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Date : 20150721


Dossier : T-1902-14

Référence : 2015 CF 887

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

CATHIE McCREADY ET LIDIA JOVAN

demanderesses

et

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction et contexte

[1]  Mme Jovan et Mme McCready ont postulé à un concours tenu par l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] au début de 2014. Elles n’ont pas été retenues. Chacune a demandé une rétroaction individuelle et une révision de la décision, mais le résultat est resté le même.

[2]  Les demanderesses, alléguant que le processus de sélection était inéquitable parce que d’autres candidats ont eu plus de temps qu’elles pour se préparer à l’entrevue, présentent maintenant une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Elles demandent à la Cour d’annuler les révisions des décisions et d’ordonner que la question soit réexaminée par quelqu’un d’autre à l’ARC. Elles sollicitent également des dépens de 3 000 $. Leurs demandes ont d’abord été déposées séparément, mais elles ont été regroupées le 4 décembre 2014.

[3]  Le concours en question visait à doter des postes de vérificateurs ou vérificatrices de dossiers importants de niveau AU‑04 et le processus d’embauche comportait deux grands volets : premièrement, une épreuve écrite pour vérifier les connaissances de chacun des candidats et ses capacités liées à l’emploi et, deuxièmement, une entrevue visant à évaluer la capacité de chacun des candidats de faire preuve d’initiative et de collaborer au sein d’une équipe.

[4]  Les demanderesses, qui étaient à ce moment‑là vérificatrices de niveau AU‑03 travaillant à l’ARC, ont chacune participé au processus d’embauche et ont réussi à l’examen de connaissances. Lorsqu’elles se sont présentées à leur entrevue respective, une feuille d’instructions disant qu’elles auraient 45 minutes pour [traduction« préparer une présentation orale » sur leurs réactions à plusieurs scénarios et 60 minutes pour [traduction] « présenter » l’exposé leur a été remise. Cette feuille disait aussi ceci : [traduction« Vous pouvez consulter vos notes pendant toute votre présentation. Le jury de sélection n’examinera pas votre matériel écrit, et ne le notera pas, seulement ce que vous communiquerez de vive voix pendant votre présentation. »

[5]  Chacune des demanderesses a utilisé la totalité des 45 minutes qui lui étaient allouées pour préparer son exposé avant de le présenter à un jury de sélection formé de trois personnes, dont Richard Rytwinski. Celui‑ci a avisé chacun des candidats que son temps lui appartenait et qu’il pouvait consulter les problèmes de l’entrevue ainsi que ses notes. M. Rytwinski a dit qu’à la fin de la présentation, il a été demandé à tous les candidats s’ils avaient quelque chose à ajouter et a affirmé que le jury [traduction« n’a demandé à aucun candidat de fournir plus de réponses, de prendre plus de temps ou de consulter ses notes ». Certains candidats ont toutefois consulté leurs notes et donné des réponses supplémentaires avant de mettre fin à l’entrevue. D’autres, comme Mme Jovan et Mme McCready, ne l’ont pas fait. Au total, la présentation de Mme Jovan a duré 19 minutes et celle de Mme McCready, 15 minutes.

[6]  Les deux demanderesses ont échoué à l’entrevue. La note de passage était de 60 %; Mme Jovan a obtenu 38 % et Mme McCready, 54 %. Chacune des demanderesses a donc exercé un recours en vertu des « Procédures sur le recours en matière de dotation (Programme de dotation) », version 1.0 (18 septembre 2013) [la Politique sur les recours], que l’ARC a mise en œuvre en vertu du paragraphe 54(1) de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada, LC 1999, c 17. L’article 4.2 de la Politique sur les recours porte que : « Le recours a pour objet de répondre aux préoccupations soulevées par un employé concernant le traitement arbitraire dont il aurait pu faire l’objet à la suite d’une décision en matière de dotation ou d’une évaluation volontaire. » Pour les besoins de la Politique sur les recours, « arbitraire » est défini de la façon suivante à l’article 4.2.1 :

De manière irraisonnée ou faite capricieusement; pas faite ou prise selon la raison le jugement; non basée sur le raisonnement ou une politique établie; n’étant pas le résultat d’un raisonnement appliqué aux considérations pertinentes; discriminatoire (c.‑à‑d. selon les motifs de distinction illicite énoncés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne [LRC 1985, c H‑6]).

