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Date : 20150629


Dossier : IMM-5706-14

Référence : 2015 CF 805

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 juin 2015

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

RACHID FATHI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, M. Rachid Fathi, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 25 juin 2014 par laquelle un agent des visas de l’ambassade du Canada au Maroc a rejeté sa demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire concernant une décision antérieure portant qu’il est interdit de territoire au Canada pour raisons de sécurité. La demande de contrôle judiciaire est fondée sur l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], tandis que la décision portant interdiction de territoire a été prise en vertu des alinéas 34(1)f) et 34(1)c) de la LIPR.

I.                   Les antécédents en matière d’immigration

[2]               Il convient d’évoquer en détail les antécédents du demandeur en matière d’immigration.

[3]               Le demandeur est entré au Canada en octobre 1992 au moyen d’un visa de visiteur pour prendre part à une compétition d’arts martiaux. Il n’a pas quitté le pays à l’expiration de son visa et il est resté au Canada, sans statut, jusqu’en mars 2005. Il n’est pas revenu depuis cette date.

[4]               Durant son séjour au Canada, le demandeur s’est marié deux fois avec des citoyennes canadiennes. Le premier mariage s’est soldé par un divorce; le demandeur est toujours marié à sa seconde femme, qu’il a épousée en mars 2004. Deux enfants sont issus de ce mariage : une fille, née en 2006, et un fils, né en 2010. Les deux enfants sont nés au Canada et sont citoyens canadiens, tout comme l’épouse de M. Fathi.

[5]               Le demandeur a déposé une première demande de résidence permanente en 1995; il était alors parrainé par sa première épouse. Il n’a pas été donné suite à cette demande, puisque leur mariage a pris fin. En novembre 2004, il a présenté une nouvelle demande de résidence permanente, parrainée cette fois-ci par son épouse actuelle. C’est en février 2005 que le demandeur a révélé qu’il se trouvait au Canada sans statut et, le 17 mars suivant, il s’est présenté devant les autorités de l’immigration et est retourné au Maroc sur un vol préalablement arrangé.

[6]               Il a donné suite à sa demande de résidence permanente depuis le Maroc. Le demandeur a donc passé une entrevue à l’ambassade du Canada en septembre 2005. Son mariage a été jugé authentique. C’est à l’occasion des vérifications de sécurité qui s’imposaient également à ce stade que certaines préoccupations ont été soulevées quant aux activités et aux contacts du demandeur à Montréal, où il a résidé pendant son séjour au Canada. Le demandeur s’est présenté à une deuxième entrevue en octobre 2006, où il a été interrogé à ce sujet. Ses réponses étaient truffées de mensonges et de fausses déclarations. En janvier 2008, il a sollicité une troisième entrevue, pour clarifier les renseignements qu’il avait fournis. L’entrevue s’est déroulée en avril de cette année-là : le demandeur a admis qu’il avait menti durant la deuxième entrevue et qu’il avait acheté et utilisé de faux documents lorsqu’il vivait au Canada.

[7]               Il appert que le demandeur a acheté un faux passeport canadien en 1996 ainsi que d’autres documents, tous au nom de Rachid Farouq. Il s’est procuré ces documents chez un « Costaricain » et a voyagé hors du pays muni de ce passeport à au moins deux reprises à la fin des années 90, en Allemagne et au Maroc. Le demandeur a mentionné qu’après le 11 septembre 2001, il a détruit le passeport et les documents au nom de Farouq et a repris sa véritable identité.

[8]               Durant la même période, le demandeur a fréquenté des personnes passant pour être liées à des organisations terroristes d’Afrique du Nord, notamment un certain Abdellah Ouzghar. M. Ouzghar a fini par être extradé en France en raison d’infractions liées à la contrefaçon de titres de voyage et à l’appartenance à une organisation terroriste (France c Ouzghar, 2009 ONCA 69).

[9]               Le 26 mai 2010, un fonctionnaire de Citoyenneté et Immigration de l’ambassade du Canada au Maroc a rendu une décision par laquelle il rejetait la demande parrainée de résidence permanente du demandeur. Il a été établi que ce dernier était interdit de territoire au Canada pour des raisons de sécurité, puisqu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’il s’était livré au terrorisme et qu’il faisait partie d’une organisation terroriste. Plus spécifiquement, l’agent a fait valoir que le demandeur était associé au Groupe islamique armé [GIA] et au Groupe islamique combattant libyen [GICL]. L’agent a également établi que le demandeur était interdit de territoire au Canada pendant deux ans pour fausses déclarations aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, en raison de ses mensonges lors des entrevues et de son utilisation de documents frauduleux et du pseudonyme Farouq.

