Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150713


Dossier : IMM-7266-14

Référence : 2015 CF 856

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

RICHARD MARSHALL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demande d’asile au Canada présentée par M. Marshall fut un échec. Depuis lors, il a eu cinq, oui cinq, demandes d’examen des risques avant renvoi. Il a été décidé cinq fois qu’il ne serait pas exposé à une menace grave s’il était renvoyé à Trinité‑et‑Tobago. Cinq fois, il a obtenu l’autorisation pour que ces décisions soient judiciairement contrôlées. Les quatre premières fois, la Cour a accueilli ses demandes et renvoyé l’affaire pour qu’il soit statué à nouveau sur celle-ci. En l’espèce, il s’agit de la décision relative au cinquième contrôle judiciaire. Pour la cinquième fois, la décision d’un agent principal d’immigration est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci.

[2]               Comme la situation de M. Marshall a été clairement énoncée dans le quatrième contrôle judiciaire, celui sur lequel le juge Rennie a statué et qui portait la référence 2013 CF 726, il n’est pas nécessaire que j’expose les faits en détail. Il suffit de dire que selon le dossier, lorsqu’il était jeune, M. Marshall a émigré avec ses parents aux États-Unis. Toutefois, pendant qu’il était là-bas, il a été déclaré coupable de [traduction] « possession d’héroïne avec l’intention d’en faire la distribution », et il a été emprisonné pendant six ans. Il a été ultérieurement expulsé à Trinité‑et‑Tobago en 2001.

[3]               À son retour, M. Marshall prétend qu’il s’est converti à l’islam et d’une certaine façon s’est joint à des policiers musulmans. Il a compris qu’ils étaient des voyous et a décidé de se détourner de l’islam. Il allègue que sa vie a été menacée en raison des renseignements qu’il possède, en particulier par un policier malhonnête, maintenant ex‑policier et ex‑détenu, dont le nom de rue était « Robocop ».

[4]               Il est arrivé au Canada en 2004 muni d’un visa de visiteur et a par la suite demandé l’asile, sans succès.

[5]               Au cœur de son allégation selon laquelle il serait tué s’il retournait à Trinité‑et‑Tobago, il a produit deux lettres : une qui proviendrait du sergent Steve Michael Moss des forces policières de Trinité‑et‑Tobago, et une autre du surintendant Joseph Saunders du service carcéral de Trinité‑et‑Tobago; dans ces lettres, les auteurs déclarent sans hésitation qu’ils tueront le demandeur à son retour.

[6]               Au moment où le quatrième ERAR a été examiné, M. Marshall a été avisé que le haut‑commissariat du Canada possédait des renseignements selon lesquels ces deux personnes n’existaient pas, et que, par conséquent, les lettres étaient frauduleuses. Il y a maintenant une autre lettre de M. Moss dans le dossier dans laquelle celui-ci déclare qu’en raison de ces révélations, il a dû s’enfuir de Trinité et Tobago parce qu’il craignait pour sa vie et qu’il vit maintenant en cachette à New York.

[7]               M. le juge Rennie a décidé que l’analyse menée par l’agent était dans l’ensemble déraisonnable. M. Marshall a comparu devant l’agent, celui-ci avait des réserves relativement à la crédibilité du demandeur. Comme le juge Rennie l’a fait remarquer au paragraphe 27 :

[…] Ces réserves étaient raisonnables, à la lumière des déclarations faites par les autorités de Trinité‑et‑Tobago selon lesquelles certaines lettres n’étaient peut-être pas authentiques.

[8]               Étant donné qu’il avait tranché l’affaire selon la norme de la décision raisonnable, comme le juge Rennie l’a lui-même fait remarquer, il n’était pas nécessaire d’aborder la question de l’équité procédurale. Toutefois, le juge Rennie a déclaré que si le prochain agent se fondait sur les documents des autorités policières de Trinité et Tobago, l’équité procédurale « aurait exigé, dans les circonstances de l’espèce, la divulgation du message envoyé par le haut‑commissariat du Canada à Port of Spain aux autorités trinidadiennes ». Toutefois, le juge Rennie a ajouté ce qui suit, au paragraphe 38 :

Si l’agent avait accepté l’authenticité des documents, une telle divulgation n’aurait pas été nécessaire. Il aurait également pu être raisonnable pour l’agent d’apprécier la crédibilité du demandeur sans se fonder sur cet élément de preuve contesté.

[9]               Le juge Rennie a renvoyé l’affaire pour nouvel examen par un autre agent d’examen des risques avant renvoi dans un bureau situé ailleurs qu’à Toronto.