[7]  La Politique sur les recours prévoit trois types de recours : la rétroaction individuelle, la révision de la décision et la révision par un tiers indépendant. La rétroaction individuelle est « une révision des préoccupations soulevées par un employé concernant un traitement arbitraire » par le gestionnaire chargé de la décision en matière de dotation. Si ce processus ne dissipe pas les craintes d’un candidat, celui‑ci peut demander une révision de la décision par quelqu’un d’autre à l’ARC; l’objectif est le même que pour la rétroaction individuelle, mais le processus est légèrement plus officiel. La révision par un tiers indépendant est sans rapport avec la présente affaire puisqu’elle est réservée pour les gens qui sont admissibles à une promotion permanente, mais ne sont pas choisis.

[8]  Les deux demanderesses ont demandé une rétroaction individuelle à M. Rytwinski. Cependant, ces révisions n’ont amélioré la note de chacune des demanderesses que de 2 %, c’est‑à‑dire pas suffisamment pour qu’elles franchissent l’étape de l’entrevue. Mme Jovan a donc ensuite demandé une révision de la décision, dans laquelle elle allègue que des candidats ont utilisé une partie de leur temps de présentation pour [traduction« relire et revoir les questions et préparer des réponses supplémentaires ». Selon Mme Jovan, c’était arbitraire puisqu’elle [traduction« s’est vu refuser la possibilité de montrer [ses] capacités parce que d’autres candidats ont eu plus de temps qu’elle pour se préparer ». Mme Jovan a également parlé à Mme McCready de sa plainte pendant le processus de recours. Mme McCready a elle aussi demandé une révision de la décision; elle a surtout contesté les notes qu’elle a reçues pour ses réponses à l’entrevue et a de plus demandé à la réviseure de la décision de bien vouloir [traduction« voir la “demande de révision de la décision” de Lidia Jovan pour plus de renseignements ».

II.  Les révisions des décisions

[9]  Le 5 août 2014, la réviseure des décisions [la réviseure] a rejeté la demande de points supplémentaires de Mme McCready, concluant plutôt que celle-ci [traduction« a reçu des notes appropriées pour les réponses [qu’elle] a présentées pendant l’entrevue ». La réviseure a aussi fourni les notes de l’enquêteur détaillant les positions de Mme McCready et du jury, et expliquant pourquoi les notes supplémentaires demandées par Mme McCready ne lui ont pas été accordées. La réviseure n’a pas expressément mentionné ni examiné de plaintes à propos de l’utilisation du temps de présentation en ce qui concerne Mme McCready.

[10]  Le 8 août 2014, la même réviseure a refusé de modifier les résultats de l’entrevue de Mme Jovan. Après avoir reçu de l’information d’un enquêteur qui résumait les positions des parties, la réviseure a répondu ce qui suit à la demande de révision de Mme Jovan :

[traduction

Après avoir examiné toute l’information dont je suis saisie, je conclus que les instructions disaient clairement que les candidats pouvaient consulter leurs notes tout au long de la présentation. Vous pouviez vous servir de la question, des notes et du papier pendant l’entrevue. Tous les candidats ont eu les mêmes instructions. On vous a demandé à la fin de votre présentation de 19 minutes si vous vouliez dire ou ajouter quelque chose d’autre. Vous avez répondu non.

Je n’ai rien trouvé montrant que vous [auriez reçu] des instructions différentes ou que vous traitée [sic] différemment de tout autre candidat.

