] Les présentes requêtes sont présentées dans le contexte d’un litige en instance concernant des redevances et taxes prélevées sur le pétrole produit dans la réserve de Pigeon Lake [la réserve] entre 1973 et 1985. Samson et Ermineskin sont deux des quatre Premières Nations ayant des droits dans la réserve [collectivement, les quatre bandes], et elles sont toutes deux parties au Traité no 6.

[3] En 1946, Samson et Ermineskin ont renoncé leurs droits miniers dans la réserve au Canada [la renonciation]. La renonciation a permis au Canada d’octroyer des baux à des sociétés pétrolières et gazières qui ont payé des redevances au Canada pour le compte de Samson et Ermineskin.

[4] En janvier 1974, la Loi sur la taxe d’exportation du pétrole, LC 1973‑74, c 53, a reçu la sanction royale avec effet rétroactif au 1er octobre 1973. Celle Loi faisait partie d’une stratégie nationale visant à améliorer les effets internes des prix internationaux du pétrole qui grimpaient rapidement. La Loi sur la taxe d’exportation du pétrole créait un « prix canadien » du pétrole et imposait une taxe sur les exportations de pétrole. Les revenus tirés de la taxe à l’exportation étaient censés subventionner le coût des importations de pétrole et le coût de la production de pétrole au Canada.

[5] La Loi sur la taxe d’exportation du pétrole a été remplacée par la Loi sur l’administration du pétrole, LC 1974‑75‑76, c 47, qui imposait des droits à l’exportation du pétrole et avait un effet rétroactif au 1er avril 1974. La Loi sur la taxe d’exportation du pétrole et la Loi sur l’administration du pétrole ont eu pour effet cumulatif d’assujettir les exportations de pétrole à une taxe ou à des droits du 1er octobre 1973 au 1er juin 1985. Le programme créant le « prix canadien » du pétrole constitué par la Loi sur la taxe d’exportation du pétrole et la Loi sur l’administration du pétrole sera appelé le « programme ».

[6] Le pétrole produit à partir de la réserve a été assujetti aux restrictions en matière de prix et à la taxe et aux droits d’exportation. Les fonds reçus ont été déposés dans le Trésor, et des comptes fictifs ont été tenus pour distinguer les montants appartenant à Samson et à Ermineskin.

[7] Le litige général soulève les questions du montant de redevances perçu, du montant qui aurait dû ou aurait pu être perçu et des montants portés à juste titre au crédit de Samson et d’Ermineskin.

[8] Les demandeurs de Samson ont déposé leur déclaration le 29 septembre 1989. Ils allèguent notamment que le Canada a manqué à ses obligations fiduciaires, fiduciales, issues de traités et autres parce qu’il n’a pas donné pleinement et convenablement effet à leur droit à redevances, protégé par la Constitution, pour le pétrole et le gaz produits dans la réserve et vendus par les sociétés locataires. Ils allèguent que le Canada a mal crédité leurs redevances en fonction du « prix canadien », et ils demandent à ce que leur compte du Trésor soit crédité de la redevance sur le prix de vente réel du pétrole exporté. Ils allèguent également que le Canada s’est enrichi injustement en s’appropriant la différence entre les prix internes et les prix internationaux du pétrole.

[9] Les demandeurs d’Ermineskin ont déposé leur déclaration le 28 mai 1992. Ils allèguent que le Canada a manqué à ses obligations fiduciaires et fiduciales parce qu’il a prélevé des taxes sur les droits à redevances d’Ermineskin en contravention de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5, et qu’il s’est approprié la différence entre les prix internes et internationaux.

[10]      Le Canada affirme que ces réclamations sont prescrites en vertu de la loi ainsi qu’en vertu de l’equity.

[11]      Les demandeurs de Samson ont déposé un avis de questions constitutionnelles le 25 mai 2000, et les demandeurs d’Ermineskin ont déposé un avis de questions constitutionnelles le 2 novembre 2004. En conséquence, le procureur général de l’Alberta [intervenant] intervient de plein droit dans la présente requête en vertu de l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

III.             QUESTIONS EN LITIGE

[12]      Le Canada affirme qu’il n’y a aucune véritable question litigieuse quant à savoir :

1)      si les réclamations des demandeurs sont prescrites en vertu d’une loi, parce que :

a.       les demandeurs connaissaient les faits donnant lieu à leurs réclamations plus de six ans avant de déposer leurs déclarations le 29 septembre 1989 et le 28 mai 1992;

b.      le délai de prescription applicable en vertu de la Loi sur les Cours fédérales est de six ans, que ce soit en vertu des lois albertaines incorporées par renvoi sur le fondement du paragraphe 39(1), ou subsidiairement du paragraphe 39(2);

2)      si les réclamations des demandeurs sont prescrites en vertu des règles en equity de l’acquiescement et du manque de diligence.

[13]      Dans leur réponse à ces requêtes, les demandeurs soulèvent également différentes questions qui seront tranchées plus loin dans l’analyse de la Cour.

IV.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[14]      Les dispositions suivantes des Règles des Cours fédérales s’appliquent en l’espèce :

Jugement et procès sommaires

Summary Judgment and Summary Trial

Requête et signification

Motion and Service

Requête d’une partie

Motion by a party

213. (1) Une partie peut présenter une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire à l’égard de toutes ou d’une partie des questions que soulèvent les actes de procédure. Le cas échéant, elle la présente après le dépôt de la défense du défendeur et avant que les heure, date et lieu de l’instruction soient fixés.

213. (1) A party may bring a motion for summary judgment or summary trial on all or some of the issues raised in the pleadings at any time after the defendant has filed a defence but before the time and place for trial have been fixed.

Nouvelle requête

Further motion

(2) Si une partie présente l’une de ces requêtes en jugement sommaire ou en procès sommaire, elle ne peut présenter de nouveau l’une ou l’autre de ces requêtes à moins d’obtenir l’autorisation de la Cour.

(2) If a party brings a motion for summary judgment or summary trial, the party may not bring a further motion for either summary judgment or summary trial except with leave of the Court.

Obligations du requérant

Obligations of moving party

(3) La requête en jugement sommaire ou en procès sommaire dans une action est présentée par signification et dépôt d’un avis de requête et d’un dossier de requête au moins vingt jours avant la date de l’audition de la requête indiquée dans l’avis.

(3) A motion for summary judgment or summary trial in an action may be brought by serving and filing a notice of motion and motion record at least 20 days before the day set out in the notice for the hearing of the motion.

Obligations de l’autre partie

Obligations of responding party

(4) La partie qui reçoit signification de la requête signifie et dépose un dossier de réponse au moins dix jours avant la date de l’audition de la requête indiquée dans l’avis de requête.

(4) A party served with a motion for summary judgment or summary trial shall serve and file a respondent’s motion record not later than 10 days before the day set out in the notice of motion for the hearing of the motion.

Faits et éléments de preuve nécessaires

Facts and evidence required

214. La réponse à une requête en jugement sommaire ne peut être fondée sur un élément qui pourrait être produit ultérieurement en preuve dans l’instance. Elle doit énoncer les faits précis et produire les éléments de preuve démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse.

214. A response to a motion for summary judgment shall not rely on what might be adduced as evidence at a later stage in the proceedings. It must set out specific facts and adduce the evidence showing that there is a genuine issue for trial.

Absence de véritable question litigieuse

If no genuine issue for trial

215. (1) Si, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

215. (1) If on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly.

Somme d’argent ou point de droit

Genuine issue of amount or question of law

(2) Si la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est :

(2) If the Court is satisfied that the only genuine issue is

[...]

[...]

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui‑ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

(b) a question of law, the Court may determine the question and grant summary judgment accordingly.

Pouvoirs de la Cour

Powers of Court

(3) Si la Cour est convaincue qu’il existe une véritable question de fait ou de droit litigieuse à l’égard d’une déclaration ou d’une défense, elle peut :

(3) If the Court is satisfied that there is a genuine issue of fact or law for trial with respect to a claim or a defence, the Court may

a) néanmoins trancher cette question par voie de procès sommaire et rendre toute ordonnance nécessaire pour le déroulement de ce procès;

(a) nevertheless determine that issue by way of summary trial and make any order necessary for the conduct of the summary trial; or

b) rejeter la requête en tout ou en partie et ordonner que l’action ou toute question litigieuse non tranchée par jugement sommaire soit instruite ou que l’action se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale.

(b) dismiss the motion in whole or in part and order that the action, or the issues in the action not disposed of by summary judgment, proceed to trial or that the action be conducted as a specially managed proceeding.

[15]      Les dispositions suivantes de la Loi sur les Cours fédérales s’appliquent en l’espèce :

Prescription — Fait survenu dans une province

Prescription and limitation on proceedings

39. (1) Sauf disposition contraire d’une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale dont le fait générateur est survenu dans cette province.

39. (1) Except as expressly provided by any other Act, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in a province between subject and subject apply to any proceedings in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of any cause of action arising in that province.

Prescription — Fait non survenu dans la province

Prescription and limitation on proceedings in the Court, not in province

(2) Le délai de prescription est de six ans à compter du fait générateur lorsque celui‑ci n’est pas survenu dans une province.

(2) A proceeding in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of a cause of action arising otherwise than in a province shall be taken within six years after the cause of action arose.

[16]      Les dispositions suivantes de la Limitation of Actions Act [Loi sur la prescription], RSA 1980, c L‑15 [LAA], s’appliquent en l’espèce :

[traduction]

DÉLAIS DE PRESCRIPTION

4(1) Les actions suivantes se prescrivent par les délais respectifs indiqués ci‑dessous :

[...]

c) les actions

(i) en recouvrement d’une somme d’argent, sauf celle relative à une créance grevant un bien‑fonds, que cette somme d’argent soit recouvrable à titre de dette, de dommages‑intérêts ou à un autre titre, et que cette somme découle d’un engagement, d’un cautionnement, d’un contrat ou d’un contrat scellé ou d’une convention verbale, expresse ou tacite;

(ii) en reddition de compte ou pour non‑reddition de compte;

se prescrit par six ans, à compter de la naissance de la cause d’action;

[...]

e) une action fondée sur un accident, une erreur ou un autre motif de recours reconnu en equity, sauf les motifs mentionnés aux alinéas ci‑dessus, se prescrit par six ans, à compter de la découverte de la cause d’action;

[...]

g) toute autre action qui ne fait pas explicitement l’objet d’une disposition de la présente loi ou d’une autre loi se prescrit par six ans, à compter de la naissance de la cause d’action.

[...]

6 Lorsque l’existence d’une cause d’action a été cachée par une manœuvre frauduleuse de la personne qui invoque en défense la présente partie ou la partie 2, la cause d’action est réputée avoir pris naissance au moment où la manœuvre frauduleuse a d’abord été connue ou découverte.

[...]

FIDUCIES ET FIDUCIAIRES

40 Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, la présente loi n’a pas pour effet d’empêcher le bénéficiaire de présenter contre le fiduciaire une réclamation relativement à un bien qui fait l’objet d’une fiducie expresse ou relativement à un manquement à l’obligation fiduciaire.

41(1) Dans le présent article, « fiduciaire » s’entend également d’un exécuteur testamentaire, d’un administrateur, d’un fiduciaire dont la fiducie prend naissance de façon judiciaire ou implicite, de même que d’un fiduciaire expressément désigné et d’un fiduciaire conjoint.

(2) Dans une action contre un fiduciaire ou l’ayant droit d’un fiduciaire,

a) les droits et privilèges conférés par la présente loi s’exercent de la même manière et dans la même mesure que si, dans cette action, le fiduciaire ou son ayant droit n’avait pas été un fiduciaire ou un ayant droit du fiduciaire;

b) si l’action est intentée pour recouvrer du numéraire ou d’autres biens et est une action à laquelle ne s’applique aucune disposition de la présente loi relative à la prescription, le fiduciaire ou son ayant droit peut invoquer et opposer à cette action le délai de prescription qu’ils auraient pu invoquer ou opposer si la réclamation avait été faite contre eux dans une action pour dette et peuvent le faire de la même manière et dans la même mesure que dans ce dernier cas, sauf lorsque la réclamation est fondée sur une fraude ou un manquement frauduleux aux obligations du fiduciaire auquel le fiduciaire était partie ou dont il était complice, ou lorsqu’elle vise à recouvrer des biens en fiducie ou leurs produits, encore conservés par le fiduciaire ou antérieurement reçus par lui et détournés à son usage.

(3) Malgré le paragraphe (2), les délais de prescription prévus à la présente loi ne commencent pas à courir contre un bénéficiaire tant que le droit du bénéficiaire ne devient pas un droit actuel.

[17]      Les dispositions suivantes de la Judicature Act, RSA 1980, c J 1 s’appliquent en l’espèce :

[traduction]

14 Aucune loi portant sur la prescription ne peut être interprétée de façon à limiter le droit du bénéficiaire d’introduire une cause ou une affaire contre le fiduciaire à l’égard des biens qu’il détient en conformité avec une fiducie explicite ou à l’égard de tout manquement de sa part à ses obligations de fiduciaire.

V.                ARGUMENTS

A.                Canada

[18]      Le Canada affirme que la Cour prononce un jugement sommaire lorsqu’elle conclut qu’il n’existe « pas de véritable question litigieuse » : Règles des Cours fédérales, article 215. L’article 215 des Règles vise à éviter les coûts liés au fait de permettre que des demandes dénuées de fondement se rendent à l’étape du procès : Canada (Procureur général) c Lameman, 2008 CSC 14 [Lameman CSC], au paragraphe 10. Le demandeur a le fardeau de démontrer qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse. Si le demandeur s’acquitte de son fardeau, le défendeur doit soit réfuter la preuve du requérant soit présenter une contre‑preuve, sans quoi l’action risque d’être rejetée sommairement : Règles des Cours fédérales, article 214; Lameman CSC, précité, au paragraphe 11.

[19]      Dans le cadre d’une requête en jugement sommaire, la Cour peut faire des inférences de fait à partir des faits dont elle est saisie : Lameman CSC, précité, au paragraphe 11; Papaschase Indian Band (Descendants of) v Canada (Attorney General), 2004 ABQB 655 [Lameman ABQB], aux paragraphes 60 et 61. Dans les actions dont il est ici question, le dossier démontre clairement que les demandeurs possédaient les connaissances requises concernant leurs réclamations longtemps avant l’expiration des délais de prescription. La Cour devrait se prononcer sur leurs réclamations par voie de jugement sommaire parce qu’il s’agit de réclamations importantes et complexes qui sont vouées à l’échec.

[20]       Les actions en justice doivent être introduites en temps opportun : Abbott c Canada, 2005 CF 163 [Abbott], conf. par 2006 CAF 342, autorisation d’appel devant la CSC refusée, 31816 (10 mai 2007); Abbott c Canada, 2007 CF 1338, aux paragraphes 11 à 13; Tacan c Canada, 2005 CF 385, aux paragraphes 78 à 85 [Tacan]; Canada (Fisheries and Oceans) v Perrot, 2009 NLTD 172, aux paragraphes 27 à 40. Les demandeurs connaissaient les faits pertinents aux fins des présentes demandes depuis la création du programme. Ils ont choisi de chercher des solutions politiques à leurs problèmes, mais cela n’a pas reporté le délai de prescription applicable.

[21]      Les arguments d’ordre constitutionnel des demandeurs concernant l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales sont sans fondement. Les revendications des peuples autochtones ne sont pas soustraites à l’application des délais de prescription : Lameman CSC, précité; Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79 [Wewaykum]; Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 RCS 344, aux paragraphes 106 à 122 [Blueberry River]; Kruger c La Reine (1985), [1986] 1 CF 3, aux paragraphes 54 à 56 (CA) [Kruger]. Les délais de prescription n’éteignent pas les droits ancestraux et issus de traités protégés par la Constitution : il s’agit de délais qui s’appliquent pour introduire des actions en justice. Ils ne font qu’empêcher la possibilité d’intenter un recours. La Cour d’appel de l’Ontario a également rejeté l’argument selon lequel les délais de prescription en equity sont invalides parce qu’ils ont pour effet d’éteindre des droits ancestraux : Chippewas of Sarnia Band v Canada (Attorney General) (2000), 51 OR (3d) 641 (CA) [Chippewas], aux paragraphes 262 à 267, 291 et 297 à 302; autorisation d’appel devant la CSC refusée, 28365 (8 novembre 2001). La Cour suprême du Canada a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario dans son arrêt Wewaykum, précité, aux paragraphes 110 à 112.

[22]      La Cour suprême du Canada a également rejeté l’argument selon lequel l’application de délais de prescription est incompatible avec la relation fiduciale spéciale entre le Canada et les peuples autochtones : Wewaykum, précité, aux paragraphes 121 à 124; Blueberry River, précité, aux paragraphes 106 à 122; Manitoba Metis Federation Inc. c Canada (Procureur général), 2013 CSC 14 [Manitoba Metis], aux paragraphes 138, 143 et 145. Bien que dans l’arrêt Manitoba Metis les juges majoritaires aient conclu qu’un délai de prescription ne pouvait être invoqué en défense à l’encontre de la demande de jugement déclaratoire, la Cour suprême du Canada a limité son analyse à la demande constitutionnelle précise dont elle était saisie (au paragraphe 134); voir également La bande de Peepeekisis c Canada, 2013 CAF 191 [Peepeekisis CAF], au paragraphe 54. Les demandes des demandeurs sont qualifiées à raison de demandes fondées sur des manquements à des obligations légales ou fiduciales, et elles ne relèvent donc pas de l’exception constitutionnelle étroite établie dans l’arrêt Manitoba Metis, précité, aux paragraphes 72 et 81.

[23]      L’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales s’applique aux demandes des demandeurs. La Cour doit seulement décider si c’est le paragraphe 39(1) ou le paragraphe 39(2) qui s’applique. Le Canada soutient que c’est le paragraphe 39(1) qui s’applique. Tous les éléments invoqués à l’appui des demandes sont survenus en Alberta, de sorte que le paragraphe 39(1) incorpore par renvoi les règles de droit de l’Alberta en matière de prescription : voir Bande et nation indienne d’Ermineskin c Canada, 2006 CAF 415 [Ermineskin CAF], aux paragraphes 323 à 326, motifs dissidents du juge Sexton. En vertu de la LAA, le délai de prescription applicable est de six ans : voir Stoney Tribal Council v PanCanadian Petroleum Ltd, 2000 ABCA 209, aux paragraphes 27 à 32; Lameman ABQB, précité, au paragraphe 127.

[24]      En réponse à l’argument de Samson selon lequel les faits invoqués au soutien de la demande de Samson sont survenus en Ontario, le Canada soutient que si la Cour estime que certains éléments de la demande ont un lien avec l’Ontario tandis que d’autres ont un lien avec l’Alberta, elle pourrait conclure que les faits générateurs sont survenus dans plus d’une province, de sorte que le paragraphe 39(2) de la Loi sur les Cours fédérales s’appliquerait. Toutefois, le paragraphe 39(2) prévoit également un délai de prescription de six ans : Markevich c Canada, 2003 CSC 9 [Markevich], au paragraphe 38; Apotex Inc. c Pfizer Canada Inc., 2004 CF 190, aux paragraphes 14 à 18.

[25]      Si la Cour estime que les demandes portent sur un manquement à une obligation fiduciale, l’alinéa 4(1)e) de la LAA de l’Alberta s’applique : le délai de prescription est de six années à compter de la date à laquelle les faits générateurs ont été véritablement découverts : Austec Electronic Systems Ltd v Mark IV Industries Ltd., 2001 ABQB 349, au paragraphe 30; Ermineskin CAF, précité, au paragraphe 334, motifs dissidents du juge Sexton. Le dossier indique clairement que les demandeurs et leurs conseillers juridiques connaissaient parfaitement bien le programme et ses répercussions sur leurs droits à des redevances depuis l’époque de sa création en 1973.

[26]      Si la Cour conclut que les réclamations portent sur un manquement allégué à toute autre obligation, c’est l’alinéa 4(1)g) de la LAA de l’Alberta qui s’applique. Cette disposition d’application générale énonce que le délai de prescription de six ans commence à courir à partir du moment où les faits générateurs ont été découverts ou aurait pu l’être.

[27]      Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, il ne peut y avoir de demande fondée sur un manquement à des obligations fiduciaires en common law. Les mesures prises par le Canada ne peuvent pas créer d’obligations fiduciaires en common law envers les demandeurs lorsque le Canada agit en conformité avec ses obligations envers tout le Canada. Dans une instance antérieure, la Cour suprême du Canada a conclu que ni le Traité no 6 ni la cession de 1946 ni la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, LC 1974‑75‑76, c 15, n’étayaient l’existence de l’intention d’imposer les obligations d’un fiduciaire en common law au Canada à l’égard des redevances des demandeurs : Bande et nation indiennes d’Ermineskin c Canada, 2009 CSC 9, aux paragraphes 50, 72 à 74 et 85 [Ermineskin CSC]. Les revenus tirés de la taxe et des droits sur le pétrole n’ont jamais été un bien fiduciaire dont les demandeurs étaient les propriétaires bénéficiaires. Ils provenaient des sociétés pétrolières, et non des demandeurs. Les seuls fonds fiduciaires étaient les redevances payées au Canada par les sociétés pétrolières et détenus en fiducie pour les demandeurs. Ce n’est pas de ces fonds dont il est question dans la présente requête; les demandeurs réclament des fonds additionnels qu’ils n’ont jamais reçus.

[28]      En tout état de cause, même si la Cour conclut que les demandes portent sur un manquement à une obligation fiduciaire, le délai de prescription demeure de six ans. La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a déjà interprété l’interaction entre la Judicature Act et la LAA de l’Alberta et a conclu que les délais de prescription s’appliquent aux demandes fondées sur des manquements à des obligations fiduciaires introduites entre 1980 et 1999; Lameman ABQB, précité, au paragraphe 123; voir également Ermineskin CAF, précité, aux paragraphes 327 à 332; motifs dissidents du juge Sexton. Il y a seulement deux exceptions aux délais de prescription applicables au manquement à une obligation fiduciaire (Lameman ABQB, précité, au paragraphe 126) : (1) lorsque le fiduciaire est encore en possession du bien fiduciaire ou de son produit, ou qu’il a converti le bien fiduciaire pour son propre usage; ou (2) lorsque le fiduciaire s’est livré à des manquements frauduleux à des obligations fiduciaires. Ni l’une ni l’autre de ces exceptions ne s’applique en l’espèce. En conséquence, le délai de prescription de six ans demeure applicable, même si la demande est considérée à raison comme étant fondée sur un manquement à une obligation fiduciaire.

[29]      Le Canada rejette l’argument des demandeurs selon lequel les délais de prescription applicables n’ont pas commencé à courir parce que leur droit dans les redevances que le Canada a reçues n’est pas un droit actuel. Le Canada affirme que les demandeurs ont joui d’un droit présent de recevoir des redevances tout au long de la période durant laquelle la taxe et les droits sur le pétrole ont été perçus. Ce droit était actuel et les demandeurs ont reçu tout ce à quoi ils avaient droit en vertu de ce droit.

[30]      Le Canada soutient que la possibilité de découvrir le dommage suspend un délai de prescription jusqu’au moment où les faits pertinents sur lesquels est fondée une cause d’action sont découverts, ou jusqu’au moment où ils auraient dû être découverts, par un demandeur faisant preuve de diligence raisonnable : Central Trust Co. c. Rafuse, [1986] 2 RCS 147, à la page 224; Lameman ABQB, précité, au paragraphe 136. La possibilité de découvrir le dommage s’applique aux faits, et non au droit : Luscar Ltd. v Pembina Resources Limited, 1994 ABCA 356, au paragraphe 129 [Luscar Ltd.]; Ermineskin CAF, précité, au paragraphe 334, motifs dissidents du juge Sexton; Lameman CSC, précité, aux paragraphes 16 et 17. Les faits générateurs sont découverts lorsque le demandeur connaît tous les faits qu’il a besoin de connaître pour intenter son action : Luscar Limited, précité, au paragraphe 138; Ermineskin CAF, précité, au paragraphe 334, motifs dissidents du juge Sexton; Lameman CSC, précité, aux paragraphes 16 et 17. Le principe de la possibilité de découvrir le dommage s’applique à tous les délais de prescription prévus par une loi, sauf disposition législative contraire claire : Peixeiro c Haberman, [1997] 3 RCS 549, au paragraphe 38.

[31]      Le Canada affirme que la distinction entre la découverte réelle et la possibilité de découvrir le dommage est non pertinente dans la présente instance. Les demandeurs connaissaient tous les faits requis pour présenter leurs réclamations dans les années 1970, et ils ont découvert les faits générateurs sur lesquels fonder leurs demandes bien avant l’expiration du délai de prescription de six ans. Les demandeurs étaient avertis et bien informés, et ils ont bénéficié des services de différents conseillers professionnels et juridiques dès les années 1970. La consultation de conseillers juridiques par une bande indienne est un facteur important pour déterminer la possibilité de découvrir le dommage : Wewaykum, précité, aux paragraphes 57 et 123; Kruger, précité, au paragraphe 90; Lameman ABQB, précité, au paragraphe 139. Des représentants de la Couronne ont échangé des renseignements avec les conseillers juridiques des demandeurs, notamment le contenu d’avis juridiques, tout au long de l’élaboration et de la mise en œuvre du programme. Aucun élément ne réfute la preuve que le Canada a avisé les demandeurs que leurs réclamations visant à obtenir le remboursement de la taxe sur le pétrole avaient été rejetées au milieu des années 1970. Des éléments de preuve démontrent que les demandeurs ont songé à intenter des procédures en 1981. En conséquence, c’est en décembre 1987 au plus tard que les demandeurs auraient pu introduire leurs actions sans se voir opposer une défense de prescription.

[32]      Le Canada conteste également l’argument des demandeurs selon lequel leurs demandes sont fondées sur des manquements continus. La Cour suprême du Canada a rejeté un tel argument dans l’arrêt Wewaykum, précité, au paragraphe 135; voir aussi Huang v Drinkwater, 2005 ABQB 40 [Huang], aux paragraphes 73 à 77; Alberta Municipal Retired Police Officers’ Mutual Benefit Society v Alberta, 2010 ABQB 458 [Mutual Benefit Society], aux paragraphes 79, 83 à 85 et 92. Les faits générateurs des demandeurs se sont concrétisés au milieu des années 1970.

[33]      Toutefois, même si les demandes pouvaient être considérées à raison comme étant fondées sur des manquements récurrents ou continus, elles seraient alors limitées aux manquements survenus six avant le dépôt des déclarations : voir Chitty on Contracts, 29th Ed, London : Sweet & Maxwell, 2004, cité dans James H Meek, Jr Trust v San Juan Resources Inc, 2005 ABCA 448, au paragraphe 48; voir également Epcor Power LP v Petrobank Energy and Resources Ltd, 2010 ABQB 463, au paragraphe 73, conf. par 2010 ABCA 378 [Epcor Power]. En conséquence, les demandeurs pourraient seulement avoir gain de cause relativement à tout montant de redevances différentiel payable dans les six années précédant l’introduction des actions.

[34]      Enfin, le Canada soutient que des délais de prescription en equity s’appliquent aux revendications des peuples autochtones : Wewaykum, précité, aux paragraphes 110 et 111. Les demandes des demandeurs sont irrecevables en vertu de la doctrine du manque de diligence et de la doctrine de l’acquiescement.

B.                 Les demandeurs de Samson

[35]      Samson affirme que la Cour suprême du Canada a récemment reformulé le critère applicable aux jugements sommaires dans l’arrêt Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, au paragraphe 49 [Hryniak] :

Il n’existe pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès lorsque le juge est en mesure de statuer justement et équitablement au fond sur une requête en jugement sommaire. Ce sera le cas lorsque la procédure de jugement sommaire (1) permet au juge de tirer les conclusions de fait nécessaires, (2) lui permet d’appliquer les règles de droit aux faits et (3) constitue un moyen proportionné, plus expéditif et moins coûteux d’arriver à un résultat juste.

[36]      La Cour suprême du Canada a expliqué que ce qui est « juste et équitable » dépend de la nature des questions en litige, de la nature et de la force des éléments de preuve et du choix de la procédure proportionnelle. Un jugement sommaire partiel n’est pas dans l’intérêt de la justice lorsqu’il risque d’entraîner un dédoublement d’instances ou des conclusions de fait incompatibles entre elles. Les questions relatives à la taxe et aux droits sur le pétrole en l’espèce sont un des volets d’une action d’une portée plus large. Un jugement sommaire ne ferait que fractionner les phases ultérieures de l’action.

[37]      La Cour peut seulement dégager « des conclusions de fait et de droit lorsque la preuve pertinente figure au dossier et que l’affaire ne soulève pas une question sérieuse de fait ou de droit qui dépend d’inférences à tirer » : Source Enterprises Ltd c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 966 [Source Enterprises], aux paragraphes 14 à 21, citant Apotex Inc c Merck & Co, 2002 CAF 210. Des conclusions de fait importantes dans la présente requête pourraient compromettre les réclamations des demandeurs de Samson dans l’action générale. La présente requête est une tentative inappropriée de minimiser l’exposition du Canada à des dommages‑intérêts. Le Canada a déjà reconnu qu’il est tenu à six années de dommages‑intérêts (la [traduction] « Position sur les questions en litige » du Canada du 15 avril 2000).

[38]      Les demandeurs de Samson affirment que leurs demandes concernent des manquements à des droits issus de traités, aux obligations du Canada au titre de sa relation fiduciale sui generis avec les demandeurs de Samson et à la fiducie expresse en vertu de laquelle le Canada a pris possession des droits miniers de Samson dans la réserve et les a gérés et contrôlés. Cette fiducie est régie par la common law et par des lois (la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes et la Loi sur les Indiens). Le Canada est un fiduciaire expressément désigné qui a manqué à ses obligations fiduciaires. Les demandeurs de Samson demandent une reddition de compte et le recouvrement des biens fiduciaires et de l’argent que le Canada a reçus, détenus, gérés et conservés pour le compte de Samson.

[39]      Les obligations fiduciaires, fiduciales et de nature fiduciaire du Canada envers Samson procèdent de la relation historique entre le Canada et les peuples autochtones et du texte du Traité no 6. Le législateur n’a pas le pouvoir de créer des délais de prescription pour éteindre les droits des demandeurs de Samson. Le Canada doit exprimer son intention d’éteindre un droit ancestral au moyen d’une indication « claire et expresse » : Calder et al. c Procureur Général de la Colombie‑Britannique, [1973] RCS 313 [Calder]. Pour cela, il faut « une preuve claire que [le Canada] a réellement pris en considération le conflit entre la mesure qu’il entend prendre, d’une part, et les droits issus de traités des Indiens, d’autre part, et qu’il a choisi de résoudre ce conflit en abrogeant le [droit issu d’un] traité » : R c Van der Peet, [1996] 2 RCS 507 [Van der Peet], au paragraphe 286, citant United States v Dion, 476 US 734 (1986), aux pages 739 et 740. La Cour d’appel de l’Ontario a appliqué le critère de l’indication « claire et expresse » à des lois en matière de prescription : Chippewas, précité, au paragraphe 229. Les dispositions législatives prévoyant des délais de prescription posent des limites substantielles, plutôt que procédurales, à une cause d’action : Tolofson c Jensen; Lucas (Tutrice à l’instance de) c Gagnon, [1994] 3 RCS 1022 [Tolofson], aux pages 1070 et 1071. L’application de l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales constituerait non seulement un obstacle substantiel aux droits issus de traités des demandeurs de Samson, mais éteindrait toute partie des droits qu’ils invoquent avant septembre 1983. Toutefois, le législateur n’a pas employé un libellé « clair et exprès » à l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales afin de créer un délai de prescription applicable aux droits ancestraux que revendiquent les demandeurs de Samson. Une loi provinciale ne peut pas éteindre des droits issus de traités même si elle est incorporée à une loi fédérale.

[40]      L’application d’une loi en matière de prescription pour éliminer le droit à redevances de Samson rendrait vide de sens le droit issu d’un traité de Samson dans les minéraux situés dans le sous‑sol de la réserve. La capacité de Samson de faire exécuter ses droits fait partie intégrante de son ensemble de droits issus d’un traité. Les droits issus d’un traité de Samson existaient avant l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11, et ils l’emportent donc sur des dispositions législatives incompatibles : R c Sparrow, [1990] 1 RCS 1075 [Sparrow], aux pages 1105 à 1109; R c Marshall, [1999] 3 RCS 456, aux paragraphes 48 et 67; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217, au paragraphe 72. Depuis 1982, les lois en matière de prescription ne s’appliquent pas comme telles aux revendications des peuples autochtones, mais doivent d’abord satisfaire aux critères de l’atteinte et de la justification : Sparrow, précité. Pour cela : (1) le gouvernement doit démontrer que l’objectif visé par le législateur est régulier; et (2) le gouvernement doit démontrer que ses actes sont compatibles avec son obligation fiduciale envers les peuples autochtones : R c Gladstone, [1996] 2 RCS 723 [Gladstone], aux paragraphes 54 et 55. Le Canada n’a présenté aucun élément de preuve ni aucun argument pour justifier l’atteinte. Ni la Loi sur la taxe d’exportation du pétrole ni la Loi sur l’administration du pétrole n’expriment aucune nécessité de s’approprier les droits à redevances des Premières Nations. Les droits des consommateurs canadiens étaient protégés sans qu’il soit nécessaire de recourir à l’appropriation. La Cour ne peut conclure à l’existence d’une justification en l’absence d’éléments de preuve présentés par le Canada : R c Badger, [1996] 1 RCS 771 [Badger], au paragraphe 98. Il faut accorder une attention particulière à l’honneur de Sa Majesté : Badger, précité, au paragraphe 97. Le Canada soulève une défense de prescription pour éviter que sa responsabilité ne soit engagée au titre d’une conduite qui est incompatible avec l’honneur de Sa Majesté, avec les principes relatifs aux traités et avec les principes relatifs aux fiducies.

