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Date : 20150521

Dossier : IMM‑1528‑14

Référence : 2015 CF 653

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 mai  2015

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

SELVATHTHURAI SUREEAKUMARAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Rendus oralement à l’audience à Toronto (Ontario), le 12 mai 2015

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’une agente principale de l’immigration (l’agente), en date du 30 janvier 2014 (la décision), par laquelle l’agente a rejeté la demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur.

[2]               La présente demande est présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[3]               Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka âgé de soixante‑huit ans et d’origine tamoule. Pendant la plus grande partie de sa vie, il a résidé dans un village situé à l’extrémité nord de la péninsule de Jaffna. En 1990, cette région est passée sous le contrôle total des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET), qui ont entrepris une campagne de recrutement forcé parmi les jeunes Tamouls, dont le demandeur. Ce dernier a été forcé à creuser des fosses dans les bases des TLET et autour de celles‑ci, mais n’a pas eu à combattre.

[4]               Après que le gouvernement du Sri Lanka eut repris le contrôle de la péninsule, en 1996, le demandeur affirme qu’il a fréquemment été interpelé et interrogé par les membres de l’armée du Sri Lanka (ASL), qui voulaient savoir s’il avait des liens avec les TLET.

[5]               En 2005 et en 2007, le demandeur a été détenu pendant une nuit et interrogé quant à savoir s’il était un membre ou un sympathisant des TLET. En 2008, il a été détenu pendant une semaine à deux occasions. Il a été torturé pendant ses deux détentions et, la seconde fois, il a été transféré par avion à Colombo pour d’autres interrogatoires. Il a été libéré après le versement de pots‑de‑vin, mais devait se rapporter à l’armée tous les mois. Ces incidents seront désignés collectivement comme les « détentions ».

[6]               Étant donné que le demandeur a dit craindre de se rapporter à l’ASL, son oncle a payé un intermédiaire pour qu’il l’emmène à Singapour, puis au Canada, où il a demandé l’asile.

[7]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) a entendu la demande d’asile du demandeur le 20 mai 2010 et l’a rejetée parce que le demandeur n’avait pas établi son identité. À l’époque, il n’avait qu’une photocopie de son certificat de naissance du Sri Lanka. Cela signifiait que son risque d’être perçu par l’ASR comme ayant des liens avec les TLET n’a pas été apprécié lorsqu’il a présenté sa demande d’ERAR.

[8]               Le demandeur a retenu les services d’un nouvel avocat, John O. Grant, (le deuxième avocat), pour présenter sa demande d’ERAR, qui a produit le 22 février 2011 des observations établissant les risques auxquels était exposé le demandeur (les observations). Les observations étaient accompagnées d’un exemplaire du Formulaire de renseignements personnels (FRP), et l’agente en a pris connaissance.

[9]               Trois ans plus tard, la demande d’ERAR du demandeur a été rejetée.

[10]           Le demandeur a ensuite retenu les services d’un troisième avocat. Il a allégué que le deuxième avocat avait fait preuve de négligence. Pour formuler les allégations, le troisième avocat a suivi le Protocole procédural de la Cour fédérale, daté du 7 mars 2014, qui traite des allégations formulées contre les avocats dans les affaires d’immigration.  

[11]           Plusieurs allégations de négligence de la part du deuxième avocat ont été formulées, mais celle qui s’avère déterminante concerne son défaut d’inclure dans les observations des renvois spécifiques au FRP et aux détentions du demandeur ainsi qu’une description claire du risque allégué fondé sur la perception de l’ASL voulant que le demandeur ait des liens avec les TLET (le risque lié aux TLET). En fait, les observations ne soulignaient que les risques d’extorsion et la crainte d’être arrêté du fait qu’il était :

                      i.       un demandeur d’asile débouté;

                    ii.       visé par un mandat d’arrestation non exécuté;

                  iii.       une personne qui a quitté le Sri Lanka illégalement.

I.                   Questions en litige

[12]           Il y a deux questions en litige :

1.      Le deuxième avocat a‑t‑il été négligent dans ses observations?

2.      Le demandeur a‑t‑il subi un préjudice à cause de la négligence et été privé de son droit à l’équité procédurale?

II.                Première question en litige ‑ Négligence

[13]           J’estime que le fait que les observations ne mentionnaient pas le FRP et le risque lié aux TLET constitue de la négligence (la négligence). J’accepte l’observation du demandeur selon laquelle il incombait au deuxième avocat de relever, de souligner et de faire valoir les détentions et le risque lié aux TLET à titre de motif de risque indépendant dans les observations. Le simple fait d’inclure le FRP dans les observations ne suffisait pas pour faire valoir aux yeux de l’agente le risque lié aux TLET.

III.             Deuxième question en litige ‑ Préjudice

[14]           À la page 7 de sa décision, l’agente a écrit :

[traduction] Je n’ai pas reçu suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour me convaincre que le demandeur est […] soupçonné par les autorités d’être un sympathisant des TLET

[15]           Le défendeur affirme que cette déclaration démontre que l’agente a bel et bien apprécié l’allégation selon laquelle le demandeur était soupçonné d’avoir des liens avec les TLET.

[16]           Je ne peux toutefois pas souscrire à cette affirmation parce que l’agente n’a nulle part dans sa décision renvoyé au contenu du FRP ou aux détentions. J’estime que cela démontre que l’agente a pris connaissance du FRP comme s’il s’agissait d’un document d’information sans apprécier qu’un motif spécifique de risque y était allégué.

[17]           C’est pourquoi j’ai conclu que la négligence avait causé un préjudice parce que le risque lié aux TLET n’a pas été pris en compte. Ce risque est reconnu par le HCNUR comme un risque auquel sont exposés les Tamouls de sexe masculin dans son document intitulé UNHCR Eligibility Guidelines For Assessing The International Protection Needs of Asylum‑Seekers From Sri Lanka (lignes directrices du HCNUR pour la protection internationale des demandeurs d’asile du Sri Lanka), daté du 21 décembre 2012.

[18]           Je suis aussi convaincue qu’il existe une probabilité raisonnable que, n’eut été de la négligence, l’issue de la demande d’ERAR aurait été différente.

[19]           Aucune question à certifier n’a été proposée aux fins d’un appel aux termes de l’alinéa 74d) de la LIPR.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie et que la demande d’ERAR soit renvoyée pour réexamen par un autre agent. De nouvelles observations portant sur le risque peuvent être formulées.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1528‑14

 

INTITULÉ :

SELVATHTHURAI SUREEAKUMARAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

La JuGE SIMPSON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 21 MaI 2015

COMPARUTIONS :

Anthony Prakash Navaneelan

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Mahan  ermati

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell, LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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