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Date : 20150708


Dossier : T-1553-14

Référence : 2015 CF 835

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa, le 8 juillet 2015

En présence de madame la juge Gleason

ENTRE :

STEVEN LOVE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur, Steven Love, demande l’annulation de la décision du 4 juin 2014 de la Commission canadienne des droits de la personne [la CCDP, ou la Commission] sur le fondement du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [la LCDP]. La Commission a estimé qu’il n’était pas nécessaire que la plainte de M. Love à l’encontre de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] soit instruite par le Tribunal canadien des droits de la personne [le Tribunal]. La Commission a envoyé aux parties une lettre type qui les informait simplement de sa décision. Dans de telles circonstances, le rapport d’enquête qui a été remis à la Commission est réputé constituer les motifs à l’appui de la décision de la Commission : Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 RCF 392, au paragraphe 37; Herbert c Canada (Procureur général), 2008 CF 969, 169 ACWS (3d) 393, au paragraphe 26; D’Angelo c Canada (Procureur général), 2014 CF 1160, au paragraphe 24.

[2]               Monsieur Love invoque plusieurs arguments à l’appui de sa demande visant l’annulation de la décision de la CCDP, mais il me suffira d’examiner l’un d’eux seulement, soit celui selon lequel ses droits à l’équité procédurale durant la procédure d’enquête n’ont pas été respectés. Je partage l’avis de M. Love sur ce point et, par conséquent, je suis arrivée à la conclusion que la décision de la Commission doit être annulée et que l’affaire doit être renvoyée à la Commission pour nouvelle enquête et nouvel examen.

I.                   Question préliminaire

[3]               À titre préliminaire, le défendeur soutient que l’affidavit de M. Love et les pièces qui l’accompagnent devraient être radiés du dossier du demandeur puisqu’ils n’avaient pas été présentés à la Commission lorsque celle-ci a rendu sa décision et que, par conséquent, ils n’ont pas été régulièrement présentés à la Cour dans la présente demande de contrôle judiciaire. Le défendeur a déposé, dans son propre dossier et son propre dossier supplémentaire, les documents qui avaient été présentés à la Commission ainsi que certains documents supplémentaires qui avaient été présentés à l’enquêteuse de la Commission, dont il reconnaît la pertinence.

[4]               En règle générale, le dossier remis à la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire se limite aux documents qui ont été présentés au décideur administratif dont la décision fait l’objet du contrôle. Certaines exceptions à cette règle générale ont été reconnues, à savoir lorsque les documents additionnels portent sur une question d’équité procédurale, lorsque les documents sont utiles pour fournir des renseignements généraux à la Cour ou lorsque les documents sont nécessaires pour établir que le décideur administratif ne disposait pas d’éléments de preuve suffisants se rapportant à la conclusion contestée : International Relief Fund for the Afflicted and Needy (Canada) c Canada (Revenu national), 2013 CAF 178, aux paragraphes 9 et 10; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22, 428 NR 297, aux paragraphes 19 et 20; et Love c Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), 2014 CF 643 [Love c Commissaire à la protection de la vie privée], au paragraphe 85.

[5]               Il semble que bon nombre des pièces annexées à l’affidavit de M. Love avaient été présentées à l’enquêteuse de la Commission en l’espèce. En effet, son rapport d’enquête fait explicitement référence à la pièce « B », à savoir les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration [le STIDI] relatives à la demande de parrainage à l’origine de la plainte de violation des droits de la personne déposée par M. Love, à la politique OP-2 de CIC, dont des extraits sont annexés comme pièces « O » et « Q » à l’affidavit de M. Love, ainsi qu’au rapport antérieur de la Commission sur les articles 40 et 41, annexé comme pièce « I » à l’affidavit de M. Love.

[6]               À mon sens, dans un cas comme celui-ci, lorsque les motifs de la CCDP sont réputés figurer dans le rapport d’enquête de la Commission, tous les documents qui ont été présentés à l’enquêteur font validement partie du dossier présenté à la Cour dans le cadre du contrôle judiciaire, puisqu’il s’agit de la preuve prise en compte dans les motifs faisant l’objet de la demande de contrôle judiciaire.

[7]               Outre les pièces mentionnées au paragraphe 5 des présents motifs, il se peut fort bien que les pièces « C », « D », « E », « G », « J », « L », « P », « R », « S » et « X » de l’affidavit de M. Love aient été présentées à l’enquêteuse de la Commission ou contiennent des renseignements généraux utiles à l’examen de la présente demande. Par conséquent, je conclus que ces pièces sont admissibles.