[41]      Samson affirme que si la Cour conclut que le paragraphe 39(1) de la Loi sur les Cours fédérales est constitutionnellement valide et exécutoire, elle devrait appliquer le principe d’equity qui empêche un fiducial d’invoquer une loi en matière de prescription pour faire échec à la poursuite d’un demandeur : Taylor v Davies (1919), [1920] 1 WWR 683, au paragraphe 19, 51 DLR 75 (C.P.) [Taylor].

[42]      Si la Cour applique le paragraphe 39(1) de la Loi sur les Cours fédérales, l’Ontario est le situs approprié de l’action en l’espèce. Les édifices du Parlement à Ottawa, en Ontario, sont le situs juridique du gouvernement du Dominion du Canada de Sa Majesté : Loi constitutionnelle de 1867, article 16; Canadian Pacific Railway v Town of Outlook, [1924] 3 WWR 494 (SKQB), au paragraphe 7. Le receveur général et le Trésor sont tous deux situés à Ottawa, en Ontario, et en conséquence les manquements du Canada en rapport avec la gestion des fonds sont survenus en Ontario. En outre, dans les actions concernant l’administration d’une fiducie, la loi du lieu de résidence du fiduciaire s’applique : Donovan W.M. Waters, c.r., dir., Waters’ Law of Trusts in Canada, 3e éd. (Toronto : Thomson Canada Ltd., 2005), aux pages 1379 et 1380; Branco v Vieira (1995), 8 ETR (2d) 49, [1995] OJ no 1071 (QL), aux paragraphes 19 à 22 (C.J.). Si le paragraphe 39(1) de la Loi sur les Cours fédérales s’applique, il incorpore les lois de l’Ontario en matière de prescription.

[43]      En vertu de la Loi sur la prescription des actions de l’Ontario, LRO 1980, c 240, un fiduciaire ne peut opposer un délai de prescription à la demande d’un bénéficiaire visant à recouvrer des biens en fiducie ou leurs produits que le fiduciaire conserve encore : paragraphe 43(2); Lameman ABQB, précité, aux paragraphes 127 et 149. En l’absence d’éléments de preuve indiquant à quelle fin le fiduciaire a utilisé les biens en fiducie, la Cour tiendra pour acquis que le fiduciaire a conservé les biens en fiducie et les détient toujours : Wassell v Leggatt, [1896] 1 Ch D 554, à la page 558; In Re Eyre‑Williams, [1923] 2 Ch D 533, à la page 541. La Loi sur la prescription des actions de l’Ontario empêche également un fiduciaire de faire obstacle à une demande visant des biens en fiducie que le fiduciaire a détournés à son propre usage : paragraphe 43(2); In Re Sharpe, [1906] 1 Ch D 793. Le Canada a conservé les fonds à son propre profit sans le consentement de Samson. Contrairement à ce que soutient le Canada, le juge Rothstein n’a pas conclu que le Canada n’avait aucune obligation fiduciaire en common law en rapport avec les redevances pétrolières. Le juge Rothstein a conclu que le Canada était un fiducial et avait des capacités s’apparentant à celles que confère une fiducie. Il a seulement conclu que le Canada n’avait pas l’obligation d’un fiduciaire de common law d’investir les fonds de la bande : Ermineskin CSC, aux paragraphes 72 et 181.

[44]      Les demandeurs de Samson affirment que si la Cour conclut qu’aucun de ces obstacles à ce qu’un fiduciaire invoque des délais de prescription ne s’applique, aucun délai de prescription ne s’applique à leur intérêt bénéficiaire parce que celui‑ci ne peut être qualifié de droit actuel dans un bien en common law : Guerin c La Reine, [1984] 2 RCS 335, à la page 382 [Guerin]; Bande indienne de St Mary’s c Cranbrook (Ville), [1997] 2 RCS 657, aux paragraphes 14 à 16. Subsidiairement, l’intérêt de Samson est devenu un droit actuel en 2006 lorsque le Canada a payé à Samson les fonds qu’il détenait en fiducie dans le Trésor.

[45]      Si la Cour conclut qu’un délai de prescription de six ans s’applique, il s’agit dans ce cas d’un délai de prescription qui n’a pas commencé à courir avant le moment où les demandeurs de Samson ont découvert les faits donnant lieu à la réparation qu’ils sollicitent ou auraient raisonnablement dû découvrir ces faits : Mackey Estate v Mackey (1986), 24 ETR 174, au paragraphe 25, [1986] OJ no 410 (QL)(CSJ). Un manquement à des obligations fiduciaires ou à des obligations de cette nature n’est pas susceptible d’être découvert avant que le bénéficiaire ne se rende compte qu’il y a eu un manquement à une obligation fiduciaire donnant un droit d’action : M.(K.) c M.(H.), [1992] 3 RCS 6, aux paragraphes 47 et 48; Switzer v Switzer (1995), 176 AR 150 [Switzer], au paragraphe 13 (QB). La Cour d’appel fédérale a indiqué qu’avant l’arrêt Guerin, « on ne pouvait pas dire que le demandeur raisonnable aurait estimé que la cause d’action de la bande [le manquement du Canada à son obligation fiduciale] avait “des chances de succès raisonnables” » : Bande indienne de Semiahmoo c Canada, [1998] 1 RCF 3, au paragraphe 86, 148 DLR (4th) 523 (CAF) [Semiahmoo]; voir également Blueberry River, précité. En l’espèce, le Canada avait la possession exclusive des faits et renseignements pertinents. Les demandeurs de Samson n’auraient pas pu être au courant de la cause d’action potentielle au titre du sous‑paiement des redevances dues sur du pétrole exporté de la réserve. Ils ont intenté leur action dans les six années suivant le moment où la cause d’action aurait raisonnablement pu être découverte ou a été raisonnablement découverte.

[46]      Si la Cour n’applique pas les délais de prescription applicables aux fiduciaires, il ne fait aucun doute que le Canada agissait et détenait les biens de Samson en qualité de fiducial. Les lois ontariennes en matière de prescription ne prévoient aucun délai de prescription en cas de manquement à une obligation fiduciale : M.(K.) c M.(H.), précité, au paragraphe 70; Chippewas of Sarnia Band v Canada (Attorney General), [1999] OJ no 1406 (QL), au paragraphe 506 (CSJ). En outre, la loi ontarienne en matière de prescription ne comporte pas de disposition d’application générale. Tous les délais de prescription possibles sont inclus dans la loi.

[47]      Les demandeurs de Samson soutiennent que si la Cour conclut que les lois de l’Alberta en matière de prescription sont incorporées par renvoi et s’appliquent en vertu de l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales, aucune loi en matière de prescription ne peut faire échec à une demande faite par un bénéficiaire contre un fiduciaire : Judicature Act, article 14. La Judicature Act de l’Alberta était en vigueur lorsque les demandeurs de Samson ont déposé leur déclaration. Elle l’emporte expressément et constitutionnellement sur l’article 41 de la LAA de l’Alberta : Chaba v Chaba (1995), 166 AR 392, au paragraphe 11 (B.R.); Taylor, précité, au paragraphe 19; Soar v Ashwell, [1893] QB 390, aux pages 394 et 397 (C.A. Angl.); Gregory v Torquay Corporation, [1911] 2 KB 556, aux pages 559 à 561 (C.A. Angl.); In re Fountaine, [1909] 2 Ch D 382, aux pages 389 à 392 (C.A. Angl.). Si la Cour n’applique pas la Judicature Act, les demandeurs de Samson réitèrent leurs arguments antérieurs au sujet du délai de prescription de six ans applicables aux fiduciaires.

[48]      La LAA de l’Alberta exige la découverte véritable des faits qui ont mené à la cause d’action dans le cas d’une action en dommages‑intérêts découlant d’un manquement à des obligations fiduciaires ou fiduciales : alinéa 4(1)e); Seidel v Kerr, 2003 ABCA 267 [Seidel], au paragraphe 59. Une découverte véritable exige que le bénéficiaire se rende compte qu’il y a eu un manquement à une obligation fiduciale donnant un droit d’action : M.(K.) c M.(H.). précité; Switzer, précité, au paragraphe 13.

[49]      En outre, la LAA de l’Alberta dispose : [traduction] « Lorsque l’existence d’une cause d’action a été dissimulée par la fraude de la personne qui invoque la présente partie ou la partie 2 en défense, la cause d’action est réputée avoir pris naissance au moment où la fraude a d’abord été connue ou découverte. » (article 6) Le Canada n’a pas divulgué le volume de pétrole de la réserve qui avait été vendu aux États‑Unis ni les prix payés pour le pétrole à quelque époque que ce soit entre 1973 et 1985.

[50]      Les demandeurs de Samson affirment que si la Cour applique un délai de prescription de six ans, ils ont tout de même droit à des dommages‑intérêts au titre de pertes subies de septembre 1983 à septembre 1989, et la question de la taxe sur le pétrole et des droits sur le pétrole nécessitera la tenue d’un procès complet.

[51]      Rien ne justifie l’application des doctrines du manque de diligence ou de l’acquiescement en equity. Étant donné la relation historique, juridiquement unique et fiduciale entre le Canada et Samson, la balance penche du côté de Samson.

C.                 Les demandeurs d’Ermineskin

[52]      Ermineskin affirme que l’élargissement des pouvoirs en matière de jugement sommaire dans l’arrêt Hryniak ne s’applique pas à la procédure de jugement sommaire prévue aux Règles des Cours fédérales parce que les règles de procédure civile de l’Ontario intègrent des éléments d’un procès sommaire dans un jugement sommaire. Sous le régime des Règles des Cours fédérales, de même que dans d’autres provinces ou territoires, comme la Colombie‑Britannique, les pouvoirs en matière de jugement sommaire et de procès sommaire demeurent distincts : voir Century Services Inc v LeRoy, 2014 BCSC 702 [Century Services], aux paragraphes 82 à 88; NJ v Aitken Estate, 2014 BCSC 419 [Aitken Estate], aux paragraphes 33 et 38; The Owners, Strata Plan BCS 1348 v Travelers Guarantee Company of Canada, 2014 BCSC 1468, aux paragraphes 57 à 62; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Savic, 2014 CF 523, au paragraphe 15. Toutefois, la mise en garde de la Cour suprême contre le morcèlement des litiges dans les procédures de jugement sommaire s’applique indépendamment de la province ou du territoire ou des règles de procédure applicables : voir Century Services, précité, aux paragraphes 89 et 90; Aitken Estate, précité, aux paragraphes 36 et 39 à 44; International Sausage House Ltd c Hammer, 2014 BCSC 1442, au paragraphe 102.

[53]      Le pouvoir discrétionnaire de la Cour de trancher une question de droit ou de fait en vertu de l’article 215 des Règles des Cours fédérales est limité et devrait être exercé seulement lorsque la question : (a) n’est pas une question de fait ou de droit sérieuse ou difficile qui oblige à tirer des inférences; (b) peut être tranchée en fonction des documents dont la Cour dispose; et (c) peut être dissociée des autres questions en suspens dans l’action : voir Succession Macneil c Canada («ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2004 CAF 50, au paragraphe 33; Grainville Shipping Co. c Pegasus Lines Ltd., [1996] 2 CF 853, 111 FTR 189 [Grainville Shipping], au paragraphe 8; Potskin c Canada, 2006 CF 1469, aux paragraphes 8, 10, 16 et 28. Il est rare qu’il soit approprié de trancher les questions de découverte et de possibilité de découverte par voie de jugement sommaire : Aguonie v Galion Solid Waste Material Inc (1998), 38 OR (3d) 161, 156 DLR (4th) 222 (C.A.), au paragraphe 36; Apotex Inc. c Eli Lilly and Company, 2005 CAF 361, au paragraphe 56; Clay v Yassin (2002), 62 OR (3d) 676, [2002] OJ no 5122 (QL) (C.S.J.) aux paragraphes 22 à 24; Sheeraz c Kayani (2009), 99 OR (3d) 450, [2009] OJ no 3751 (C.S.J.), aux paragraphes 35 et 40.

[54]      La Cour conserve également un pouvoir discrétionnaire résiduel de refuser de rendre un jugement sommaire s’il serait injuste de le faire : Grainville Shipping, précité, au paragraphe 8. Les nouvelles questions de droit qui se posent en l’espèce ne devraient pas être tranchées dans le cadre d’un requête en jugement sommaire : Pyrrha Design Inc. c 623735 Saskatchewan Ltd., 2004 CAF 423 [Pyrrha Design], au paragraphe 13; Royal Bank c Société Générale (Canada) (2006), 219 OAC 83, [2006] OJ no 5081 (C.A.) [Royal Bank], aux paragraphes 51 à 55. En outre, la demande de jugement déclaratoire d’Ermineskin n’est assujettie à aucun délai de prescription et demeurera en suspens après la présente requête : Manitoba Metis, précité.

[55]      Les demandeurs d’Ermineskin soutiennent que l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales ne produit aucun effet sur leurs demandes. Les obligations du Canada en vertu de la renonciation trouvent leur source dans le Traité no 6 et jouissent donc d’une protection constitutionnelle en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 : voir, par exemple, Ermineskin CSC, précité, au paragraphe 54; Badger, précité, aux paragraphes 51 à 53. La Cour d’appel fédérale a conclu que le Canada a des obligations fiduciaires et fiduciales envers Ermineskin en vertu du Traité no 6 : Ermineskin CAF, précité, au paragraphe 110, conf. par Ermineskin CSC, précité, aux paragraphes 54 à 67. L’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales porte une atteinte injustifiée au droit d’Ermineskin issu d’un traité d’[traduction« insister pour que ses intérêts dans la réserve, y compris les intérêts miniers auxquels elle a renoncé en faveur de Sa Majesté, soient gérés de la manière la plus avantageuse pour le peuple d’Ermineskin » (mémoire d’Ermineskin, au paragraphe 46). Aucun tribunal judiciaire n’a tranché la question de l’applicabilité des lois en matière de prescription à des droits issus de traités, et il est inapproprié que la Cour examine une question constitutionnelle en première instance dans le cadre d’une requête en jugement sommaire : Pyrrha Design, au paragraphe 13; Banque Royale, précité, aux paragraphes 5 à 55. Il serait sans précédent et injuste que la Cour statue sur la nature ou la portée des droits issus de traités d’une Première Nation dans le cadre d’une requête en jugement sommaire.

[56]      Aucune loi ne peut porter atteinte sans justification à des droits issus de traités, et, dans la mesure où un texte législatif le fait, il est constitutionnellement inapplicable au droit en question : Loi constitutionnelle de 1982, article 35; Badger, précité, aux paragraphes 74 à 82. Il y a atteinte à première vue à un droit issu d’un traité lorsqu’il y a plus qu’une ingérence négligeable dans l’exercice de ce droit : R. c Morris, 2006 CSC 59, au paragraphe 53; Badger, précité, au paragraphe 90. Ermineskin invoque un droit issu d’un traité d’insister pour que le Canada agisse comme le fiduciaire ou le fiducial d’Ermineskin en rapport avec la gestion des réserves pétrolières et gazières d’Ermineskin et des produits de ces réserves. Un délai de prescription qui empêche de faire valoir ce droit est une ingérence substantielle et importante dans l’exercice d’un droit issu d’un traité.

[57]      L’atteinte à un droit issu d’un traité protégé par la Constitution doit être justifiée comme suit : a) les dispositions pertinentes ont été promulguées et ont été rendues applicables au droit protégé par la Constitution dans la poursuite d’un « objectif législatif régulier »; et b) la manière dont l’objectif est réalisé ou l’a été préserve l’honneur de Sa Majesté : voir Sparrow, précité, aux pages 1110 et 1114; Gladstone, précité, au paragraphe 54; Badger, précité, aux paragraphes 96 et 97. Une preuve claire de justification est requise : R c Sundown, [1999] 1 RCS 393, au paragraphe 46. Les efforts déployés par le Canada pour se protéger contre les revendications légitimes de Premières Nations ne sauraient constituer un objectif suffisamment impérieux et réel pour justifier une ingérence dans l’exercice de droits issus de traités. Les considérations de principe qui sous‑tendent les lois en matière de prescription doivent être conciliées avec l’honneur de Sa Majesté dans le contexte de la relation entre la Couronne et les Autochtones : Manitoba Metis, précité, au paragraphe 141. Le Canada est tenu de démontrer qu’il avait le caractère unique des droits ancestraux et issus de traités à l’esprit et qu’il a cherché à en tenir compte lorsqu’il a promulgué l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales. Toutefois, le Canada n’a présenté aucun élément de preuve à la Cour à cet égard. En outre, une loi fédérale qui incorpore une loi provinciale par renvoi ne peut éteindre un droit ancestral ou issu d’un traité à cause des barrières constitutionnelles qui empêchent une loi provinciale d’éteindre un droit ancestral ou issu d’un traité : Delgamuukw c Colombie‑Britannique, [1997] 3 RCS 1010, aux paragraphes 172 à 183.

[58]      Si la Cour conclut que l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales s’applique à la présente instance, les demandeurs d’Ermineskin conviennent avec le Canada que le paragraphe 39(1) est la disposition applicable et que les lois de l’Alberta sont incorporées par renvoi. Les demandeurs d’Ermineskin soutiennent que leurs demandes sont fondées sur la violation d’une fiducie expresse. Aucun délai de prescription ne s’applique de manière à empêcher un bénéficiaire de réclamer ses biens d’un fiduciaire en vertu des règles de droit de l’Alberta relatives aux délais de prescription : Judicature Act, article 14; LAA, article 40. Ermineskin souscrit à l’argument de Samson selon lequel l’article 14 de la Judicature Act de l’Alberta l’emporte sur les dispositions législatives générales en matière de prescription. Ermineskin ajoute simplement que la fiducie en cause en l’espèce est inhabituelle en ce sens qu’elle a une durée indéfinie et son bénéficiaire est le groupe composé des membres actuels et futurs de la bande. Lorsqu’un bénéficiaire est un groupe, rien ne devrait empêcher les générations futures du groupe d’exiger que le fiduciaire rende compte de ses actes pendant toute la durée de la fiducie.

[59]      Ermineskin affirme que si la Cour estime qu’il est plus juste de considérer que les demandes sont fondées sur un manquement à une obligation fiduciale, le délai de prescription applicable commence à courir lorsque les demandeurs d’Ermineskin ont véritablement découvert que le Canada avait manqué à son obligation fiduciale. Ermineskin souscrit à la description que fait Samson du manquement à une obligation fiduciale, mais ajoute que le Canada n’a pas agi dans l’intérêt d’Ermineskin lorsqu’il n’a pas examiné la possibilité de percevoir les redevances d’Ermineskin en nature et n’a pas tenté de le faire. Les demandeurs d’Ermineskin affirment que ce n’est qu’en mai 1986 qu’ils ont appris que le Canada n’avait pas bien évalué les possibilités d’éviter la taxe et les droits sur le pétrole extrait de la réserve.

[60]      La Cour suprême du Canada a reconnu que les obligations du Canada en qualité de fiducial pouvaient inclure celles d’un fiduciaire en common law : Ermineskin CSC, précité, aux paragraphes 68, 73 et 74 et 82 et 83. Un fiduciaire doit agir honnêtement et avec le degré de compétence et de prudence auquel on s’attendrait de la part d’une personne raisonnable administrant ses propres affaires. L’homme d’une prudence normale ne tenterait pas de gérer une fiducie de l’ampleur des droits à redevances d’Ermineskin sans l’aide de conseillers professionnels : Re Miller Estate (1987), 26 ETR 188, [1987] OJ no 2409 (QL) (Surr. Ct.), aux paragraphes 7 et 8; Cowan v Scargill, [1984] 2 All ER 750 (Ch. Div.), à la page 762. Le Canada n’a pas alloué des ressources suffisantes à l’agence chargée de l’administration des ressources pétrolières et gazières d’Ermineskin. En conséquence, les bandes ont été mal informées et n’ont rien appris relativement à leurs ressources et à ce que le Canada faisait pour leur compte.

[61]      Les demandeurs d’Ermineskin soutiennent que si la Cour conclut que la Judicature Act de l’Alberta ne s’applique pas, leur demande est fondée sur un « motif de recours reconnu en equity » et l’alinéa 4(1)e) de la LAA d’applique. L’alinéa 4(1)e) prévoit que le délai de prescription commence à courir seulement à partir de la découverte de la cause d’action. Dans l’arrêt Semiahmoo, la Cour d’appel fédérale a conclu que le délai de prescription avait seulement commencé à courir à partir du moment où le Canada avait pleinement communiqué tous les faits pertinents à la bande (précité, au paragraphe 82). Les demandeurs d’Ermineskin reconnaissent qu’ils ont tenté immédiatement d’obtenir un remboursement des fonds que le Canada percevait. Toutefois, aucun élément de preuve ne démontre qu’Ermineskin savait, avant d’intenter l’action en l’espèce, que le Canada n’avait pas examiné adéquatement la possibilité de percevoir les redevances en nature et de tenter de se prévaloir de cette possibilité. La situation du demandeur doit être prise en compte pour déterminer à quel moment la découverte est véritablement survenue : Seidel, précité, au paragraphe 59; VAH v Lynch, 2008 ABQB 448. Les éléments de preuve en l’espèce démontrent que de nombreux représentants de la bande n’avaient pas les connaissances requises pour gérer de manière indépendante leurs avoirs pétroliers et gaziers et ne savaient rien des obligations du Canada envers Ermineskin. En outre, la relation entre le Canada et Ermineskin a favorisé une [traduction« culture de dépendance ». Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a affirmé dans l’arrêt Semiahmoo, « ce n’est que lorsque la Cour suprême a rendu sa décision dans l’affaire Guerin, en 1984, que les tribunaux ont clairement commencé à reconnaître l’existence d’une cause d’action fondée sur le manquement à l’obligation fiduciaire qui incombe à la Couronne à l’égard des cessions de terres » (précité, au paragraphe 84). Ermineskin affirme qu’avant mai 1986, il lui manquait le niveau de connaissances de base nécessaire pour lui permettre de donner convenablement des instructions à ses conseillers et de comprendre les conseils qu’elle recevait. En outre, Ermineskin et ses conseillers étaient tenus de se fier aux renseignements et à l’analyse du Canada concernant les redevances.

[62]      Enfin, les demandeurs d’Ermineskin soutiennent que le manque de diligence ou l’acquiescement ne fait pas obstacle à leurs réclamations. La Cour suprême du Canada a confirmé qu’« il est plutôt irréaliste d’avancer que les Métis ont négligé de faire valoir leurs droits avant que les tribunaux ne soient prêts à reconnaître ces droits » (Manitoba Metis, précité, au paragraphe 149). Il a fallu attendre un certain temps après le prononcé de l’arrêt Guerin pour en connaître les incidences. En outre, il n’y a aucune raison de distinguer la demande d’Ermineskin de la demande de Samson puisque ces deux bandes sont toutes deux bénéficiaires de la même fiducie. Les demandeurs de Samson ont déposé leur déclaration dans les six ans de la fin du programme. Tout au plus, la réclamation des demandeurs de Samson est seulement partiellement prescrite. Le retard des demandeurs d’Ermineskin à intenter leur action ne cause aucun préjudice au Canada, parce que le Canada connait la nature de la demande depuis que les demandeurs de Samson ont intenté leur procédure.

[63]      Ermineskin soutient que si la Cour applique quelque délai de prescription que ce soit aux réclamations, la doctrine de la fraude d’equity s’applique de manière à reporter le délai de prescription. Dans le contexte d’une fraude d’equity, la « fraude » s’entend simplement d’une conduite « peu scrupuleuse » : M.(K.) c M.(H.), précité, aux paragraphes 56 et 57. Dans l’arrêt Guerin, la Cour suprême du Canada a conclu à l’existence d’une « fraude d’equity » tenant au défaut du Canada de divulguer au demandeur les conditions du bail que le Canada avait conclu pour le compte de la bande (à la page 355). La [traduction« dissimulation frauduleuse » fait également obstacle à l’application de l’article 6 de la LAA.

D.                Les observations en réponse du Canada

[64]      Le Canada soutient que les demandeurs n’ont pas démontré qu’il y avait une véritable question litigieuse. Leurs observations portent sur le fond de leurs réclamations plutôt que sur les questions de prescription dont la Cour est saisie. La complexité de questions juridiques ne rend pas un jugement sommaire inapproprié. De plus, les éléments de preuve démontrent clairement que le Canada a envisagé la possibilité de percevoir des redevances en nature, mais qu’il a dû prendre une décision stratégique qui conciliait les intérêts des demandeurs et tous les autres intérêts pertinents. Les demandeurs et leurs conseillers juridiques étaient au courant de tous les faits.

[65]      Le Canada soutient également que les principes directeurs élaborés dans l’arrêt Hryniak s’appliquent aux Règles des Cours fédérales : Hryniak, précité, au paragraphe 35; voir aussi Première nation de Lac Seul c Canada, 2014 CF 296 [Lac Seul], aux paragraphes 8 à 10; JEKE Enterprises Ltd v Philip K Matkin Professional Corp, 2014 BCCA 227, au paragraphe 44; Spring Hill Farms Limited Partnership v Nose, 2014 BCCA 66, au paragraphe 21. Or, la mise en garde de la Cour contre le morcèlement des litiges ne s’applique pas à la présente instance parce que ce commentaire a été fait dans le contexte d’une requête en jugement sommaire contre un seul défendeur parmi tant d’autres (Hryniak, précité, au paragraphe 60).

[66]      La Cour doit examiner soigneusement le dossier pour déterminer s’il y a suffisamment de faits non contestés pour pouvoir trancher l’affaire : De Shazo v Nations Energy Company Ltd, 2005 ABCA 241 au paragraphe 18. La question pertinente est celle de savoir si la dépense additionnelle et le temps additionnel requis aux fins de la recherche des faits au procès sont nécessaires pour assurer un processus équitable et une décision juste : Hryniak, précité, au paragraphe 60. Le Canada soutient qu’à la fin de 1978, les conseillers des demandeurs savaient que le Canada avait définitivement rejeté leur demande concernant les répercussions du programme sur leurs redevances. Ni l’un ni l’autre des demandeurs n’a présenté d’élément de preuve pour établir ce qu’ils avaient appris après 1978 et qui leur avait permis de « découvrir » le fondement de leurs demandes. Ce défaut donne lieu à une inférence défavorable contre les demandeurs : Milliken & Co c Interface Flooring Systems (Canada) Inc, [1998] 3 CF 103 (1re inst.), aux paragraphes 25 et 26, conf. par (2000), 251 NR 358 (C.A.); Johnson c Futerman, 2012 ONSC 4092, au paragraphe 53.

[67]      Le Canada soutient que les arguments constitutionnels des demandeurs ont déjà été rejetés par les tribunaux : Blueberry River, précité, au paragraphe 122; Ermineskin CAF, précité, au paragraphe 323.

[68]      Le Canada rejette l’argument des demandeurs d’Ermineskin selon lequel les délais de prescription ne s’appliquent pas parce que la fiducie a une durée indéfinie et le bénéficiaire est un groupe. Si cela était vrai, aucun délai de prescription ne pourrait jamais s’appliquer aux Premières Nations. Les tribunaux ont rejeté cette thèse.

[69]      Enfin, le Canada soutient que trois conclusions sont nécessaires pour qu’une dissimulation frauduleuse suspende un délai de prescription (Ambrozic v Burcevski, 2008 ABCA 194, aux paragraphes 21 à 25, autorisation d’appel devant la CSC refusée, 32745 (20 novembre 2008) [Ambrozic]; M.(K.) c M.(H.), précité, aux paragraphes 56‑58): (1) le défendeur a perpétué un type de fraude; (2) la fraude dissimulait un fait important que le demandeur doit prouver pour avoir gain de cause au procès; et (3) le demandeur a fait preuve de diligence raisonnable pour découvrir la fraude. Aucune de ces conclusions ne peut être tirée des éléments de preuve dont dispose la Cour. Le Canada reconnait que de nombreux documents n’ont pas été fournis jusqu’à ce que le présent litige commence, mais les demandeurs ou leurs conseillers juridiques ont reçu communication de la teneur de la plupart des documents lorsque ceux‑ci ont été créés.

E.                 Intervenante ‑ Alberta

[70]      L’intervenante souscrit dans une large mesure aux observations du Canada. Dans ses propres observations, l’intervenante demande à la Cour de faire preuve de retenue judiciaire lors de l’examen des questions constitutionnelles en l’espèce. La Cour devrait seulement se prononcer sur l’applicabilité ou la validité des lois en matière de prescription à l’égard des demandes des peuples autochtones dans la présente requête seulement si cela est nécessaire : Moysa c Alberta (Labour Relations Board), [1989] 1 RCS 1572, aux pages 1579 et 1580; Phillips c Nouvelle‑Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 RCS 97 [Phillips], au paragraphe 6. Une déclaration inutile sur un point de droit constitutionnel risque de nuire aux affaires que la Cour pourra éventuellement instruire et d’avoir des conséquences imprévues : Phillips, précité, au paragraphe 9; Native Council of Nova Scotia c Canada (Procureur général), 2007 CF 45, aux paragraphes 40 et 45.

[71]      L’intervenante soutient que l’application indépendante des lois de l’Alberta en matière de prescription n’est pas en litige. La Cour suprême du Canada a confirmé que l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales applique les lois provinciales incorporées par renvoi en tant que règles de droit fédérales : voir, par ex., Wewaykum, précité, aux paragraphes 113 à 116; Blueberry River, précité, au paragraphe 107.

[72]      L’intervenante soutient que les principes qui sous‑tendent les lois en matière de prescription sont également applicables à toutes les actions y compris celles qui concernent la violation d’un droit ancestral ou issu d’un traité. Une analogie claire peut être faite entre des droits jouissant d’une protection constitutionnelle en vertu de la Charte et des droits ancestraux ou issus de traités. La Cour suprême du Canada a affirmé que des défenses de prescription pouvaient être soulevées à l’encontre de recours constitutionnels : Kingstreet Investments Ltd. c Nouveau‑Brunswick (Finances), 2007 CSC 1, aux paragraphes 12 à 16 et 59 à 61; voir aussi Ravndahl c Saskatchewan, 2009 CSC 7 [Ravndahl], aux paragraphes 17 à 24; Nagy c Phillips, 1996 ABCA 280, aux paragraphes 9 à 13. L’intervenante rejette l’argument de Samson selon lequel la LAA de l’Alberta ne peut s’appliquer à cause de la relation sui generis entre Samson et le Canada. Lorsqu’il est lu dans son plein contexte et selon son sens ordinaire, l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales s’applique à toutes les causes d’action : Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, 2002 CSC 42, aux paragraphes 26 à 27; RJG c Canada (Procureur général), 2004 SKCA 102, au paragraphe 15, autorisation d’Appel devant la CSC refusée, 30540 (le 3 mars 2005). En outre, les réparations demandées dans les présentes actions sont de nature personnelle, et elles sont donc assujetties aux délais de prescription.

[73]      Les défenses de prescription empêchent de présenter une demande portant sur la violation d’un droit ou sur un manquement à une obligation, mais elles n’ont pas pour effet d’éteindre le droit lui‑même ni d’y porter atteinte. L’objet de la LAA de l’Alberta est de favoriser le dépôt rapide des demandes : Institute for Law Research and Reform, Report 4 on Limitations, Report for Discussion No. 4, September 1986, à la page 325. Les affaires dans lesquelles il est question d’« extinction » en rapport avec les délais de prescription renvoient à l’extinction des recours, et non au droit sous‑jacent : Wewaykum, précité, aux paragraphes 115 à 133; Chippewas, précité. L’intervenante reconnait qu’en droit international privé, les délais de prescription sont considérés comme des règles substantielles, mais ils sont considérés comme étant de nature procédurale dans tous les autres domaines du droit : Tolofson, précité, aux pages 1067 et 1071 à 1073; Castillo c Castillo, 2005 CSC 83, aux paragraphes 3 à 5; Ravndahl, précité, aux paragraphes 17 et 18; Epcor Power, précité, au paragraphe 24. En pratique, l’application d’une défense de prescription à un droit ancestral ou issu d’un traité peut avoir pour effet de stériliser la demande si le droit et le recours sont essentiellement la même chose. Toutefois, l’application d’un moyen de défense fondé sur un délai de prescription à un droit ancestral ou issu d’un traité n’a pas comme conséquence logique la perte de ce droit. Les demandeurs n’ont pas démontré que l’application d’un moyen de défense fondé sur un délai de prescription serait déraisonnable ou entraînerait une diminution importante d’un droit ancestral ou issu d’une traité ou constituerait une atteinte à des droits revendiqués : voir Van der Peet, précité, au paragraphe 2.

F.                  Réponse des demandeurs de Samson à l’intervenante

[74]      Samson soutient qu’il est inapproprié que l’intervenante présente des observations au sujet des questions de fond dont la Cour est saisie parce que l’Alberta a un intérêt dans un litige connexe sur lequel la présente instance aura des incidences. L’intervenante reconnait elle‑même que l’application indépendante des lois de l’Alberta n’est pas en litige en l’espèce.

[75]      Samson conteste l’argument de l’intervenante selon lequel la présente requête ne soulève aucune question relative à une relation fiduciaire. La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a confirmé dans le jugement Stoney Tribal Council v Imperial Oil Resources Ltd, 2014 ABQB 408 [Stoney Tribal Council], au paragraphe 49, que la [traduction« common law des fiducies [...] s’applique à l’obligation du Canada de percevoir des redevances de terres cédées ».