III.  Questions en litige

[11]  Les demanderesses soulèvent les questions suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. Est‑ce un manquement à l’équité procédurale, ou est‑il déraisonnable pour l’ARC d’avoir permis à certains des candidats d’utiliser une partie de leur temps d’entrevue comme temps de préparation supplémentaire, malgré les instructions données à tous les candidats selon lesquelles le temps de préparation était limité aux 45 minutes précédant immédiatement l’entrevue?

[12]  La défenderesse conteste l’interprétation des demanderesses de la deuxième des questions susmentionnées et fait valoir que la seule question à trancher consiste à savoir s’il était raisonnable pour la réviseure de conclure qu’aucune erreur arbitraire n’a été commise en ce qui concerne l’une ou l’autre des demanderesses.

[13]  Je suis d’accord avec la défenderesse en ce qui concerne la définition de la question en litige. Un manquement à l’équité procédurale se produit lorsqu’une personne touchée par une décision faisant l’objet d’une révision se voit refuser d’exercer les droits qu’elle peut avoir de participer au processus décisionnel (voir la Loi sur les Cours fédérales, alinéa 18.1(4)b); Donald J.M. Brown et l’honorable John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles (mis à jour en décembre 2014), vol. 2 (Toronto : Carswell, 1998), c 7 à 2‑3; Gerus c Canada (PG), 2008 CF 1344, aux paragraphes 13, 23 et 38, 337 FTR 256 [Gerus]).

[14]  Les demanderesses n’ont toutefois pas présenté de plaintes au sujet de la procédure utilisée par la réviseure pour répondre à leurs demandes. Elles ne ciblent plutôt que ce qui s’est passé pendant le processus de sélection lui-même, et qui se rapporte exactement à la question à laquelle la réviseure était chargée de répondre : les demanderesses ont-elles été traitées de façon arbitraire? Bien qu’il puisse être tentant de considérer l’arbitraire comme simplement le revers de l’équité (Nicholson c Haldimand-Norfolk Regional Police Commissioners, [1979] 1 RCS 311 à 324, 88 DLR (3d) 671), la formulation des demanderesses fait perdre de vue le fait que le processus de sélection lui-même ne fait pas directement l’objet du contrôle.

[15]  La défenderesse doute aussi qu’il soit opportun d’examiner l’argument de Mme McCready selon lequel d’autres candidats au cours du processus de sélection ont été autorisés à consulter leurs notes avant de mettre fin à l’entrevue.

[16]  Les questions suivantes seront par conséquent traitées ci‑après, dans l’ordre :

  1. La plainte de Mme McCready à propos du temps supplémentaire peut-elle être examinée?

  2. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  3. La réviseure a‑t‑elle erré lorsqu’elle a conclu que le processus de sélection n’était pas arbitraire?

  4. Y a‑t‑il lieu d’adjuger des dépens?

IV.  Analyse

A.  La plainte de Mme McCready à propos du temps supplémentaire peut-elle être examinée?

[17]  La défenderesse allègue que Mme McCready ne devrait pas être autorisée à faire valoir que d’autres candidats du processus de sélection ont pu consulter leurs notes avant de mettre fin à l’entrevue. La défenderesse affirme que Mme McCready n’a jamais soulevé cette question avec la réviseure et demande à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de « ne pas se saisir d’une question soulevée pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire » (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 61 CSC, au paragraphe 22, [2011] 3 RCS 654 [Alberta Teachers]).

[18]  Mme McCready a cependant écrit ceci dans sa demande de révision : [traduction« en outre, veuillez voir la “demande de révision de la décision” de Lidia Jovan pour plus de renseignements ». Cette mention renvoie de toute évidence aux craintes relatives au temps de préparation supplémentaire, puisqu’il s’agissait de la seule question mise de l’avant par Mme Jovan. De plus, Mme McCready dit ce qui suit dans son affidavit :

[traduction]

12.  À la révision de la décision, un des arguments que j’ai formulés pour appuyer l’allégation selon laquelle j’ai été traitée de façon arbitraire était que d’autres candidats ont eu du temps de préparation supplémentaire pour leur présentation. J’ai porté l’information que j’ai reçue de Mme Jovan et de Richard Rytwinski à l’attention de la décideuse pendant ma réunion avec elle.