[8]               Les documents annexés comme pièces « F », « H », « T », « U » et « V » de l’affidavit de M. Love se rapportent à son argument fondé sur l’équité procédurale puisque ces pièces constituent une preuve qui aurait pu être fournie par M. Love à la Commission si l’enquêteuse de la Commission avait expliqué plus clairement la procédure qu’elle suivait. Ces pièces constituent aussi des renseignements généraux et, pour cette raison également, elles seraient admissibles.

[9]               Par conséquent, je suis d’avis que les pièces « B », « C », « D », « E », « F », « G », « H », « I », « J », « L », « O », « P », « Q », « R », « S », « T », « U », « V » et « X » de l’affidavit de M. Love sont admissibles tout comme les paragraphes de son affidavit qui présentent les pièces en question. Les autres paragraphes et les pièces correspondantes ne sont pas visés par l’une des exceptions susmentionnées et ne semblent pas avoir été présentés à l’enquêteuse de la Commission dans le présent dossier. Ils sont par conséquent inadmissibles, et je n’en ai pas tenu compte.

II.                Contexte

[10]           Monsieur Love se représente lui‑même. Il se présente comme un homosexuel et comme une personne souffrant d’une invalidité due à l’hépatite C, une affection hépatique chronique qui, affirme-t-il, le rend incapable de travailler. Pendant toute la période pertinente, M. Love percevait des prestations provinciales d’invalidité et, quelque temps avant les événements à l’origine de sa plainte, il avait reçu une indemnité substantielle pour avoir contracté l’hépatite C à la suite d’une transfusion de sang contaminé.

[11]           Monsieur Love affirme que, au moment des événements qui ont conduit à sa plainte, il était en relation de couple avec un Philippin, M. Ronie Lumayag, qui vivait aux Philippines. Monsieur Lumayag et M. Love ont fait connaissance en mars 2008 dans un salon de clavardage et ont passé un total de 25 jours ensemble au cours de trois visites que M. Love avait faites aux Philippines entre janvier 2009 et janvier 2010.

[12]           En avril 2010, M. Love a tenté de parrainer M. Lumayag pour que celui-ci immigre au Canada comme résident permanent en tant que membre de la catégorie du regroupement familial (parrainage de conjoint). La demande de parrainage présentée par M. Love a été approuvée le 10 juin 2010, et il a été informé que la demande de visa de résident permanent de M. Lumayag avait été [traduction] « jugée conforme aux conditions minimales prévues par la Loi sur l’immigration ». La demande a donc été transmise à l’ambassade du Canada aux Philippines, à Manille, pour traitement complémentaire.

[13]           Dans une lettre datée du 20 juillet 2010, l’agente des visas à qui le dossier avait été assigné à Manille a informé M. Lumayag qu’il devait se présenter à une entrevue et présenter des documents additionnels témoignant de sa relation avec son répondant. À la suite de l’entrevue tenue le 21 octobre 2010, la demande de visa de résident permanent de M. Lumayag a été refusée. Dans ses notes du STIDI, l’agente des visas a écrit qu’elle n’était pas persuadée que M. Love et M. Lumayag avaient [traduction] « établi et vécu une relation conjugale authentique existant depuis un an », pour les raisons suivantes :

                     Ils ne s’étaient rencontrés que trois fois au cours d’une période de douze mois, et le temps qu’ils avaient passé ensemble était bref;

                     Ils n’avaient jamais cohabité;

                     Monsieur Lumayag a admis qu’il n’y avait eu entre eux aucune intimité physique;

                     Ils n’avaient jamais vécu ensemble en tant que couple, ni n’avaient fusionné leurs revenus, que ce soit économiquement ou socialement;

                     Il n’existait aucune interdépendance mutuelle;

                     Monsieur Lumayag n’avait pas prouvé qu’il était bien au fait du passé de M. Love;

                     Il semblait que la préoccupation de M. Lumayag était d’entrer au Canada, et non de vivre en permanence avec M. Love;

                     Les renseignements fournis durant l’entrevue [traduction] « ne faisaient que confirmer l’information versée au dossier ».

[14]           Monsieur Love a déposé plusieurs plaintes concernant des lacunes quant à la façon dont CIC aurait traité la demande de visa de résident permanent de M. Lumayag et la manière dont celui-ci aurait été traité.