[76]      La question de savoir si les lois en matière de prescription éteignent des droits substantiels demeure une question actuelle dans la jurisprudence canadienne : voir, par ex., Hueman (next friend of) v Andrews, 2005 ABQB 832; Moody Estate, Re, 2011 ABQB 222; Aucoin v Murray, 2013 NSSC 37; Markevich, précité, au paragraphe 41. Si les lois en matière de prescription sont appliquées de telle manière que le demandeur ne peut exercer aucun recours ni faire valoir aucune cause d’action et ne dispose d’aucun moyen de faire valoir son droit, ce droit est effectivement éteint. La Cour ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant que le législateur a tenu compte du conflit entre éteindre le droit d’un demandeur de manière générale et éteindre des droits issus de traités et des droits ancestraux au moment où l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales a été promulgué.

[77]       Les demandeurs de Samson rejettent l’argument de l’intervenante selon lequel les incidences en matière de politique générale des lois en matière de prescription s’appliquent également aux revendications de peuples autochtones. La Cour suprême du Canada a expressément rejeté cet argument dans l’arrêt Manitoba Metis, précité; voir aussi Lac Seul, précité, au paragraphe 19.

[78]      Si la Cour conclut que les demandeurs ont seulement droit à un jugement déclaratoire, elle peut rendre un jugement déclarant le montant auquel les demandeurs ont droit dans leurs comptes en capital du Trésor.

G.                La réponse des demandeurs d’Ermineskin à l’intervenante

[79]      Les demandeurs d’Ermineskin soutiennent qu’ils ne soulèvent pas une question d’extinction; ils affirment que la loi en matière de prescription porte une atteinte injustifiable à leurs [traduction« droits issus d’un traité d’insister pour que le Canada agisse en qualité de fiducial d’Ermineskin en rapport avec la gestion des réserves d’Ermineskin et des produits de ces réserves » (réponse de la nation crie Ermineskin au procureur général de l’Alberta, au paragraphe 2). La loi albertaine en matière de prescription prive Ermineskin de la possibilité de demander aux tribunaux de forcer le Canada à respecter ses obligations issues d’un traité.

[80]      Les demandeurs d’Ermineskin rejettent l’argument selon lequel les questions constitutionnelles ont été tranchées par la Cour suprême du Canada. Ermineskin reconnait que certains des faits dont il est question dans la présente instance sont peut‑être les mêmes que dans des affaires antérieures, mais elle soutient qu’aucune de ces affaires ne concernait des droits issus de traités ni l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Aucune décision judiciaire n’a tranché la question de savoir si les lois en matière de prescription s’ingéraient de manière injustifiable dans l’exercice de droits issus de traités : Grabber and Janes v Stewart, 2000 BCCA 206, aux paragraphes 21 à 22; Canada (Attorney General) v 311165 BC Ltd, 2011 BCCA 409, au paragraphe 11. La Cour suprême du Canada a refusé de se prononcer précisément sur la question des lois en matière de prescription dans l’arrêt Blueberry River, précité (au paragraphe 122). Dans l’arrêt Canada c Stoney Band, 2005 CAF 15, la Cour d’appel fédérale a seulement rejeté un argument selon lequel l’honneur de Sa Majesté empêchait le Canada d’invoquer des délais de prescription en défense (aux paragraphes 24 et 30 à 32, autorisation d’appel devant la CSC refusée, 30826 (15 septembre 2005)). Ni l’un ni l’autre de ces arrêts ne répond à la question de savoir si l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales tient adéquatement compte de la nature unique des droits ancestraux et issus de traités et des handicaps juridiques et pratiques historiques des Premières Nations, de manière à constituer une ingérence justifiable dans l’exercice des droits de ces Premières Nations. Même si dans ces arrêts la Cour suprême et la Cour d’appel fédérale ont tranché des questions relatives à des droits issus de traités, le droit issu d’un traité qu’Ermineskin invoque n’y a pas été analysé.

[81]      Il n’y a aucune analogie évidente entre l’application de délais de prescription à des droits garantis par la Charte et l’application de délais de prescription à des droits issus de traités. Les délais de prescription s’appliquent aux demandes fondées sur la Charte parce que les tribunaux ont conclu que les lois elles‑mêmes ne portaient pas atteinte aux droits garantis par la Charte : St‑Onge c Canada (1999), 178 FTR 104, au paragraphe 5, conf. par 2001 CAF 308, autorisation d’appel devant la CSC refusée, 28983 (15 août 2002). En l’espèce, la Cour doit répondre à la question de savoir si la loi en matière de prescription elle‑même porte atteinte à des droits issus d’un traité. Une loi d’application générale par ailleurs valide peut porter atteinte à des droits issus de traités malgré l’absence de discrimination contre des peuples autochtones : R c Côté, [1996] 3 RCS 139, aux paragraphes 85 à 87.

[82]      Les demandeurs d’Ermineskin demandent à la Cour de refuser d’entendre les arguments de l’intervenante concernant l’interprétation des lois de l’Alberta. L’interprétation des lois de l’Alberta n’aide pas la Cour à déterminer l’applicabilité constitutionnelle de l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales. L’intervenante tente de manière inappropriée de renforcer les observations du Canada. Son rôle n’est pas d’appuyer le Canada en rapport avec des questions de fond que la Cour doit trancher.

VI.             ANALYSE

[83]      Le Canada sollicite, en vertu du paragraphe 213(1) et de l’article 215 des Règles des Cours fédérales, un jugement sommaire statuant sur une partie des réclamations des demandeurs dans les deux actions. Le Canada affirme qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse relativement aux aspects des réclamations qui concernent la réglementation des prix du pétrole canadien par le gouvernement du 1er octobre 1973 au 1er juin 1985 parce que ces aspects des demandes sont légalement prescrits en vertu de la Loi sur les Cours fédérales et de la LAA de l’Alberta et son également prescrits en vertu des doctrines du manque de diligence et de l’acquiescement en equity.

[84]      Le Canada affirme que les deux demandeurs connaissaient les faits qui ont donné lieu à leurs réclamations fondées sur le programme plus de six ans avant de déposer leurs déclarations respectivement le 29 septembre 1989 (Samson) et le 28 mai 1992 (Ermineskin). En conséquence, les deux réclamations sont prescrites par le délai de prescription pertinent de six ans prévu à la LAA incorporée par renvoi en vertu du paragraphe 39(1) de la Loi sur les Cours fédérales, ou par le délai de prescription de six ans prévu au paragraphe 39(2) de la Loi sur les Cours fédérales, et elles sont également prescrites par manque de diligence et acquiescement.

A.                Les actions

[85]      Les réclamations reliées au programme dont il est question dans la présente requête font partie d’un litige plus général. Dans une ordonnance datée du 17 septembre 2002, le juge Teitelbaum a divisé l’action en six (6) parties :

a)      données générales et historiques;

b)      l’administration de l’argent;

c)      le pétrole et le gaz;

d)     l’autre question concernant le pétrole et le gaz (la question de la « taxe » ou du « régime de prix règlementés »);

e)      la répartition par tête;

f)       les programmes et services (pour les demandeurs de Samson seulement).

[86]      Le juge Teitelbaum a ensuite abordé la question des données générales et historiques et la question de l’administration de l’argent au procès. Il a maintenant été disposé de ces parties en appel par la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada.

[87]      La présente requête concerne uniquement la partie d) susmentionnée : l’autre question concernant le pétrole et le gaz.

[88]      Pour régler les questions concernant le programme dans le cadre de la présente requête, la Cour doit veiller à ce que son analyse et ses conclusions s’accordent avec les conclusions et les décisions qui font déjà partie du dossier général à la suite des parties a) et b) susmentionnées du litige, et elle doit éviter de tirer des conclusions de fait et de formuler des conclusions de droit qui pourraient gêner la Cour lorsque viendra le temps de disposer des parties suivantes de l’action. En fait, l’une des questions principales que doit trancher la Cour dans le cadre de la présente requête est celle de savoir si elle peut disposer de l’aspect de l’action qui concerne le programme par voie de jugement sommaire ou devrait le faire, ou si elle devrait plutôt réserver ces questions pour qu’elles soient examinées lors du procès.

B.                 Le fond des demandes

[89]      Il ne faut jamais oublier que lorsqu’elle se prononce sur le caractère approprié d’un jugement sommaire fondé sur l’expiration d’un délai de prescription, la Cour ne statue pas sur le fond des demandes sous‑jacentes. En l’espèce, il se peut bien que les demandeurs aient des plaintes légitimes, en fait et en droit, au sujet de l’incidence du programme sur leur droit à redevances et au sujet de ce que le Canada a fait des redevances découlant de l’extraction de pétrole et de gaz dans les réserves des demandeurs. Cependant, le droit en matière de prescription prévoit qu’en règle générale, même une demande légitime doit être présentée dans un délai prescrit, à moins, bien sûr, que la demande en soit une à laquelle une défense de prescription est inopposable. Il se peut qu’il soit nécessaire par moment d’examiner le fond afin de comprendre quels sont les enjeux des présentes requêtes et quel rôle une défense de prescription devrait jouer étant donné la nature des demandes en question, mais, en dernière analyse, la Cour décide s’il existe une véritable question litigieuse relativement à la défense de prescription, et non si les demandes sont bien fondées.

C.                 Jugement sommaire

[90]      La Cour suprême du Canada a exposé les considérations de principe qui sous‑tendent les règles relatives aux jugements sommaires dans l’arrêt Lameman, précité :

[10]   [...] La règle du jugement sommaire sert une fin importante dans le système de justice civile. Elle permet d’empêcher les demandes et les défenses qui n’ont aucune chance de succès de se rendre jusqu’à l’étape du procès. L’instruction de prétentions manifestement non fondées a un prix très élevé, en temps et en argent, pour les parties au litige comme pour le système judiciaire. Il est essentiel au bon fonctionnement du système de justice, et avantageux pour les parties, que les demandes qui n’ont aucune chance de succès soient écartées tôt dans le processus. Inversement, la justice exige que les prétentions qui soulèvent de véritables questions litigieuses susceptibles d’être accueillies soient instruites.

[91]      La Cour suprême a récemment donné des directives générales dans l’arrêt Hryniak précité :

[49]   Il n’existe pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès lorsque le juge est en mesure de statuer justement et équitablement au fond sur une requête en jugement sommaire. Ce sera le cas lorsque la procédure (1) permet au juge de tirer les conclusions de fait nécessaires, (2) lui permet d’appliquer les règles de droit aux faits et (3) constitue un moyen proportionné, plus expéditif et moins coûteux d’arriver à un résultat juste.

[92]      Les parties ont des points de vue différents quant à l’applicabilité de l’arrêt Hryniak à la présente instance. Samson affirme que dans l’arrêt Hryniak la Cour a reformulé le critère relatif aux jugements sommaires. Ermineskin affirme que Hryniak n’a pas modifié le critère relatif aux jugements sommaires parce que cet arrêt concernait l’application des règles de procédure civile de l’Ontario et non les Règles des Cours fédérales. Le Canada affirme que Hryniak s’applique à la présente instance malgré la différence des règles en cause. Après l’instruction de la présente requête, la Cour d’appel fédérale a publié son arrêt Manitoba c Canada, 2015 CAF 57 [Manitoba c Canada], qui comporte les commentaires suivants touchant l’applicabilité de Hryniak à la procédure de jugement sommaire sous le régime des Règles des Cours fédérales :

[11]   Je reconnais que l’arrêt Hryniak est pertinent en ce qui a trait aux questions qui se posent à nous en matière de jugements sommaires, mais à mon sens, il l’est uniquement dans la mesure où il nous rappelle certains des principes présents dans nos propres règles. L’arrêt n’a pas d’incidence réelle sur la procédure à suivre et les normes à appliquer par la Cour fédérale lorsqu’elle est saisie d’une requête en jugement sommaire au titre du paragraphe 215(1) des Règles.

[12]   Dans l’arrêt Hryniak, les principes examinés étaient tirés des dispositions des Règles de procédure civile de l’Ontario qui régissent les jugements sommaires. Or, les dispositions des Règles des Cours fédérales en la matière sont formulées différemment.

[13]   Les Règles des Cours fédérales sont un texte réglementaire fédéral; elles ont le statut d’un texte de loi que les Cours fédérales ne sont pas habilitées à modifier. Il faut donc se garder d’importer aveuglément les opinions exprimées dans l’arrêt Hryniak, car cela reviendrait à procéder à une modification irrégulière des Règles des Cours fédérales.

[14]   Les règles énoncées dans les Règles des Cours fédérales en matière de jugements sommaires ont été modifiées il y a à peine six ans afin de prendre en compte des considérations du genre de celles abordées dans l’arrêt Hryniak ainsi que les difficultés que posent les litiges dans le contexte moderne : voir DORS/2009‑331, article 3. La principale modification a consisté à introduire, à l’article 216 des Règles, une procédure élaborée et audacieuse pour le déroulement des procès sommaires qui s’accorde avec la terminologie employée dans les Règles des Cours fédérales. J’examinerai maintenant le libellé précis des articles 215 et 216 des Règles.

[15]   Suivant le paragraphe 215(1) des Règles des Cours fédérales, s’il « n’existe pas de véritable question litigieuse », la Cour « rend » un jugement sommaire. Sur la question de l’« [a]bsence d’une véritable question litigieuse », la jurisprudence des Cours fédérales, qui doit tenir compte des objectifs d’équité, de célérité et de rentabilité énoncés à l’article 3 des Règles, est conforme aux valeurs et aux principes formulés dans l’arrêt Hryniak. Pour reprendre ce qui est dit dans l’arrêt Burns Bog Conservation Society c. Canada, 2014 CAF 170, il n’y a « pas de véritable question » s’il n’y a pas de « fondement juridique » à la demande compte tenu du droit ou de la preuve invoquée (aux paragraphes 35 et 36). Selon les termes employés dans l’arrêt Hryniak, il n’y aura pas de « question de ce genre » si la demande est dénuée de fondement juridique ou si le juge dispose de « la preuve nécessaire pour trancher justement et équitablement le litige » (au paragraphe 66). L’arrêt Hryniak fait également allusion à de « nouveaux pouvoirs » qui peuvent aider le juge à trancher ces questions (au paragraphe 44). Mais selon le libellé des Règles des Cours fédérales, ces pouvoirs n’interviennent qu’à une étape ultérieure de l’analyse prévue à l’article 216 des Règles.

[16]   S’il existe une véritable question litigieuse de fait ou de droit, comme l’a conclu la Cour fédérale en l’espèce, cette dernière « peut » alors (c’est‑à‑dire, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire), entre autres choses, tenir un procès sommaire sous le régime de l’article 216 des Règles : paragraphe 215(3) des Règles. Comme on le constate aisément à la lecture de l’article 216 des Règles, le procès sommaire fournit un cadre procédural serré pour la prise de décisions préliminaires, lequel peut être assimilé à ces « nouveaux pouvoirs » dont sont investis les tribunaux ontariens, pour reprendre l’expression employée par la Cour suprême dans l’arrêt Hryniak (au paragraphe 44).

[17]   Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, je conclus, à l’instar de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt Can c. Calgary (Police Service), 2014 ABCA 322, 560 A.R. 202, que l’arrêt Hryniak ne modifie pas la teneur de nos règles procédurales. En revanche, il rappelle à notre mémoire les impératifs et les principes que contiennent nos règles en matière de jugement et de procès sommaires et qui, conformément à l’article 3 des Règles, doivent guider l’interprétation et l’application de ces règles.

[93]      La jurisprudence pertinente établit clairement que, pour que sa requête soit accueillie, le Canada doit démontrer à la Cour qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse, ce qui signifie, en l’espèce, aucune véritable question concernant l’existence et l’application d’une défense de prescription pour faire échec aux réclamations reliées au programme. Voir Lameman CSC, précité, au paragraphe 11; Manitoba c Canada, précité, au paragraphe 15.

[94]      Il est également bien établi dans la jurisprudence que les parties adverses dans le contexte d’une requête en jugement sommaire doivent toutes deux présenter leurs meilleurs arguments en ce qui concerne les questions importantes à débattre. Ainsi que l’a affirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Lameman CSC, précité :

[11]   C’est pourquoi les exigences auxquelles il faut satisfaire pour obtenir un jugement sommaire sont élevées. Pour faire rejeter sommairement l’action, le défendeur doit démontrer « qu’il n’y a aucune véritable question de fait importante qui requiert la tenue d’un procès » : Guarantee Co. of North America c. Gordon Capital Corp., [1999] 3 R.C.S. 423, par. 27. Il doit le démontrer en produisant des éléments de preuve; il ne peut se fonder sur de simples allégations ou sur les actes de procédure : 1061590 Ontario Ltd. c. Ontario Jockey Club(1995), 21 O.R. (3d) 547 (C.A.); Tucson Properties Ltd. c. Sentry Resources Ltd. (1982), 22 Alta. L.R. (2d) 44 (B.R. (protonotaire)), p. 46‑47. Si le défendeur présente cette preuve, le demandeur doit soit la réfuter soit présenter une contre‑preuve, sans quoi l’action risque d’être rejetée sommairement : Murphy Oil Co. c. Predator Corp. (2004), 365 A.R. 326, 2004 ABQB 688, p. 331, conf. par (2006), 55 Alta. L.R. (4th) 1, 2006 ABCA 69. Chaque partie doit [traduction] « présenter ses meilleurs arguments » en ce qui concerne l’existence ou la non‑existence de questions importantes à débattre : Transamerica Life Insurance Co. of Canada c. Canada Life Assurance Co. (1996), 28 O.R. (3d) 423 (Div. gén.), p. 434; Goudie c. Ottawa (Ville), [2003] 1 R.C.S. 141, 2003 CSC 14, par. 32. Le juge en chambre peut faire des inférences de fait à partir des faits non contestés dont il est saisi, à la condition qu’elles soient solidement étayées par les faits : Guarantee Co. of North America, par. 30.

[...]

[19]   Nous ajouterons ceci. Devant la Cour d’appel et devant notre Cour, la cause des demandeurs a été plaidée sur le fondement, non seulement de la preuve effectivement produite dans le cadre de la requête en jugement sommaire, mais aussi des éléments de preuve qui pourraient éventuellement être produits ou des modifications susceptibles d’être apportées advenant la tenue d’un procès. Une requête en jugement sommaire ne peut être rejetée sur la base de vagues allusions à ce qui pourrait être déposé en preuve ultérieurement si l’instance suit son cours jusqu’à l’instruction. Accepter cela irait à l’encontre de la raison d’être de la règle. Une requête en jugement sommaire doit être jugée sur la base des actes de procédure et des éléments de preuve dont le juge est véritablement saisi, et non en fonction de suppositions quant à ce qui pourrait être plaidé ou établi plus tard. Cela vaut en matière de revendications autochtones comme en toute autre matière.

[95]      Les mêmes principes figurent à l’article 214 des Règles des Cours fédérales :

214. La réponse à une requête en jugement sommaire ne peut être fondée sur un élément qui pourrait être produit ultérieurement en preuve dans l’instance. Elle doit énoncer les faits précis et produire les éléments de preuve démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse.

[96]      Ces règles générales signifient qu’un jugement sommaire devrait être rendu seulement dans les cas les plus clairs où la Cour est convaincue que la tenue d’un procès pour examiner la question n’est pas nécessaire. Un jugement sommaire ne devrait pas être rendu lorsque, compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve dont dispose la Cour dans le cadre de la requête, la Cour ne parvient pas à trouver les faits nécessaires, ou lorsqu’il serait injuste de rendre un jugement sommaire dans les circonstances. Lorsqu’il y a des questions factuelles ou juridiques qui doivent être résolues avant qu’une décision soit rendue, l’affaire ne se prête pas à un jugement sommaire. Voir Garford Pty Ltd. c Dywidag Systems International, Canada, Ltd., 2010 CF 996, au paragraphe 10, conf. par 2012 CAF 48.

[97]      En revanche, dans le cadre d’une requête en jugement sommaire, les parties adverses doivent toutes deux déposer les éléments de preuve auxquels elles ont raisonnablement accès et qui aideront la Cour à déterminer s’il existe une véritable question litigieuse. La partie en défense, par exemple, ne peut pas se fonder sur ses actes de procédure et doit fournir des preuves de faits précis démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse. Voir les Règles des Cours fédérales, article 214; Kanematsu GmbH c Acadia Shipbrokers Ltd. (2000), 259 NR 201, [2000] ACF no 978 (C.A.), au paragraphe 13. Ainsi, le défaut de produire des éléments de preuve relatifs aux questions en litige sans explication raisonnable peut mener à une inférence défavorable. Voir Riva Stahl GmbH c Combined Atlantic Carriers GmbH (1999), 243 NR 183, [1999] ACF no 762 (C.A), au paragraphe 11.

[98]      Il est également bien établi qu’il n’est pas approprié de rendre un jugement sommaire sur une question qui ne peut pas être dissociée des autres questions en suspens dans l’action générale. Voir Marine Atlantic Inc v Blyth (1994), 77 FTR 97 [Marine Atlantic], au paragraphe 19. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Hryniak, précité, au paragraphe 60, mettait également en garde contre le prononcé d’un jugement sommaire partiel qui « risque d’entraîner des procédures répétitives ou de mener à des conclusions de fait contradictoires; par conséquent, l’exercice de ces pouvoirs n’est peut‑être pas dans l’intérêt de la justice ».

[99]      Enfin, il est clair que la partie en demande dans le cadre d’une requête en jugement sommaire (dans ce cas‑ci, le Canada) a le fardeau de démontrer qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse. Si le Canada s’acquitte de ce fardeau, les demandeurs doivent présenter des éléments de preuve et des arguments de droit pour contrer la position du Canada, sans quoi leur action risque d’être rejetée sommairement. Voir les Règles des Cours fédérales, article 214; Lameman CSC, précité, au paragraphe 11.

(1)               La position du Canada

[100]  Le Canada affirme que les demandes des demandeurs reliées au programme sont importantes et complexes, et leur instruction sera extrêmement coûteuse pour les parties. Il devrait être disposé de ces demandes par voie de jugement sommaire parce que, si elles sont instruites dans le cadre du procès, elles seront inévitablement rejetées du seul fait de la défense de prescription. Il en est ainsi, affirme le Canada, parce que le dossier clair et non controversé démontre que les demandeurs et leurs conseillers avaient pleinement connaissance de l’existence des réclamations longtemps avant l’expiration du délai de prescription, de sorte que les réclamations sont clairement prescrites.

[101]  Les arguments du Canada sont relativement simples et peuvent être résumés comme suit :

a.       La jurisprudence pertinente établit clairement qu’en règle générale, les défenses de prescription s’appliquent aux revendications des peuples autochtones. Voir Lameman CSC, précité; Wewaykum, précité; Blueberry River, précité; Manitoba Metis, précité;

b.      La Cour dispose d’un dossier de preuve documentaire par lui‑même fiable dans le cadre de la présente requête, qui établit que les demandeurs étaient au courant de l’existence des réclamations reliées au programme bien avant l’expiration du délai de prescription pertinent. Les demandeurs n’ont pas contesté le contenu du dossier à cet égard;

c.       Le fait que les demandeurs aient recherché pendant longtemps une solution politique à leurs griefs concernant l’incidence du programme sur leur droit à redevances pendant la période pertinente n’a pas reporté la date à laquelle le délai de prescription applicable devait commencer à courir. Voir Abbott, précité; Tacan, précité, aux paragraphes 78 à 85; Canada v Perrot, 209 NLTD 172, aux paragraphes 27 à 40;

d.       Les deux causes d’action sont survenues en Alberta, de sorte que conformément à l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales, les demandes reliées au programme sont assujetties aux lois de l’Alberta en matière de prescription, et le délai de prescription applicable est de six ans suivant l’article 4 de la LAA qui était en vigueur à la date pertinente;

e.       L’article 4 de la LAA s’applique parce que les demandes en cause visent l’obtention de dommages‑intérêts au titre d’un manquement à une obligation fiduciale ou autre de la part du Canada en raison du fait en sorte que le programme n’ait pas d’incidences indirectes sur les demandeurs. Le programme a été adopté dans l’intérêt national en réponse à des augmentations considérables du prix du pétrole précipitées par l’action du cartel international appelé l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole). En conséquence de ce programme national, les demandeurs ont reçu moins de redevances qu’ils en auraient reçu autrement en l’absence de contrôles des prix internes du pétrole;

f.       Les demandes reliées au programme sont également irrecevables pour cause de manque de diligence et d’acquiescement.

[102]  Les demandeurs ont invoqué, avec beaucoup de recoupements, de nombreux motifs pour lesquels la position du Canada au sujet des délais de prescription n’est pas défendable et une véritable question litigieuse subsiste. J’examinerai ces motifs à tour de rôle.

(2)               T‑2022‑89 – La position de Samson

a)                  Aucun délai de prescription promulgué en vertu de la Constitution

[103]  Samson affirme qu’aucun délai de prescription promulgué en vertu de la Constitution ne s’applique aux causes d’action de Samson, dont il est question en l’espèce, fondées sur les droits ancestraux et issus d’un traité de Samson.

[104]  Samson affirme qu’il y a dans les demandes en cause des allégations contre le Canada en sa qualité de fiduciaire et fiducial de Samson, qui devrait être considéré par une cour d’equity, comme la Cour fédérale, en tant que fiduciaire expressément désigné, en raison de la relation historique entre le Canada et les peuples autochtones, et en raison du Traité no 6 et de la renonciation aux droits miniers.

[105]  Comme conséquence de la relation sui generis historique entre le Canada et Samson, et à cause des obligations fiduciaires et fiduciales et d’autres obligations qui incombent au Canada en raison de son acquisition des droits miniers de Samson et des produits des baux, le législateur n’avait pas, avant 1982, et n’a pas, depuis 1982, le pouvoir de créer un délai de prescription qui pourrait faire disparaître les causes d’action de Samson. De plus, Samson affirme que les lois provinciales, même incorporées à une loi fédérale en matière de prescription, ne peuvent pas avoir d’incidences sur des droits issus de traités, et encore moins être censées les éteindre.

[106]  En d’autres termes, Samson affirme que les délais de prescription ne s’appliquent pas aux réclamations reliées au programme en cause dans la présente requête parce qu’ils auraient pour effet d’anéantir les droits ancestraux et issus de traités de Samson qui sont protégés par la Constitution. Lorsque le Parlement a promulgué l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales, le législateur n’a pas exprimé d’intention « claire et expresse » d’éteindre des droits ancestraux ni des droits issus de traités, comme l’exige l’arrêt Calder, précité.

[107]  D’un point de vue pratique, Samson affirme que l’application d’une loi en matière de prescription au droit à redevances en cause dans les réclamations reliées au programme viderait de sens le droit issu d’un traité de Samson dans les minéraux se trouvant dans le sous‑sol de la réserve de Pigeon Lake. Il s’agit de droits qui existaient au moment où l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 est entré en vigueur, de sorte que ces droits sont reconnus et confirmés par le paragraphe 35(1) et doivent l’emporter sur toute disposition législative incompatible.

[108]  Qui plus est, Samson soutient que, dans la présente requête, le Canada invoque une défense de prescription pour éviter que sa responsabilité ne soit engagée au titre d’une conduite qui est incompatible avec l’honneur de Sa Majesté et avec des principes relatifs aux traités et des principes relatifs aux fiducies. De plus, le Canada n’a présenté aucun élément de preuve démontrant que l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales porte une atteinte minimale à des droits issus de traités ou à des droits ancestraux, de sorte qu’aucune justification n’est donnée à ces dispositions législatives, comme l’exige l’arrêt Sparrow.

[109]  Samson soutient que les demandes en cause dans les présentes requête sont différentes de celles que la Cour suprême du Canada a tranchées dans l’arrêt Wewaykum, précité, et dans d’autres arrêts de principe où la Cour affirme que les délais de prescription s’appliquent aux revendications des peuples autochtones. Selon l’argument principal de Samson, les demandes antérieures n’étaient pas fondées sur une cause d’action qui pourrait survenir entre particuliers (voir Stoney Tribal Council, précité), et elles ne sont donc manifestement pas assujetties aux lois en matière de prescription qui régissent les rapports entre particuliers en vigueur dans quelque province que ce soit.

[110]  Puisque l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales ne peut s’appliquer aux droits issus de traités et aux droits ancestraux de Samson, celle‑ci affirme que le Canada ne peut invoquer en défense aucun délai de prescription contre les réclamations des demandeurs reliées au programme.

[111]  Bon nombre des arguments d’ordre constitutionnel invoqués par Samson ne sont pas nouveaux, et ils ont déjà été invoqués auparavant dans la présente instance ainsi que dans d’autres affaires. Mon examen de ces arguments n’est donc pas fait dans l’abstrait, et je suis lié par les observations et les décisions de la Cour suprême et d’autres cours sur ces questions.

[112]  Tout d’abord, il me parait clair que les lois en matière de prescription ainsi que les principes du manque de diligence et de l’acquiescement s’appliquent aux demandes faites contre le Canada même lorsque les droits en jeu sont des droits issus de traités et des droits ancestraux protégés par la Constitution. Voici la manière dont j’interprète les commentaires de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Wewaykum, précité :

[110] Dans des circonstances appropriées, la règle du manque de diligence peut être invoquée à l’encontre de demandes présentées par des bandes indiennes : L’Hirondelle c. The King (1916), 16 R.C. de l’É. 193; Ontario (Attorney General) c. Bear Island Foundation (1984), 49 O.R. (2d) 353 (H.C.), p. 447 (conf. pour d’autres motifs par (1989), 68 O.R. (2d) 394 (C.A.), conf. Par [1991] 2 R.C.S. 570); Chippewas of Sarnia Band c. Canada (Attorney General) (2000), 51 O.R. (3d) 641 (C.A.). On trouve également des affirmations à ce sujet dans deux arrêts de notre Cour, où celle‑ci a examiné, sans les rejeter, des arguments portant que la règle du manque de diligence peut faire obstacle à la revendication du titre aborigène : Smith c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 554, p. 570; Guerin, précité, p. 390.

[...]

[121] La bande de Cape Mudge plaide qu’il ne faut pas laisser les délais de prescription applicables en l’espèce devenir un [traduction] « instrument d’injustice » (mémoire, par. 104). Toutefois, les principes à la base des lois sur la prescription (dites aussi lois destinées à assurer la tranquillité d’esprit (« statutes of repose »)) sont bien connus : Novak c. Bond, [1999] 1 R.C.S. 808, par. 8 et 64; Peixeiro c. Haberman, [1997] 3 R.C.S. 549, par. 34. Des témoins ne sont plus disponibles, des documents historiques ont disparu ou sont difficiles à mettre en contexte et l’idée de ce que constituent des pratiques loyales évolue. En raison de l’évolution des normes de conduite et de l’application de nouvelles normes en matière de responsabilité, il devient inéquitable de juger des actions passées au regard de normes contemporaines. Comme a écrit, en 1990, la commission de réforme du droit de la Colombie‑Britannique au soutien de l’adoption d’un délai « ultime » de prescription trentenaire :

[traduction]

Lorsqu’il existe des délais de prescription, il y a davantage de chances qu’une conduite entraînant des conséquences juridiques soit jugée au regard des normes contemporaines de cette conduite que si le droit du demandeur d’ester en justice n’est assujetti à aucune restriction. Cette justification des restrictions assortissant les délais impartis pour prendre action revêt de plus en plus d’importance en raison de la vitesse avec laquelle les attitudes et les normes changent de nos jours. De nouvelles situations susceptibles d’être sources de responsabilité apparaissent sans cesse, en réponse à l’évolution des sensibilités.

(Report on the Ultimate Limitations Period : Limitation Act, Section 8 (1990), p. 17‑18)

[113]  Les demandeurs signalent qu’aucun droit issu d’un traité n’était en cause dans l’arrêt Wewaykum. Toutefois, la Cour suprême du Canada a appliqué cette solution dans l’arrêt Lameman CSC, où un droit issu d’un traité était en cause :

[13]   La Cour a souligné dans Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245, que les règles sur les délais de prescription s’appliquent aux revendications autochtones. Les délais de prescription répondent à la recherche d’un équilibre entre la nécessité de protéger le droit du défendeur, après un certain temps, d’organiser ses affaires sans craindre une poursuite et celle de traiter le demandeur équitablement compte tenu de sa situation. Cela vaut autant pour les revendications autochtones que pour les autres, comme il est précisé au par. 121 de Wewaykum :

Des témoins ne sont plus disponibles, des documents historiques ont disparu ou sont difficiles à mettre en contexte et l’idée de ce que constituent des pratiques loyales évolue. En raison de l’évolution des normes de conduite et de l’application de nouvelles normes en matière de responsabilité, il devient inéquitable de juger des actions passées au regard de normes contemporaines.

[114]  La Cour suprême du Canada a confirmé ces arrêts tout récemment dans Manitoba Metis, précité, aux paragraphes 138 et 147, voir aussi les paragraphes 269 et 270 et 298 et 299, motifs dissidents du juge Rothstein.

[115]  Cette question générale a également été examinée par le juge Sexton dans la présente instance lorsque la Cour d’appel fédérale était saisie des parties antérieures des actions des demandeurs. Le juge Sexton a affirmé que les réclamations étaient prescrites en vertu des lois en matière de prescription, et il a rejeté les arguments contraires des demandeurs (voir Ermineskin CAF, précité, aux paragraphes 323 à 336).

[116]  Je suis bien conscient que les deux demandeurs estiment qu’il faut tenir compte du fait que les décisions antérieures concernaient des situations factuelles différentes et que, compte tenu des faits de la présente espèce, on ne peut pas dire qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse. Cependant, à la lecture des décisions antérieures, et en particulier des arrêts de la Cour suprême du Canada, je ne vois pas comment je pourrais soustraire la présente situation à la portée générale des précédents établis et des principes généraux qui sous‑tendent chaque décision.