[19]  La défenderesse n’a pas contre interrogé Mme McCready à propos de cette déclaration et n’a pas présenté d’éléments de preuve la contredisant. Les témoignages assermentés non contestés sont présumés vrais (Larkman c  Canada (PG), 2013 CF 787, au paragraphe 81, 436 FTR 181, confirmé par 2014 CAF 299, aux paragraphes 15 et 18, [2015] 2 CNLR 240). De plus, le témoignage de Mme McCready à ce sujet est admissible, puisqu’il divulgue de l’information dont la décideuse était saisie, mais qui, sinon, ne ressort pas clairement du dossier (Tippet‑Richardson Ltd c Lobbe, 2013 CF 1258, aux paragraphes 41-45; Leahy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 227, au paragraphe 145, [2014] 1 RCF 766). Lorsque le dossier n’est pas suffisamment officiel pour que toute la conversation pertinente soit transcrite, comme c’est le cas en l’espèce, un affidavit est un moyen acceptable de porter l’information à l’attention de la Cour. Mme McCready a donc établi qu’elle s’est plainte de l’utilisation inappropriée du temps de présentation à la révision de la décision. L’arrêt Alberta Teachers ne s’applique donc pas et rien n’empêche d’examiner les arguments de Mme McCready à ce sujet.

B.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[20]  Les demanderesses ont allégué que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (voir p. ex., Gerus, au paragraphe 14; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502). Cependant, pour les raisons susmentionnées, je conviens avec la défenderesse que la plainte des demanderesses n’est pas une question d’équité procédurale. Faire enquête sur la façon dont un employé a été traité est une question de fait et décider si ce traitement était arbitraire est une question mixte, de fait et de droit. La norme de contrôle du caractère raisonnable s’applique à ce genre de question (Gerus, au paragraphe 16; Ahmad c  Canada (Agence du revenu), 2011 CF 954, au paragraphe 20, 398 FTR 1 [Ahmad]; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

[21]  La Cour ne doit par conséquent pas intervenir pour autant que les motifs du réviseur, dans le contexte du dossier, expliquent pourquoi la décision a été prise et permettent à la Cour de déterminer si les conclusions sont défendables au regard des faits et du droit (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 15‑16, [2011] 3 RCS 708; Dunsmuir, au paragraphe 47).

C.  La réviseure a‑t‑elle erré lorsqu’elle a conclu que le processus de sélection n’était pas arbitraire?

[22]  Les demanderesses ont fait valoir que les candidats d’un processus de sélection doivent tous être traités de la même manière et qu’ils sont censés suivre tous les mêmes instructions lorsqu’ils passent une épreuve (voir, p. ex., Ahmad, au paragraphe 47; Stratford (City) c CUPE, Local 1385, 1996 Carswell Ont 6980, aux paragraphes 45‑46 (WL Can)). Elles prétendent que cela n’a pas été le cas.

[23]  Selon les instructions, les candidats avaient 45 minutes pour préparer leur exposé oral, et 60 minutes pour le présenter. Les demanderesses allèguent toutefois que le témoignage non contesté de Mme Jovan prouve que certains candidats ont été autorisés à faire fi de ces instructions et à utiliser une partie de leur temps de présentation pour se préparer davantage. Elles sont d’avis qu’aucun des motifs de la réviseure ne justifie cette incohérence. Bien qu’il ait été dit à tous les candidats qu’ils pouvaient consulter leurs notes pendant la présentation, les demanderesses allèguent qu’utiliser le temps supplémentaire pour revoir les scénarios et préparer des réponses supplémentaires sont deux choses fondamentalement différentes. Elles affirment de plus que dire que tous les candidats ont eu les mêmes instructions et que les mêmes questions leur ont été posées n’est pas une réponse, puisque le manquement s’est produit parce que certains candidats ont été arbitrairement autorisés à ne pas tenir compte de ces instructions. Les candidats qui n’ont pas respecté les règles avaient un avantage par rapport aux candidats qui ont obéi à ces règles; les demanderesses allèguent par conséquent que le processus a été arbitraire.