[10]           Cette décision a été contestée en contrôle judiciaire devant la Cour (le demandeur ne s’est pas opposé à son interdiction de territoire de deux ans pour fausses déclarations aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR).

[11]           La demande de contrôle judiciaire a été rejetée (Fathi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 558). Même si elle a estimé qu’aucune preuve au dossier ne permettait d’établir que le demandeur se livrait au terrorisme, la Cour a conclu qu’il existait une « preuve limite, mais suffisante » pour confirmer le caractère raisonnable de la décision relative à l’interdiction de territoire pour appartenance à une organisation terroriste au titre de l’alinéa 34(1)f). De l’avis de la Cour, la fréquentation par le demandeur de M. Ouzghar et d’autres relations à Montréal, combinée à ses mensonges et à l’utilisation d’un faux passeport et d’une fausse identité, répondait au critère des « motifs raisonnables de croire » pour fonder une conclusion au titre de l’alinéa 34(1)f).

[12]           La période d’interdiction de territoire de deux ans écoulée, une nouvelle demande de résidence permanente a été présentée le ou vers le 27 février 2013. Le demandeur est parrainé par son épouse. La Cour a été informée durant l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire qu’aucune demande d’exception ne semble avoir été adressée au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile pour qu’il déclare, s’il est convaincu « que cela ne serait pas contraire à l’intérêt national », que les faits en présence n’emportent pas interdiction de territoire (paragraphe 42.1(1) de la LIPR).

[13]           En juillet 2013, des observations et documents ont été soumis à l’appui de la demande. Les observations quant aux considérations d’ordre humanitaire mettent l’accent sur l’intérêt supérieur des enfants du demandeur, les conséquences de la séparation sur les proches et les difficultés qu’ils subiraient au Maroc. Le demandeur fait valoir, au sujet de l’intérêt supérieur des enfants, qu’ils sont privés de ses soins quotidiens et de son soutien émotionnel, ce qu’ils sont en droit d’attendre de leurs deux parents. S’ils devaient vivre au Maroc, ses enfants ne bénéficieraient que d’opportunités restreintes en matière d’études et de développement social; d’ailleurs, lorsqu’ils ont tenté de s’installer au Maroc, sa fille a eu beaucoup de mal à s’adapter à la vie dans ce pays, et s’est sentie déprimée et isolée. Le demandeur soutient que son épouse et ses enfants ont déjà essayé par trois fois de vivre avec lui au Maroc, mais qu’ils n’ont pas pu rester à cause d’un sentiment de dépression et d’isolement. Ainsi, la famille se heurterait à une séparation permanente, à moins que la demande ne soit acceptée.

[14]           Le demandeur a fait valoir, au sujet des difficultés qui se présenteraient au Maroc, que son épouse et sa fille se heurteraient à des épreuves particulières en raison des attitudes de la société et du gouvernement à l’égard des femmes. Il affirme par ailleurs que les soins de santé au Maroc sont déficients, que les bénéficiaires doivent souvent assumer leurs propres frais et que le ratio docteur-patients est plus faible que partout ailleurs en Afrique du Nord. Enfin, le demandeur soutient que le taux de chômage élevé au Maroc, notamment pour les femmes diplômées, atteste les difficultés auxquelles sa famille se heurterait dans ce pays. Compte tenu de ces circonstances, le demandeur prétend que la demande justifiait qu’une décision favorable soit rendue sur la base des considérations d’ordre humanitaire, car celles-ci ont préséance sur son interdiction de territoire au Canada.

II.                La décision visée par la demande de contrôle judiciaire

[15]           La décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été rendue le 25 juin 2014. Un agent des visas de l’ambassade du Canada au Maroc a rejeté la demande, et ce, pour les motifs suivants :

[traduction]

J’ai tiré cette conclusion, parce que les membres de votre famille peuvent également être réunis au Maroc, si vous et votre répondante choisissez cette avenue. Vous avez une entreprise qui fonctionne bien ici et vous pouvez subvenir aux besoins de votre famille. Votre répondante a également des perspectives d’emploi ici, et même s’ils ne sont pas universels, le Maroc offre de bons services en matière d’éducation et de soins de santé.

De nombreux autres couples, dont l’un des conjoints né au Canada ou d’une autre nationalité a épousé un Marocain, sont en mesure de vivre et de bien s’occuper de leur famille (avec des enfants des deux sexes) et de mener des vies normales et productives au Maroc. Même si des ajustements devront sans doute être apportés, comme ce serait le cas en déménageant dans n’importe quel autre pays, et bien que le Maroc soit différent du Canada d’un point de vue culturel, économique et social, la nécessité de ces ajustements et l’expérience de ces différences ne peuvent être généralement qualifiées de difficultés excessives.