[117]  Les directives générales données par le juge Binnie dans l’arrêt Wewaykum, précité, ne peuvent tout simplement pas être écartées au motif qu’elles ne s’appliqueraient pas aux actions découlant d’un ensemble de faits différents, parce que ces directives ont été citées et appliquées par la Cour suprême dans Lameman CSC, précité, et Manitoba Metis, précité. Dans l’arrêt Wewaykum, précité, le juge Binnie a également examiné l’applicabilité du principe du manque de diligence aux revendications des peuples autochtones (aux paragraphes 110 et 111) ainsi que l’effet de l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales (aux paragraphes 113 à 114), l’incidence des lois provinciales sur des droits ancestraux et la question du partage des compétences (aux paragraphes 115 à 120), les répercussions de l’arrêt Guerin (au paragraphe 124) et la question du manquement continu (aux paragraphes 134 à 136).

[118]  La Cour suprême s’est également prononcée sur un manquement direct à des obligations issues d’un traité dans l’arrêt Lameman CSC, précité. Citant l’arrêt Wewaykum, précité, elle a convenu que les délais de prescription s’appliquent aux revendications des peuples autochtones pour les mêmes raisons de principe qui s’appliquent à d’autres demandes (Lameman CSC, précité, au paragraphe 13).

[119]  Tel qu’il ressort clairement de la requête en nouvelle audition dont était saisie la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Lameman CSC, la Cour a entendu bon nombre des arguments que les demandeurs invoquent maintenant devant moi dans le cadre de la présente requête, notamment :

a.       la décision de la Cour a pour effet de permettre l’extinction de droits ancestraux issus de traités;

b.      les actions visent des droits issus de traités non éteints qui sont protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982;

c.       les droits issus de traités sont des obligations continues du Canada;

d.      l’incorporation par renvoi des lois provinciales en matière de prescription ne révèle pas l’intention claire et expresse requise de s’ingérer dans l’exercice de droits issus de traités;

e.       une distinction doit être établie entre l’espèce et l’arrêt Wewaykum parce que cet arrêt ne concernait pas un droit issu d’un traité.

[120]  Je ne crois pas qu’une distinction puisse être établie entre l’espèce et l’arrêt Lameman CSC, interprété dans l’ensemble de son contexte, au motif qu’aucun avis de question constitutionnelle n’avait été déposé dans cette affaire. À mon avis, il ne fait aucun doute qu’aux termes de l’arrêt Lameman CSC, la Cour suprême du Canada a estimé que l’application des lois en matière de prescription à des droits ancestraux et issus de traités ne soulevait aucune question de constitutionnalité.

[121]  Il semble également manifeste que l’arrêt récent Manitoba Metis, précité, de la Cour suprême du Canada appuie l’application de délais de prescriptions à des demandes fondées sur un manquement à une obligation fiduciale. Dans cet arrêt, la Cour suprême suit ses arrêts Wewaykum et Lameman CSC et confirme qu’elle continue de s’appliquer sur ce point. Voici ce qu’affirme la Cour suprême du Canada, au paragraphe 138 :

Les défendeurs prétendent que cette demande est irrecevable en vertu des lois manitobaines sur la prescription dont toutes les versions contenaient des dispositions semblables à la disposition actuelle prévoyant qu’une « action fondée sur un accident, une erreur ou un autre motif de recours reconnu en équité » se prescrit par six ans à compter de la découverte de la cause d’action (Loi sur la prescription, C.P.L.M. ch. L150, al. 2(1)k)). Le manquement à une obligation fiduciaire constitue « un motif de recours reconnu en équité ». Nous sommes d’accord avec la Cour d’appel que ce délai de prescription s’applique aux demandes des Autochtones pour manquement à une obligation fiduciaire relative à la gestion de leurs biens (Wewaykum, par. 121, et Canada (Procureur général) c. Lameman, [2008] 1 R.C.S. 372, par. 13).

[Souligné dans l’original.]

[122]  Autrement dit, je ne parviens pas à trouver d’exception reconnue dans la jurisprudence pertinente qui appuierait des demandes prenant appui sur la Constitution de la nature de celles dont il est question dans la présente requête. À mon avis, la jurisprudence dit qu’il n’existe aucune exception semblable. Lorsqu’elle a créé une exception limitée et précise dans l’arrêt Manitoba Metis pour prononcer le jugement déclaratoire précis sollicité dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a d’abord énoncé la règle générale de l’applicabilité et a rejeté l’argument que les demandeurs me prient de retenir dans le cadre de la présente requête.

[123]  En l’espèce, je suis d’avis qu’il est clair que les demandes en cause dans la présente requête sont fondées sur un manquement à une obligation fiduciale et qu’elles visent l’obtention d’une réparation en equity. À mon avis, il est clair en droit qu’une défense de prescription peut être opposée à de telles demandes.

[124]  De plus, les demandeurs n’ont pas démontré que des motifs justifiaient qu’ils puissent se prévaloir de l’exception constitutionnelle étroite créée par les juges majoritaires dans l’arrêt Manitoba Metis. La Cour suprême dans cette affaire a bien précisé qu’elle examinait un « devoir, d’une portée restreinte et bien circonscrite, [résultant] des faits exceptionnels dont [elle était] saisi[e] » (au paragraphe 81). Il n’y a rien dans la présente affaire qui soit analogue aux obligations constitutionnelles prévues à l’article 31 de la Loi sur le Manitoba.

[125]  Il y a deux arguments additionnels précis auxquels je dois répondre concernant l’argument de Samson selon lequel ses réclamations reliées au programme ne sont pas visées par la jurisprudence générale susmentionnée. Tout d’abord, Samson affirme que l’inclusion d’une déclaration parmi les réparations qu’elle sollicite lui permet de se prévaloir soit de l’exception créée dans l’arrêt Manitoba Metis, soit de la règle générale selon laquelle une défense de prescription ne peut pas faire échec à une demande de jugement déclaratoire.

[126]  À mon avis, rien dans l’arrêt Manitoba Metis, précité, n’étaye l’argument de Samson. C’est plutôt le contraire. Dans Manitoba Metis, la Cour suprême du Canada a permis une exception étroite et bien précise à la règle générale selon laquelle les délais de prescription s’appliquent aux revendications autochtones. Cette exception s’appliquait à un jugement déclarant que le Canada n’avait pas agi honorablement dans la mise en œuvre de l’obligation constitutionnelle prévue expressément à l’article 31 de la Loi sur le Manitoba. La Cour suprême a bien précisé que si les Métis dans l’action avaient demandé une réparation personnelle, ils n’auraient pas pu bénéficier de l’exception (Manitoba Metis, précité) :

[136] En l’espèce, les Métis sollicitent un jugement déclarant qu’une disposition de la Loi sur le Manitoba — à laquelle la Loi constitutionnelle de 1871 confère un statut constitutionnel — n’a pas été mise en œuvre conformément au principe de l’honneur de la Couronne, ayant lui aussi le statut de « principe constitutionnel » (Little Salmon, par. 42).

[137] En outre, les Métis ne sollicitent pas de réparation personnelle, ne réclament pas de dommages‑intérêts et ne font aucune revendication territoriale. Ils ne demandent pas non plus le rétablissement du titre dont leurs descendants auraient pu hériter si la Couronne avait agi honorablement. Ils demandent plutôt que soit rendu un jugement déclarant qu’une obligation constitutionnelle précise n’a pas été remplie comme l’exigeait l’honneur de la Couronne. Ils sollicitent ce jugement déclaratoire pour faciliter leurs négociations extrajudiciaires avec la Couronne en vue de réaliser l’objectif constitutionnel global de réconciliation inscrit dans l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[138] Les défendeurs prétendent que cette demande est irrecevable en vertu des lois manitobaines sur la prescription dont toutes les versions contenaient des dispositions semblables à la disposition actuelle prévoyant qu’une « action fondée sur un accident, une erreur ou un autre motif de recours reconnu en équité » se prescrit par six ans à compter de la découverte de la cause d’action (Loi sur la prescription, C.P.L.M. ch. L150, al. 2(1)k)). Le manquement à une obligation fiduciaire constitue « un motif de recours reconnu en équité ». Nous sommes d’accord avec la Cour d’appel que ce délai de prescription s’applique aux demandes des Autochtones pour manquement à une obligation fiduciaire relative à la gestion de leurs biens (Wewaykum, par. 121, et Canada (Procureur général) c. Lameman, 2008 CSC 14, [2008] 1 R.C.S. 372, par. 13).

[139] Toutefois, à ce stade, nous ne statuons pas sur une action pour manquement à une obligation fiduciaire, mais sur une demande de jugement déclarant que la Couronne n’a pas agi honorablement dans la mise en œuvre de l’obligation constitutionnelle imposée à l’art. 31 de la Loi sur le Manitoba. Les lois sur la prescription ne peuvent faire obstacle à une demande de cette nature.

[140] Nous sommes saisis d’un grief constitutionnel qui a pris naissance il y a près d’un siècle et demi. Aussi longtemps que la question ne sera pas tranchée, l’objectif de réconciliation et d’harmonie constitutionnelle, reconnu à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et qui sous‑tend l’art. 31 de la Loi sur le Manitoba, n’aura pas été atteint. Le clivage persistant dans notre tissu national auquel l’adoption de l’art. 31 devait remédier demeure entier. La tâche inachevée de réconciliation des Métis avec la souveraineté du Canada est une question d’importance nationale et constitutionnelle. Les tribunaux sont les gardiens de la Constitution et, comme le précisent les arrêts Ravndahl et Kingstreet, ils ne peuvent être empêchés par une simple loi de rendre un jugement déclaratoire sur une question constitutionnelle fondamentale. Les principes fondamentaux de légalité, de constitutionnalité et de primauté du droit n’exigent rien de moins : voir Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 72.

[141] De plus, bon nombre des considérations de politique générale qui sous‑tendent les lois en matière de prescription ne s’appliquent tout simplement pas dans un contexte autochtone comme celui‑ci. Les lois contemporaines sur la prescription des actions visent à établir un équilibre entre la protection du défendeur et l’équité envers le demandeur (Novak c. Bond, [1999] 1 R.C.S. 808, par. 66, la juge McLachlin). Dans le contexte autochtone, la réconciliation doit peser lourd dans la balance. Comme l’a souligné Harley Schachter :

[traduction] Les diverses justifications des délais de prescription sont toujours manifestement pertinentes, mais l’auteur est d’avis que l’objectif de la réconciliation est un facteur beaucoup plus important, auquel il faut accorder plus de poids dans l’analyse. L’argument qu’une loi provinciale sur la prescription s’applique ex proprio vigore ou peut être incorporée à titre de loi fédérale ne vaut pas lorsque les droits ancestraux et issus de traités sont en cause. Il ne tient pas compte de la véritable analyse qui doit être effectuée et qui vise la réconciliation et la justification.

(« Selected Current Issues in Aboriginal Rights Cases : Evidence, Limitations and Fiduciary Obligations », dans The 2001 Isaac Pitblado Lectures : Practising Law In An Aboriginal Reality (2001), 203, p. 232‑233)

Schachter écrivait dans le contexte des droits ancestraux, mais ses propos s’appliquent avec autant de force en l’espèce. Leonard I. Rotman va encore plus loin lorsqu’il affirme que permettre à la Couronne de protéger ses actes inconstitutionnels par le pouvoir de ses propres lois semble fondamentalement injuste (« Wewaykum : A New Spin on the Crown’s Fiduciary Obligations to Aboriginal Peoples? » (2004), U.B.C. L. Rev. 219, p. 241‑242). En fait, malgré les considérations de politique générale légitimes favorables aux délais de prescription fixés par la loi, dans le contexte autochtone, il existe des principes uniques qui doivent parfois prévaloir.

[142] En l’espèce, la demande n’est pas tardive : elle est en grande partie fondée sur des éléments de preuve documentaire contemporains et aucun intérêt juridique d’un tiers n’est en jeu. Comme l’a indiqué le Canada, la preuve a fourni au juge du procès [traduction] « une occasion inégalée d’examiner le contexte entourant l’édiction et la mise en œuvre des art. 31 et 32 de la Loi sur le Manitoba » (m.i., par. 7).

[143]  De plus, la réparation pouvant être accordée suivant cette analyse est limitée. Un jugement déclaratoire est une réparation d’une portée restreinte. Il peut être obtenu sans cause d’action, et les tribunaux rendent des jugements déclaratoires, peu importe si une mesure de redressement consécutive peut être accordée. Comme l’a fait valoir l’Assemblée des Premières Nations, intervenante, il n’est pas obtenu contre le défendeur au même sens qu’une mesure de redressement coercitive (mémoire, par. 29, citant Cheslatta Carrier Nation c. British Columbia, 2000 BCCA 539, 193 D.L.R. (4th) 344, par. 11‑16). Dans certains cas, le jugement déclaratoire peut être le seul moyen de donner effet au principe de l’honneur de la Couronne : mémoire de l’Assemblée des Premières Nations, par. 31. Dans la présente action, si les Métis avaient sollicité des réparations personnelles, le raisonnement adopté en l’espèce ne pourrait s’appliquer. Toutefois, comme l’a reconnu le Canada, la mesure de redressement sollicitée en l’espèce n’est manifestement pas de nature personnelle : m.i., par. 82. Le principe de la réconciliation commande que ce type de déclaration puisse être accordé.

[144] Nous concluons que la demande qui nous est soumise en l’espèce est une demande de déclaration sur la constitutionnalité de la conduite de la Couronne envers les Métis dans l’application de l’art. 31 de la Loi sur le Manitoba. Il s’ensuit que la Loi sur la prescription ne s’applique pas et que la demande n’est pas prescrite.

[127]  En l’espèce, ni l’une ni l’autre des demandes des demandeurs ne vise l’obtention d’un jugement déclarant l’existence d’une obligation constitutionnelle du type de celle dont il était question dans l’arrêt Manitoba Metis. Les demandeurs fondent leurs demandes sur un manquement à une obligation fiduciaire ou fiduciale se rapportant à un droit issu d’un traité protégé par la Constitution. Qui plus est, les demandeurs réclament des dommages‑intérêts (c’est‑à‑dire, le type de réparation personnelle dont la Cour suprême dit, dans Manitoba Metis, qu’elle ne relève pas de l’exception à la règle générale selon laquelle les délais de prescription s’appliquent aux revendications autochtones). Les demandeurs semblent donner à entendre qu’une demande pécuniaire cesse d’être prescrite si elle est accompagnée d’une demande de jugement déclaratoire. Je ne vois rien dans l’arrêt Manitoba Metis, ni dans aucun autre arrêt, qui étaye cet argument.

[128]  Dans l’arrêt Athabasca Chipewyan First Nation v Alberta (Minister of Energy), 2011 ABCA 29, la Cour d’appel de l’Alberta a statué sur une demande de jugement déclarant valides des concessions de sables bitumineux. La demande a été rejetée au motif que le jugement déclaratoire sollicité équivalait à une demande d’annulation des permis. Cet arrêt porte à croire qu’un jugement déclaratoire ne peut être utilisé pour éviter une défense de prescription lorsqu’il ne s’agit de rien de plus que l’équivalent d’un recours qui aurait été permis si la demande avait été introduite dans les délais prescrits.

[129]  Selon le deuxième argument de Samson, l’application d’un délai de prescription a pour effet d’anéantir des droits ancestraux et issus de traités enchâssés dans la Constitution ou d’y porter atteinte. À mon avis, Samson demande simplement à la Cour de faire fi de précédents clairs qui nous enseignent que les délais de prescription n’éteignent pas de droits, mais ne font que rendre irrecevables les recours fondés sur ces droits. Comme l’arrêt Chippewas, précité, l’indique clairement, une demande de réparation n’est pas un droit ancestral ou issu d’un traité, et les délais de prescription ne font qu’empêcher d’obtenir la réparation. Samson ne tient pas compte de la jurisprudence qui établit une distinction entre une règle de fond et une règle de procédure dans le contexte de la prescription et invoque l’arrêt Tolofson, précité, une affaire de droit international privé, au soutien de la requête dont la Cour est maintenant saisie alors que, selon une jurisprudence bien établie sur la question, la Cour suprême du Canada a affirmé que les délais de prescription s’appliquent à ce type d’affaire.

[130]  Le débat sur cette question a récemment été mentionné, quoique dans des remarques incidentes, dans la décision récente Peter Ballantyne Cree Nation v Canada (Attorney General), 2014 SKQB 327, de la Saskatchewan :

[traduction]

[139] Traditionnellement, selon la common law, les délais de prescription constituaient simplement une règle procédurale en ce qu’ils rendent un recours irrecevable, plutôt qu’une règle de fond en ce qu’ils éteindraient le droit sous‑jacent. Toutefois, depuis l’arrêt Tolofson c Jensen, [1994] 3 RCS 1022 [Tolofson], cette question est demeurée non résolue.

[140] Dans l’arrêt Tolofson, le demandeur était un résident de la Colombie‑Britannique qui avait été impliqué dans un grave accident d’automobile alors qu’il conduisait en Saskatchewan. Le demandeur avait intenté une action huit ans plus tard contre le défendeur pour les blessures subies, et il avait soutenu que le droit de la Colombie‑Britannique s’appliquait, de manière à éviter le délai de prescription imposé par les lois de la Saskatchewan. La Cour suprême a conclu que les lois de la Saskatchewan s’appliquaient en vertu de la règle de la lex loci delicti (application du droit du lieu où le délit est survenu) qui comprenait les règles relatives à la prescription. Après avoir tiré cette conclusion, la Cour a dû déterminer si les lois en matière de prescription constituaient des règles de fond ou des règles de procédure parce qu’en droit international privé, les droits substantiels des parties à une action peuvent être régis par une loi étrangère, mais toutes les questions de procédure sont régies exclusivement par le droit du for. Dans ce contexte factuel, la Cour a conclu au paragraphe 85 que la loi provinciale sur la prescription était une règle de fond.

[141] Les tribunaux dans l’ensemble du Canada ont attribué une valeur de précédent variable à cet arrêt, certains estimant qu’il s’appliquait seulement dans le domaine du droit international privé. À certaines exceptions près, il semble que ce soit le cas en Saskatchewan.

[142] Dans l’arrêt Ravendahl v Saskatchewan, 2007 SKCA 66, [2007] 10 WWR 606 [Ravendahl], la Cour d’appel a été saisie de cette question. La demanderesse alléguait que certaines lois en matière de pensions excédaient la compétence de la province afin que sa pension soit rétablie et que sa demande de dommages‑intérêts soit accueillie. La demande avait été déposée après l’expiration du délai prévu par la loi sur la prescription. La cour a tenu compte de l’arrêt Tolofson, mais elle a affirmé qu’aucune décision, sauf en matière de droit international privé, n’indiquait que les délais de prescription étaient des règles de fond plutôt que des règles de procédure (Ravendahl, au paragraphe 17).

[143] Cette distinction a également été analysée récemment par la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’arrêt Johnson v Johnson, 2012 SKCA 87, 399 Sask R 196 [Johnson], qui concernait le recouvrement d’une dette. La Cour a affirmé ce qui suit, au paragraphe 26 :

[26]     Je souligne que dans le contexte d’une question de droit international privé, ou dans certaines actions relatives à certains droits réels, un délai de prescription est considéré comme une règle de fond plutôt qu’une règle de procédure. Voir : Tolofson c Jensen, [1994] 3 RCS 1022, aux paragraphes 81 et 82; Castillo c Castillo, 2005 CSC 83, [2005] 3 RCS 870, au paragraphe 10; Markevich c Canada, 2003 CSC 9, [2003] 1 RCS 94, au paragraphe 41. Aucune des circonstances susmentionnées n’existe dans le présent appel.

[144] Le demandeur invoque une décision récente de la Cour qui s’est prononcée sur cette distinction. Dans le jugement Neudorf Estate v Sellmeyer, 2012 SKQB 463, [2013] 3 WWR 349, la Cour a affirmé que les dettes du bénéficiaire d’une succession étaient prescrites par une loi et qu’en conséquence elles étaient éteintes étant donné que les lois en matière de prescription constituent des règles de fond. La Cour s’est appuyée sur l’arrêt Tolofson et a refusé d’admettre la distinction appliquée aux affaires de droit international privé :

[15]     Dans l’arrêt Tolofson, le juge La Forest a examiné les raisons historiques pour lesquelles il avait été jugé qu’une disposition législative prévoyant un délai de prescription constituait une règle de procédure; il a rejeté ces raisons et conclu que la disposition législative de la Saskatchewan examinée prévoyant un délai de prescription était une règle de fond. L’affaire Tolofson était une affaire de droit international privé, mais il n’y a aucune raison de penser que l’analyse du juge La Forest serait différente dans un autre contexte. Il n’y a aucune raison évidente de considérer que les délais de prescription sont des règles de fond dans le contexte du droit international privé, mais des règles de procédure dans d’autres contextes. Au contraire, l’analyse du juge La Forest n’était pas liée au contexte du droit international privé. Elle concernait plutôt la logique et le caractère pratique du point de vue selon lequel les dispositions législatives prévoyant des délais de prescription sont généralement des règles de fond plutôt que des règles de procédure.

[16]     En effet, au paragraphe 85, le juge La Forest a retenu le point de vue selon lequel il s’agit, en règle générale, d’une règle de fond, puis il a formulé une remarque sur son application en particulier – mais non exclusivement – dans le contexte du droit international privé :

[...] Quant à la distinction technique entre droits et recours, les tribunaux canadiens en ont, pendant quelque temps, peu à peu réduit la portée pour des considérations de principe pertinentes. J’estime que notre Cour devrait suivre cette tendance. Il semble particulièrement approprié de le faire en matière de droit international privé [...][Souligné dans l’original.]

[17]     Depuis Tolofson, la Cour suprême a réitéré son point de vue selon lequel les dispositions législatives prévoyant des délais de prescription sont des règles de fond, tel qu’il ressort de ses remarques dans les arrêts Markevich c Canada, 2003 CSC 9, [2003] 1 RCS 94, au paragraphe 41, et Castillo c Castillo, 2005 CSC 83, [2005] 3 RCS 870, au paragraphe 7.

[145] La Cour suprême ne s’est pas prononcée directement sur la question depuis Tolofson, et je suis donc lié par les arrêts de la Cour d’appel de la Saskatchewan.

[146] Notre Cour n’est pas saisie d’une question de droit international privé, et aucune demande relative à des droits réels des demandeurs n’a résisté à l’examen. Elle est saisie d’une question de dommages‑intérêts, et la Cour d’appel de la province a affirmé que dans les demandes de cette nature, les délais de prescription sont des règles de procédure en ce qu’ils ont seulement pour effet de rendre le recours irrecevable, plutôt que d’éteindre le droit sous‑jacent.

[147] Cette conclusion s’accorde également avec les arrêts comme Lameman, rendu dans une affaire où le demandeur réclamait un recouvrement en raison d’une violation de droits issus de traités alors que son recours était prescrit par une loi. Cet arrêt indique clairement que lorsqu’un délai de prescription rend irrecevable le recours intenté par un groupe autochtone, cela ne signifie pas que la loi viole le droit sur lequel l’action est fondée. La loi ne fait que limiter la période durant laquelle la demande peut être introduite.

[131]   En l’espèce, les demandeurs ont déposé un avis de question constitutionnelle concernant la loi applicable en matière de prescription. Ils donnent également à entendre que les arrêts Wewaykum, Lameman CSC et Manitoba Metis, tous précités, ne portaient pas sur les délais de prescription dans le contexte d’une telle contestation constitutionnelle. Ils laissent entendre que la Cour suprême du Canada a affirmé que la loi en matière de prescription s’applique aux demandes fondées sur des manquements à des obligations fiduciales dans le contexte autochtone sans examiner la constitutionnalité des lois sous‑jacentes.

[132]  Je pense qu’il importe de garder à l’esprit à ce stade‑ci que les arguments constitutionnels qui m’ont été présentés dans le cadre de la présente requête ont également été soulevés devant la Cour suprême du Canada par les demandeurs en leur qualité d’intervenants dans l’arrêt Blueberry River, précité, et ils ont été jugés non convaincants. Comme le souligne le Canada, les demandeurs ont formulé les arguments constitutionnels suivants dans l’arrêt Blueberry River :

a.    l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales est inconstitutionnel parce qu’il éteint des droits ancestraux et issus de traités protégés par la Constitution et n’exprime pas une intention claire et expresse de le faire;

b.    l’article 39 est incompatible avec les obligations fiduciales de la Couronne envers les peuples autochtones;

c.    une demande fondée sur un droit revendiqué par les Autochtones sur des terres n’est pas assujettie à un délai de prescription parce que la cause d’action n’a pas encore été définitivement éteinte, étant donné que le droit des Autochtones sur des terres est un droit collectif sui generis qui échoit aux membres pris individuellement à mesure qu’ils naissent;

d.    tout délai de prescription devrait être reporté en vertu des dispositions régissant la découverte des dommages qui repoussent les délais de prescription jusqu’au moment où le demandeur aurait dû savoir qu’il avait une cause d’action valable, au motif qu’avant la promulgation de la loi constitutionnelle de 1982 et les arrêts Guerin et Sparrow de la Cour suprême, le droit entourant les Premières Nations était mal compris et les peuples autochtones ont été désavantagés sur le plan de l’éducation et sont demeurés dans une relation de dépendance aveugle avec la Couronne;

e.    l’article 39 ne peut s’appliquer aux causes d’action sui generis d’une bande indienne pour les manquements de la Couronne à ses obligations fiduciaires ou fiduciales parce que l’article 39 s’applique seulement aux délais de prescription en vigueur concernant les rapports entre particuliers dans une province;

f.    étant donné que la relation entre la Couronne et les peuples autochtones est une relation fiduciaire ou fiduciale unique, aucun délai de prescription ne devrait jamais s’appliquer à des bénéficiaires autochtones et la Cour devrait adopter la règle historique appliquée dans les cours d’equity selon laquelle aucun délai de prescription ne s’applique au bénéficiaire d’une fiducie tant que la fiducie existe.

[133]  C’est la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) qui a répondu à ces arguments dans Blueberry River :

[122] Les bandes et les intervenants ont avancé d’autres arguments, qui n’ont pas été présentés et examinés devant les juridictions inférieures et qui visent à obtenir l’assouplissement ou la non‑application des délais de prescription prévus par la Limitation Act de la Colombie‑Britannique. Comme je ne considère pas les arguments convaincants dans le contexte du présent pourvoi, je ne m’y attarderai pas davantage.

[134]  Rien dans l’arrêt Blueberry River n’indique que les arguments constitutionnels des demandeurs (qui agissaient en qualité d’intervenants dans cette affaire) ont été rejetés uniquement parce qu’aucun avis de question constitutionnel n’avait été déposé.

[135]  De plus, dans l’arrêt Lameman CSC, précité, la Cour suprême du Canada a appliqué les dispositions pertinentes de la loi de l’Alberta en matière de prescription en vigueur à l’époque. La Cour n’a pas examiné la question de savoir si les lois sur la prescription étaient inapplicables aux droits ancestraux ou issus de traités protégés par la Constitution. Je ne puis admettre que la Cour suprême du Canada aurait appliqué des dispositions législatives qui étaient inapplicables en vertu de la Constitution parce qu’aucun avis de question constitutionnelle n’aurait été déposé. Comme je l’ai mentionné précédemment, ces arguments ont déjà été présentés de nombreuses fois à la Cour suprême dans le passé.

[136]  Dans l’arrêt Manitoba Metis, la Cour suprême du Canada a reconnu expressément que « bien que les délais de prescription s’appliquent aux demandes de réparations personnelles découlant de l’annulation d’une loi inconstitutionnelle, les tribunaux conservent le pouvoir de statuer sur la constitutionnalité de la loi sous‑jacente » (au paragraphe 134). À mon avis, la Cour suprême du Canada nous indique dans cette affaire qu’en disant ce qu’elle dit au sujet de l’applicabilité des délais de prescription aux revendications autochtones, elle est pleinement consciente que les délais de prescription ne font pas obstacle aux contestations constitutionnelles de la loi sous‑jacente, et elle en tient compte. Vu les implications d’une déclaration d’inconstitutionnalité visant une loi sur la prescription, je ne puis admettre que la Cour suprême du Canada aurait affirmé à plusieurs reprises dans les arrêts Wewaykum, Lameman CSC et Manitoba Metis que les délais de prescription s’appliquent aux revendications autochtones si elle entretenait le moindre doute concernant leur validité constitutionnelle.

b)                  La question de la qualification

[137]   À supposer, comme je crois devoir le faire, qu’il n’existe pas de question litigieuse concernant l’assujettissement des demandes contre le Canada à un délai de prescription, la question suivante qui se pose est celle de savoir s’il existe une question litigieuse quant à savoir quel délai de prescription est applicable. À cette fin, je dois déterminer comment les réclamations des demandeurs devraient être qualifiées au regard de la prescription. Les parties ne s’entendent pas sur cette question.

[138]  Selon Samson, la qualification a des incidences sur deux questions : la découverte de dommages et le délai de prescription applicable. Dans son argumentation écrite, Samson décrit sa propre cause d’action comme suit :

[traduction]

129.  Les réclamations de Samson concernent les questions relatives au pétrole et des droits issus de traités, en particulier ceux qui sont liés aux terres réservées et mises de côté pour Samson en vertu du Traité no 6, terres qui comprennent les droits miniers sous‑jacents. Les demandes de Samson sont également fondées sur un manquement de la Couronne à ses obligations découlant de sa relation sui generis fiduciale et fiduciaire expresse en vertu de laquelle la Couronne a pris possession des droits, la gestion et le contrôle des droits miniers auxquels Samson a renoncé, ainsi que les redevances payables et payées pour ces droits miniers en vertu des baux accordés à diverses sociétés pétrolières. Les demandes sont également fondées sur une fiducie de common law et une fiducie d’origine législative (Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes).

130.  Les réclamations de Samson comprennent une reddition de compte de la part de la Couronne concernant les biens et les fonds de Samson reçus, détenus, gérés et conservés par la Couronne au profit de Samson.

131.  Les réclamations de Samson comprennent des réclamations contre la Couronne en sa qualité de fiduciaire de Samson ou en sa qualité de fiduciale qui, en raison de la relation historique entre la Couronne et les peuples autochtones et à la suite du Traité no 6 et de la renonciation aux droits miniers de 1946, devrait être traitée par les cours d’equity comme une fiduciaire expressément désignée.

[139]  Dans certaines parties de son argumentation, Samson restreint ses demandes dans le contexte de la présente requête et affirme que les actes reprochés au Canada sont survenus à Ottawa après la perception de redevances, et sont liés à la [traduction« gestion de fonds ». À mon avis, il s’agit d’une qualification erronée du fondement de la réclamation de Samson. Samson invoque des droits ancestraux et issus d’un traité dans des redevances tirées du pétrole et du gaz produits dans les terres de réserve de Samson à l’époque pertinente, et Samson soutient que [traduction« le prix ou la valeur du pétrole exporté de Pigeon Lake en fonction duquel a été calculée la redevance sur le pétrole et le gaz des terres indiennes était incorrect pour les années 1973 à 1985, années durant lesquelles le prix du pétrole sur le marché international a augmenté sensiblement » (mémoire de Samson, au paragraphe 23, note de bas de page omise). Samson affirme que [traduction« la taxe à l’exportation du pétrole aurait dû être prélevée seulement après que la part de redevances des demandeurs avait été calculée » (mémoire de Samson, au paragraphe 25, soulignements supprimés). C’est le prélèvement de la taxe à l’exportation, puis des droits, avant le calcul des redevances des demandeurs qui constitue le fondement de leurs réclamations. La cause d’action invoquée est le manquement aux obligations fiduciaires et fiduciales attribuable au fait d’avoir permis que les revenus de redevances des demandeurs soient réduits comme conséquence indirecte du programme qui se situe au cœur de la demande. Ce qui est advenu des fonds qui sont parvenus à Ottawa après le calcul erroné des redevances ne peut pas être dissocié du manquement à des obligations légales, issues d’un traité et en common law qui, selon Samson, est survenu lorsque les demandeurs n’ont pas été exemptés du programme, de sorte que des redevances ont été calculées après le prélèvement de la taxe et des droits à l’exportation en conformité avec le programme, et ce qui est advenu de ces fonds constitue simplement un aspect du manquement en question. Les réclamations des demandeurs découlent de l’entrée en vigueur du programme qui a privé les demandeurs de redevances qu’ils auraient dû, estiment‑ils, recevoir en vertu d’un traité, de la loi, de la common law et de l’equity.

[140]  Dans le cadre de la présente requête, je n’ai pas à me demander si les manquements allégués sont survenus, et je ne tire aucune conclusion sur ce point. Je dois simplement qualifier les réclamations aux fins de la prescription.

[141]  Comme Samson le souligne, les droits que Samson cherche à protéger jouissent d’une reconnaissance spéciale en vertu de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, qui dispose que les fonds versés au Canada à titre de redevances pécuniaires sur la production de pétrole et de gaz doivent être détenues en fiducie à l’usage et au profit de Samson. Essentiellement, je pense qu’il est clair que les demandes sont fondées sur le manquement du Canada à un certain type d’obligations fiduciales ou d’obligations de la nature d’obligations fiduciaire (d’origine législative ou autre), de nature sui generis, en vertu desquelles le Canada était tenu de prémunir les demandeurs contre les conséquences indirectes du programme sur leur droit à redevances découlant du pétrole et du gaz produits dans leurs réserves.

[142]  Lors de l’appel formé à l’égard de la partie des actions concernant [traduction] « l’administration de l’argent », la Cour suprême du Canada a mis beaucoup de soin à qualifier la relation entre le Canada et les demandeurs et la nature des réclamations dans cette instance. Je ne vois pas pourquoi la relation devrait être différente aux fins de la présente partie des actions. À l’évidence, le Canada n’est pas dans la même situation qu’un fiduciaire de common law, et [traduction] « l’autre question concernant le pétrole et le gaz » est essentiellement une demande fondée sur un manquement à une obligation fiduciale dans un contexte où la relation fiduciale a certaines caractéristiques sui generis. Voici ce qu’a affirmé la Cour suprême (Ermineskin CSC, précité) :

[124]  Il faut maintenant déterminer si les mesures prises par la Couronne sur le fondement de la LGFP et de la Loi sur les Indiens, dont le recours à la formule applicable à l’argent des Indiens, étaient compatibles avec ses obligations fiduciales envers les bandes.