[24]  La défenderesse fait valoir qu’un jury de sélection ne décide pas de la façon dont les candidats réagissent aux instructions qui leur sont données et que le processus est uniforme tant que les mêmes instructions sont données à tous. Elle fait une analogie avec Pynn c Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2014 TDFP 15 [Pynn], une affaire dans laquelle le Tribunal de la dotation de la fonction publique a rejeté une plainte selon laquelle les instructions données à l’entrevue étaient ambiguës. De la même manière en l’espèce, la défenderesse dit que, selon la réviseure, les instructions n’étaient pas ambiguës et ont été données à tous les candidats, et qu’il était par conséquent raisonnable de décider que le processus de sélection n’était pas arbitraire.

[25]  La défenderesse fait valoir en outre qu’aucun élément de preuve fiable ne contredit l’évaluation de la réviseure, qui a estimé que le processus de sélection n’était pas arbitraire. Le témoignage de Mme Jovan à propos de ce que M. Rytwinski lui a dit ne correspond pas à ce qu’il dit dans ses propres affidavits et la défenderesse allègue que le témoignage de M. Rytwinski est plus fiable puisque celui-ci était présent aux autres entrevues et que ses affirmations sont corroborées par les autres membres du jury. En tout état de cause, tout ce que les déclarations de Mme Jovan peuvent prouver, c’est que d’autres candidats ont consulté leurs notes, ce qu’ils avaient le droit de faire. La défenderesse affirme que les demanderesses ont reçu les mêmes instructions et avaient la même possibilité; elles ne l’ont tout simplement pas saisie.

[26]  Le fait pour les demanderesses de s’appuyer sur leur témoignage [traduction« non contesté » et les allégations de la défenderesse à propos du poids de ce témoignage sont malavisés. Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire et la règle générale veut que « le dossier de la preuve qui est soumis à notre Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait [le décideur] » (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 19, 428 NR 297 [Association]). Bien que ce ne soit pas tout le témoignage par affidavit qui viole cette règle, les portions contestées des affidavits des deux parties offrent un témoignage de ce qui s’est passé à l’entrevue et à l’étape de la rétroaction individuelle, et n’indiquent pas qu’elles en ont parlé à la réviseure dans les mêmes mots. Ce témoignage n’est pas à proprement parler admissible.

[27]  Cette irrégularité est en bonne partie sans grandes conséquences toutefois. Les affidavits présentent un exposé circonstancié commode qui correspond essentiellement au résumé de l’enquêteur sur les positions des parties. Le différend des parties à propos des affidavits n’est pas pertinent parce que la Cour n’est ni tenue ni autorisée à choisir entre ce que disent les affidavits lorsqu’ils ne concordent pas (Association, aux paragraphes 17 et 19). Cela a déjà été fait au cours de la révision de la décision et la Cour doit s’en remettre à cette évaluation pour autant qu’elle est raisonnable.

[28]  En l’espèce, les conclusions acceptées par la réviseure indiquent que tous les candidats ont été avisés qu’ils avaient 45 minutes pour se préparer et 60 minutes pour présenter leur exposé, et qu’ils pouvaient consulter leurs notes et les problèmes de l’entrevue tout au long de la présentation. Ils avaient tous du papier et un stylo et ils étaient tous [traduction« autorisés à écrire des notes supplémentaires à tout moment pendant l’entrevue, même si on ne leur avait pas dit expressément qu’ils pouvaient le faire » (soulignement omis). Rien non plus n’indiquait [traduction« que la candidate [Mme Jovan] avait eu des instructions différentes ou avait été traitée différemment des autres candidats ». Dans ce contexte, la réviseure a conclu que les instructions n’empêchaient de toute évidence pas les candidats de revoir les problèmes ou leurs notes pendant leur exposé. Les autres candidats n’ont donc pas été autorisés à faire fi des règles; Mme Jovan ne les a tout simplement pas comprises.