Je relève que, hormis ce qui a été mentionné dans les observations, rien n’établit que votre répondante et votre fille aînée aient souffert de dépression et d’isolement lorsqu’elles se trouvaient au Maroc, ou qu’elles aient des traits de personnalité ou des problèmes particuliers qui les empêchent de s’adapter par la suite à la vie dans ce pays si vous et votre répondante décidiez de vivre ensemble ici. Elles peuvent aussi vous rendre visite n’importe quand si elles décident de rester au Canada.

C’est cette décision qui est visée par la demande de contrôle judiciaire.

III.             La position du demandeur

[16]           Le demandeur soutient que l’intérêt supérieur des enfants va dans le sens de la réunification familiale, laquelle a, à son tour, préséance sur l’interdiction de territoire. Il prétend que la décision portant rejet de la demande fondée sur des considérations humanitaires est déraisonnable.

[17]           Tout d’abord, le demandeur conteste la conclusion concernant les difficultés découlant d’un déménagement au Maroc. Il affirme, en invoquant les efforts déployés par les membres de la famille pour vivre dans ce pays durant certaines périodes, que le décideur se livre en conjecture et omet de tenir compte de la preuve; il reproche à l’agent [traduction] « de se fier à ses propres connaissances non documentées d’après lesquelles d’autres personnes se sont adaptées, et d’avoir omis de tenir compte de la preuve portant sur la situation du demandeur » (mémoire des faits et du droit du demandeur, au paragraphe 22).

[18]           Le demandeur s’attarde en deuxième lieu sur l’intérêt supérieur des enfants. Citant l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], il rappelle l’importance de ce facteur. Il soutient que le décideur a écarté l’intérêt supérieur des enfants, qui n’a pas été défini, et qui inclut la nécessité de la réunification familiale. En outre, la décision ne comportait aucune analyse approfondie, ce qui montre qu’elle est déraisonnable, d’après le demandeur, car le décideur aurait dû évaluer dans quelle mesure l’intérêt des enfants est mis en péril par la décision de ne pas permettre la réunification de la famille au Canada.

[19]           Enfin, le demandeur fait valoir que les enfants, qui sont citoyens canadiens, ont le droit de rester au Canada, et qu’aucun poids n’a été accordé à cet élément dans la décision rendue.

IV.             Analyse

[20]           La présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la décision visée par la demande de contrôle judiciaire est déraisonnable.

[21]           Deux questions préliminaires doivent d’abord être examinées et tranchées. Dans son mémoire des arguments, le défendeur cite le paragraphe 25(1) de la LIPR en sa version actuelle :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

[22]           Si cette disposition s’applique, le fait que le demandeur ait été jugé interdit de territoire au titre de l’article 34 de la LIPR semblerait l’exclure du champ d’application du paragraphe 25(1) : lorsqu’un étranger se trouvant hors du Canada présente une demande de visa de résident permanent, non seulement l’examen de son cas est discrétionnaire (l’expression « peut », plutôt que « est tenu » est employée dans le cas d’un étranger se trouvant au Canada), mais il ne peut s’agir d’un étranger « [...] interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 ».

[23]           Cependant, bien que les observations à l’appui de la demande de résidence permanente aient été envoyées pour le compte du demandeur le 13 juillet 2013, soit après l’entrée en vigueur de la disposition en juin de la même année, la demande elle-même a été présentée le 27 février 2013 (dossier certifié du tribunal [DCT], pages 1 et 65-66).

[24]           La modification apportée au paragraphe 25(1) était incluse dans la Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers, LC 2013, c 16, qui a reçu la sanction royale le 19 juin 2013. Cette Loi prévoit que l’ancien paragraphe 25(1) s’applique aux demandes présentées avant l’entrée en vigueur de la nouvelle disposition. L’article 29 du c 16 prévoit :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

Humanitarian and compassionate considerations

29. Le paragraphe 25(1) de la Loi, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 9, continue de s’appliquer à toute demande présentée au titre de ce paragraphe 25(1) si aucune décision n’a été rendue relativement à cette demande avant l’entrée en vigueur de cet article 9.

29. Subsection 25(1) of the Act, as it read immediately before the day on which section 9 comes into force, continues to apply in respect of a request made under that subsection 25(1) if, before the day on which section 9 comes into force, no decision has been made in respect of the request.