[125] Un principe fondamental sous‑tendant la relation fiduciale veut que le fiducial doive agir [traduction] « uniquement au bénéfice de l’autre, en faisant totalement abstraction de ses propres intérêts » (Waters, Gillen et Smith, p. 877). Il s’agit de l’obligation de loyauté, qui exige du fiducial qu’il évite tout conflit d’intérêts. Le fiducial doit se soustraire à toute situation où son obligation d’agir au seul bénéfice de la fiducie et de ses bénéficiaires entre en conflit avec ses propres intérêts ou ses obligations envers un tiers (voir Waters, Gillen et Smith, p. 877, et l’arrêt Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574, p. 646‑647).

[126] En common law, le fiduciaire ne peut emprunter une somme à la fiducie, car il en résulterait un conflit d’intérêts. Les bandes font valoir que la Couronne s’est placée en situation de conflit d’intérêts et qu’elle a donc manqué à ses obligations fiduciales envers elles en déposant leurs redevances au Trésor et en les gardant à sa disposition. À leur avis, le versement des redevances au Trésor et leur mise à la disposition de la Couronne équivalaient à un « prêt forcé » qui, en l’absence de leur consentement, était irrégulier ou illicite.

[127] La situation de la Couronne en tant que fiducial est unique en ce qui concerne les redevances et le paiement d’intérêts. La Couronne emprunte l’argent des bandes déposé dans le Trésor, mais cet emprunt est exigé par la loi. En effet, suivant le par. 61(2) de la Loi sur les Indiens, « [l]es intérêts sur l’argent des Indiens détenu au Trésor sont alloués au taux que fixe le gouverneur en conseil ». Comme le font remarquer les juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale, cet emprunt « constitue une conséquence inévitable de l’effet combiné de la Loi sur les Indiens et de la Loi sur la gestion des finances publiques » (par. 120).

[128] On ne saurait dire du fiducial qui se conforme à la loi qu’il manque à son obligation fiduciale. La situation que les bandes qualifient de conflit d’intérêts est une conséquence inhérente au régime législatif et elle est de ce fait inévitable.

[129] La situation de la Couronne lorsqu’elle fixe le taux de l’intérêt payé aux bandes est elle aussi unique. D’une part, elle a envers les bandes des obligations fiduciales, dont celles de faire preuve de loyauté et d’agir au mieux de leurs intérêts. D’autre part, elle doit payer l’intérêt dû aux bandes par prélèvement sur le trésor public, à savoir l’argent des contribuables. La Couronne a des obligations envers l’ensemble des Canadiens et une pondération des divers intérêts en jeu s’impose inévitablement.

[130] Comme le dit le juge Binnie dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245, par. 96, « [l]a Couronne ne saurait être un fiducia[l] ordinaire; elle agit en plusieurs qualités et représente de nombreux intérêts, dont certains sont immanquablement opposés ». En l’espèce, la Couronne doit prendre en considération non seulement les intérêts des bandes, mais également ceux des autres Canadiens lorsqu’elle fixe le taux de l’intérêt payé aux bandes.

[143]  À mon avis, mes motifs doivent s’accorder avec ce que la Cour suprême a déjà affirmé dans ces actions, et je dois conclure que cette qualification est également applicable à la présente partie des actions.

[144]  À la lecture des déclarations et des observations des deux demandeurs, j’ai certains doutes quant à savoir si certains des droits invoqués peuvent véritablement être considérés comme des droits issus d’un traité. Par exemple, les deux demandeurs invoquent la [traduction« gestion prudente » des redevances comme un droit issu d’un traité. Compte tenu de l’arrêt Ermineskin CSC, précité, il serait possible de soutenir que certains des actes reprochés ne mettent pas en cause un droit issu d’un traité et ne mettent donc pas en jeu le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. La Cour suprême du Canada a déjà décidé que les « investissements » ne sont pas un droit découlant du Traité n6 (voir Ermineskin CSC, précité, aux paragraphes 49 à 67).

[145]  Toutefois, selon ma lecture des déclarations et des observations des deux demandeurs, il me paraît clair que les demandeurs sollicitent des dommages‑intérêts pour la perte de revenus de redevances découlant du fait qu’ils n’ont pas été exemptés du programme. Le Canada a‑t‑il contracté une obligation issue d’un traité de ne pas assujettir les revenus de redevances tirés de l’exploitation du pétrole et du gaz dans la réserve au type de lois applicables à l’échelle du pays qui ont créé le programme? Cette question n’a pas été tranchée, et elle ne peut pas être tranchée en fonction du dossier dont je dispose. En conséquence, la présente requête doit être tranchée en tenant pour acquis que les déclarations des demandeurs invoquent des droits qui découlent du Traité no 6 et concernent un manquement allégué aux obligations découlant de la relation fiduciale sui generis entre les demandeurs et le Canada.

c)                  Les lois applicables sont celles de quelle province?

[146]  Le Canada affirme que l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales s’applique manifestement à la présente affaire, de sorte que les lois de l’Alberta en matière de prescription sont incorporées par renvoi. Le délai de prescription applicable est donc de six (6) ans.

[147]  Samson affirme que s’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à savoir si l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales s’applique constitutionnellement à ses demandes (et, pour les motifs exposés, je pense qu’il n’existe pas de question semblable), ce sont donc les lois de l’Ontario sur la prescription qui devraient s’appliquer.

[148]  Dans son argumentation écrite, Samson fait vigoureusement valoir ce qui suit sur ce point :

[traduction]

173.  Les manquements de la Couronne à ses obligations fiduciaires ou ses obligations de la nature d’obligations fiduciaires sui generis touchant la gestion de fonds, lesquels manquements sont l’objet de la présente action, sont donc survenus à Ottawa, en Ontario, lieu de la responsabilité constitutionnelle et légale relative aux décisions qui ont été prises (ou ne l’ont pas été) à l’égard des terres, des minéraux, des redevances et des fonds de Samson, y compris toute taxe à l’exportation du pétrole censément prélevée sur le pétrole de Samson. Le receveur général et le Trésor sont tous deux situés à Ottawa.

174.  Les lois applicables dans les actions concernant l’administration d’une fiducie, y compris les actions concernant la responsabilité des fiduciaires au titre de manquements à leurs obligations fiduciaires, sont celles du lieu de résidence des fiduciaires.

175.  Les lois applicables en matière de prescription sont donc celles du « lieu de résidence » légal de la Couronne; et puisque le situs légal de la Couronne est Ottawa, en Ontario, les lois de la province de l’Ontario en matière de prescription seraient applicables si le paragraphe 39(1) de la Loi sur les Cours fédérales peut s’appliquer et si les principes d’equity n’empêchent pas la Couronne en tant que fiduciaire d’invoquer de telles lois en matière de prescription.

[Note de bas de page omise.]

[149]  Il me semble que les mesures législatives pour la mise en vigueur du programme ont été prises à Ottawa et que certains éléments administratifs ont eu lieu ici. Toutefois, le programme ne visait pas les demandeurs et s’appliquait à l’échelle du Canada. Les réclamations des demandeurs concernent des redevances qui, selon eux, auraient dû être portées à leur crédit au titre de la production de pétrole et de gaz sur leurs terres de réserve en Alberta. Comme le souligne le Canada, les deux demandeurs et l’organisme d’État qui a administré les baux accordés aux producteurs pour le compte des demandeurs pendant la durée du programme (Ressources minérales des Indiens (Ouest), lequel est devenu plus tard Pétrole et gaz des Indiens du Canada) étaient situés en Alberta. De plus, les terres d’où le pétrole a été extrait sont situées en Alberta. Par ailleurs, comme l’a souligné Samson, les fonds perçus des producteurs au titre de la taxe puis des droits ont été versés au Trésor à Ottawa. Il me semble que, de ce fait, le Canada administrait le programme – ce qui a pu avoir des répercussions indirectes sur les demandeurs – et ne tentait pas d’exécuter ni de modifier les obligations fiduciales ou les obligations de la nature d’obligations fiduciaires que le Canada avait envers les demandeurs.

[150]  Des arguments semblables aux arguments qui me sont présentés maintenant ont été présentés à la Cour d’appel fédérale par Samson lorsque la Cour a tranché l’appel des demandeurs concernant les parties antérieures du présent litige. Seul le juge Sexton, dissident, a répondu à ces arguments, mais, malgré le fait que le juge Sexton ait considéré qu’il s’agissait d’une action pour manquement aux obligations fiduciaires, je ne vois pas de raison de m’écarter de son raisonnement dans la présente espèce de quelque manière qui puisse soulever une question litigieuse (Ermineskin CAF, précité, aux paragraphes 324 à 326).

[151]  Ermineskin ne souscrit pas à la position de Samson sur cette question et, dans son argumentation écrite, elle formule les points suivants, lesquels sont instructifs :

[traduction]

113.  Dans des affaires découlant de cessions, les tribunaux ont toujours appliqué les lois sur la prescription de la province dans laquelle la cession avait eu lieu, en vertu du paragraphe 39(2) [sic]. C’est, selon Ermineskin, logique puisque la cession est habituellement l’instrument qui confirme l’exécution des obligations fiduciales et fiduciaires qui découlent du rôle discrétionnaire de la Couronne à l’égard des biens d’une bande. Pour ce qui est de l’argent d’Ermineskin provenant de redevances, la relation est une fiducie, et le traité et la cession sont l’instrument de fiducie. La relation fiduciaire est au cœur des questions en litige dans la présente affaire.

114.  La cause d’action dans la présente affaire est très fortement reliée à l’Alberta et n’est liée d’aucune manière que ce soit à aucune autre province :

a)         les modalités de la fiducie tirent leur origine du Traité no 6, auquel Ermineskin a adhéré en Alberta;

b)        les redevances, actuelles ou éventuelles, réclamées au titre du programme énergétique tirent leur source des terres situées en Alberta;

c)         la fiducie résulte de la cession de ces terres en Alberta;

d) les bénéficiaires de la fiducie sont en Alberta;

e)         le dommage est subi où se trouvent les bénéficiaires, soit en Alberta.

115.  La résidence du fiduciaire n’est pas un facteur pertinent dans la présente affaire. Autrement dit, la Couronne fédérale n’a aucune résidence provinciale : « La Couronne est présente partout au Canada et peut être poursuivie n’importe où au Canada. »

[Citations omises.]

[152]  En conséquence, j’estime que sur ce point il n’existe aucune question litigieuse. L’Alberta présente « le lien le plus étroit » avec les manquements à des obligations fiduciales et des obligations de la nature d’obligations fiduciaires dont il est question dans la présente requête.

d)                 Le délai de prescription de l’Alberta pertinent

[153]  Les dispositions pertinentes de la LAA en vigueur au moment où les demandeurs ont introduit leurs actions étaient libellées comme suit :

[traduction]

4(1) Les actions suivantes se prescrivent par les délais respectifs indiqués ci‑dessous :

[...]

c) les actions

(i) en recouvrement d’une somme d’argent, sauf celle relative à une créance grevant un bien‑fonds, que cette somme d’argent soit recouvrable à titre de dette, de dommages‑intérêts ou à un autre titre, et que cette somme découle d’un engagement, d’un cautionnement, d’un contrat, d’un contrat scellé ou d’une convention verbale, expresse ou tacite;

(ii) en reddition de compte ou pour non‑reddition de compte;

se prescrit par six ans, à compter de la naissance de la cause d’action;

[...]

e) une action fondée sur [...] un autre motif de recours reconnu en equity, sauf les motifs mentionnés aux alinéas ci‑dessus, se prescrit par six ans, à compter de la découverte de la cause d’action;

[...]

g) toute autre action qui ne fait pas explicitement l’objet d’une disposition de la présente loi ou d’une autre loi se prescrit par six ans, à compter de la naissance de la cause d’action.

[154]  J’ai déjà conclu que les réclamations des demandeurs sont fondées sur des manquements à des obligations fiduciales ou de la nature d’obligations fiduciaires que le Canada, selon ce qu’affirment les demandeurs, a envers eux dans les circonstances de la présente espèce. À mon avis, le délai de prescription applicable est donc clairement de « six ans, à compter de la découverte de la cause d’action » en vertu de l’alinéa 4(1)e) de la LAA. L’alinéa 4(1)e) se trouve également à être le délai de prescription le plus avantageux pour les demandeurs. Je tiendrai donc pour acquis que c’est l’alinéa 4(1)e) qui s’applique, parce que, même si les demandes sont qualifiées autrement et relèvent de l’alinéa 4(1)c) ou de l’alinéa 4(1)g), cela n’est d’aucun secours pour les demandeurs.

[155]  Les demandeurs soulèvent divers arguments pour éviter l’applicabilité de l’alinéa 4(1)e). Aucun de ces arguments n’est convaincant ni ne soulève de véritable question litigieuse.

[156]  Tout d’abord, les demandeurs affirment que leurs demandes sont fondées sur un manquement à une obligation fiduciaire, de sorte que, lorsque les articles 40 et 41 de la LAA sont lus conjointement avec l’article 14 de la Judicature Act de l’Alberta, il n’y a aucun délai de prescription applicable.

[157]  Ce que les demandeurs font maintenant valoir est que le Canada a agi en tant que fiduciaire de common law envers les demandeurs durant la période au cours de laquelle le programme a eu des incidences sur leurs redevances et ils étaient les bénéficiaires de la fiducie. Il me semble que ce n’était clairement pas le cas et que ce n’est toujours pas le cas. La Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes oblige le Canada au paiement, « en fiducie » pour les demandeurs, de redevances (voir le paragraphe 4(1)), mais même les demandeurs affirment que le Canada a des obligations fiduciales ou de la nature d’obligations fiduciaires dans leur argumentation. En fait, la Cour suprême du Canada a affirmé, lorsqu’elle a disposé de l’appel antérieur dans le présent litige, que ni le Traité n6 ni la renonciation de 1946 ni la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes n’étayaient une intention d’imposer les obligations d’un fiduciaire de common law au Canada à l’égard des redevances. Voir Ermineskin CSC, précité, aux paragraphes 50, 72 à 74 et 85. Mes conclusions doivent s’accorder aux conclusions antérieures tirées dans le présent litige, et je ne vois pas de véritable question litigieuse sur ce point.

[158]  Il semblerait également que la Judicature Act de l’Alberta n’aide pas les demandeurs. Dans le jugement Lameman ABQB, précité, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a conclu que la partie 7 de la LAA avait implicitement abrogé l’article 14 de la Judicature Act, de sorte que des délais de prescription s’appliquaient aux demandes fondées sur un manquement à des obligations fiduciaires introduites entre 1980 et 1990. Les seules exceptions sont énoncées au paragraphe 126 du jugement prononcé par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta dans Lameman ABQB :

[traduction]

L’effet global des lois protégeant les fiduciaires entre 1903 et 1999 est le suivant :

a)  L’article 40 et l’alinéa 41(2)a) ont pour effet combiné de permettre aux fiduciaires de se prévaloir de délais de prescription, sous réserve de certaines exceptions.

b)  Ces exceptions comprennent en particulier les suivantes :

(i) en vertu de l’exception prévue au paragraphe 41(2), le manquement frauduleux aux obligations de quelque fiduciaire que ce soit est imprescriptible, et

(ii) en vertu de l’exception prévue au paragraphe 41(2), les actions visant à recouvrer des biens en fiducie ou leurs produits encore conservés par le fiduciaire, ou que le fiduciaire a détournés pour son propre usage, sont imprescriptibles.

c) L’alinéa 41(2)b) édicte un délai de prescription par défaut de six ans, qui confirme essentiellement que les alinéas 41(1)c) et g) s’appliquent aux fiduciaires : voir Bande indienne de Wewaykum, précité, au paragraphe 131; Fairford First Nation v Canada (Attorney General), [1999] 2 C.N.L.R. 60 (C.F., 1re inst.), au paragraphe 287.

Ces dispositions s’appliquaient aussi bien aux véritables fiduciaires qu’à bon nombre de fiduciaux : voir Bande indienne de Wewaykum, précité.

[159]  En outre, je ne vois aucune raison d’établir une distinction avec l’analyse du juge Sexton sur ce point (Ermineskin CAF, précité) :

b.  L’article 14 de la Judicature Act de l’Alberta empêche‑t‑il la Couronne d’invoquer la Limitation of Actions Act de cette même province?

[327] Les appelants soutiennent que, si la Cour en arrive à la conclusion que l’abus de confiance a été commis en Alberta, aucun délai de prescription légal ne s’applique à eux en vertu de l’article 14 de la Judicature Act, R.S.A. 1980, c. J‑1, dont voici le libellé :

[traduction]

Aucune loi portant sur la prescription ne peut être interprétée de façon à limiter le droit du bénéficiaire d’introduire une cause ou une affaire contre le fiduciaire à l’égard des biens qu’il détient en conformité avec une fiducie explicite ou à l’égard de tout manquement de sa part à ses obligations de fiduciaire.

[328] Les défendeurs répondent cependant que l’article 14 de la Judicature Act ne s’applique pas, parce qu’il a été modifié par les articles 40 et 41 de la Limitation of Actions Act de l’Alberta, dont le texte est le suivant :

[traduction]

40 Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, aucune loi portant sur la prescription ne peut être interprétée de façon à limiter le droit du bénéficiaire d’introduire une cause ou une affaire contre le fiduciaire à l’égard des biens qu’il détient en conformité avec une fiducie explicite ou à l’égard de tout manquement de sa part à ses obligations de fiduciaire.

41 (1) Dans le présent article, « fiduciaire » s’entend également d’un exécuteur testamentaire, d’un administrateur, d’un fiduciaire dont la fiducie prend naissance de façon judiciaire ou implicite, de même que d’un fiduciaire expressément désigné et d’un fiduciaire conjoint.

(2) Dans une action contre un fiduciaire ou l’ayant droit d’un fiduciaire,

a) les droits et privilèges conférés par la présente loi s’exercent de la même manière et dans la même mesure que si, dans cette action, le fiduciaire ou son ayant droit n’avait pas été un fiduciaire ou un ayant droit du fiduciaire;

b) si l’action est intentée pour recouvrer du numéraire ou d’autres biens et est une action à laquelle ne s’applique aucune disposition de la présente loi relative à la prescription, le fiduciaire ou son ayant droit peut invoquer et opposer à cette action le délai de prescription qu’ils auraient pu invoquer ou opposer si la réclamation avait été faite contre eux dans une action pour dette et peuvent le faire de la même manière et dans la même mesure que dans ce dernier cas,

sauf lorsque la réclamation est fondée sur une fraude ou un manquement frauduleux aux obligations du fiduciaire auquel le fiduciaire était partie ou dont il était complice, ou lorsqu’elle vise à recouvrer des biens en fiducie ou leurs produits, encore conservés par le fiduciaire ou antérieurement reçus par lui et détournés à son usage.

[329] Il n’est pas facile de concilier l’article 14 de la Judicature Act et les articles 40 et 41 de la Limitation of Actions Act. Les décisions sont contradictoires et aucune cour d’appel ne s’est prononcée. Cependant, les commentaires que le juge Girgulis a formulés dans Nilsson Livestock Ltd. v. MacDonald (1993), 140 A.R. 214 (B.R.) (Nilsson Livestock), m’apparaissent très convaincants. Le juge Girgulis a décidé, aux paragraphes 61 à 71, qu’il n’y avait pas incompatibilité entre l’article 14 de la Judicature Act et la partie 7 de la Limitation of Actions Act de l’Alberta, qui concerne les actions intentées par les bénéficiaires d’une fiducie et comprend les articles 40 et 41. Il a plutôt conclu que l’article 14 de la Judicature Act et l’alinéa 41(2)b) de la Limitation of Actions Act énoncent des exceptions à l’applicabilité générale de la législation sur la prescription aux fiduciaires. Plus précisément, il a décidé que, lorsqu’il est interprété correctement, l’article 14 de la Judicature Act empêche l’application de la législation sur la prescription aux fiduciaires qui ont encore en leur possession les biens de la fiducie, qu’ils les aient obtenus en conformité avec une fiducie explicite ou par suite d’un manquement à leur obligation fiduciaire. Dans la même veine, le juge Girgulis a conclu que l’article 41 de la Limitation of Actions Act prévoit d’autres exceptions; ainsi, il empêche l’application des délais de prescription aux réclamations fondées sur une conduite frauduleuse ou aux réclamations visant à recouvrer des biens encore retenus par le fiduciaire ou antérieurement reçus par lui et convertis à son usage. En conséquence, suivant l’interprétation que le juge Girgulis donne aux deux dispositions législatives, il est possible de lire les deux ensemble sans qu’il soit nécessaire de donner préséance à l’une ou à l’autre.

[330] L’interprétation proposée dans Nilsson Livestock est très convaincante, parce qu’elle va de pair avec la présomption de cohérence au sein de l’ensemble des lois adoptées par le législateur. Comme l’a dit Ruth Sullivan dans Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd., à la page 263 : [traduction] « l’ensemble des lois adoptées par l’assemblée législative est présumé ne pas comporter de contradictions ou d’incohérences, chaque disposition étant capable de s’appliquer sans entrer en conflit avec une autre ». Selon l’interprétation que le juge Girgulis donne aux deux lois, il est possible d’appliquer les deux textes législatifs sans que cette application donne lieu à un conflit.

[331] De plus, l’interprétation que le juge Girgulis fait de la législation va de pair avec le texte clair de l’article 14 de la Judicature Act, qui énonce que les délais de prescription n’empêchent pas le bénéficiaire d’introduire une cause [traduction] « contre le fiduciaire à l’égard des biens ». Les bénéficiaires devraient en tout temps pouvoir exercer un recours contre le fiduciaire qui détient leurs biens, étant donné que la conduite inappropriée du fiduciaire à cet égard pourrait constituer un nouveau manquement chaque jour où elle se poursuit. Qui plus est, cette interprétation de la législation ne prive pas arbitrairement le fiduciaire de l’ensemble des protections normales dont les autres défendeurs bénéficient en vertu de la loi sur la prescription, mais restreint plutôt l’utilisation de la législation par le fiduciaire aux cas où la nature spéciale du lien fiduciaire l’exige.

[332] Dans la présente affaire, l’action ne vise pas à recouvrer les biens détenus par le fiduciaire, mais plutôt des dommages‑intérêts et, en conséquence, l’article 14 ne s’applique pas de façon à empêcher la Couronne d’invoquer une défense fondée sur la prescription en l’espèce. De plus, aucune allégation de conduite frauduleuse n’a été formulée contre la Couronne. C’est pourquoi les appelants ne peuvent invoquer l’une ou l’autre des exceptions énoncées au paragraphe 41(2) quant à l’application du délai de prescription.

[160]  J’estime qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à l’applicabilité de l’une quelconque de ces exceptions en l’espèce, de sorte que, même si les demandes pouvaient être considérées comme étant fondées sur un manquement à une obligation fiduciaire, elles sont tout de même assujetties à un délai de prescription de six (6) ans.

[161]  Je m’explique : même si les demandeurs allèguent des comptes [traduction] « théoriques » pour leur droit à redevances, il n’y a, en fait, aucun bien fiduciaire, ni aucun produit d’aucun bien fiduciaire, qui se trouvait en la possession du Canada à l’époque pertinente ou qui avait été détourné pour l’usage du Canada. Les éléments de preuve dont je dispose démontrent clairement que la taxe à l’exportation et les droits en vertu du programme ont été imposés aux producteurs et non aux demandeurs. Les producteurs ont payé une redevance au Canada qui était un pourcentage des produits de la vente de la production de pétrole et de gaz. Ces fonds correspondant aux redevances ont été mis en commun avec des fonds publics dans le Trésor et ont été utilisés pour subventionner les coûts de l’énergie dans l’est du Canada. C’est pourquoi il n’y a jamais eu de bien fiduciaire ou produit d’un bien fiduciaire que les demandeurs pourraient réclamer. Dans la partie de leurs actions qui est reliée au programme, les demandeurs cherchent à être indemnisés de la perte indirecte qu’ils ont subie comme conséquence du programme. Les seuls fonds qui pourraient être décrits comme un élément d’actif fiduciaire étaient les redevances qui, en fait, ont été payées au Canada et ont été détenues en fiducie pour les demandeurs à l’époque pertinente. Les demandeurs ne réclament pas ces fonds dans la présente partie de l’action. Les demandeurs font une réclamation au titre de la perte de fonds qui, selon eux, auraient dû être payés, mais ne l’ont pas été à cause des répercussions du programme.

[162]  Le dossier indique que la production pétrolière a été dissociée des terres des demandeurs et, en vertu de baux, a été raffinée et vendue par des producteurs. Les demandeurs ont donc cessé d’avoir un intérêt dans le pétrole et le gaz.

[163]  En outre, il n’y a aucune preuve d’un manquement frauduleux à une obligation fiduciaire qui pourrait faire en sorte que l’exception énoncée dans le jugement Lameman ABQB, précité, soit applicable aux demandes reliées au programme.

[164]  Les demandeurs soutiennent également que leur intérêt dans leur droit à redevances n’est pas encore devenu un droit actuel, de sorte qu’en vertu du paragraphe 40(3) de la LAA, aucun délai de prescription n’a commencé à courir. Là encore, j’estime que cet argument repose clairement sur une erreur quant à la nature de la perte indirecte de laquelle les demandeurs cherchent à être indemnisés.

[165]  Les bénéficiaires qui n’ont pas un droit actuel (soit un droit d’occupation ou de possession effective d’un bien fiduciaire ou un droit d’en jouir) et dont l’intérêt est un simple résidu, réversion ou expectative (voir Stroud’s Judicial Dictionary of Words and Phrases, 8e éd., sub verbo « possession : real property ») se retrouvent dans une situation particulière dans le contexte d’un litige. Ainsi que l’a souligné la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Lamport v Thompson, [1940] 2 DLR 619, au paragraphe 22 de la page 640, [1940] OR 201, à la page 229 (C.S.J.) :

[traduction]

Cette interprétation de la loi est, je pense, en accord avec son objet. Un bénéficiaire dont l’intérêt dans une fiducie n’est pas encore devenu un droit actuel n’est pas nécessairement pleinement conscient de l’importance de le protéger. L’intérêt peut être conditionnel, et il se peut que le bénéficiaire ait peu de chances d’en tirer quelque avantage que ce soit, de sorte que le bénéficiaire n’aurait pas de motif valable de s’adresser aux tribunaux pour le protéger. L’on peut raisonnablement supposer que ce sont des considérations de ce genre qui ont mené à la promulgation de la disposition corrective en question. Toutefois, lorsque le bénéficiaire a un droit actuel, la raison qui expliquait son inaction a cessé d’exister. Il devrait alors être soucieux de protéger son intérêt ou ses intérêts. Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que la Loi sur la prescription s’applique et constitue une réponse à la présente demande.

[166]  Les demandeurs ne se trouvent pas du tout dans cette situation. Les éléments de preuve démontrent clairement que, tout au long de la période d’existence du programme, et peu importe comment l’intérêt des demandeurs est décrit, il s’agissait d’un droit actuel. Les demandeurs avaient le droit de recevoir des redevances et d’en jouir et ils étaient pleinement conscients de l’incidence du programme sur ce droit à redevances. Leur intérêt n’a jamais été conditionnel. Je ne vois aucune véritable question litigieuse sur ce point.

[167]  Je conclus qu’il n’y a pas de question sérieuse à trancher quant à l’applicabilité du paragraphe 4(1) de la LAA en l’espèce. À mon avis, c’est le délai de prescription de six (6) ans prévu à l’alinéa 4(1)e) de la LAA qui s’applique. Toutefois, même si le manquement qui fonde la demande était qualifié autrement, par exemple s’il s’agissait d’un manquement à une obligation fiduciaire, le délai de prescription prévu à l’alinéa 4(1)e) demeure le plus avantageux. Les éléments de preuve seront examinés pour déterminer si la demande a été introduite dans les six ans de la découverte véritable de l’existence de la réclamation.

e)                  À quel moment le délai de prescription a‑t‑il commencé à courir?

[168]  En vertu de l’alinéa 4(1)e) de la LAA, le délai de prescription de six (6) ans a commencé à courir lorsque les demandeurs ont découvert la cause d’action. Dans le présent contexte, la découverte s’entend du moment à partir duquel les demandeurs connaissaient tous les faits qu’ils devaient connaître pour pouvoir présenter leurs réclamations relatives aux pertes qu’ils avaient subies à cause des incidences indirectes du programme. Voir Luscar Ltd., précité, au paragraphe 141. Dans l’arrêt Lameman CSC, précité, la Cour suprême du Canada a fait les observations suivantes sur ce point :

[16]   La Cour a défini le moment auquel une cause d’action prend naissance dans Central Trust Co. c. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147, p. 224 :

... une cause d’action prend naissance, aux fins de la prescription, lorsque les faits importants sur lesquels repose cette cause d’action ont été découverts par le demandeur ou auraient dû l’être s’il avait fait preuve de diligence raisonnable ... [Nous soulignons.]

[17]   On fait valoir que les causes d’action invoquées en l’espèce auraient pu être découvertes dès les années 1880 et 1890. Mais il n’est pas nécessaire, à notre avis, de remonter aussi loin. Il ressort de la preuve déposée par le gouvernement que, dans les années 1970, les demandeurs auraient pu constater, à l’évidence, l’existence des causes d’action qui sont maintenant invoquées, s’ils avaient fait preuve de diligence raisonnable. Au milieu des années 1970, un avocat d’Edmonton, James C. Robb, a écrit à plusieurs reprises au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien au nom de descendants non identifiés de la bande Papaschase pour demander des renseignements. La correspondance qui a suivi révèle que, en 1974, un groupe de descendants de la bande Papaschase avait l’intention de présenter une revendication territoriale [traduction] « dans un proche avenir ». Ces faits laissent croire à une certaine connaissance réelle des faits pertinents, mais il y a plus. Lorsque le ministère a informé Me Robb que la bande Enoch avait déjà présenté une revendication au sujet de la cession de la réserve Papaschase, Me Robb a répondu qu’une revendication conjointe ne serait pas possible. Ayant été informés de la revendication de la bande Enoch, ces descendants de la bande Papaschase savaient que la bande Enoch avait réuni l’information pertinente ou était en train de la réunir. En 1979, du reste, la bande Enoch a aidé financièrement Kenneth James Tyler à rédiger un mémoire de maîtrise sur les événements relatifs à la cession de la réserve Papaschase. Le mémoire de M. Tyler relate la plupart, voire la totalité des faits à l’origine des demandes formulées dans la présente action. Dans le cadre de sa recherche, M. Tyler s’est entretenu avec plusieurs anciens de la bande Enoch. Il est donc clair que des membres de la bande Enoch étaient au courant, en 1979, des faits sur lesquels l’action est fondée. Le juge en chambre a conclu, à la lumière de l’ensemble de la preuve, que toute partie intéressée faisant preuve de la diligence requise aurait découvert les mêmes faits que M. Tyler.

[169]  Ainsi que l’a clairement dit le juge Sexton lorsque la Cour d’appel fédérale s’est prononcée sur les parties antérieures de la présente action, c’est la découverte des faits, et non du droit, qui importe :

[334] Cependant, la possibilité de découvrir la preuve ne s’applique qu’aux faits d’une situation et non aux règles de droit. Dans Luscar Ltd. v. Pembina Resources Ltd. (1994), 162 A.R. 35 (C.A.), le juge Conrad a conclu, au paragraphe 127, que [traduction] « la possibilité de découvrir la preuve concerne les faits et non les règles de droit. L’erreur de droit, l’ignorance du droit ou encore l’incertitude d’une règle de droit n’a pas pour effet de reporter un délai de prescription ». La Cour a également décidé, en mentionnant explicitement la loi sur la prescription de l’Alberta applicable en l’espèce, que [traduction] « les causes d’action au sens où cette expression est employée à l’alinéa 4(1)e) de la Limitation of Actions Act renvoient aux faits et non aux principes de droit ». De plus, la Cour a ajouté que la clarification ou l’évolution subséquente des règles de droit n’a pas pour effet de reporter la possibilité de découvrir la preuve des faits pertinents de façon à prolonger le délai de prescription et qu’il incombe à la partie appelante de réfuter la possibilité de découvrir la preuve lorsque la partie intimée invoque un délai de prescription.

[170]  Les éléments de preuve que le Canada a présentés à la Cour démontrent clairement que les demandeurs connaissaient tous les faits qu’ils devaient connaître pour pouvoir formuler les présentes demandes dans les années 1970. D’ailleurs, les demandeurs avaient entamé des négociations politiques à cette époque pour tenter d’être mis à l’abri des incidences indirectes du programme sur leurs droits à redevances. Au plus tard en 1978, les demandeurs devaient savoir sans l’ombre d’un doute que le Canada avait rejeté leurs revendications politiques et que leur seul recours consistait à s’adresser aux tribunaux. D’ailleurs, les éléments de preuve documentaire démontrent clairement qu’ils ont envisagé de s’adresser aux tribunaux. Même si une solution politique n’était plus possible et les demandeurs envisageaient de s’adresser aux tribunaux, ce n’est qu’en 1989 que Samson a intenté une action en justice, et ce n’est qu’en 1992 qu’Ermineskin a intenté une action en justice. Les deux demandes ont été introduites bien après la période applicable de six ans.