[29]  Je ne suis pas convaincu que la conclusion de la réviseure à ce sujet ait été si erronée qu’elle ne pouvait même pas « susciter un désaccord raisonnable parmi des gens raisonnables » (Canada (PG) c Kane, 2012 CSC 64, au paragraphe 10, [2012] 3 RCS 398). Je souscris aussi à l’argument de la défenderesse selon lequel un employeur [traduction« ne peut décider comment les candidats à ses processus de dotation se servent de leur jugement pour répondre aux instructions d’une entrevue » (voir Pynn, aux paragraphes 30‑39). Le jury de sélection a évalué tous les candidats de manière uniforme (Ahmad, au paragraphe 47); il était donc raisonnable pour la réviseure de conclure que Mme Jovan n’avait pas été traitée de façon arbitraire. Il n’y a par conséquent aucune raison pour que la Cour intervienne. Les motifs de la réviseure expliquent de façon convaincante pourquoi les décisions ont été prises et ses conclusions sont défendables au regard des faits et du droit.

[30]  Avant d’en terminer avec cette question, il faut remarquer que la réviseure n’a pas explicitement abordé l’argument du temps de présentation en ce qui concerne Mme McCready. Celle-ci s’en est plainte pourtant; or, ne pas tenir compte d’une question importante peut constituer une erreur susceptible de révision pour un décideur (Turner c  Canada (PG), 2012 CAF 159, aux paragraphes 41‑42, 431 NR 237 [Turner]).

[31]  Cependant, les demanderesses n’ont présenté aucun argument fondé sur Turner. Les observations de Mme McCready dépendaient entièrement de la demande de révision de la décision de Mme Jovan, qui a raisonnablement été refusée par la même réviseure trois jours seulement après qu’elle a refusé la révision de Mme McCready. Il n’y a pas de raison de s’attendre à ce que le résultat soit différent si la révision de la décision McCready était faite de nouveau. Ne pas avoir explicitement tenu compte de la question du temps supplémentaire dans la décision McCready représente par conséquent une erreur négligeable, et il aurait convenu de ne pas accorder de mesure de redressement même si la question avait été soulevée (Mobil Oil Canada Ltd c Office Canada–Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202, à la page 228, 111 DLR (4th) 1; Mines Alerte Canada c Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, au paragraphe 52, [2010] 1 RCS  6).

D.  Y a-t-il lieu d’adjuger des dépens?

[32]  Les demanderesses ont sollicité des dépens et ont proposé une somme de 3 000 $ dans leurs arguments écrits. La défenderesse a également sollicité des dépens à l’audience relative à la présente affaire, également au montant de 3 000 $. Je ne vois pas de raison de ne pas suivre la règle habituelle, selon laquelle les dépens suivent l’issue, et j’accorde donc à la défenderesse une somme forfaitaire de 3 000 $ (tout inclus) pour les dépens.

V.  Dispositif

[33]  La présente demande de contrôle judiciaire regroupée est par conséquent rejetée et une somme forfaitaire de 3 000 $ (tout inclus) est accordée à la défenderesse pour les dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire regroupée est rejetée et qu’une somme forfaitaire de 3 000 $ (tout inclus) est accordée à la défenderesse pour les dépens.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1902-14

 

INTITULÉ :

CATHIE McCREADY ET LIDIA JOVAN c L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 AVRIL 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE BOSWELL

l

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

LE 21 JUILLET 2015

 

COMPARUTIONS :

Steven Welchner

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Orlagh O'Kelly

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Welchner Law Office

Société professionnelle

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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