[25]           Du moment que la demande a été présentée avant le 19 juin 2013, l’article 29 du c 16 s’applique. Je considère que cette demande a été présentée en février 2013, et ce, même les observations ont été déposées après juin 2013. Il s’ensuit que c’est l’ancien paragraphe 25(1) qui s’applique à la présente demande. Il y a lieu d’examiner le cas du demandeur.

[26]           La seconde question concerne l’application du paragraphe 72(2) de la LIPR, qui prévoit notamment qu’une demande de contrôle judiciaire « ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées ».

[27]           Une lettre envoyée par Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] le 14 juillet 2014 (DCT, pages 57-58) avisait l’épouse du refus de délivrer un visa à son mari, le demandeur. La lettre indique également qu’il est possible pour le répondant d’un étranger [traduction] « d’interjeter appel, aux termes du paragraphe 63(1), du refus de délivrer le visa de résident permanent ». D’après le Système mondial de gestion des cas [SMGC] (DCT, pages 241-242), un appel a été interjeté. Cet appel empêche-t-il la présentation d’une demande de contrôle judiciaire, par l’application de l’alinéa 72(2)a) de la LIPR?

[28]           Pour les besoins de la présente demande de contrôle judiciaire, le paragraphe 64(1) de la LIPR semble faire obstacle à l’appel fondé sur le paragraphe 63(1) :

Restriction du droit d’appel

No appeal for inadmissibility

64. (1) L’appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l’étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l’étranger, son répondant.

64. (1) No appeal may be made to the Immigration Appeal Division by a foreign national or their sponsor or by a permanent resident if the foreign national or permanent resident has been found to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality.

Il s’ensuit que l’alinéa 72(2)a) ne s’applique pas, puisque la LIPR ne prévoit aucun droit d’appel.

[29]           Il reste à examiner la présente affaire sur le fond. La norme de contrôle n’est pas contestée : le demandeur et le défendeur affirment tous deux qu’il convient d’appliquer la norme de la raisonnabilité. La jurisprudence est unanime et la question ne fait pas débat (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], au paragraphe 53; Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 RCS 559; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113 [Kanthasamy]).

[30]           Le paragraphe 25(1) est assez unique. La description de celui-ci donnée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kanthasamy est un bon point de départ :

[40]      Considéré au regard du contexte global de la Loi, le paragraphe 25(1) est une disposition d’exception. Pour reprendre les termes de la Cour suprême, « la demande faite au ministre en vertu du par. 114(2) [maintenant le paragraphe 25(1)] est essentiellement un plaidoyer auprès de l’exécutif en vue d’obtenir un traitement spécial qui n’est même pas explicitement envisagé par la Loi » (Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84, au paragraphe 64). Le paragraphe 25(1) ne vise pas à créer une filière d’immigration de remplacement, ni à offrir un mécanisme d’appel aux demandeurs d’asile déboutés.

[41]      La Cour fédérale a à maintes reprises interprété le paragraphe 25(1) comme obligeant le demandeur à prouver que l’application de ce que j’appellerais la règle normale lui ferait subir personnellement des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives (voir p. ex., Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 11). Les difficultés subies doivent être plus lourdes que les conséquences inhérentes au fait de quitter le Canada et de présenter sa demande d’immigration par les voies normales (Rizvi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2009 CF 463).

[31]           En l’espèce, le demandeur invoque les difficultés auxquelles les enfants se heurteraient si la réunification devait avoir lieu au Maroc, dans le cas où un visa de résident permanent ne serait pas délivré en dépit de son interdiction de territoire au Canada. Il est reproché au décideur d’avoir suggéré que la réunification au Maroc est une autre possibilité qui s’offre à la famille. Cependant, si le demandeur estime que des difficultés empêchent sa famille de le rejoindre au Maroc, c’est sa décision. L’épouse du demandeur et ses enfants ne sont pas expulsés du Canada. La Constitution leur garantit le droit d’entrer dans le pays, d’y séjourner ou de le quitter (Loi constitutionnelle de 1982 constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11, article 6). Il est certainement malheureux que la disposition d’exception qu’est le paragraphe 25(1) ne s’applique pas au cas du demandeur. Mais il faut établir davantage que l’existence de difficultés découlant de l’interdiction de territoire pour des raisons de sécurité.

[32]           La seule véritable question à trancher est de savoir si l’intérêt des enfants est suffisant en l’espèce pour avoir préséance sur l’interdiction de territoire. En d’autres termes, il revient au demandeur de démontrer qu’il était déraisonnable de la part du ministre de refuser d’accorder la mesure de réparation discrétionnaire prévue au paragraphe 25(1).