[10]           Le cinquième examen des risques avant renvoi, celui dont je suis saisi, a été mené par un agent principal d’immigration à Niagara Falls.

[11]           Bien que l’avocate ait demandé la tenue d’une audience, celle-ci a été refusée au motif qu’il n’y avait pas de question grave quant à la crédibilité. L’agent a tenu compte de l’opinion incidente du juge Rennie et a traité les lettres de messieurs Moss et Saunders comme étant authentiques.

[12]           L’agent est arrivé à la conclusion que les lettres n’étaient pas suffisantes pour réfuter la présomption de l’existence de la protection de l’État, en particulier parce que la source du renseignement confidentiel n’a pas été révélée. C’était une erreur fatale.

[13]           Il existe un principe de common law quant à l’existence d’un privilège à l’égard des « indicateurs de police ». Dans l’arrêt Bisaillon c Keable, [1983] 2 RCS 60, il est fait référence à l’arrêt Marks c Beyfus, (1890) 25 QBD 494, dans lequel Lord Esher a écrit :

[…] comme une règle d’intérêt public qui échappe à tout pouvoir discrétionnaire; [TRADUCTION] il s’agit d’un principe de droit et il doit à ce titre être appliqué par le juge au procès qui ne doit pas considérer qu’il a le pouvoir discrétionnaire de dire au témoin s’il doit répondre ou non.

[14]           Le privilège relatif aux indicateurs de police revêt une telle importance « qu’une fois qu’ils ont conclu à son existence, les tribunaux ne peuvent pas soupeser l’avantage qui en découle en fonction de facteurs compensatoires comme, par exemple, le privilège de la Couronne ou les privilèges fondés sur le critère à quatre volets de Wigmore »; voir l’arrêt R c Leipert, [1997] 1 RCS 281, au paragraphe 12.

[15]           L’objectif du privilège d’un indicateur fait partie de la protection de l’identité de l’indicateur; voir l’arrêt Bisaillon, précité; Leipert, précité; R c Hunter, 34 CCC (3d) 14, [1987] OJ no 328 (QL); R c Atout, 2013 ONSC 1312, au paragraphe 19; R c Barros, 2011 CSC 51, [2011] 3 RCS 368, au paragraphe 30.

[16]           La prochaine fois, il est hors de question de nier que la crédibilité est au cœur de l’affaire. S’il n’existe ni M. Moss ni M. Saunders, alors M Marshall est un menteur absolu. Par contre, s’ils existent et qu’ils ont bien écrit les lettres en question, les lettres ne peuvent pas être rejetées parce que leurs auteurs n’ont pas donné de détails sur les renseignements de leur indicateur confidentiel. La crédibilité de M. Marshall et la protection de l’État devraient être examinées en étant conscient de cela.

[17]           Il convient de se souvenir que l’arrêt de principe traitant de la protection de l’État est Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689; dans cette affaire, une preuve claire provenant de fonctionnaires irlandais révélait que l’État n’était pas en mesure de protéger M. Ward. Si les lettres de messieurs Moss et Saunders se révèlent être authentiques, alors il serait inapproprié d’arriver à une conclusion d’existence de la protection de l’État fondée sur les conditions générales dans le pays. Comme dans l’arrêt Ward, les autorités de Trinité‑et‑Tobago devront être précisément engagées.

[18]           Une divulgation complète doit aussi être donnée de la correspondance entre le haut‑commissariat du Canada et les autorités de Trinité‑et‑Tobago, de sorte que M. Marshall, comme l’exige la justice naturelle, ait l’occasion d’y répondre. Une évaluation du risque auquel il est exposé sera menée uniquement à la suite d’une entrevue de vive voix.

[19]           M. Marshall a demandé l’adjudication des dépens. Les dépens n’ont pas été adjugés dans les quatre premiers contrôles judiciaires. Étant donné que, dans le présent contrôle, l’agent a suivi une directive du juge Rennie, mais l’a mise en œuvre de manière erronée, je ne vois aucune raison pour laquelle le principe général en matière d’immigration selon lequel les affaires sont tranchées sans adjudication des dépens devrait être modifié.


JUGEMENT

VU LES MOTIFS ÉNONCÉS,

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  L’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent d’examen des risques avant renvoi conformément aux directives formulées dans les présentes.

3.                  Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

« Sean Harrington »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7266-14

INTITULÉ :

MARSHALL c MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 JUILLET 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS

LE 13 JUILLET 2015

COMPARUTIONS :

Erin Christine Roth

POUR LE DEMANDEUR

Rachel Hepburn

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bellissimo Law Group

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.