[15]           Plus précisément, il a déposé plusieurs plaintes auprès du Commissariat à la protection de la vie privée [le CPVP], dans lesquelles il a affirmé que CIC avait porté atteinte à ses droits à la vie privée. Il s’est ensuite plaint à la CCDP que le CPVP n’avait pas enquêté sur ses plaintes, et il a affirmé que ce défaut équivalait à une différence de traitement préjudiciable fondée sur son orientation sexuelle et sur son invalidité. La Commission a décidé de ne pas donner suite à cette plainte en application de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP, au motif que la plainte déposée contre le CPVP était frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. Monsieur Love a alors demandé le contrôle judiciaire de la décision de la CCDP de rejeter sa plainte. Le 2 juillet 2014, le juge Russell a rejeté la demande de contrôle judiciaire dans la décision Love c Commissaire à la protection de la vie privée.

[16]           Monsieur Love a également fait appel devant la Section d’appel de l’immigration [la SAI] du refus de l’agente des visas d’accéder à la demande de visa de résident permanent de M. Lumayag. Durant l’audience tenue devant la SAI le 23 mai 2013, M. Love a révélé que sa relation avec M. Lumayag avait pris fin en décembre 2011 et il s’est désisté de son appel interjeté devant la SAI puisqu’il semble qu’il avait consulté un avocat, qui l’avait informé que la SAI n’avait plus compétence pour instruire sa plainte.

[17]           Finalement, le 18 juillet 2012, M. Love a déposé une plainte auprès de la CCDP dans laquelle il affirmait que CIC l’avait traité de manière discriminatoire dans la fourniture d’un service en raison de son orientation sexuelle (homosexualité) ou de son invalidité (affection hépatique chronique fatale). Cette dernière plainte est à l’origine de la présente demande de contrôle judiciaire.

[18]           Dans sa plainte de violation des droits de la personne, M. Love a affirmé ce qui suit :

                     Le rejet de sa demande de parrainage était discriminatoire, car CIC n’a pas répondu à ses besoins;

                     Durant l’entrevue tenue à Manille, l’agente des visas avait posé à Ronie Lumayag des questions sur l’invalidité de M. Love, ce que M. Love a qualifié d’[traduction] « enquête secrète » à son encontre, qui constituait une atteinte à ses droits en tant que personne et à ses droits garantis par la Charte;

                     Le rejet de la demande de visa de résident permanent déposée par M. Lumayag revenait à accuser M. Love de fraude, ce qui portait aussi atteinte aux droits de M. Love en tant que personne;

                    CIC a aussi montré une attitude discriminatoire et n’a pas répondu aux lettres de M. Love sur les questions posées par l’agente des visas à M. Lumayag durant l’entrevue et sur le rejet de la demande de visa de résident permanent de M. Lumayag;

                    Après que CIC eut rejeté la demande de M. Lumayag, la manière dont CIC a traité les demandes d’accès à l’information et de renseignements personnels déposées par M. Love à propos du traitement de sa demande et de celle de M. Lumayag était inacceptable et constitue une preuve supplémentaire de discrimination.

[19]           Quand la CCDP a examiné la plainte de M. Love pour la première fois, l’agent à qui le dossier avait d’abord été assigné a rédigé un rapport où il recommandait de laisser la plainte en suspens, car à l’époque, l’appel interjeté par M. Love devant la SAI était encore en instance et la SAI avait compétence pour examiner les questions touchant les droits de M. Love en tant que personne et pour accorder à M. Lumayag le visa qu’il souhaitait obtenir. Toutefois, avant que cette recommandation n’ait pu être soumise à la Commission, M. Love s’est désisté de son appel devant la SAI, et la question de savoir si l’enquête devait être suspendue en attendant que la SAI statue sur l’appel est devenue théorique. Le dossier a donc été envoyé à une enquêteuse de la CCDP, Lisa Falconi, pour examen.

[20]           Le 12 juillet 2013, Mme Falconi a écrit à M. Love et à CIC pour les informer qu’elle avait été mandatée pour enquêter sur la plainte et leur préciser qu’il lui incombait [traduction] « de recueillir la preuve se rapportant aux allégations du plaignant ». Elle les a aussi informés qu’elle rédigerait un rapport pour les membres de la Commission, qui renfermerait une recommandation sur l’issue de la plainte et qu’elle pourrait recommander le renvoi de la plainte devant le Tribunal « si la preuve confirme les allégations figurant dans la plainte », ou bien le rejet de la plainte « si les allégations ne sont pas étayées par la preuve ».