[33]           Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême a estimé « qu’on devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi » (paragraphe 62). Cependant, « le défaut d’accorder de l’importance et de la considération à l’intérêt des enfants constitue un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire » (paragraphe 65). Une décision qui n’a pas été rendue de manière « réceptive, attentive ou sensible » à l’intérêt des enfants touchés par la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne sera pas tenue pour raisonnable (paragraphe 73).

[34]           Dans l’arrêt Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 RCF 358 [Legault], la Cour d’appel fédérale a conclu sans détours que l’intérêt de l’enfant n’est pas prépondérant. Il s’agit d’un des facteurs à examiner attentivement :

[11]      La Cour suprême, dans Suresh, nous indique donc clairement que Baker n’a pas dérogé à la tradition qui veut que la pondération des facteurs pertinents demeure l’apanage du ministre ou de son délégué. Il est certain, avec Baker, que l’intérêt des enfants est un facteur que l’agent d’immigration doit examiner avec beaucoup d’attention. Il est tout aussi certain, avec Suresh, qu’il appartient à cet agent d’attribuer à ce facteur le poids approprié dans les circonstances de l’espèce. Ce n’est pas le rôle des tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par les agents.

[12]      Bref, l’agent d’immigration doit se montrer « réceptif, attentif et sensible à cet intérêt » (Baker, para. 75), mais une fois qu’il l’a bien identifié et défini, il lui appartient de lui accorder le poids qu’à son avis il mérite dans les circonstances de l’espèce. La présence d’enfants, contrairement à ce qu’a conclu le juge Nadon, n’appelle pas un certain résultat. Ce n’est pas parce que l’intérêt des enfants voudra qu’un parent qui se trouve illégalement au Canada puisse demeurer au Canada (ce qui, comme le constate à juste titre le juge Nadon, sera généralement le cas), que le ministre devra exercer sa discrétion en faveur de ce parent. Le Parlement n’a pas voulu, à ce jour, que la présence d’enfants au Canada constitue en elle-même un empêchement à toute mesure de refoulement d’un parent se trouvant illégalement au pays (voir Langner c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1995), 184 N.R. 230 (C.A.F.), permission d’appeler refusée, CSC 24740, 17 août 1995).

[35]           Dans les circonstances de la présente affaire, il est évidemment dans l’intérêt des enfants de vivre avec leurs deux parents, que ce soit au Canada ou au Maroc. Cela peut être tenu pour acquis. Dans l’arrêt Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, [2003] 2 RCF 555 [Hawthorne], le juge Décary, s’exprimant en son nom et en celui du juge Rothstein, l’a souligné de façon évocatrice :

[5]        L’agente n’examine pas l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’abstrait. Elle peut être réputée savoir que la vie au Canada peut offrir à un enfant un éventail de possibilités et que, règle générale, un enfant qui vit au Canada avec son parent se trouve dans une meilleure position qu’un enfant vivant au Canada sans son parent. À mon sens, l’examen de l’agente repose sur la prémisse - qu’elle n’a pas à exposer dans ses motifs - qu’elle constatera en bout de ligne, en l’absence de circonstances exceptionnelles, que le facteur de « l’intérêt supérieur de l’enfant » penchera en faveur du non-renvoi du parent. Outre cette prémisse que je qualifierais d’implicite, il faut se rappeler que l’agente est saisie d’un dossier particulier dans lequel un parent, un enfant ou les deux, comme en l’occurrence, allèguent des raisons précises quant à savoir pourquoi le non-renvoi du parent est dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Il va de soi que l’agente doit examiner attentivement ces raisons précises.

[6]        Il est quelque peu superficiel de simplement exiger de l’agente qu’elle décide si l’intérêt supérieur de l’enfant milite en faveur du non-renvoi - c’est un fait qu’on arrivera à une telle conclusion, sauf dans de rares cas inhabituels. En pratique, l’agente est chargée de décider, selon les circonstances de chaque affaire, du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d’un parent exposera l’enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d’intérêt public, qui militent en faveur ou à l’encontre du renvoi du parent.