(i)                 La preuve

[171]  La documentation dont la Cour dispose sur cette question est détaillée, complète et fiable. À mon avis, elle démontre on ne peut plus clairement que les demandeurs et leurs conseillers étaient parfaitement au courant du programme et de ses incidences sur leurs droits ancestraux, issus de traités et autres (en particulier, le revenu de redevances des demandeurs) depuis le moment où le Canada avait mis le programme en œuvre. La plupart des documents proviennent de dossiers gouvernementaux et ont été produits aux fins des actions sous‑jacentes. Il y a également des extraits du hansard et des Débats de la Chambre des communes datant de l’époque pertinente où des députés et des ministres ont abordé et défendu à plusieurs reprises les revendications formulées par les demandeurs relativement au programme. La preuve révèle que des positions claires ont été énoncées et communiquées aux demandeurs tout au long de cette époque. Il y a également de la documentation provenant des demandeurs et de leurs avocats et leurs conseillers (résolutions du conseil de bande [RCB], procès‑verbaux de réunions, notes de service, correspondance et autres documents du même genre) qui démontrent également de manière on ne peut plus claire que les demandeurs étaient parfaitement au courant de tous les faits dont ils avaient besoin pour pouvoir introduire leurs actions dans les années 1970. En général, la Cour dispose de documents objectifs d’organisations qui ne pourraient pas être plus clairs et qui n’obligent pas la Cour à tirer des inférences parce qu’ils concernent directement les réclamations précises dont il est ici question.

[172]  Étrangement, en revanche, la Cour ne dispose d’aucun témoignage provenant de personnes désignées dans la documentation qui contestent leur signification évidente. À ce stade‑ci, bon nombre de ces personnes sont certes décédées, mais la Cour est préoccupée en particulier par le fait que, dans le cadre d’une requête où les demandeurs doivent présenter leurs meilleurs arguments, ils n’ont pas fait témoigner Me Roddick, qui a agi pour leur compte tout au long de la période pertinente et qui – comme la documentation le révèle à l’évidence – a joué un rôle de premier plan dans le cadre des démarches entreprises pour protéger les droits et les redevances des demandeurs contre les incidences défavorables du programme. Maître Roddick a témoigné pour le compte de Samson dans le cadre des parties antérieures des actions dont il est ici question, et ses connaissances et sa participation auraient été fort utiles pour permettre à la Cour de trancher les questions auxquelles elle doit répondre dans le cadre de la présente requête. Les excuses que les demandeurs ont données pour expliquer qu’ils n’aient pas demandé à Me Roddick de témoigner ne sont pas convaincantes, mais le fait que ni lui ni aucune des personnes activement engagées à l’époque pertinente n’aient témoigné signifie qu’en ce qui concerne les questions de connaissance, la cause du Canada est des plus solides.

[173]  Le dossier de preuve volumineux et, en résumé, voici ce qu’il révèle :

a) Les demandeurs ont tout de suite su lors de la mise en œuvre du programme quelles incidences défavorables il aurait sur leurs droits à redevances. Le 19 septembre 1973, les chefs, conseillers et administrateurs de bandes du district d’Edmonton‑Hobemma ont écrit à Edward Moore, superviseur de district de Ressources minérales des Indiens (Ouest), ministères des Affaires indiennes et du Nord canadien [Affaires indiennes], pour lui demander des renseignements sur les effets que la nouvelle taxe à l’exportation aurait sur leurs redevances (affidavit de Debra Lee Degenstein, souscrit le 29 août 2013 [affidavit de Mme Degenstein], pièce 6). Le 28 septembre 1973, M. Moore a répondu que si le Canada n’avait pas mis en œuvre la nouvelle taxe, ou le gel des prix comme elle avait été décrite initialement, les revenus de redevances des demandeurs auraient augmenté de dix pour cent. Il a également fait savoir qu’il était [traduction« hautement improbable » que les fonds perçus au titre de la taxe soient remis aux demandeurs (affidavit de Mme Degenstein, pièce 7). Voir également le procès‑verbal de la réunion spéciale des quatre bandes, daté du 21 janvier 1974, réunion à laquelle ont assisté des représentants des quatre bandes, Me Roddick et des représentants d’Affaires indiennes. Les chefs des bandes ont proposé de tenter d’obtenir la totalité de la taxe à l’exportation (affidavit de Mme Degenstein, pièce 13);

b) Tout au long des années 1970, les demandeurs ont consacré beaucoup d’efforts pour convaincre les gouvernements (fédéral et provincial) de les mettre à l’abri des incidences défavorables du programme sur leurs redevances. Voir, par exemple, une résolution du conseil de bande, datée du [illisible] février 1974, aux termes de laquelle les quatre bandes ont demandé que tous les revenus tirés de la réserve soient remis aux quatre bandes et qu’une [traduction« consultation immédiate soit entreprise auprès du ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources aux fins de la remise des revenus perçus à ce jour » (affidavit de Mme Degenstein, pièce 18). Voir également l’affidavit Degenstein, pièce 22, qui est un compte‑rendu, fait par un représentant du ministère des Finances, d’une réunion des quatre bandes à laquelle il avait assisté le 6 février 1974. Il dit qu’environ le quart des représentants des quatre bandes étaient présents, en plus de deux avocats (dont Me Roddick) et de représentants des ministères de la Justice, des Finances et des Affaires indiennes et de Ressources minérales des Indiens. L’objet de la réunion était de discuter de la demande des quatre bandes visant les [traduction« revenus tirés de la taxe fédérale à l’exportation imposée sur le pétrole ». Voir également l’affidavit de Mme Degenstein, pièce 48, qui est une lettre de Me Roddick à Affaires indiennes, datée du 24 avril 1975, demandant la position d’Affaires indiennes et des nouvelles sur la question de savoir si des démarches avaient été faites auprès du ministère des Finances aux fins de la remise de la taxe à l’exportation;

c) Les demandeurs ont tenté à maintes reprises de trouver une solution politique pour faire respecter leurs droits, mais ils étaient parfaitement conscients qu’il leur était loisible de s’adresser aux tribunaux, et ils ont même menacé de le faire. Voir, par exemple, la lettre de M. Moore adressée à plusieurs bandes (dont les demandeurs), datée du [illisible] mars 1974, dans laquelle il décrit en détail les effets de la Loi sur la taxe d’exportation du pétrole. Il terminait en écrivant : [traduction« Si l’une ou l’autre des bandes souhaite bénéficier d’une représentation additionnelle, par exemple en faisant appel à des avocats ou d’autres professionnels, nous apprécierions beaucoup en être avisés afin que nous puissions coordonner nos efforts et nous assurer que nos démarches respectives n’entrent pas en conflit. » (affidavit de Mme Degenstein, pièce 29) Voir également la pièce 36, où M. Moore répondait à une lettre des bandes, dont les demandeurs, aux termes de laquelle ceux‑ci demandaient des renseignements additionnels concernant la taxe à l’exportation et ses effets. Monsieur Moore terminait sa réponse par le commentaire suivant : [traduction« Je crois que les bandes qui sont les plus grandes productrices de pétrole voudront peut‑être consulter de manière plus détaillée Me Roddick ou d’autres conseillers juridiques. »Voir également la pièce 44, qui est un compte‑rendu écrit d’une réunion du conseil des quatre bandes, daté du 17 décembre 1974, réunion à laquelle ont tous deux assisté Me Roddick et M. Moore, et une note qui indique que M. Moore avait fait savoir qu’après avoir rencontré des représentants du ministère des Finances, il n’y avait [traduction« aucune chance d’obtenir la moindre portion de la taxe à l’exportation ». Monsieur Moore disait qu’il avait proposé au ministère des Finances de [traduction« bien réfléchir à la position qu’il adopte, à la lumière du fait que les quatre bandes ne sont pas à court d’argent et qu’elles pourraient l’amener devant les tribunaux rapidement ». Voir également l’affidavit de Mme Degenstein, pièce 88, qui est un compte‑rendu d’un appel téléphonique de Me Roddick (la question n’est pas claire de savoir qui était l’interlocuteur de Me Roddick, mais le compte‑rendu porte des étampes de Texaco et d’Amoco), daté du 4 décembre 1979, qui indique que Me Roddick avait dit qu’il était [traduction« prêt à déposer une action contre la Couronne concernant la taxe à l’exportation du pétrole si cela s’avérait nécessaire, mais qu’il ne le ferait pas avant d’avoir la certitude que rien n’est fait à Ottawa pour améliorer la situation »;

d)     Les conseils de bande étaient très attentifs aux problèmes, et ils ont pris des mesures appropriées pour tenter de faire obstacle aux incidences défavorables du programme. Voir, par exemple, le procès‑verbal de la réunion spéciale des quatre bandes, daté du 6 décembre 1973, réunion au cours de laquelle les participants ont discuté d’un atelier de discussion portant sur les effets de la taxe à l’exportation et ont fixé une date pour la tenue de cet atelier (affidavit de Mme Degenstein, pièce 10). Voir également une RCB exigeant que tous les revenus tirés de la taxe à l’exportation soient remis, datée du [illisible] février 1974 (affidavit de Mme Degenstein, pièce 18); une réunion régulière des quatre bandes, datée du 18 novembre 1975, au cours de laquelle les participants ont discuté de l’importance que les bandes productrices de pétrole présentent une position unifiée (affidavit de Mme Degenstein, pièce 55); une réunion spéciale des chefs et conseils des quatre bandes sur le pétrole et la taxe à l’exportation, datée du 21 juin 1976, au cours de laquelle un comité de recherche a été constitué et il a été demandé à Me Roddick de produire un mémoire exposant son avis juridique concernant la taxe à l’exportation (affidavit de Mme Degenstein, pièce 57);

e) Plusieurs ministères (notamment Affaires indiennes) et fonctionnaires du gouvernement ont appuyé les demandeurs dans leurs efforts visant à les mettre à l’abri des incidences du programme. Voir en particulier les efforts déployés par Affaires indiennes pour faire valoir la position des demandeurs au sujet de la question de la taxe à l’exportation auprès du Cabinet (affidavit de Mme Degenstein, pièces 74, 77 et 79);

f)  Les demandeurs ont bénéficié, durant toute l’époque pertinente, d’un soutien éclairé et efficace notamment de M. Schellenberger, le député de Wetaskiwin, et de leur avocat, Me Roddick, dont les efforts inlassables pour le compte des demandeurs ressortent à l’évidence de toute la documentation. Voir la pièce 16, où M. Schellenberger a écrit au ministre des Affaires indiennes pour demander à ce que les demandeurs soient consultés au sujet des plans du Canada concernant la distribution des fonds tirés de la taxe à l’exportation. Voir également la pièce 13, où M. Schellenberger a assisté à une réunion spéciale des quatre bandes et a [traduction« informé le conseil que si, à quelque moment que ce soit, le conseil a besoin de son aide, il sera disposé à le rencontrer ». Voir également la pièce 12, où Me Roddick a assisté à une [traduction« Conférence sur les revenus des bandes indiennes provenant du pétrole et du gaz » représentant [traduction« certaines bandes dont le groupe Hobbema » (dont les demandeurs faisaient partie). Voir également la pièce 20, où MRoddick a écrit au sous‑ministre adjoint des Affaires indiennes pour l’aviser que plusieurs bandes, dont les demandeurs, souhaitaient une remise de la taxe à l’exportation.

[174]  Au bout du compte, les éléments de preuve démontrent que le Cabinet fédéral a définitivement rejeté les demandes de remise présentées par les demandeurs pour leurs redevances perdues. Puis, à la fin des années 1970, Me Roddick a menacé d’intenter une action en justice pour faire valoir les droits des demandeurs et recouvrer leurs pertes. Voir l’affidavit de Mme Degenstein, pièce 88. Toutefois, le dossier dont je dispose démontre qu’aucune demande n’a été déposée par les demandeurs en rapport avec le programme jusqu’à ce que de telles demandes soient incluses dans le cadre de la présente instance, respectivement en 1989 et en 1992, et longtemps après l’expiration du délai de prescription pertinent.

[175]  Les demandeurs n’ont pas sérieusement contesté les faits de base qui apparaissent dans le dossier de preuve et qui étayent les conclusions exposées ci‑dessus. Toutefois, ils tentent de contredire de plusieurs façons qui ne trouvent appui dans aucun élément de preuve ce que les éléments de preuve nous disent. Par exemple, ils donnent à entendre que leurs connaissances étaient incomplètes au cours des années 1970 et qu’ils en savaient beaucoup plus lorsqu’ils ont décidé d’intenter les actions. Il est bien établi que le droit n’exige pas une connaissance parfaite avant qu’un délai de prescription s’applique (voir De Shazo v Nations Energy Co, 2005 ABCA 241 aux paragraphes 31 et 32) et que des renseignements additionnels sont inévitablement acquis à mesure que les affaires progressent, que les actions sont introduites et que le processus d’interrogatoire préalable et de communication de documents suit son cours. Samson ne signale toutefois aucun fait essentiel que la bande ou ses avocats ne connaissaient pas et qui était nécessaire pour pouvoir intenter leur action à l’intérieur du délai de prescription.

[176]  Samson donne également à entendre que la demande qu’elle présente maintenant est quelque peu différente de la demande qu’elle aurait présentée dans les années 1970. Cependant, des arguments conceptuellement différents élaborés par de nouveaux avocats ne modifient pas les faits sous‑jacents ni la cause d’action; les arguments que Samson fait valoir aujourd’hui sont tous fondés sur des faits qui étaient disponibles dans les années 1970. L’applicabilité d’une défense de prescription ne saurait varier selon que de nouveaux avocats ont invoqué de nouveaux arguments ou non. Si c’était le cas, il serait toujours possible de contourner un délai de prescription. Voir de manière générale Wewaykum, précité, au paragraphe 124; Ioannou v Evans, [2008] OJ n21 (C.S.J.).

[177]  Ermineskin renvoie la Cour à des documents qui démontrent, selon elle, que l’intérêt de la bande n’a pas reçu une attention suffisante de la part du Canada et que les bureaux, ministères et organismes qui ont traité avec la bande étaient sous‑financés. Une bonne part des documents invoqués par Ermineskin datent du milieu des années 1980 et ne présentent aucun lien réel avec l’état des connaissances de la bande et la possibilité d’obtenir des conseils et de l’aide à l’époque pertinente dans les années 1970. Les éléments de preuve dont je dispose pour la période pertinente démontrent assez clairement que les revendications et les préoccupations des demandeurs ont reçu beaucoup d’attention et les ministres concernés et le Cabinet fédéral les ont examinées.

[178]  Comme je l’expliquerai davantage plus loin, Ermineskin fait beaucoup d’efforts pour convaincre la Cour que la bande n’était pas au courant des faits nécessaires pour demander un paiement en nature dans le cadre de sa réclamation et que le Canada n’a pas examiné convenablement la possibilité que le pétrole constitue un paiement en nature comme moyen d’éviter la création du « prix canadien » du pétrole et d’atténuer les incidences défavorables du programme sur les redevances des demandeurs. Cependant, j’estime, là encore, que les éléments de preuve démontrent clairement que le paiement des redevances en nature a été envisagé, que les demandeurs et leur avocat ont toujours su que les redevances n’étaient pas payées en nature tout au long des années 1970 et que les demandeurs ne bénéficiaient d’aucune forme d’exemption du programme, ni parce que le pétrole ou toute autre chose constituait un paiement en nature. Comme le souligne le Canada, le paiement en nature est simplement un moyen particulier par lequel le Canada aurait pu tenter d’éviter les incidences défavorables du programme sur les redevances des demandeurs et n’est pas une cause d’action distincte. Rien dans la preuve n’indique que les demandeurs n’ont pas intenté leurs actions dans les années 1970 parce qu’ils n’étaient pas au courant des implications du paiement en nature au regard des obligations fiduciales du Canada, et les éléments de preuve démontrent, dans tous les cas, que les demandeurs savaient très bien ce qu’un paiement en nature aurait pu signifier pour eux et que le Canada avait rejeté le paiement en nature comme moyen envisageable de répondre à la plainte des demandeurs (voir l’affidavit de Raymond Cutknife, souscrit le 11 juin 2014 [affidavit de M. Cutknife], pièce A, aux pages 85 et 86).

[179]  Ermineskin renvoie également à des documents qui soulignent les difficultés socioéconomiques générales auxquelles les Premières Nations ont dû faire face au Canada et de la [traduction« culture de dépendance » qui s’est développée en conséquence. Le Canada ne conteste pas ces observations, mais il souligne que les éléments de preuve ne mentionnent pas les demandeurs en particulier et n’ont rien à voir avec les demandeurs, lesquels recevaient tous les conseils dont ils avaient besoin et qui étaient parfaitement au courant des faits importants dont ils avaient besoin pour pouvoir introduire leurs actions dans les années 1970. Je suis d’accord avec le Canada sur ce point.

[180]  Les tentatives des demandeurs de démontrer l’existence d’une fraude en equity ne trouvent elles non plus aucun fondement dans les éléments de preuve. À mon avis, les éléments de preuve démontrent clairement que les demandeurs savaient tout ce qu’ils devaient savoir pour pouvoir présenter leurs réclamations reliées au programme durant les années 1970, qu’ils étaient bien conseillés et qu’ils ont continué d’examiner les incidences du programme et de rechercher une solution politique dont on leur a dit, en fin de compte, qu’elle était impossible. Ils ont envisagé l’action en justice, mais, pour des motifs qu’ils n’ont pas expliqués, ils ont décidé de ne pas y recourir jusqu’à ce qu’ils introduisent les actions visées en l’espèce.

[181]  Il ne s’agit pas d’un cas de manque de connaissances, générales ou spécialisées, de conseils, de ressources ou d’occasion. Je ne vois rien qui aurait empêché les demandeurs de présenter leurs réclamations reliées au programme dans les limites du délai de prescription s’ils avaient choisi de le faire. Pour une raison ou une autre, ils ont fait un choix stratégique de ne pas le faire. Il s’ensuit que les demandeurs en sont maintenant réduits à invoquer des arguments de droit pour faire échec à la défense de prescription du Canada. Ces arguments de droit équivalent à une assertion d’immunité contre le droit de la prescription. Les demandeurs affirment se trouver dans une situation particulière qui, comme je l’ai expliqué ailleurs dans les présents motifs, n’est aucunement appuyée par la jurisprudence. La Cour suprême du Canada a clairement affirmé que les délais de prescription s’appliquent aux demandes pour manquement à une obligation fiduciale relative à un bien autochtone : Manitoba Metis, précité, au paragraphe 138, citant Wewaykum, précité, au paragraphe 121, et Lameman CSC, précité, au paragraphe 13.

[182]  Les demandeurs n’ont présenté aucune preuve pour réfuter ce que les éléments de preuve du Canada établissent : c’est‑à‑dire que les demandeurs étaient parfaitement au courant des faits qui donnaient lieu à leurs demandes et que le Canada avait rejeté toute solution politique qui pourrait les prémunir contre les effets indirects du programme.

[183]  En fait, il semble très étrange que, dans le cadre d’une requête où ils doivent présenter leurs meilleurs arguments, les demandeurs n’ont pas produit le témoignage de Me Roddick, qui avait agi pour le compte des demandeurs tout au long de la période d’existence du programme et qui avait participé très activement aux démarches faites auprès des ministres, fonctionnaires et politiciens compétents pour le compte des demandeurs. Les éléments de preuve du Canada révèlent que Me Roddick a été actif et s’est bien renseigné pour le compte de ses clients. Si les demandeurs avaient eu le moindre doute concernant les faits qui ont donné lieu aux réclamations reliées au programme, Me Roddick aurait été en mesure de le dissiper. La Cour a demandé une explication à Samson, et l’avocat de Samson lui a dit ce qui suit (transcription de l’audience (29 janvier 2015), Calgary, aux pages 7 et 8) :

[traduction]

[S]elon Samson, Me Rodic [sic] n’est pas intervenu en rapport avec la question dont la Cour est actuellement saisie. Il a participé à des démarches de lobbying et à une remise de taxe à l’exportation du pétrole. Chose plus importante [...] il a représenté tout un éventail de parties à l’occasion autre. Il ne s’agissait pas seulement de Samson et d’Ermineskin, ni même seulement des quatre nations de Hobbema, mais il lui est arrivé de représenter toutes les Premières Nations productrices de pétrole. Pour qu’il soit – pour qu’il témoigne dans la présente affaire, ce serait complexe, parce qu’il faudrait obtenir le consentement de toutes ces parties, et il y aurait indubitablement renonciation au privilège du secret professionnel de l’avocat [...] Maître Rodic [sic] n’était pas au courant des détails de la production pétrolière et de l’exportation de pétrole de Pigeon Lake. Il n’a pas été mis au courant des volumes qui avaient été exportés, il n’a pas été mis au courant des prix auxquels le pétrole était exporté et [...] il n’a pas été mis au courant des conséquences qui se produiraient si la Couronne payait la redevance de Samson et d’Ermineskin en nature sous forme de pétrole et tentait de l’exporter.

[184]  Cette réponse n’est pas convaincante, et je ne dispose d’aucun élément de preuve qui l’étaye, surtout lorsque le dossier démontre l’étendue de la participation de Me Roddick aux démarches visant à prémunir les demandeurs contre les incidences défavorables du programme, le fait qu’il était conscient que l’action en justice était envisageable lorsque les négociations se sont révélées infructueuses, et le fait que Samson a appelé Me Roddick à témoigner au procès concernant les parties antérieures des actions visées en l’espèce et qu’il a longuement témoigné sur la manière dont les représentants de la Couronne avaient communiqué des renseignements aux avocats des demandeurs. J’estime que le défaut de produire le témoignage de Me Roddick dans le cadre de la présente requête et l’absence de toute explication convaincante à cet égard m’oblige à tirer une inférence défavorable : le conseiller juridique qui a travaillé de près avec les demandeurs relativement aux incidences défavorables du programme sur les redevances des demandeurs durant le délai de prescription n’a rien à dire à la Cour qui aiderait les demandeurs et ceux‑ci connaissaient tous les faits nécessaires pour appuyer leurs demandes en 1974 ou, en tout état de cause, en 1978 lorsque le Canada a définitivement rejeté leurs réclamations reliées au programme et toute solution politique à leurs griefs.

(ii)               Cause d’action récurrente

[185]  Afin d’éviter les conséquences de la défense de prescription du Canada, les demandeurs, entre autres choses, allèguent que leurs demandes sont fondées sur des manquements continus de la part du Canada qui perdurent jusqu’à ce jour. Là encore, j’estime qu’il n’existe aucune véritable question litigieuse sur ce point.

[186]  Les faits générateurs sur lesquels reposent les réclamations des demandeurs reliées au programme se sont concrétisés au début des années 1970, et très certainement au plus tard en 1978, lorsqu’ils sont appris quelles incidences le programme aurait sur leurs droits à redevances et se sont fait dire en des termes on ne peut plus clairs que la production pétrolière et gazière dans leurs réserves ne serait pas exemptée du programme. C’était là le manquement et l’acte préjudiciable qui fondent leurs demandes. Le manquement allégué a peut‑être eu des conséquences pécuniaires continues, mais, après l’entrée en vigueur du programme, l’action en justice était une voie dans laquelle ils auraient pu s’engager immédiatement, même si, comme les éléments de preuve le démontrent, ils ont décidé de ne pas s’adresser aux tribunaux pour des motifs qu’ils ont refusé d’expliquer et de ne pas faire témoigner Me Roddick, qui aurait pu expliquer à la Cour pourquoi il n’a pas été donné suite à la menace d’action en justice.

[187]  La situation en l’espèce ramène la Cour aux commentaires du juge Binnie dans l’arrêt Wewaykum, précité :

[135]  Il va de soi que l’objet poursuivi par le législateur en fixant des délais de prescription serait forcément contrecarré si cette thèse était retenue. Les fiduciaires, en particulier, ne connaîtraient jamais la tranquillité d’esprit. À mon avis, un tel résultat n’est pas compatible avec l’intention du législateur. Le paragraphe 3(4) cité plus tôt vise [traduction] « [t]oute autre action non expressément régie » et précise qu’elle se prescrit par six ans « à compter de la date à laquelle a pris naissance le droit de l’intenter ». Les deux bandes devaient intenter leur action au plus tard en 1943, date à laquelle le ministère des Affaires indiennes a finalement modifié le répertoire des réserves pertinent. Après cette date, aucun acte prétendument préjudiciable ne s’est répété. Le dommage (si dommage il y a eu) était fait. Il n’y a, dans les circonstances de la présente affaire, rien qui ait pour effet de relever les appelantes de l’obligation générale qui incombe à tous les plaideurs d’ester en justice au moment pertinent ou de se taire à jamais.

[188]  Le Canada cite également les jugements Bande de Peepeekisis c Canada, 2012 CF 915, au paragraphe 94, Huang, précité, aux paragraphes 73 à 77, et Mutual Benefit Society, précité, aux paragraphes 79, 83 à 85 et 92, qui, à mon avis, portent directement sur le sujet et tendent à expliquer pourquoi la thèse du manquement continu n’est tout simplement pas applicable aux réclamations des demandeurs eu égard aux faits de l’espèce.

(iii)             Manquement en equity

[189]  Samson formule plusieurs allégations de dissimulation ou de fraude en equity de la part du Canada. Aucune de ces allégations n’est étayée par le dossier de preuve.

[190]  Les documents susmentionnés démontrent clairement qu’Affaires indiennes appuyait pleinement les demandeurs dans leurs tentatives de faire obstacle aux incidences défavorables du programme. Des fonctionnaires d’Affaires indiennes ont travaillé étroitement avec Me Roddick lorsqu’il tentait de convaincre le gouvernement du bien‑fondé des réclamations des demandeurs. Affaires indiennes a tenté de convaincre d’autres ministères (Finances et Énergie, Mines et Ressources) qu’ils devraient tenir compte des arguments des demandeurs, et Me Roddick remercie d’ailleurs Affaires indiennes au nom des demandeurs. Voir l’affidavit de Mme Degenstein, pièce 20.

[191]  Les demandeurs invoquent une note de service intitulée [traduction] « Taxe à l’exportation du pétrole – remise aux bandes indiennes » de M. van de Voort, superviseur de district d’Affaires indiennes pour le district d’Edmonton‑Hommeba, pour établir que le Canada leur a caché des renseignements (affidavit de Mme Degenstein, pièce 37). Ils donnent même à entendre qu’une partie de la lettre de M. Moore, sur laquelle la note de service était fondée (affidavit de Mme Degenstein, pièce 36) a été délibérément supprimée par M. van de Voort lorsqu’il a rédigé sa note de service à l’intention de [traduction« tous les chefs et les conseillers, Administration des quatre bandes ». Le dossier démontre toutefois clairement que ce que les demandeurs appellent un [traduction« document interne » a été communiqué à leurs propres vérificateurs, et les vérificateurs l’ont mentionné dans des documents envoyés en copie conforme à M. Bull, l’administrateur des quatre bandes (affidavit de Mme Degenstein, pièce 40).

[192]  Le dossier démontre également que des avis juridiques fournis au Canada n’ont peut‑être pas été envoyés en copie conforme aux demandeurs, mais que l’essentiel de leur teneur a été communiqué à Me Roddick (voir l’affidavit de Mme Degenstein, pièce 38). La Cour doit en outre garder à l’esprit que les demandeurs n’ont pas présenté le témoignage de Me Roddick selon lequel celui‑ci n’était pas au courant de quelque élément que ce soit de leurs réclamations.

[193]  Rien dans la preuve n’étaye une dissimulation ou une fraude en equity dans la présente affaire. En réalité, les éléments de preuve dont je dispose tendent à indiquer des avis catégoriques de fonctionnaires de la Couronne et un souci réel de leur part de voir à ce que le cas des demandeurs soit soumis aux décideurs compétents et d’aider Me Roddick à convaincre le gouvernement du bien‑fondé des réclamations des demandeurs reliées au programme.

f)                   L’affaire se prête‑t‑elle à un jugement sommaire?

[194]  Samson donne à entendre que, somme toute, les réclamations reliées au programme ne se prêtent tout simplement pas à un jugement sommaire.

[195]  Samson rappelle à la Cour que, conformément au jugement Source Enterprises, précité, aux paragraphes 14 à 21, de la Cour fédérale, je peux dégager des conclusions de fait et de droit uniquement lorsque la preuve pertinente figure au dossier et que l’affaire ne soulève pas une question sérieuse de fait ou de droit qui repose sur des inférences. Ce principe joue toutefois fortement contre les demandeurs, qui font un nombre important d’assertions qui ne sont étayées par aucun élément de preuve au dossier.

[196]  Samson rappelle également à la Cour que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Hryniak, précité, au paragraphe 49, a récemment souligné ce que je dois faire pour déterminer qu’il n’existe aucune véritable question litigieuse :

Il n’existe pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès lorsque le juge est en mesure de statuer justement et équitablement au fond sur une requête en jugement sommaire. Ce sera le cas lorsque la procédure de jugement sommaire (1) permet au juge de tirer les conclusions de fait nécessaires, (2) lui permet d’appliquer les règles de droit aux faits et (3) constitue un moyen proportionné, plus expéditif et moins coûteux d’arriver à un résultat juste.

[197]  Les éléments de preuve présentés par le Canada dans le cadre de la présente requête démontrent que les demandeurs étaient parfaitement au courant de tous les faits dont ils avaient besoin pour pouvoir présenter leurs réclamations reliées au programme au plus tard en 1978, qu’ils étaient représentés par un avocat et qu’ils bénéficiaient de conseils complets sur les choix qui s’offraient à eux en droit, que le Canada leur a clairement dit qu’il n’y aurait pas de solution politique aux incidences défavorables du programme sur leurs droits à redevances, qu’ils ont menacé de s’adresser aux tribunaux et que, pour des raisons qu’ils n’ont pas expliquées à la Cour, ils ont choisi de ne pas intenter de recours en justice à l’époque pertinente.

[198]  À mon avis, Samson n’a sérieusement contesté aucun de ces éléments de preuve. Samson a plutôt choisi de contester la requête en invoquant divers moyens de droit. À mon avis, les éléments de preuve présentés à la Cour sont amplement suffisants pour pouvoir appliquer les règles de droit aux faits. Il me paraît également clair qu’un jugement sommaire est un moyen proportionné, plus expéditif et moins coûteux d’arriver à un résultat juste (Hryniak, précité, au paragraphe 49; Manitoba Metis, précité, au paragraphe 17).

[199]  Je peux affirmer ce qui précède parce qu’étant donné la nature historique des éléments de preuve disponibles, le juge du procès ne serait pas mieux placé que moi pour tirer les conclusions de fait nécessaires. Si Me Roddick, par exemple, a quelque chose à dire pour aider les demandeurs, ces observations auraient pu m’être présentées et auraient dû l’être. Les demandeurs n’ont nullement expliqué comment le dossier de preuve pertinent pourrait être bonifié entre maintenant et le moment du procès.

[200]  Le dossier de preuve m’indique qu’il ne s’agit pas d’une affaire concernant l’équité au regard des questions de prescription. La présente affaire concerne un changement de stratégie. Rien ne tend à indiquer que les actions visées en l’espèce n’auraient pu être intentées avant l’expiration du délai de prescription. Les demandeurs savaient tout ce qu’ils devaient savoir et ils étaient bien conseillés. Les éléments de preuve tendent à indiquer que, bien que les demandeurs aient menacé de recourir aux tribunaux, ils ont fait le choix délibéré de ne pas exercer de recours en justice pendant le délai de prescription. Il y avait, sans aucun doute, des raisons stratégiques à cette décision, mais ils ne m’ont pas été entièrement expliqués. Le Canada a donné à entendre que les demandeurs obtenaient d’autres concessions du gouvernement à l’époque pertinente, mais cela n’a aucune incidence sur mes conclusions selon lesquelles les demandeurs ont décidé d’eux‑mêmes de ne pas exercer les recours qui s’offraient à eux en vertu de la loi et dont ils étaient parfaitement au courant. Ils ont changé d’avis plus tard, et ils cherchent maintenant à présenter des réclamations reliées au programme. Ce faisant, ils n’ont pas réellement présenté d’éléments de preuve démontrant qu’ils avaient été incapables d’introduire leurs demandes à l’intérieur du délai de prescription. Ils revendiquent tout simplement une immunité contre les conséquences habituelles du fait de faire fi d’un délai de prescription et de le laisser s’écouler. Ils disent que les lois sur la prescription ne devraient pas s’appliquer en l’espèce, principalement parce que leurs demandes sont fondées sur des droits qui sont reconnus par la Constitution.

[201]  Le fait que Samson ait choisi d’aborder les questions de prescription de cette façon me porte à croire que l’objectif principal de Samson est de plaider des points de droit et, en particulier, la constitutionnalité de l’application d’une défense de prescription aux droits ancestraux et issus d’un traité qui sous‑tendent les demandes reliées au programme. À mon avis, toutefois, le droit sur cette question est clair, et la Cour suprême du Canada a déjà confirmé l’applicabilité d’un délai de prescription aux faits de la présente espèce. En fait, en ne contestant pas les faits pertinents, Samson dit qu’il n’est pas important que les demandeurs aient su ou non qu’ils avaient des réclamations fondées sur les incidences défavorables du programme et qu’ils aient pu ou non introduire ces demandes dans les années 1970. Samson semble considérer que les demandeurs ne devraient pas être assujettis à des contraintes temporelles, à tout le moins lorsque des droits constitutionnels et issus de traités sont en cause. Il s’ensuit que les demandeurs revendiquent le droit d’introduire les réclamations reliées au programme à n’importe quel moment qui leur convient, et sans avoir à expliquer pourquoi ils pourraient choisir un moment plutôt qu’un autre. Si cette thèse était admise, le Canada n’aurait jamais l’esprit tranquille relativement aux actions en justice qui pourraient être intentées à l’égard de telles demandes. C’est peut‑être ce que le droit devrait être. Les demandeurs estiment évidemment que cela soulève une véritable question litigieuse et qu’ils devraient être autorisés à débattre de son existence. Cependant, comme les éléments de preuve dont je dispose sont clairs, le juge du procès ne sera pas mieux placé que moi pour décider si le droit canadien soustrait ces demandes particulières à l’application d’une défense de prescription, ni d’ailleurs pour trancher aucune des questions dont les demandeurs ont saisi la Cour dans le cadre des présentes requêtes. Autrement dit, je ne vois aucun désavantage pour aucune des parties à ce que je tranche ces questions maintenant. Si elles ne sont pas d’accord avec moi, ce qui sera certainement le cas d’au moins une partie, les parties insatisfaites disposent de recours en justice. De plus, je crois que trancher les questions relatives à la prescription maintenant permettra à toutes les parties d’économiser du temps et des ressources. Les parties de part et d’autre doivent savoir si la prescription demeure une question litigieuse avant d’entreprendre le travail, sans aucun doute considérable, qu’exigera l’instruction au fond des réclamations reliées au programme dans le contexte d’actions globales importantes, mais lourdes.