[21]           Dans sa lettre adressée à M. Love, Mme Falconi a écrit qu’elle s’était enquise du point de vue de CIC et que, dès réception de la réponse de CIC, elle la communiquerait à M. Love pour observations. Dans sa lettre adressée à CIC, Mme Falconi a écrit ce qui suit :

[traduction] Comme première étape de la procédure d’enquête, la personne visée par la plainte doit exposer son point de vue en réponse aux allégations figurant dans le formulaire de plainte. Veuillez également joindre les renseignements pertinents que vous estimez importants pour l’enquête et qui devraient être examinés selon vous. Je vous serais reconnaissante de bien vouloir expliquer la procédure qui sert à évaluer les demandes de parrainage. J’aimerais que vous me communiquiez les noms et les coordonnées d’éventuels témoins, ainsi qu’une brève description des renseignements que ces derniers seraient en mesure de fournir selon vous.

[22]           Le 15 août 2013, CIC a communiqué à Mme Falconi une réponse détaillée dans laquelle, à plusieurs endroits, il faisait observer que M. Love n’avait pas étayé ses allégations. CIC a joint des extraits de certains de ses manuels à titre de preuve et a fourni les noms et les coordonnées de plusieurs témoins.

[23]           Le 6 septembre 2013, Mme Falconi a écrit à M. Love pour lui faire un résumé de la réponse de CIC. Dans sa lettre, elle priait M. Love de lui faire connaître le nom des témoins avec qui il [traduction] « aimerait qu’elle communique durant son enquête », de lui fournir sa réponse aux observations de CIC et de préciser la réparation qu’il sollicitait.

[24]           Monsieur Love a répondu à Mme Falconi au moyen d’une lettre le 1er octobre 2013, dans laquelle il se disait perplexe quant à la procédure suivie par Mme Falconi. Il a écrit ce qui suit :

[traduction]

Veuillez trouver ci-joint, comme vous l’avez demandé, ma réponse aux observations de Citoyenneté et Immigration Canada.

Quant au nom des personnes que vous voudriez que je vous communique, la procédure suivie ici me laisse un peu perplexe. Sachez que les personnes avec qui je communiquais se trouvent soit à l’étranger, soit à Ottawa, et que toutes sont des employées de CIC. Toutes ces communications existent sous forme de documents imprimés. Toute enquête à ce stade consisterait donc en un examen du dossier papier. Pourriez-vous en dire davantage?

Pour ce qui est de M. Lumayag, qui était le seul témoin des événements du 21 octobre 2010, je serai heureux de fournir un affidavit sous serment si vous avez des questions pour lui. Il convient de noter que son anglais est limité et qu’il sera bien en peine de vous dire quoi que ce soit sur le contexte général des événements qui sont survenus au bureau des visas à Manille.

[25]           Madame Falconi n’a pas répondu aux interrogations de M. Love et a rédigé son rapport sans obtenir davantage de commentaires de sa part. Elle a ensuite envoyé son rapport aux deux parties, lesquelles ont eu la possibilité de communiquer leurs observations à la Commission. CIC et M. Love l’ont fait, et les observations de l’un ont été communiquées à l’autre, et chacun a eu la possibilité de répondre aux observations de l’autre. Les deux parties ont déposé des répliques.

[26]           Dans ses observations et sa réplique, M. Love a précisé que M. Lumayag avait indiqué que l’agente des visas à Manille s’était montrée hostile envers lui durant l’entrevue qu’elle avait menée le 21 octobre 2010 et aussi qu’il avait dit à l’agente des visas que lui et M. Love avaient eu des rapports sexuels. En outre, M. Love a affirmé que l’agente des visas disposait d’une preuve démontrant que lui et M. Lumayag étaient interdépendants financièrement, mais qu’il ne lui avait pas été possible d’obtenir copie de cette preuve de la part de CIC. Cependant, il n’a fourni aucune déclaration ni aucun affidavit de M. Lumayag pour corroborer ces affirmations et n’a pas non plus fourni les détails de la preuve qui était selon lui à la disposition de CIC concernant leur interdépendance financière.

III.             Y a-t-il eu déni d’équité procédurale dans les circonstances?

[27]           Devant moi, M. Love a fait valoir que la manière dont l’agente des visas a appliqué les critères généraux pour établir l’existence d’une relation conjugale entre lui et M. Lumayag était discriminatoire. Il allègue qu’il lui avait été impossible de vivre avec M. Lumayag et de le visiter plus de 30 jours par année, car les règles auxquelles était subordonné le versement de ses prestations provinciales d’invalidité l’empêchaient de s’absenter de l’Ontario durant plus de 30 jours par an. De même, CIC avait refusé de délivrer un visa de visiteur à M. Lumayag. L’enquêteuse de la Commission n’avait pas été clairement mise au fait de toutes ces affirmations avant de rédiger son rapport. Elle ne disposait d’aucune preuve de ce qui s’était passé, selon les dires de M. Lumayag, durant l’entrevue avec l’agente des visas.