[36]           Les arrêts Legault et Hawthorne concernaient le renvoi d’un parent du Canada. Les mêmes principes s’appliquent dans le cas d’une décision refusant l’admission au Canada d’un parent à titre de résident permanent. Dans l’affaire qui nous occupe, le parent a d’ailleurs vécu à l’extérieur du Canada depuis la naissance de ses enfants. Nul ne conteste que leur intérêt supérieur milite pour que leur père soit autorisé à revenir au Canada. Mais toute autre considération mise à part, la question est de savoir si l’exercice de son pouvoir discrétionnaire par l’agent, pouvoir dont la portée est considérable, peut être tenu pour déraisonnable, en ce sens qu’il n’appartiendrait pas « aux issues possibles [...] pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[37]           Même si l’examen de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (en incluant l’intérêt supérieur des enfants) tenait en trois paragraphes assez brefs dans la lettre de décision adressée au demandeur, l’agent des visas a également consigné des notes dans le SMGC qui éclairent son appréciation de l’intérêt des enfants. La Cour a conclu à maintes reprises que ces notes faisaient partie des motifs de l’agent des visas (Khowaja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 823, au paragraphe 3 (la juge Strickland); Kontanyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 507, au paragraphe 26 (le juge Noël), et Sithamparanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 679, au paragraphe 29, (le juge Russell)). Les notes du SMGC indiquent ce qui suit :

[traduction]

[...] J’ai examiné l’intérêt supérieur des enfants. Tous deux sont encore jeunes et ont huit et trois ans. Je ne conteste pas que leur intérêt supérieur serait probablement de vivre avec leurs deux parents. Mais ils ont la possibilité de vivre avec leur père et leur mère au Maroc, ce qu’ils ont fait pendant certaines périodes, même si, apparemment, la mère et la fille ont eu du mal à s’adapter à ce pays. Je constate qu’il existe des familles où les deux parents choisissent de vivre ensemble ou séparés et de se rendre des visites conjugales pour différentes raisons (engagements liés aux études, au travail, à la famille). La famille peut faire le choix de rester ensemble au Maroc. Cependant, si la répondante estime que l’intérêt supérieur des enfants est de rester au Canada, elle peut aussi décider de les garder dans cet environnement, et de rendre visite au DP quand elle peut [...] (DCT, à la page 245.)

[38]           Contrairement aux observations du demandeur voulant que l’agent ait [traduction] « complètement écarté » et qu’il [traduction] « n’ait pas défini l’intérêt des enfants » (mémoire des faits et du droit du demandeur au paragraphe 30), ce dernier s’est montré réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants. Il a reconnu que celui-ci supposait que les enfants vivent avec leurs deux parents, ce qui peut être pris pour acquis, et que de le faire au Maroc nécessiterait des ajustements et des adaptations de la part des membres de la famille. Le fait de conclure que l’intérêt des enfants ne l’emporte pas sur les autres facteurs qui militent contre l’octroi d’une mesure spéciale fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne rend pas déraisonnable l’analyse relative à l’intérêt supérieur de l’enfant, selon les arrêts Legault et Hawthorne. L’intérêt des enfants s’est vu accorder un poids important et a été attentivement examiné.

[39]           De l’avis de l’agent, les observations du demandeur n’étaient pas suffisantes pour l’emporter sur ce qu’il a décrit dans les notes du SMGC comme une [traduction] « grave interdiction de territoire ». Compte tenu des antécédents du demandeur en matière d’immigration, et notamment du fait qu’il a fréquenté pendant un certain temps des personnes soupçonnées terroristes, qu’il a acheté un passeport et des papiers d’identité frauduleux et qu’il les a utilisés pour voyager, le refus d’accorder une dispense au titre du pouvoir discrétionnaire appartient aux issues raisonnables pouvant se justifier au regard des faits et du droit; en outre, la Cour peut comprendre pourquoi l’agent a pris cette décision et pondéré les facteurs comme il l’a fait.

[40]           Le demandeur cherche ingénieusement à renverser le processus décisionnel dans la présente demande de contrôle judiciaire. Son argument a trois fondements. La conclusion portant interdiction de territoire serait marginale, la décision est attaquée parce que fondée sur des conjectures, et l’intérêt supérieur des enfants est effectivement présenté comme prépondérant.

[41]           Cependant, la décision portant interdiction de territoire subsiste, puisque le contrôle judiciaire dont elle a fait l’objet n’a pas abouti. Le demandeur a choisi de ne pas se prévaloir d’un recours possible (paragraphe 34(2) de la LIPR, remplacé depuis par l’article 42.1).