[202]  Samson a évoqué plusieurs autres raisons pour lesquelles il serait inapproprié pour la Cour de rendre un jugement sommaire. À mon avis, aucune de ces raisons n’est convaincante ni étayée par le dossier dont je dispose.

[203]  Samson dit, par exemple, que la Cour suprême du Canada a signalé que rendre un « jugement sommaire partiel risque d’entraîner des procédures répétitives ou de mener à des conclusions de fait contradictoires; par conséquent, l’exercice de ces pouvoirs n’est peut‑être pas dans l’intérêt de la justice » (Hryniak, précité, au paragraphe 60). De tels risques peuvent bien être présents dans certains cas, mais je vois comment ils le seraient en l’espèce, et Samson n’a pas vraiment présenté des observations complètes sur ce point. Compte tenu du dossier dont je dispose, dans le contexte d’ensemble des actions visées en l’espèce, je ne vois aucun risque de procédures répétitives ni de conclusions de fait contradictoires.

[204]  Samson souligne également que la Cour a affirmé qu’il était inapproprié de rendre un jugement sommaire sur une question qui ne peut être dissociée d’autres questions qui seront tranchées dans le cadre de l’action. Voir Marine Atlantic, précité. À mon avis, personne ne contesterait ce principe général, mais je ne vois pas en quoi il devrait s’appliquer au vu du dossier dont je dispose et, je le répète, Samson n’a pas vraiment donné d’explications, si ce n’est de dire que les réclamations reliées au programme ne constituent qu’un élément des actions générales. Samson renvoie la Cour à l’ordonnance du 17 septembre 2002 du juge Teitelbaum. Or, cette ordonnance divise les actions en plusieurs parties distinctes, et la Cour a déjà statué séparément sur les parties a) « Données générales et historiques » et b) « Administration de l’argent ». Je ne vois pourquoi la phase d) « L’autre question concernant le pétrole et le gaz (la question relative à la « taxe » ou au « régime de prix réglementés ») » ne pourrait pas être instruite séparément et, en particulier, pourquoi la défense de prescription du Canada à l’égard du présent aspect des actions générales ne peut être dissociée des questions que la Cour n’a pas encore tranchées.

[205]  Samson dit qu’elle craint qu’une conclusion sur un fait important dans le cadre de la présente requête ne porte préjudice aux demandes qu’elle a formulées dans la poursuite prise dans son ensemble relativement à la question du pétrole et du gaz, mais elle n’explique pas comment une telle conclusion pourrait porter un tel préjudice, sauf dans la mesure où la défense de prescription éliminera la phase d) des actions, ce qui n’est rien de plus que ce qui se produit chaque fois qu’un délai de prescription s’applique.

[206]  La seule allégation précise de Samson à cet égard est la suivante :

[traduction]

119.  Une conclusion selon laquelle la valeur du pétrole exporté des demandeurs de Samson aux fins du calcul des redevances était inférieure au prix ou à la valeur de ce pétrole et le marché international pourrait avoir une incidence sur la valeur du pétrole sujet à redevances qui n’a pas été exporté.

[207]  La Cour n’a nullement l’intention de tirer quelque conclusion semblable. Une telle question n’a rien à voir avec les questions que je dois trancher dans le cadre de la présente requête. Je n’ai tout simplement pas à répondre à cette question.

[208]  Je ne vois rien dans le dossier dont je dispose qui tende à indiquer que rendre un jugement sommaire sur la présente requête serait injuste ou d’une manière ou d’une autre inapproprié, pourvu que les faits nécessaires soient établis et que je puisse appliquer les règles de droit à ces faits. Je pense que les faits ont été établis et que le droit est clair.

(3)               T‑1254‑92 – La position d’Ermineskin

[209]  Comme je l’ai déjà souligné, les motifs invoqués par Samson et par Ermineskin à l’encontre de la présente requête se recoupent considérablement. Là où je ne vois aucune différence entre la position de Samson et celle d’Ermineskin, je le signalerai et je renverrai tout simplement à mes commentaires au sujet de la position de Samson. La majeure partie de ce que j’ai à dire au sujet d’Ermineskin concerne des points sur lesquels la position d’Ermineskin diffère de celle de Samson.

a)                  Aucun délai de prescription promulgué en vertu de la Constitution

[210]  Ermineskin insiste également beaucoup sur les questions constitutionnelles soulevées dans le cadre des présentes requêtes. Selon les demandeurs, les requêtes soulèvent une question de droit inédite concernant l’applicabilité constitutionnelle des lois sur la prescription aux demandes fondées sur des droits ancestraux ou issus de traités. Chacun des deux demandeurs reprend les arguments de l’autre sur ce point, mais les observations d’Ermineskin me semblent être plus convaincantes. L’importance de cette question pour les deux demandeurs m’oblige à répondre aux arguments d’Ermineskin de manière assez détaillée.

[211]  En général, Ermineskin soutient qu’il y a une véritable question litigieuse concernant les droits d’Ermineskin issus du Traité no 6 parce que l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales, par le truchement de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, porte une atteinte injustifiée au droit issu du traité en question : il est donc sans effet à l’égard des réclamations des demandeurs qui sont reliées au programme. Ermineskin a déposé un avis de question constitutionnelle visant à contester l’applicabilité constitutionnelle de l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales. Selon Ermineskin, cela soulève une véritable question litigieuse parce qu’il n’existe aucun jugement dans lequel un tribunal aurait statué sur une contestation directe de la validité constitutionnelle de l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales au regard de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Ermineskin affirme que cette question constitutionnelle ne devrait pas être tranchée sur requête en jugement sommaire.

[212]  Ermineskin renvoie la Cour à l’arrêt Sparrow, précité, où la Cour suprême du Canada a confirmé l’existence d’une relation fiduciale générale entre le Canada et tous les peuples autochtones (à la page 1108). Ermineskin a invoqué de nombreuses affaires sur le sujet, mais j’estime que nous devons tenir pour acquis que la Cour suprême du Canada était parfaitement au courant du contexte historique et jurisprudentiel entourant cette question lorsqu’elle a examiné les affaires Wewaykum, Lameman CSC et Manitoba Metis, de sorte que nous pouvons nous fier à ces arrêts de principe pour déterminer comment les questions touchant à la prescription devraient être tranchées dans le contexte général de la relation du Canada avec les peuples autochtones, et avec les demandeurs en particulier.

[213]  Selon Ermineskin, [traduction« l’on ne peut pas dire qu’Ermineskin n’a pas soulevé de véritable question litigieuse quant à l’existence de ces droits issus d’un traité » (mémoire d’Ermineskin, au paragraphe 70). Cette affirmation prête à confusion parce qu’à mon avis, le Canada ne dit pas que les demandeurs n’ont pas de droits issus d’un traité. Le Canada dit simplement que ces droits auraient dû être invoqués à l’intérieur du délai de prescription applicable. Par conséquent, la seule question en litige serait celle de savoir s’il est possible d’opposer, à l’encontre de ces droits, une défense de prescription. L’argument d’Ermineskin oblige la Cour à admettre que les délais de prescription éteignent des droits, et, pour les motifs que j’ai déjà exposés, je ne pense pas que la jurisprudence appuie un tel argument.

[214]  Ermineskin souligne à raison que la Cour d’appel fédérale a déjà formulé d’importants commentaires sur les affaires dont je suis maintenant saisi, lesquels commentaires ont été confirmés par la Cour suprême du Canada pour ce qui concerne les demandes dont il a été disposé durant les parties a) et b) des actions. Essentiellement, la Cour d’appel fédérale a dit que le Canada avait des obligations fiduciales issues d’un traité envers les demandeurs relativement à l’utilisation et à l’exploitation des ressources pétrolières et gazières des demandeurs (Ermineskin CAF, précité) :

[110] [...] si la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes n’avait pas été édictée, la Couronne aurait été fiduciaire de toutes les redevances provenant de l’exploitation des réserves de pétrole et de gaz relativement aux droits cédés sur la réserve de Samson et sur la réserve du lac Pigeon. Cette conclusion s’impose en raison des promesses du Traité no 6 ainsi que des dispositions de la Loi sur les Indiens concernant les réserves et l’administration de l’argent des Indiens. La Couronne a manifestement des obligations fiduciaires envers Ermineskin et Samson en ce qui a trait à l’utilisation et à l’exploitation de leurs parts respectives des ressources pétrolières et gazières de la réserve du lac Pigeon et de la réserve de Samson ainsi qu’en ce qui a trait à leurs parts respectives des redevances découlant de l’exploitation de ces ressources [...]

[215]  Le Canada ne conteste rien de cela à mon avis, et l’on ne me demande pas de statuer autrement dans le cadre de la présente requête. D’ailleurs, il me semble que la Cour d’appel fédérale confirme la position du Canada selon laquelle les demandes en cause dans la présente requête sont fondées sur un manquement à des obligations fiduciales. Toutefois, comme je l’ai dit ailleurs dans les présents motifs, il importe peu de savoir si l’obligation fiduciale découle d’obligations issues d’un traité, de renonciations ou de régimes législatifs. La jurisprudence de la Cour suprême du Canada nous indique que les lois en matière de prescription s’appliquent de manière à rendre irrecevables les recours fondés sur de tels manquements. De plus, les demandeurs bénéficient actuellement du plus avantageux des délais de prescription applicables en vertu de la LAA de l’Alberta.

b)                  Aucun précédent

[216]  Un des arguments importants d’Ermineskin est qu’il existe une véritable question litigieuse parce qu’[traduction« aucune décision antérieure d’aucun tribunal judiciaire canadien n’a examiné la question de savoir si une loi sur la prescription est constitutionnellement inapplicable à une demande fondée sur des droits issus de traités au motif que son application, dans les circonstances, porterait une atteinte injustifiable à des droits issus de traités » (mémoire d’Ermineskin, au paragraphe 79).

[217]  Il se peut que la question n’ait jamais été formulée précisément de cette façon, et il se peut que les faits précis de la présente espèce et les droits précis invoqués n’aient jamais été débattus devant les tribunaux. Cela ne signifie pas pour autant que la jurisprudence ne nous donne aucune indication pour répondre clairement à la question. La Cour suprême du Canada, en particulier, donne souvent des lignes directrices générales qui sont censées être extrapolées aux situations particulières qui se présenteront ultérieurement dans d’autres affaires. Par conséquent, j’estime que nous devons examiner les arrêts de la Cour suprême sur ce sujet pour déterminer s’il existe une véritable question litigieuse dans la présente affaire.

[218]  À cet égard, je crois que nous devons examiner directement l’arrêt Manitoba Metis, précité, dans lequel la Cour suprême cite et dit suivre ses arrêts antérieurs ou établir une distinction, notamment les arrêts importants Wewaykum et Lameman CSC, tous deux précités.

[219]  Ermineskin propose à la Cour son interprétation de ce que l’arrêt Manitoba Metis nous dit et de ce qu’il ne nous dit pas :

[traduction]

78.    [...]

e)         dans l’arrêt Manitoba Metis, les juges majoritaires ont admis que les délais de prescription pouvaient s’appliquer aux « demandes des Autochtones pour manquement à une obligation fiduciaire »; toutefois, la Cour a ensuite souligné que l’affaire ne concernait pas une demande pour manquement à une obligation fiduciaire, mais plutôt une demande de nature constitutionnelle. En l’espèce, les droits d’Ermineskin issus d’un traité et protégés par la Constitution sont directement en cause. En outre, il ressort à l’évidence aussi bien des motifs des juges majoritaires que de ceux des juges minoritaires dans l’arrêt Manitoba Metis que la constitutionnalité de la loi pertinente sur la prescription n’a pas été contestée dans cette affaire (voir les paragraphes 225 et 226, motifs du juge Rothstein). Ni les juges majoritaires ni les juges majoritaires [sic] n’ont examiné la question de savoir si la loi portait une atteinte injustifiée à des droits ancestraux ou issus de traités;

[220]  À mon avis, Ermineskin interprète mal l’arrêt Manitoba Metis, précité. Je ne crois pas que la Cour suprême dit que les délais de prescription [traduction« pouvaient s’appliquer » aux demandes des Autochtones pour manquement à une obligation fiduciaire. La Cour suprême dit qu’ils « s’appliquent ». Le jugement des juges majoritaires sur ce point est le suivant :

[138]  Les défendeurs prétendent que cette demande est irrecevable en vertu des lois manitobaines sur la prescription dont toutes les versions contenaient des dispositions semblables à la disposition actuelle prévoyant qu’une « action fondée sur un accident, une erreur ou un autre motif de recours reconnu en équité » se prescrit par six ans à compter de la découverte de la cause d’action (Loi sur prescription, C.P.L.M. ch. L150, al. 2(1)k)). Le manquement à une obligation fiduciaire constitue « un motif de recours reconnu en équité ». Nous sommes d’accord avec la Cour d’appel que ce délai de prescription s’applique aux demandes des Autochtones pour manquement à une obligation fiduciaire relative à la gestion de leurs biens (Wewaykum, par. 121, et Canada (Procureur général) c. Lameman, 2008 CSC 14, [2008] 1 R.C.S. 372, par. 13).

[Souligné dans l’original.]

[221]  Le pourvoi a été accueilli dans l’arrêt Manitoba Metis au motif que les demandes dont la Cour était saisie n’étaient pas pour manquement à une obligation fiduciaire :

[139]  Toutefois, à ce stade, nous ne statuons pas sur une action pour manquement à une obligation fiduciaire, mais sur une demande de jugement déclarant que la Couronne n’a pas agi honorablement dans la mise en œuvre de l’obligation constitutionnelle imposée à l’art. 31 de la Loi sur le Manitoba. Les lois sur la prescription ne peuvent faire obstacle à une demande de cette nature.

[...]

[143] De plus, la réparation pouvant être accordée suivant cette analyse est limitée. Un jugement déclaratoire est une réparation d’une portée restreinte. Il peut être obtenu sans cause d’action, et les tribunaux rendent des jugements déclaratoires, peu importe si une mesure de redressement consécutive peut être accordée. Comme l’a fait valoir l’Assemblée des Premières Nations, intervenante, il n’est pas obtenu contre le défendeur au même sens qu’une mesure de redressement coercitive (mémoire, par. 29, citant Cheslatta Carrier Nation c. British Columbia, 2000 BCCA 539, 193 D.L.R. (4th) 344, par. 11‑16). Dans certains cas, le jugement déclaratoire peut être le seul moyen de donner effet au principe de l’honneur de la Couronne : mémoire de l’Assemblée des Premières Nations, par. 31. Dans la présente action, si les Métis avaient sollicité des réparations personnelles, le raisonnement adopté en l’espèce ne pourrait s’appliquer. Toutefois, comme l’a reconnu le Canada, la mesure de redressement sollicitée en l’espèce n’est manifestement pas de nature personnelle : m.i., par. 82. Le principe de la réconciliation commande que ce type de déclaration puisse être accordé.

[222]   Les réclamations reliées au programme qui sous‑tendent les présentes requêtes visent un manquement à une obligation fiduciaire.

[223]  Dans l’arrêt Manitoba Metis, le juge Rothstein est dissident quant au résultat, mais il est d’accord avec les juges majoritaires sur l’applicabilité des délais de prescription aux demandes des Autochtones contre le Canada :

[269] Il ressort de la jurisprudence en général et des décisions relatives aux demandes des Autochtones en particulier que les règles de prescription s’appliquent aux recours contre la Couronne. Dans Wewaykum et Lameman, par exemple, notre Cour conclut à la prescription des recours intentés contre l’État par les Autochtones.

[270]  L’application des délais de prescription à l’État est bénéfique au système judiciaire car elle apporte certitude et prévisibilité. Elle protège également la société en général en faisant en sorte qu’un recours contre la Couronne soit exercé en temps utile de façon que cette dernière puisse se défendre convenablement.

[271] Les faits à l’origine du pourvoi illustrent bien la raison d’être de l’application des délais de prescription aux recours contre la Couronne. Mes collègues se fondent sur des « périodes d’inaction inexpliquées » et un « retard inexplicable » pour conclure à une tendance à l’indifférence. À mon avis, on ne peut raisonnablement écarter la possibilité que, si l’action avait été intentée en temps utile, la Couronne aurait pu expliquer au tribunal la longueur du processus d’attribution des terres. La Couronne ne peut plus offrir le témoignage des personnes qui ont participé à l’entreprise, et le dossier historique comporte de nombreuses lacunes. La présente affaire est l’illustration parfaite de la nécessité des délais de prescription.

[224]  Selon mon interprétation, l’arrêt Manitoba Metis dit clairement que les délais de prescription s’appliquent aux « demandes des Autochtones pour manquement à une obligation fiduciaire relative à la gestion de leurs biens » (au paragraphe 138) et aux « demande[s] des Autochtones dirigée[s] contre la Couronne » (au paragraphe 298). Le délai de prescription pertinent n’a pas été appliqué aux faits dans l’arrêt Manitoba Metis parce que les juges majoritaires ont affirmé qu’ils « ne statu[aient] pas sur une action pour manquement à une obligation fiduciaire » (au paragraphe 139). Il ressort implicitement, mais clairement, de cette affirmation qu’un délai de prescription se serait appliqué si les juges majoritaires avaient estimé qu’ils statuaient sur une demande pour manquement à une obligation fiduciaire.

[225]  D’ailleurs, les juges majoritaires vont plus loin et affirment clairement que la réparation qui peut être accordée suivant leur analyse « est limitée » et que « si les Métis avaient sollicité des réparations personnelles, le raisonnement adopté en l’espèce ne pourrait s’appliquer » (Manitoba Metis, précité, au paragraphe 143). La Cour suprême souligne également que « les Métis ne sollicitent pas de réparation personnelle, ne réclament pas de dommages‑intérêts et ne font aucune revendication territoriale » (Manitoba Metis, précité, au paragraphe 137). En l’espèce, les demandeurs réclament des dommages‑intérêts pour manquement à une obligation fiduciale.

[226]  Il est vrai que, dans l’arrêt Manitoba Metis, la Cour suprême du Canada ne dit pas expressément que les délais de prescription s’appliquent à un manquement à une obligation fiduciale fondée sur un droit issu d’un traité enchâssé dans la Constitution. À mon avis, toutefois, les termes généraux indiquent clairement que les actions des Autochtones contre le Canada en dommages‑intérêts pour manquement à une obligation fiduciale peuvent se voir opposer une défense de prescription. C’est précisément sur ce point que portent les réclamations en l’espèce. Le fait qu’il s’agit d’un droit issu d’un traité enchâssé dans la Constitution ne modifie pas la réparation, et c’était la réparation demandée dans l’arrêt Manitoba Metis qui a fait toute la différence et a justifié une dérogation à la règle générale de l’applicabilité des défenses de prescription.

[227]  La Cour suprême affirme dans l’arrêt Manitoba Metis que, bien qu’elle conserve « le pouvoir de statuer sur la constitutionnalité de la loi sous‑jacente », elle a affirmé que « les délais de prescription s’appliquent aux demandes de réparations personnelles découlant de l’annulation d’une loi inconstitutionnelle » (au paragraphe 134). Ici également, la Cour s’en tient à la réparation (parce que c’est la réparation que la prescription rend impossible) et non sur le droit. La position des demandeurs est que c’est la nature du « droit » qui est importante au regard de la prescription. Manitoba Metis m’indique que la Cour suprême affirme que les délais de prescription font obstacle aux réparations, et c’est pourquoi, à mon avis, les termes généraux des motifs concernant l’applicabilité des délais de prescription aux demandes des Autochtones contre la Couronne que nous trouvons dans la jurisprudence sont également applicables aux faits, aux droits et à la cause d’action en cause dans la présente requête.

c)                  L’article 39 porte atteinte à première vue aux droits d’Ermineskin issus d’un traité

[228]  Ermineskin soutient qu’il [traduction« ne peut y avoir que peu de doutes que les délais de prescription qui éliminent toute possibilité d’introduire des demandes contre la Couronne sont une ingérence substantielle, et non simplement importante », dans l’exercice du droit d’Ermineskin issu d’un traité, et « [l]es dispositions législatives comme l’article 39 qui sont censées s’ingérer dans la capacité d’Ermineskin à forcer l’exécution des obligations de la Couronne en tant que fiduciaire constituent à tout le moins à première vue une atteinte aux droits d’Ermineskin issus d’un traité » (mémoire d’Ermineskin, au paragraphe 85).

[229]  Il n’y a aucun fondement factuel ni juridique à cette assertion. L’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales, qui incorpore la LAA de l’Alberta par renvoi, n’est pas « censé » s’ingérer dans la capacité des demandeurs à forcer l’exécution des obligations du Canada, et d’ailleurs, il ne le fait pas. Comme la plupart des dispositions législatives portant prescription, il ne fait qu’exiger que les demandeurs fassent valoir leurs droits à l’intérieur d’un délai précis. Rien n’empêchait les demandeurs de faire valoir leurs droits issus d’un traité durant le délai de prescription en l’espèce.

[230]  Au fond, les demandeurs disent qu’il est inconstitutionnel que la loi les oblige à intenter tout recours en justice fondé sur des droits ancestraux ou issus de traités à l’intérieur d’un délai précis. Ils n’invoquent aucun fondement juridique à l’appui de cette thèse. Cela revient à revendiquer un droit constitutionnel d’agir en justice lorsque c’est commode ou avantageux pour les demandeurs de le faire, peu importe les désavantages que cela pourrait causer au Canada. Ainsi, les demandeurs, ou toute personne se trouvant dans leur situation, pourraient tout simplement attendre jusqu’à ce que le Canada ne soit plus en mesure de se défendre à cause de l’écoulement du temps, peu importe combien de temps cela prendrait. Cependant, le droit d’une partie d’intenter une poursuite au moment qui lui convient, indépendamment de la question de savoir si le moment choisi permet quelque défense que ce soit ou permet de trancher utilement les demandes, n’est pas un droit issu d’un traité, et je ne trouve aucun fondement à ce droit dans la jurisprudence citée par les demandeurs. Il n’y a eu aucune « diminution appréciable » des droits des demandeurs issus de traités en l’espèce. Ces droits existaient à l’époque où les causes d’action ont pris naissance et sont venues à la connaissance des demandeurs, et ils continuent d’exister. Les demandeurs affirment que leurs droits issus de traités ont été abrogés ou diminués parce que, même s’ils auraient pu intenter un recours durant le délai de prescription, ils ont décidé de ne pas le faire. Cependant, ils n’ont pas expliqué ni prouvé que quelque chose les empêchât d’intenter un recours sur le fondement de ces droits à l’époque pertinente. Ils revendiquent simplement le droit de faire reconnaître leurs droits issus de traités et de demander des dommages‑intérêts quand bon leur semble, et ce, sans restriction. Ils n’ont cité aucune source étayant cette position, et, à mon avis, la Cour suprême du Canada, dans les affaires susmentionnées, a clairement affirmé qu’il n’existe aucun droit semblable.

d)                 L’honneur de la Couronne

[231]  Ermineskin ajoute les arguments suivants :

[traduction]

86.    L’honneur de la Couronne exige qu’elle soit tenue de rendre des comptes aux bénéficiaires de traités concernant les promesses et les obligations qu’elle s’est engagée à remplir dans ces traités. Comme la Cour suprême du Canada l’a récemment souligné, dans l’arrêt Manitoba Metis, précité, des considérations d’ordre constitutionnel militent en faveur de ce que la Couronne soit tenue de rendre des comptes malgré l’écoulement du temps lorsque des griefs d’Autochtones de nature constitutionnelle sont en cause : « Aussi longtemps que la question ne sera pas tranchée, l’objectif de réconciliation et d’harmonie constitutionnelle, reconnu à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 [...] n’aura pas été atteint. »

[Référence omise.]

[232]  Ermineskin prend ici hors de leur contexte les commentaires de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Manitoba Metis qui visaient les faits particuliers de cette affaire. Voici l’intégralité du paragraphe 140 de cet arrêt :

[140]  Nous sommes saisis d’un grief constitutionnel qui a pris naissance il y a près d’un siècle et demi. Aussi longtemps que la question ne sera pas tranchée, l’objectif de réconciliation et d’harmonie constitutionnelle, reconnu à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et qui sous‑tend l’art. 31 de la Loi sur le Manitoba, n’aura pas été atteint. Le clivage persistant dans notre tissu national auquel l’adoption de l’art. 31 devait remédier demeure entier. La tâche inachevée de réconciliation des Métis avec la souveraineté du Canada est une question d’importance nationale et constitutionnelle. Les tribunaux sont les gardiens de la Constitution et, comme le précisent les arrêts Ravndahl et Kingstreet, ils ne peuvent être empêchés par une simple loi de rendre un jugement déclaratoire sur une question constitutionnelle fondamentale. Les principes fondamentaux de légalité, de constitutionnalité et de primauté du droit n’exigent rien de moins : voir Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 72.

[233]  Dans cet extrait, la Cour suprême ne se prononce pas sur des actions en dommages‑intérêts fondées sur des droits issus de traités protégés par la Constitution. Elle se prononce sur un grief constitutionnel précis (et non sur tous les griefs constitutionnels) qui a pris naissance plus s’un siècle et demi auparavant et qui a créé un « clivage persistant dans notre tissu national auquel l’adoption de l’art. 31 devait remédier [mais qui] demeure entier » (Manitoba Metis, précité, au paragraphe 140). Comme la Cour suprême le souligne, « nous ne statuons pas sur une action pour manquement à une obligation fiduciaire » (au paragraphe 139), pour lequel il y aurait eu une réparation, et donc une défense de prescription. Les demandeurs ont toujours eu un recours pour les manquements qu’ils allèguent dans leurs réclamations reliées au programme. Ils ont tout simplement décidé de ne pas exercer leurs recours à l’intérieur du délai de prescription pertinent. Nous n’avons pas affaire en l’espèce à un « clivage persistant dans notre tissu national » pour lequel aucun recours ne s’offrait et qui laisse « la tâche inachevée de réconciliation » des demandeurs « avec la souveraineté du Canada » (Manitoba Metis, précité, au paragraphe 140). L’honneur de la Couronne, comme l’énonce clairement la jurisprudence, n’exige pas qu’une défense de prescription soit inopposable à une demande de dommages‑intérêts pour manquement à une obligation fiduciale.

e)                  L’on ne devrait pas faire fi des griefs historiques

[234]  Ermineskin tente de faire jouer en sa faveur les observations du juge Binnie dans l’arrêt Wewaykum, précité, au sujet des griefs historiques, puis elle renvoie la Cour au commentaire du professeur Rotman dans son article intitulé « Wewaykum : A New Spin on the Crown’s Fiduciary Obligations to Aboriginal Peoples? » (2004), 37 UBC L Rev 219, aux pages 241 et 242 (mémoire d’Ermineskin, au paragraphe 87) :

[traduction]

Bien souvent, la cause d’action d’une bande contre la Couronne ne naît que longtemps après que le manquement allégué à une obligation est survenu. Cela cause des problèmes particuliers dans les cas des demandes contemporaines fondées sur des manquements à des obligations fiduciales puisque, pendant de nombreuses années, les peuples autochtones au Canada n’ont pas été en mesure de poursuivre le Canada lorsque leurs droits étaient ignorés, violés ou éteints et très longtemps ils ne connaissaient pas les droits que leur conférait le droit canadien. Même lorsqu’ils étaient potentiellement en mesure de contester la manière dont la Couronne traitait leurs droits, les peuples autochtones ne recevaient pas l’attention qu’ils méritaient, soit parce que la Loi sur les Indiens les empêchait d’introduire des actions en justice contre la Couronne fédérale, ou parce que la vaste majorité des juges canadiens ne comprenaient pas bien la nature de leurs droits et de leurs revendications.

La relation historique entre la Couronne et les peuples autochtones était non seulement unique, mais elle a eu des effets majeurs sur les deux parties. Dans le cadre de leurs alliances et de leurs traités avec la Couronne, les peuples autochtones ont été désavantagés et leurs droits n’ont pas été respectés au fil des ans. La Couronne avait souvent connaissance du non‑respect de leurs droits et, à plusieurs occasions, c’est la Couronne elle‑même qui ne les respectait pas. En outre, les peuples autochtones étaient désavantagés à plusieurs égards précis par rapport à la Couronne lorsqu’ils tentaient de faire valoir leurs droits devant les tribunaux de l’État et lorsqu’ils mobilisaient leurs ressources limitées contre les ressources considérables auxquelles la Couronne avait accès. À la lumière de ces iniquités, permettre à la Couronne d’échapper à toute responsabilité pour ses actes à cause des effets de ses propres lois – ou de lois qu’elle a pris l’initiative d’incorporer par renvoi, comme dans le cas de la Couronne fédérale – semble fondamentalement injuste, malgré les considérations de principe légitimes qui sous‑tendent l’existence de délais de prescription prévus par la loi.

[Notes de bas de page omises.]

[235]  À l’évidence, les propos du juge Binnie au sujet des griefs historiques et le commentaire du professeur Rotman n’ont aucune importance dans la situation factuelle à l’examen dans le cadre de la présente requête. En l’espèce, les demandeurs étaient (et sont toujours) des bandes averties qui bénéficiaient des conseils et du soutien d’Affaires indiennes et de leurs propres conseillers juridiques qualifiés, et ils possédaient les connaissances et les ressources nécessaires pour pouvoir faire valoir leurs droits issus d’un traité devant les tribunaux. D’ailleurs, ils ont menacé de le faire s’ils n’obtenaient pas ce qu’ils voulaient dans le cadre de leurs négociations avec le Canada. Rien ne les a empêchés d’agir en justice à l’époque pertinente. Ils étaient bien placés pour poursuivre le Canada, ils connaissaient leurs droits, et leurs droits n’étaient pas éteints.

f)                   Le conflit fondamental

[236]  Ermineskin affirme également ce qui suit :

[traduction]

88.    Comme nous l’expliquerons plus en détail plus loin, le fait de soulever des défenses de prescription à l’encontre des demandes des Premières Nations contre la Couronne est foncièrement incompatible avec l’obligation de la Couronne – dans ce cas‑ci son obligation constitutionnelle – d’agir dans l’intérêt supérieur des Premières Nations :

Si un fiducial a l’obligation d’agir dans l’intérêt supérieur de son bénéficiaire et s’il manque à cette obligation, permettre à ce même fiducial d’échapper à toute responsabilité en se cachant derrière un bouclier législatif semble être incompatible avec la nature de l’obligation du fiducial.

Le conflit est encore plus criant lorsque la Couronne a contracté l’obligation par voie de promesse solennelle aux termes d’un traité. L’applicabilité de délais de prescription d’origine législative n’est donc pas une « ingérence négligeable » dans la revendication du droit issu d’un traité; en réalité, elle porte sérieusement atteinte au droit lui‑même.

[Référence omise.]

L’extrait cité est, encore une fois, du professeur Rotman.

[237]  Il n’est pas possible, à mon avis, de concilier ces affirmations avec la jurisprudence précitée de la Cour suprême du Canada. En l’espèce, le délai de prescription n’a pas, dans les faits, nui à l’exercice des droits des demandeurs, issus de traités ou autres. Les demandeurs étaient parfaitement libres de défendre ces droits. Ils devaient simplement le faire dans les limites du délai de prescription pertinent. Les demandeurs n’ont pas expliqué, ni prouvé, en quoi devoir faire valoir leurs droits issus de traités durant une période précise nuirait à l’exercice de ces droits ou les diminuait. S’il y avait eu un obstacle à l’exercice de ces droits durant le délai de prescription, je pourrais concevoir qu’étant donné les faits, le délai de prescription aurait effectivement nui à l’exercice des droits ou les aurait diminués. Cependant, rien en l’espèce de tend à indiquer qu’un tel obstacle a pu exister.

g)                  Atteinte injustifiée

[238]  Ermineskin affirme en outre qu’une [traduction« atteinte à un droit issu d’un traité et protégé par la Constitution doit être justifiée », et elle renvoie ensuite la Cour à la jurisprudence pertinente sur « l’objectif législatif régulier » et « l’honneur de la Couronne » (mémoire d’Ermineskin, au paragraphe 90).

[239]  Dans le cadre des présentes requêtes, la Cour n’a pas affaire à une atteinte par le Canada à un [traduction« un droit issu d’un traité et protégé par la Constitution ». La question de savoir si le Canada a porté atteinte aux droits des demandeurs issus d’un traité lorsqu’il n’a pas tenté de prémunir les demandeurs contre les incidences défavorables du programme sur leurs droits à redevances est une question de fond.