[28]           Si Mme Falconi, l’enquêteuse de la CCDP, avait été informée de ces faits, elle serait peut‑être parvenue à une autre conclusion concernant l’absence d’éléments de preuve à l’appui de la preuve prima facie de discrimination, puisque les conditions préalables à la cohabitation ou un plus grand nombre de visites auraient pu avoir un effet préjudiciable sur M. Love en raison de son invalidité. En outre, la preuve de M. Love dont disposait la Commission aurait été renforcée s’il avait déposé un affidavit de M. Lumayag pour établir que l’agente des visas s’était montrée hostile envers ce dernier, que ce dernier avait en réalité informé l’agente des visas que lui et M. Love avaient eu des rapports sexuels et que M. Love lui avait apporté un soutien financier.

[29]           Du moins en partie, M. Love n’a pas fourni cet élément de preuve à la Commission parce que ses interrogations concernant ce que l’on attendait de lui dans le processus sont demeurées sans réponse. Comme il n’était pas représenté par un avocat, il avait droit, selon moi, à une réponse précise de Mme Falconi sur le genre de renseignements qu’il devait fournir à l’appui de ses affirmations. Contrairement à ce qu’affirme le défendeur, le défaut de Mme Falconi de répondre aux interrogations de M. Love ne saurait être passé sous silence simplement parce qu’elle avait mentionné dans ses premières lettres à M. Love qu’il devait fournir des éléments de preuve ou parce que M. Love lui a effectivement communiqué certains éléments de preuve.

[30]           Les tribunaux ont souvent reconnu la nécessité de fournir des réponses ou directives précises aux parties qui ne sont pas représentées par avocat à propos des procédures applicables. Par exemple, dans l’arrêt Lally c Société Telus Communications, 2014 CAF 214, le juge Scott de la Cour d’appel fédérale a souligné que les membres du Tribunal canadien des droits de la personne se doivent d’être attentifs aux besoins des parties qui ne sont pas représentées par avocat et « de veiller à ce que les plaignants qui comparaissent en personne comprennent la procédure et les règles à suivre dès le début de l’audience » (paragraphe 27). De même, en matière d’immigration, la Cour a reconnu que le défaut de la Section de la protection des réfugiés ou d’un agent des visas d’expliquer la procédure à suivre à des demandeurs qui se représentent eux‑mêmes constitue un manquement à l’équité procédurale : Kerqeli c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 475, 253 ACWS (3d) 428, aux paragraphes 14 à 18; Nemeth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 590, au paragraphe 10; Turton c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1244, 5 Imm LR (4th) 193, au paragraphe 36, et Zhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 155, 427 FTR 239, aux paragraphes 33 à 37.

[31]           Puisque l’absence de réponse aux interrogations de M. Love sur la procédure que suivait la Commission a fort bien pu influer sur l’issue de la présente affaire, il s’ensuit que la décision de la Commission doit être annulée. Dans les circonstances, je suis d’avis que la plainte de M. Love devrait être renvoyée à un autre enquêteur (s’il y en a un de disponible) pour nouvelle enquête et que l’affaire devrait être présentée à nouveau à la Commission pour que soit réexaminée la question de savoir si une instruction de la plainte par le Tribunal est justifiée.

[32]           Monsieur Love a sollicité des dépens. Puisqu’il a choisi de se représenter lui‑même devant la Cour, les dépens en question sont réduits au minimum. Par conséquent, je fixe les dépens que le défendeur devra verser à M. Love au montant global de 250 $.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      Les paragraphes 2, 13, 15, 16 et 25 de l’affidavit de M. Love et les pièces « A »« K », « M », « N » et « W » de cet affidavit sont radiés;

2.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

3.      La plainte de M. Love est renvoyée à la Commission pour nouvelle enquête par un autre enquêteur (s’il y en a un de disponible) et, à l’issue de l’enquête, elle sera présentée à nouveau à la Commission pour que soit réexaminée la question de savoir si une instruction de la plainte de M. Love par le Tribunal est justifiée;

4.      Monsieur Love a droit aux dépens à verser par le défendeur, lesquels sont fixés à 250 $.

« Mary J.L. Gleason »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

T-1553-14

 

INTITULÉ :

STEVEN LOVE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 AVRIL 2015 ET LE 29 JUIN 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 JUILLET 2015

 

COMPARUTIONS :

Steven Love

 

POUR LE demandeur,

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Debra Prupas

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Steven Love

Pour son propre compte

Toronto (Ontario)

 

POUR LE demandeur,

POUR SON PROPRE COMPTE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

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