[42]           Le demandeur a contesté la possibilité de rechange de réunification au Maroc qui a été proposée par le décideur. La Cour estime, après avoir lu les motifs de ce dernier, qu’il tentait simplement de suggérer une possibilité de réunification au cas où la famille déciderait de vivre au Maroc, après dix années passées sans la présence quotidienne du père. S’ils ne souhaitent pas le faire pour une raison ou une autre, la décision discrétionnaire résultant d’un « plaidoyer auprès de l’exécutif en vue d’obtenir un traitement spécial » (Kanthasamy, au paragraphe 40) n’en est pas pour autant déraisonnable. Le demandeur prétend que l’autre possibilité, consistant à vivre au Maroc, relève de la conjecture. J’estime respectueusement que cela revient à inverser le fardeau. Il incombe au demandeur de convaincre le décideur qu’il mérite un traitement spécial. Selon une lecture de la décision dans son ensemble, le paragraphe 25(1) ne s’applique pas en l’espèce; une autre solution consisterait à ce que la famille se réunisse au Maroc où, de l’avis du décideur qui s’y trouve lui-même, il n’est pas impossible pour des familles dans une situation analogue de se réinstaller. Cette famille prétend qu’elle ne pourrait pas vivre pendant de longues périodes au Maroc. Mais cela ne fait pas de la réunification au Canada la seule autre issue possible, ce qui nécessiterait de faire droit à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. En d’autres termes, le fait que l’autre option ne soit pas viable ne modifie pas le fardeau dont le demandeur doit s’acquitter pour convaincre que l’interdiction de territoire fondée sur des motifs de sécurité devrait être levée. Les motifs reviennent plusieurs fois sur le fait que la réunification au Maroc est une affaire de choix.

[43]           Je ne vois pas en quoi le fait de laisser entendre, en réponse à un argument soumis au décideur, que possibilité de réunification au Maroc consiste en une conjecture, parce que cela repose sur ce qui a été observé dans ce pays. Le demandeur aimerait que les difficultés d’adaptation de sa famille tranchent la question. Non seulement cette méthode revient à inverser le fardeau, mais il ne s’agit pas de la décision rendue en l’espèce. Le décideur n’a pas dit qu’il existait une solution de rechange. La décision était beaucoup plus nuancée, et en voici un extrait qui mérite d’être cité en longueur :

[traduction]

[...] J’ai pondéré l’interdiction de territoire du demandeur et les considérations humanitaires, notamment l’intérêt supérieur des enfants. Le demandeur a eu des liens avec des terroristes connus, a utilisé un faux passeport et a eu recours à une fausse identité, a fait de fausses déclarations quant à ces faits à un agent des visas canadien, quoiqu’il ait apparemment tout avoué ensuite, suivant les conseils de son avocat. Il a été jugé interdit de territoire au titre de l’alinéa 34(1)f) par un agent des visas, une décision qui a été confirmée par la Cour fédérale. Il s’agit là de questions graves et la crédibilité du demandeur concernant son passé est encore fait encore l’objet de doutes. Il y a aussi deux enfants nés de cette relation, aujourd’hui âgés de huit ans et trois ans, et je suis convaincu que la relation conjugale de ce couple est authentique. Je ne doute pas que pour un couple avec des enfants, la présence des deux parents dans la vie de ces derniers soit préférable et dans leur meilleur intérêt. Cela ne signifie pas nécessairement que cela doive se faire au Canada. La famille peut également se réunir au Maroc si le demandeur et la répondante le décident, et même si des ajustements devront sans doute être apportés, comme ce serait le cas en déménageant dans n’importe quel autre pays, et bien que le Maroc soit différent du Canada d’un point de vue culturel, économique et social, la nécessité de ces ajustements et l’expérience de ces différences ne peuvent être généralement qualifiées de difficultés excessives. Certaines familles estiment aussi qu’il est préférable que les conjoints vivent séparément, pour différentes raisons, mais ils restent liés par des visites conjugales et des communications électroniques. Il est vrai que ce n’est pas forcément la même chose qu’un noyau familial uni, mais cette possibilité découle des circonstances. Il y a aussi la possibilité que la famille vive ensemble au Maroc, et il faut répéter qu’on ne peut pas estimer que les conditions générales du pays impliquent que les membres de la famille rencontreront automatiquement des difficultés. Le DP a une entreprise ici, la répondante peut trouver du travail, ils peuvent bénéficier d’un système scolaire avantageux et de bons soins de santé, même s’ils ne sont pas du même niveau qu’au Canada. Le fait qu’un certain nombre de couples mixtes d’origines marocaine et étrangère, notamment canadienne, vivent ici et parviennent à élever leurs enfants (filles et garçons) au Maroc, et notamment à Rabat, prouve que le Maroc est une solution possible. Aucun renseignement particulier n’a été fourni pour démontrer que la répondante et ses enfants se heurteraient à des difficultés excessives en restant au Maroc avec le DP. Je comprends que la répondante et ses enfants auront du mal à s’adapter à une nouvelle société et à une autre culture, mais cela ne semble nullement différent de ce que tout le monde vit en s’installant dans un nouveau pays. Compte tenu de tout ce qui précède, je ne suis pas convaincu que les considérations d’ordre humanitaire justifient que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire au titre du paragraphe 25(1) de la Loi pour lever une grave interdiction de territoire [...]