[240]  J’ai déjà traité de la question de savoir si l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales porte atteinte aux droits des demandeurs qui sont issus de traités et protégés par la Constitution, et, compte tenu des faits de l’espèce et des motifs déjà exposés, j’estime qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse le démontrant. Il me semble que pour établir l’existence d’une atteinte aux droits issus d’un traité des demandeurs, ou pour établir que l’exercice de ces droits a été diminué, découlant du fait d’exiger des demandeurs qu’ils intentent une poursuite en justice dans un délai précis, les demandeurs devraient prouver que, pour une raison quelconque, ils n’ont pu faire valoir leurs droits en justice à l’époque pertinente. Or, la preuve qui m’a été présentée non seulement démontre qu’ils connaissaient parfaitement les conséquences défavorables que le programme avait sur leurs droits issus de traités, mais également qu’ils avaient envisagé d’intenter une poursuite pour faire valoir leurs droits, et même menacé de le faire. En l’absence d’un obstacle, je ne vois pas comment ils peuvent affirmer que l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales a porté atteinte à leurs droits ou qu’il en a diminué l’exercice. Le fait pour le titulaire de droits de choisir de ne pas le faire valoir en justice pendant six ans alors qu’il aurait amplement eu l’occasion de le faire et qu’il disposait des ressources pour le faire porte‑t‑il atteinte à ces droits ou en diminue‑t‑il l’exercice? Je ne le crois pas. Comme je l’ai dit précédemment, les demandeurs revendiquent en vérité une immunité contre les délais de prescription ainsi que le droit d’intenter des poursuites pour faire valoir leurs droits issus de traités à n’importe quel moment qui leur convient. On pourrait affirmer qu’un droit n’existe pas vraiment s’il est impossible pour le titulaire de le faire valoir en justice ou s’il n’existe aucun recours en cas d’atteinte, mais le droit qu’une personne choisit de ne pas faire valoir en justice alors qu’elle aurait pu le faire, ou le droit pour lequel il existe un recours en cas d’atteinte, mais que le titulaire choisit de ne pas exercer, n’en demeure pas moins un droit.

h)                  La question de la qualification

[241]  Ermineskin convient avec le Canada que si l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales est constitutionnellement applicable, l’Alberta est la province compétente aux fins de la prescription. J’ai déjà expliqué plus haut pourquoi je suis d’accord avec le Canada et Ermineskin sur ce point et pourquoi je pense qu’il n’existe aucune question litigieuse à cet égard.

[242]  Toutefois, Ermineskin n’est pas d’accord avec le Canada quant au délai de prescription applicable en vertu de la LAA de l’Alberta, de sorte qu’encore une fois, je dois qualifier la cause d’action d’Ermineskin. Ermineskin est d’avis que les dispositions législatives pertinentes sont les dispositions de la législation albertaine qui visent les « fiduciaires expressément désignés ». Cela comprend l’art. 14 de la Judicature Act et les articles 40 et 41 de la LAA de l’Alberta.

[243]  J’ai déjà expliqué, en rapport avec Samson, pourquoi je pense qu’il n’existe aucune question litigieuse sur ce point. Tout comme dans le cas de Samson, aucun bien fiduciaire n’a été reçu ni antérieurement reçu par le Canada pour Ermineskin, et Ermineskin n’a aucun intérêt conditionnel qui pourrait devenir un droit actuel. Cela s’applique à la fois aux membres actuels d’Ermineskin et aux générations futures.

[244]  De plus, j’ai déjà expliqué pourquoi je pense que le Canada ne peut pas être considéré comme un fiduciaire de common law et pourquoi il n’y a pas de question litigieuse quant à la qualité de fiducial du Canada pour l’application de la LAA de l’Alberta, et pourquoi le délai de prescription est de six (6) ans.

[245]  Ermineskin soutient que si les réclamations reliées au programme sont considérées à raison se rattacher à un manquement à une obligation fiduciale, le délai de prescription applicable n’a pas commencé à courir avant le moment où Ermineskin a véritablement découvert que le Canada avait manqué à son obligation fiduciale. Ermineskin affirme que la question de la découverte est complexe aux plans factuel et juridique et qu’elle ne devrait pas être tranchée par voie de jugement sommaire.

[246]  Je répète que j’ai déjà expliqué pourquoi je pense que le dossier de preuve démontre clairement que les deux demandeurs étaient parfaitement conscients des incidences du programme sur leur droit à redevances dans les années 1970, et, au plus tard en 1978, ils étaient parfaitement conscients que le Canada ne ferait aucune concession politique et que leur seule option était l’action en justice. J’ai déjà souligné que les demandeurs, leurs conseillers juridiques étaient avertis et qu’ils avaient des connaissances au sujet des incidences du programme sur les redevances. De plus, je dispose du dossier dont disposerait le juge du procès sur ce point. S’il y avait d’autres éléments de preuve pertinents pour trancher cette question (comme le témoignage de Me Roddick), les demandeurs avaient l’obligation de me les présenter dans le cadre des présentes requêtes.

[247]  Ermineskin affirme que l’argumentation du Canada au sujet de la prescription [traduction« repose sur une qualification erronée de la demande d’Ermineskin » et que la demande « a une portée plus grande que le Canada ne le donne à entendre en ce qu’elle n’est pas uniquement fondée sur le fait que le Canada a omis de soustraire Ermineskin aux effets du programme énergétique » (mémoire d’Ermineskin, au paragraphe 129).

[248]  J’estime qu’à ce stade‑ci de l’argumentation, Ermineskin concède la vraie nature des demandes des deux demandeurs et nous en arrivons aux réalités de la preuve. Premièrement, Ermineskin affirme qu’elle [traduction« est d’accord avec Samson et souscrit à son argument selon lequel la Couronne a manqué à ses obligations envers Samson et Ermineskin lorsqu’elle a omis de calculer des redevances en conformité avec le Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes et cette demande n’est pas prescrite » (mémoire d’Ermineskin, au paragraphe 130). Cette observation résume bien, en fait, la demande fondamentale des demandeurs. Les demandeurs sollicitent des dommages‑intérêts parce que des redevances n’ont pas été calculées en conformité avec les droits issus d’un traité et les droits d’origine législative des demandeurs. Les demandeurs méconnaissent toutefois souvent ce fait dans d’autres arguments qu’ils appuient uniquement sur l’existence de biens en fiducie et de droits actuels.

i)                    Paiement en nature

[249]  Ermineskin affirme également ceci (mémoire d’Ermineskin, au paragraphe 133) :

[traduction]

Ermineskin savait que le programme énergétique avait des incidences défavorables sur ses droits, mais elle ignorait au moins jusqu’en mai 1986 que la Couronne n’avait pas évalué convenablement si la taxe à l’exportation et les droits d’exportation pourraient être évités par le paiement en nature des redevances pétrolières d’Ermineskin. La Couronne n’a pas communiqué ce fait à Ermineskin.

[250]  J’ai déjà traité de la teneur des éléments de preuve relatifs au [traduction] « paiement en nature ». Il me semble que si [traduction« Ermineskin savait que le programme énergétique avait des incidences défavorables sur ses droits », Samson le savait également. Il en est ainsi parce que les mêmes éléments de preuve concernant les connaissances, spécialisées ou non, les conseils et les menaces d’action en justice s’appliquent aux deux demandeurs. Ainsi, selon Ermineskin, au moment de la mise en œuvre du programme, les deux demandeurs connaissaient le fondement de la demande – à savoir que [traduction« la Couronne [avait] manqué à ses obligations envers Samson et Ermineskin lorsqu’elle [avait] omis de calculer des redevances en conformité avec le Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes ». Samson a tenté d’éviter ce fait évident et de présenter sa demande sous un jour problématique au regard de la prescription, en demandant à la Cour de centrer son attention sur des éléments de ses demandes reliées au programme qui renvoient à l’administration de fonds perçus en vertu du programme à Ottawa. Comme je l’ai déjà signalé, cela n’a aucune incidence sur ma conclusion selon laquelle Samson avait pleinement connaissance des faits dont elle avait besoin pour pouvoir introduire sa demande dans les années 1970 lorsque le programme a été mis en œuvre et, en tout état de cause, au plus tard en 1978. Ermineskin adopte une démarche quelque peu différente et insiste sur la [traduction] « question du paiement en nature des redevances » pour dire qu’il s’agit d’un aspect de la réclamation reliée au programme qu’elle allègue n’avoir découvert qu’en 1986 :

[traduction]

131.  En outre, la Couronne n’a pas agi dans l’intérêt supérieur d’Ermineskin lorsqu’elle n’a pas examiné la possibilité de recevoir les redevances d’Ermineskin en nature et n’a pas tenté d’adopter cette méthode. La Couronne a manqué à ses obligations en qualité de fiducial, comme nous l’expliquerons plus loin, en ce qu’elle n’a pas étudié adéquatement la faisabilité de recourir à cette méthode comme moyen d’améliorer les conséquences du programme énergétique pour Ermineskin. Autrement dit, la Couronne a manqué à son obligation fiduciale parce qu’elle n’a pas examiné et tenté de mettre en œuvre toutes les solutions de rechange raisonnables pour éviter les effets du programme énergétique, ou subsidiairement pour atténuer ces effets.

132.  À toutes les dates pertinentes, le paragraphe 31(4.1) du Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes conférait au ministre le pouvoir discrétionnaire de recevoir les redevances pétrolières d’Ermineskin « en nature » pour le compte d’Ermineskin. Si le ministre avait exercé ce pouvoir discrétionnaire, la Couronne aurait pu vendre le pétrole d’Ermineskin tenant lieu de redevance sur le marché mondial, pour le compte d’Ermineskin, afin d’éviter la taxe à l’exportation et les droits d’exportation. Cependant, les éléments de preuve démontrent que la Couronne a omis d’étudier convenablement la possibilité du paiement en nature et a omis de demander conseil auprès d’experts comme elle était tenue de le faire afin d’évaluer si cette façon de faire serait avantageuse pour Ermineskin. En outre, dans la mesure où l’on peut dire que la Couronne a, en fait, pris la décision de ne pas recevoir de paiement en nature, elle a pris cette décision par pur opportunisme. La Couronne n’était tout simplement pas disposée à allouer les ressources nécessaires à une stratégie qui semblait, « à première vue », « présenter certains problèmes opérationnels et administratifs complexes dont la résolution demandera des efforts considérables ».

133.  Lorsque les demandes d’Ermineskin sont qualifiées correctement, il n’est pas évident qu’elles sont prescrites. Ermineskin savait que le programme énergétique avait des incidences défavorables sur ses droits, mais elle ignorait au moins jusqu’en mai 1986 que la Couronne n’avait pas évalué convenablement si la taxe à l’exportation et les droits d’exportation pourraient être évités par le paiement en nature des redevances pétrolières d’Ermineskin. La Couronne n’a pas communiqué ce fait à Ermineskin.

134.  Les éléments de preuve à cet égard soulèvent de véritables questions litigieuses qui, selon Ermineskin, ne peuvent être tranchées dans le cadre de la présente requête en jugement sommaire.

[Références supprimées.]

[251]  Ermineskin rappelle à la Cour les obligations de la nature d’obligations fiduciaires du Canada, puis elle conclut ainsi (mémoire d’Ermineskin, au paragraphe 140) :

[traduction]

Les principes susmentionnés étayent amplement la thèse selon laquelle la Couronne avait l’obligation d’examiner toutes les mesures raisonnables et licites envisageables pour protéger et maximiser la production à Pigeon Lake, et l’obligation de demander conseil auprès d’experts au sujet de ces mesures lorsqu’il était prudent de le faire. La Couronne elle‑même a reconnu qu’un objectif important était de s’assurer que les bandes indiennes obtenaient le rendement maximal de leurs ressources naturelles. Le défaut d’exercer son pouvoir discrétionnaire de ce faire – c’est‑à‑dire, par le paiement des redevances en nature – a entraîné une réduction importante des redevances pétrolières d’Ermineskin et a créé une situation qui était essentiellement abusive à l’égard d’Ermineskin alors qu’en fait, il y avait une méthode à laquelle la Couronne aurait pu recourir pour l’éviter.

[252]  Là encore, Ermineskin insiste sur le fond de sa demande, mais la question dont je suis saisi est celle de savoir si la question du [traduction] « paiement en nature » est un aspect distinct de la demande, dont Ermineskin n’avait pas connaissance à l’époque pertinente, et s’il existe une véritable question litigieuse à ce sujet.

[253]  Ermineskin concède que les documents internes du Canada mentionnent le [traduction« paiement en nature », mais elle dit que les mentions sont seulement [traduction] « superficielles ». Ermineskin signale également des concessions faites par le Canada selon lesquelles le Canada n’a pris aucune mesure pour recevoir les redevances en nature à l’époque pertinente. Cependant, je répète que cela concerne surtout le fond des demandes et non les questions dont je suis saisi.

[254]  Comme je l’ai déjà dit clairement, je ne suis pas convaincu que la question du [traduction] « paiement en nature » constitue une sorte de demande distincte qui doit être examinée isolément dans le cadre de la présente requête. Les causes d’action invoquées par les demandeurs sont essentiellement des demandes pour manquement à des obligations fiduciaires et fiduciales du fait d’avoir permis que les revenus de redevances des demandeurs soient réduits comme conséquence indirecte du programme. Il est allégué que le Canada a permis que cela se produise notamment en omettant de procéder à un examen complet du recours au [traduction] « paiement en nature » comme moyen de contrer les incidences défavorables du programme. À mon avis, il s’agit simplement d’un des aspects de la cause d’action, et non d’une demande distincte assujettie à un délai de prescription distinct. En fait, les demandeurs ne le mentionnent même pas dans leurs déclarations. Je ne dispose d’aucun élément de preuve qui démontre que les demandeurs n’ont pas introduit leurs demandes reliées au programme à l’intérieur du délai de prescription parce qu’ils manquaient de connaissances au sujet de la question du paiement en nature. À mon avis, les connaissances requises aux fins de la demande étaient simplement la connaissance des incidences défavorables du programme sur les redevances des demandeurs. Les demandeurs n’ont produit aucun élément de preuve qui tende à indiquer qu’ils ont tardé à introduire leurs actions parce qu’ils n’étaient pas au courant des implications de la question du [traduction] « paiement en nature » et de ses effets sur leurs droits issus de traités ou autres. Toutefois, les éléments de preuve démontrent aussi clairement, à mon avis, que les demandeurs étaient au courant de la question du paiement en nature à l’époque pertinente et de ses répercussions sur leurs droits à redevances fondés sur des droits issus d’un traité.

[255]  Les éléments de preuve dont je dispose démontrent que le Canada a discuté du paiement en nature et a examiné cette possibilité, mais Affaires indiennes en est venu à la conclusion que cette mesure n’était pas envisageable parce que d’autres ministères du gouvernement fédéral ne l’accepteraient pas. Voir l’interrogatoire préalable de J. Eichmeier, aux pages 09403 et 11664.

[256]  Toutefois, et il s’agit d’un fait plus important encore pour les présentes requêtes, les éléments de preuve dont je dispose démontrent que les demandeurs et leurs conseillers juridiques étaient au courant des implications de la question du [traduction] « paiement en nature » et qu’ils y prêtaient attention. Monsieur Moore, qui était le directeur de Ressources minérales des Indiens (Ouest) à l’époque pertinente, et qui a épaulé les demandeurs lorsque ceux‑ci ont tenté de convaincre le Canada de les prémunir contre les incidences du programme sur leur droit à redevances, a discuté de la question avec Me Roddick, le conseiller juridique des demandeurs qui connaissait le dossier à fond et qui y a beaucoup travaillé (voir l’affidavit de M. Cutknife, pièce A, aux pages 85 et 86) :

[traduction]

La présente fait suite à votre télex du 20 septembre 1973 dans lequel vous demandiez, pour le compte des chefs et conseillers [sic] de bandes dans votre district, des renseignements au sujet de l’effet de la nouvelle taxe fédérale de 40 cents par baril sur le pétrole brut exporté du Canada.

Il importe de souligner que la situation n’est pas tout à fait claire à l’heure actuelle, et la présente lettre se veut un bref examen qualitatif plutôt que quantitatif de la situation qui prévaut en ce moment. S’il devait s’avérer nécessaire d’examiner la situation plus en profondeur à une date ultérieure d’une manière quantitative, nous serions heureux de travailler avec votre bureau et les bandes concernées.

Pour comprendre l’effet de la taxe, il faut d’abord comprendre que le gouvernement fédéral a mis le processus en branle en demandant aux sociétés pétrolières de s’abstenir de toute autre hausse des prix du pétrole brut ou de l’essence vendue dans les stations‑service. Selon toute vraisemblance, la demande aurait été étayée par des mesures législatives ou d’autres mesures coercitives s’il n’y avait pas été donné suite. En conséquence du gel des prix du pétrole brut, le pétrole exporté aux États‑Unis s’y vendait à quelque 40 cents de moins que le pétrole obtenu d’autres sources dans ce pays. Ainsi, le Canada perdait 40 cents sur chaque baril de pétrole vendu. Lorsque je dis « le Canada », les avis sont très divers quant à savoir si ces 40 cents devraient appartenir au gouvernement provincial, au gouvernement fédéral ou au propriétaire des redevances. Quoi qu’il en soit, le gouvernement fédéral a instauré une taxe fédérale de 40 cents par baril qui est entrée en vigueur le 1er octobre 1973. Au moment d’écrire ces lignes, nous croyons comprendre que le mécanisme de perception de la taxe est l’objet de discussions. Autant que nous sachions, le gouvernement fédéral et la province de l’Alberta mènent de sérieuses discussions quant à savoir quelle proportion de la taxe peut être remise à l’Alberta puisqu’à peu près tout le pétrole exporté provient de l’Alberta.

S’il n’y avait pas eu de gel des prix, les sociétés pétrolières auraient sans aucun doute augmenté le prix du pétrole brut d’environ 40 cents du baril. Si cela s’était produit, les Indiens auraient reçu 40 cents par baril de plus au titre de leur redevance pétrolière. Étant donné que 40 cents représentent un peu plus de 10 pour 100 de la valeur d’un baril de pétrole, les bandes qui reçoivent des redevances pétrolières auraient vu leurs revenus de redevances augmenter d’un peu plus de 10 pour 100. Pour la réserve de Pigeon Lake, cela correspondrait à un montant d’environ 300 000 $ à 400 000 $.

Si un système à deux prix avait été instauré de sorte que le prix augmenté aurait été permis seulement pour le brut exporté, le problème devient quelque peu plus complexe puisqu’il faudrait déterminer si le pétrole produit à partir de différentes réserves indiennes était exporté ou utilisé au Canada. En revanche, il est peut‑être raisonnable de dire que quelque 75 pour 100 du pétrole est exporté, et l’effet sur les revenus de redevances des Indiens serait réduit de 25 pour 100 par rapport aux chiffres cités au paragraphe précédent. Un système à deux prix et son effet immédiat sur les revenus des Indiens seraient difficiles à évaluer et sans doute aussi à administrer puisque la société pétrolière qui produit le pétrole ne serait probablement pas l’exportatrice du pétrole. Le pétrole passerait vraisemblablement d’une société pétrolière à une société de pipeline, d’où il serait difficile de déterminer avec précision quel pétrole était exporté.

À l’heure actuelle, le gouvernement fédéral n’a pas annoncé son intention au sujet de taxes éventuelles sur le gaz naturel, et je n’ai pas eu le temps d’examiner les effets sur les produits liquides dérivés du gaz comme les essences naturelles, les condensats, les propanes et les butanes.

Comme je l’ai dit plus haut, nous ne savons pas si le gouvernement fédéral remettra à la province une part quelconque de la taxe de 40 cents ni, le cas échéant, quelle proportion. Si la taxe est remise sous la forme d’une taxe, il semblerait hautement improbable qu’une remise soit faite aux propriétaires et aux Indiens.

Aucune tentative n’est faite ici ni de justifier ni de condamner la procédure fédérale. Le gel des prix du pétrole et de l’essence est une tentative de prévenir la montée en flèche du coût de la vie, et tout gel de prix touche chacun de nous d’une manière différente. Dans ce cas‑ci, le gel des prix touchera les bandes qui tirent des revenus du pétrole. Nous ne savons pas quelle pourrait être la situation quant au gaz naturel à l’avenir.

Voir aussi l’affidavit en réponse de Debra Lee Degenstein, souscrit le 20 mars 2014, pièces A et B.

[257]  Le compte rendu des débats à la Chambre des communes du 10 avril 1978 publié dans le Hansard démontre clairement que la question du paiement en nature était généralement connue et débattue (affidavit de Mme Degenstein, pièce 80) :

M. Stan Schellenberger (Wetaskiwin) propose :

Que, de l’avis de la Chambre, le gouvernement devrait étudier l’opportunité de prendre les mesures nécessaires pour que la question du remboursement de la taxe d’exportation imposée sur le pétrole pris des territoires indiens soit réglée de façon satisfaisante.

‑Monsieur l’Orateur, je soulève aujourd’hui une question que j’ai signalée à maintes reprises à la Chambre, non pas en présentant une motion, mais en posant des questions au cours de la période des questions, aux comités de la Chambre des communes et par le biais de la motion d’ajournement entre 10 heures et 10 heures 30, le soir.

[...]

Immédiatement après la mise en vigueur de la taxe à l’exportation du pétrole, les Indiens ont commencé à poser de nombreuses questions fondamentales. Des questions comme les suivantes. Le pétrole extrait du sous‑sol des réserves indiennes, autant la part du locataire que celle du locateur, devrait‑il être exempté de la taxe, en vertu de la loi sur les Indiens? Si l’une ou l’autre part, ou les deux, devaient être exemptées, le pétrole pourrait‑il aussi profiter du prix élevé du pétrole vendu à l’étranger? Sa Majesté, c’est‑à‑dire le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, pourrait‑elle former un office de commercialisation pour exporter la part de pétrole que représentent les redevances prises en nature ou les parts du concessionnaire et du bailleur, ce qui éviterait le paiement de la taxe et permettrait d’obtenir un prix supérieur? Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien pourrait‑il obtenir une remise pour les bandes productrices en fonction d’une part convenable du volume qui pourrait être considérée comme étant exportée? Pourrait‑on procéder de la sorte pour obtenir des prix plus élevés pour le pétrole vendu sur le marché intérieur? Toutes ces questions ont été posées par des députés à la Chambre et au ministère même.

[...]

On conviendra, je crois, que si Sa Majesté, représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien cherchait à exporter le pétrole, Sa Majesté, du chef du ministre des Finances, essaierait de trouver un moyen d’imposer une taxe sur ce pétrole. Un problème assez voisin s’était déjà posé lorsque le ministère des Finances décréta que les redevances payables au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, et au ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources étaient assujetties aux règlements de l’impôt sur le revenu des sociétés.

[...]

[258]  Monsieur Schellenberger, qui est mentionné dans l’extrait précité, était le député de la circonscription de Wetiaskiwin, la circonscription électorale fédérale dans laquelle se trouve la réserve, et il aidait activement les demandeurs à tenter de convaincre le gouvernement alors au pouvoir de les prémunir contre les incidences du programme.

[259]  Ces éléments de preuve démontrent que les demandeurs ainsi que ceux qui les conseillaient et ceux qui les aidaient étaient parfaitement au courant de la question du [traduction] « paiement en nature » et que cette question était débattue généralement. Ils étaient aussi parfaitement conscients que le gouvernement ne recourrait pas au [traduction] « paiement en nature » pour contrer les incidences défavorables du programme sur le droit à redevances des demandeurs.

[260]  Je répète qu’il est très significatif et révélateur que les demandeurs n’aient pas présenté le témoignage de Me Roddick pour contredire ce que le dossier général nous dit au sujet de cette question. Je ne peux que conclure que, même si la question du [traduction] « paiement en nature » pouvait être considérée comme un aspect distinct des demandes des demandeurs, au plus tard en 1978, les demandeurs connaissaient tous les faits dont ils avaient besoin pour prendre le gouvernement du Canada à partie sur cette question par voie d’action en justice. Les demandeurs savaient que le paiement en nature était une façon envisageable de contrer les incidences défavorables du programme sur leurs redevances, et ils savaient que le gouvernement avait pris la décision de ne pas soustraire les demandeurs aux effets du programme ni de les aider en recourant au paiement en nature. Les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve démontrant ce qu’ils savaient au moment où ils ont introduit les présentes demandes, mais qu’ils ne savaient pas avant l’expiration du délai de prescription. Ils ont menacé de saisir les tribunaux, mais ils ont choisi de ne pas le faire.

j)                    Obstacles juridiques et pratiques

[261]       S’appuyant sur l’arrêt Guerin, précité, rendu en 1984, Ermineskin affirme qu’il y avait des obstacles juridiques et pratiques à l’introduction des réclamations reliées au programme avant le moment où les demandeurs les ont introduites. Cette fois encore, Ermineskin évoque les thèmes qui ont été évoqués dans d’autres affaires – dépendance envers le Canada, encouragement du Canada à se fier au Canada et à ses experts et à rechercher une solution politique, manque des connaissances de base nécessaires pour pouvoir donner des instructions utiles à des professionnels –, mais les éléments de preuve dont je dispose révèlent une situation passablement différente. Ces éléments de preuve démontrent une compréhension immédiate des incidences défavorables du programme sur les redevances des demandeurs, et des discussions entreprises immédiatement et poursuivies sur une longue période par les demandeurs et leurs conseillers juridiques et autres avec le Canada afin de trouver une solution politique qui permette de soustraire les demandeurs aux effets du programme, de même que l’aide du ministère des Affaires indiennes, de Ressources minérales des Indiens (Ouest) et d’autres dans le cadre des échanges avec le gouvernement canadien et ses ministres. Au terme de ces démarches, le Canada a définitivement rejeté toute solution politique. À ce stade, les demandeurs savaient que le gouvernement leur opposait un « Non » définitif, et ils ont de toute évidence examiné les options qui s’offraient à eux en droit puisqu’en fait, ils ont menacé d’intenter une action en justice. Les éléments de preuve tendent à indiquer une parfaite compréhension des incidences du programme, une parfaite compréhension des options, y compris l’action en justice, et une décision consciente de ne pas intenter d’action en justice après avoir pris conseil. Il n’y a aucun élément de preuve qui étaye les allégations relatives à l’existence d’obstacles pratiques.

[262]  Quoi qu’il en soit, il est curieux qu’Ermineskin invoque l’arrêt Guerin alors qu’elle a déposé sa propre déclaration quelque huit (8) ans après le prononcé de l’arrêt Guerin.

[263]  À cet égard, la présente affaire ressemble beaucoup à l’affaire Lameman CSC, précitée, dans laquelle la Cour suprême du Canada a conclu que les demandeurs étaient clairement au courant de leur cause d’action dans les années 1970. Comme dans Lameman CSC, les demandeurs en l’espèce n’ont pas présenté d’éléments de preuve pour démontrer qu’ils n’étaient pas au courant des faits pertinents et des options juridiques à l’époque pertinente, ni pour démontrer qu’ils n’avaient pas reçu tous les conseils ou toute l’assistance nécessaires de professionnels et de fonctionnaires compétents à l’égard de toutes les implications découlant de la mise en œuvre du programme et des façons de composer avec les incidences défavorables du programme sur leurs redevances. Dans Lameman CSC, précité, la Cour suprême du Canada a conclu que le manque de preuves et d’explications quant à savoir comment les demandeurs avaient pu ne pas être au courant des faits qui sur lesquels était fondée la demande menait à l’inférence que « la découverte des causes d’action, au sens de la Limitation of Actions Act [de l’Alberta], est devenue possible dans les années 1970, et que les demandes sont maintenant prescrites » (au paragraphe 18).

[264]  Le fait que les demandeurs en l’espèce aient ensuite engagé de nouveaux avocats et aient reçu des conseils différents après l’expiration du délai de prescription n’entraîne pas l’irrecevabilité de la défense de prescription du Canada, et il ne s’ensuit pas que les demandeurs n’étaient pas au courant de tous les faits dont ils avaient besoin pour pouvoir introduire leur action ni qu’ils avaient été mal conseillés auparavant. Les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve concernant les changements qui les avaient amenés à intenter une action en justice. Le Canada a donné à entendre que les demandeurs avaient pu obtenir certaines concessions politiques au cours de la période pertinente qui les avaient peut‑être amenés à renoncer à saisir les tribunaux, mais je suis d’avis qu’il s’agit là d’hypothèses et que, en tout état de cause, cela n’est pas pertinent au regard de la question à trancher en l’espèce, qui est celle de savoir si les demandeurs connaissaient les faits nécessaires pour pouvoir intenter une action en justice à l’intérieur du délai de prescription.

k)                  Fraude en equity

[265]  Ermineskin évoque également la fraude en equity, ou la dissimulation frauduleuse, comme motif de reporter le point de départ de la prescription. L’argument d’Ermineskin est le suivant :

[traduction]

204.  Si un délai de prescription d’origine législative est applicable aux réclamations reliées au programme énergétique, alors il existe une véritable question litigieuse quant à savoir si la doctrine de la fraude en equity s’applique de manière à reporter le délai de prescription. Toutefois, cette question ne devrait pas être tranchée sur requête en jugement sommaire parce qu’un juge des requêtes ne devrait pas statuer sur une question de fait sérieuse reposant sur des inférences. La fraude en l’espèce est le défaut de la Couronne de dévoiler à Ermineskin qu’elle n’avait pas l’intention d’envisager de recevoir des redevances en nature et son défaut de dévoiler qu’elle n’avait pas les moyens d’examiner convenablement toutes les options qui s’offraient à Ermineskin à l’égard de ses ressources lorsque la Loi sur la taxe à l’exportation du pétrole est entrée en vigueur.

[266]  L’argument d’Ermineskin en faveur de l’existence d’une fraude en equity fait tout simplement fi des éléments de preuve dont je dispose en l’espèce qui démontrent à la Cour non seulement que les demandeurs étaient parfaitement au courant de tous les faits dont ils avaient besoin pour fonder leurs prétentions selon lesquelles le programme aurait comme conséquence indirecte qu’ils recevraient moins de redevances qu’ils auraient reçues autrement et le programme a eu cette conséquence. Les éléments de preuve révèlent également que les demandeurs étaient parfaitement conscients que le gouvernement du Canada n’aurait pas recours au [traduction] « paiement en nature » comme moyen d’atténuer éventuellement les incidences du programme sur les redevances des demandeurs.

[267]  Cette fois encore, la Cour a du mal à comprendre les allégations de dissimulation frauduleuse des demandeurs parce que ceux‑ci n’ont pas présenté d’éléments de preuve démontrant ce qu’ils savaient au moment où ils ont introduit les présentes demandes et ce qu’ils ne savaient pas durant le délai de prescription, et quels faits leur ont été cachés dont ils avaient besoin pour pouvoir introduire leurs réclamations reliées au programme.

[268]  Je ne dispose d’aucun élément de preuve démontrant que le Canada a perpétué une fraude, ou que la fraude a dissimulé un fait important que les demandeurs auraient à prouver pour obtenir gain de cause au procès, ou que les demandeurs ont fait preuve de diligence raisonnable pour découvrir la fraude. Voir Ambrozic, précité.

[269]  Par ailleurs, je ne vois aucune preuve d’une conduite peu scrupuleuse de la part du Canada tout au long de la période pertinente. Les demandeurs estiment évidemment qu’il était peu scrupuleux de la part du Canada de ne pas les soustraire aux effets du programme, mais le Canada a fait des choix stratégiques, et il a clairement communiqué ces choix aux demandeurs et à leurs conseillers. En définitive, je ne vois aucun élément de preuve qui puisse étayer une allégation de fraude en equity ou qui puisse justifier de suspendre le délai de prescription.

(4)               Manque de diligence et acquiescement

[270]  Le Canada a également invoqué le manque de diligence et l’acquiescement comme motifs pour lesquels il n’existe pas de véritable question litigieuse dans le cadre de la présente partie de l’action des demandeurs. Étant donné les conclusions qui précèdent, il n’y a aucune raison d’examiner ces motifs.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.      En vertu de l’article 215 des Règles des Cours fédérales, les demandes des demandeurs visées au paragraphe d) de l’ordonnance du juge Teitelbaum du 17 septembre 2002 reliées à la question du régime de prix réglementés sont rejetées au motif qu’elles sont prescrites.

2.      Les parties peuvent s’adresser à la Cour, par écrit, au sujet des dépens relativement aux présentes requêtes.

3.      Le présent jugement et les présents motifs seront versés aux dossiers de la Cour numéros T‑2022‑89 et T‑1254‑92.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIER :

T‑2022‑89

 

INTITULÉ :

LE CHEF VICTOR BUFFALO, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA BANDE ET DE LA NATION INDIENNES DE SAMSON ET AUTRES c SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA ET AUTRES

 

ET DOSSIER :

T‑1254‑92

 

INTITULÉ :

LE CHEF JOHN ERMINESKIN ET AUTRES c SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA ET AUTRES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

26 AU 30 JANVIER 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 9 JUILLET 2015

 

COMPARUTIONS :

Clarke Hunter, c.r.

J. Raymond Chartier

Martha Peden

 

pour les demandeurs

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

ET AUTRES

 

Douglas Rae

Brooke Barrett

Tibor Osvath

 

POUR LES DÉFENDEURS

LE CHEF VICTOR BUFFALO, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA BANDE ET DE LA NATION INDIENNES DE SAMSON ET AUTRES

 

Joseph C. McArthur

Sarah Smith

 

POUR LES DÉFENDEURS

LE CHEF JOHN ERMINESKIN,

LAWRENCE WILDCAT ET AUTRES

 

Neil Dobson

Alberta Justice

Calgary (Alberta)

 

POUR L’INTERVENANT

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

Norton Rose Fulbright Canada LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

pour les demandeurs

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA ET AUTRES

 

Rae and Company

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DÉFENDEURS

LE CHEF VICTOR BUFFALO, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA BANDE ET DE LA NATION INDIENNES DE SAMSON ET AUTRES

 

Blake, Cassels & Graydon LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DÉFENDEURS

LE CHEF JOHN ERMINESKIN,

LAWRENCE WILDCAT ET AUTRES

 

Neil Dobson

Avocat

 

POUR L’INTERVENANT

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

 

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