[44]           Comme le démontre le passage reproduit ci-dessus, ainsi d’ailleurs que tous les motifs fournis par le décideur, l’intérêt supérieur des enfants était au centre de sa réflexion. Le décideur répondait à l’argument concernant l’intérêt des enfants. Il est compréhensible que le demandeur soit en désaccord avec l’appréciation et la décision. Mais le désaccord avec les motifs, que ce soit de la part du demandeur ou même de la Cour, ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle. De plus, l’intérêt des enfants n’est pas prépondérant.

[45]           Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses’], au paragraphe 18, la Cour renvoie, en y souscrivant expressément, aux commentaires du juge Evans dans l’arrêt Alliance de la fonction publique du Canada c Société canadienne des Postes, 2010 CAF 56, [2011] 2 RCF 221, et au mémoire des intimées :

[18]      [...] Il signale qu’« [o]n ne s’atten[d] pas à de la perfection » et indique que la cour de révision doit se demander si, « lorsqu’on les examine à la lumière des éléments de preuve dont il disposait et de la nature de la tâche que la loi lui confie, on constate que les motifs du Tribunal expliquent de façon adéquate le fondement de sa décision » (par. 163). J’estime que la description de l’exercice que donnent les intimées dans leur mémoire est particulièrement utile pour en décrire la nature :

[traduction]  La déférence est le principe directeur qui régit le contrôle de la décision d’un tribunal administratif selon la norme de la décision raisonnable. Il ne faut pas examiner les motifs dans l’abstrait; il faut examiner le résultat dans le contexte de la preuve, des arguments des parties et du processus. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits ou exhaustifs.  [par. 44]

[46]           Comme l’a récemment réitéré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Boogaard, 2015 CAF 150, [traduction] « la norme de la raisonnabilité ne permet pas aux juges d’intervenir sur la base de leurs opinions personnelles en ce qui concerne le caractère sévère ou autre de la décision » (au paragraphe 81).

[47]           Dans l’ensemble, il est possible que la décision de l’agent ne soit pas un modèle de perfection, quoiqu’elle soit certainement mieux rédigée que de nombreuses autres de ce type, mais il n’a pas été établi que la décision de ne pas accorder une dispense au demandeur relativement à son interdiction de territoire au Canada était déraisonnable, compte tenu de la preuve et du pouvoir discrétionnaire considérable que la loi confère au ministre, « un plaidoyer auprès de l’exécutif en vue d’obtenir un traitement spécial » (Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 RCS 84). Les décideurs administratifs ont une marge d’appréciation et il n’appartient pas aux cours siégeant en révision de substituer leur propre opinion, sous le couvert que les tribunaux administratifs ne se sont pas montrés assez « récepti[fs], attenti[fs] et sensible[s] » à l’intérêt supérieur de l’enfant. La Cour tient compte de l’avertissement formulé par la Cour suprême du Canada selon lequel « [l]es juges siégeant en révision doivent accorder une “attention respectueuse” aux motifs des décideurs et se garder de substituer leurs propres opinions à celles de ces derniers quant au résultat approprié en qualifiant de fatales certaines omissions qu’ils ont relevées dans les motifs » (Newfoundland Nurses’, au paragraphe 17).

[48]           Si les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire devaient être accueillies chaque fois que l’intérêt supérieur des enfants y est soulevé, cette démarche serait non seulement contraire aux arrêts Legault et Hawthorne rendus par la Cour d’appel fédérale, ainsi qu’à l’arrêt Dunsmuir, car elle reviendrait à examiner de nouveau le poids à accorder aux différents facteurs, mais elle aurait pour effet de modifier le paragraphe 25(1) de la LIPR par décret judiciaire, en faisant de l’intérêt de l’enfant une considération prépondérante, contrairement au libellé de la disposition. La présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée, car l’intérêt supérieur des enfants à ce que leur père vienne au Canada – issue sans doute préférable – serait non plus un facteur à prendre en compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire, dans le cadre duquel l’intérêt supérieur des enfants directement touchés doit être pris en compte, mais plutôt un élément prépondérant qui serait décisif quant à une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, alors qu’en fait, « [l]a présence d’enfants [...] n’appelle pas un certain résultat » (Legault, au paragraphe 12).

[49]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas soulevé de question grave de portée générale et la Cour n’en relève aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas soulevé de question grave de portée générale et la Cour n’en voit aucune.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5706-14

 

INTITULÉ :

RACHID FATHI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 JUIN 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

Jacqueline Swaisland

 

pour le demandeur

 

John Loncar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour le DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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