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Date : 20150629


Dossier : T-1655-14

Référence : 2015 CF 806

Ottawa (Ontario), le 29 juin 2015

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

STÉPHANE DUPPERON

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Dans la présente affaire, la Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue le 29 mai 2014 par la sous-commissaire principale par intérim [la sous-commissaire] du Service correctionnel du Canada [le SCC], dans laquelle la sous-commissaire rejetait un grief présenté au troisième palier par le demandeur Stéphane Dupperon concernant un refus de lui accorder des visites familiales privées [VFP] seul avec sa conjointe. M. Dupperon prétend que cette décision de la sous-commissaire n’est pas justifiée en regard de la loi et des règlements applicables, et qu’elle ne respecte pas l’équité procédurale.

[2]               Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.                Faits

[3]               M. Dupperon est un détenu ayant de lourds antécédents criminels. Depuis le 18 septembre 1997, il purge une troisième peine fédérale de plus de 18 ans d’emprisonnement suite à différentes accusations criminelles, incluant notamment agression sexuelle armée (4 chefs), agression sexuelle (6 chefs), introduction par effraction (2 chefs), vol par effraction (4 chefs), vol dépassant 5 000 $ (7 chefs), possession de biens criminellement obtenus d’une valeur de moins de 5 000 $ (4 chefs) et défaut de se conformer à une ordonnance de probation (4 chefs).

[4]               Le 22 octobre 2009, M. Dupperon avait été libéré sous conditions avec assignation à résidence. Le 7 septembre 2010, un mandat d’arrestation et de suspension de sa libération a toutefois été émis et exécuté à l’endroit de M. Dupperon en raison d’une nouvelle plainte d’agression sexuelle qui avait été portée contre lui. M. Dupperon a plaidé coupable à cette accusation et il a alors été réincarcéré à l’Établissement Leclerc pour être ensuite transféré à l’Établissement Drummond.

[5]               Lorsqu’il était à l’Établissement Leclerc, M. Dupperon a fait une demande pour participer au programme de VFP. Suite à cette demande, le SCC a procédé à une évaluation communautaire auprès de la conjointe de M. Dupperon, qui a été complétée en date du 22 mars 2011 [l’enquête communautaire]. Au mois de novembre 2011, M. Dupperon s’est vu refuser les VFP seul avec sa conjointe, mais s’est vu accorder le droit de participer au programme en compagnie de sa conjointe et de ses parents, afin de faire ses preuves. M. Dupperon a donc participé à six VFP avec ses parents et sa conjointe à l’Établissement Drummond. Il a ensuite fait une requête, à la fin de mars 2013, pour avoir sa première VFP seul avec sa conjointe.

[6]               Le 26 avril 2013, M. Dupperon a été transféré à l’Établissement La Macaza. Il y a présenté une nouvelle demande afin d’obtenir le droit aux VFP seul avec sa conjointe. Le 6 juin 2013, une évaluation en vue d’une décision [l’évaluation en vue d’une décision] a été réalisée par l’équipe de gestion de cas de M. Dupperon [EGC]. L’EGC n’a toutefois pas recommandé que le programme de VFP soit agréé pour M. Dupperon. Le 23 juillet 2013, une évaluation psychologique de M. Dupperon a aussi été complétée sur la foi des données disponibles, M. Dupperon ayant refusé d’y participer [l’évaluation psychologique].

[7]               Le 31 juillet 2013, les membres du Comité de visites de l’Établissement La Macaza ont émis leur décision et, en accord avec la recommandation de l’EGC, ils ont maintenu le refus des VFP seul avec sa conjointe pour M. Dupperon [la décision de l’établissement].

[8]               Le 16 août 2013, M. Dupperon a alors déposé une plainte à l’encontre de cette décision de l’Établissement La Macaza, laquelle plainte a été refusée par le gestionnaire correctionnel du pénitencier le 26 septembre 2013.  Le 14 octobre 2013, M. Dupperon a logé un grief au premier palier contestant cette décision du 26 septembre au motif qu’elle n’était pas justifiée. Le 6 novembre 2013, ce grief au premier palier a lui aussi été refusé et, en date du 22 novembre 2013, M. Dupperon  a déposé un grief final (aussi appelé grief au troisième palier ou au palier national) pour contester la décision du 6 novembre 2013.

[9]               Le 29 mai 2014, la sous-commissaire a refusé ce grief final en concluant que la décision refusant à M. Dupperon le droit à des VFP seul avec sa conjointe avait été prise en conformité avec le cadre législatif applicable et que M. Dupperon n’avait apporté aucun élément nouveau. C’est cette décision de la sous-commissaire qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire [la décision].

III.             Décision contestée

[10]           Dans la décision, la sous-commissaire note que M. Dupperon questionnait le motif invoqué pour lui avoir refusé les VFP à l’Établissement La Macaza, soit le fait d’être « trop dangereux ».

[11]           La sous-commissaire mentionne d’abord qu’il y a des procédures à suivre pour participer au régime de VFP et qu’une évaluation en vue d’une décision avait été complétée à cette fin par l’EGC en juin 2013. Dans cette évaluation, l’EGC s’était dit d’avis que la conjointe de M. Dupperon ne possédait toujours pas toutes les connaissances requises pour faire un choix éclairé dans sa décision de s’investir auprès de lui dans son cheminement. Malgré les antécédents sexuels de M. Dupperon, sa conjointe ne connaissait que peu ou pas son passé de violence, selon l’EGC. Il a ainsi été déterminé que le degré de surveillance exercé dans le cadre du programme de VFP ne serait pas suffisant pour gérer le risque de violence conjugale.

[12]           Dans sa décision, la sous-commissaire réfère aussi à l’enquête communautaire de mars 2011 et à l’évaluation psychologique de juillet 2013, laquelle concluait notamment à un risque de récidive sexuelle élevée et à un risque de récidive violente modéré-élevé de la part de M. Dupperon.

[13]           La sous-commissaire mentionne par ailleurs que les VFP avaient été agréées à l’Établissement Drummond avec les parents de M. Dupperon, mais pas seul avec sa conjointe. Elle souligne en concluant que l’analyse de l’enquête communautaire de mars 2011, l’évaluation psychologique de juillet 2013, l’évaluation en vue d’une décision de juin 2013 et la décision de l’établissement de juillet 2013 ont permis de confirmer que le risque représenté par M. Dupperon ne pouvait pas être assumé à ce moment. La sous-commissaire considère donc que la décision finale de ne pas octroyer à M. Dupperon des VFP seul avec sa conjointe a été effectuée en toute conformité avec le cadre législatif, incluant les politiques en vigueur.

IV.             Questions en litige

[14]           Cette demande de contrôle judiciaire soulève deux questions eues égard à la décision rendue par la sous-commissaire le 29 mai 2014:

1.      La sous-commissaire a-t-elle agi de façon contraire à la loi, aux règlements et aux politiques en vigueur en refusant la demande de VFP de M. Dupperon, au point de rendre sa décision déraisonnable ?

  1. La décision contrevient-elle à l’équité procédurale?

V.                Dispositions législatives pertinentes

[15]           Les dispositions pertinentes au présent litige sont prévues à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, ch 20 [la Loi], au Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 [le Règlement] et aux directives administratives émises par le SCC en matière de VFP. En ce qui concerne la Loi, il suffit de faire référence à ses articles 24 et 71, qui se lisent comme suit :

Exactitude des renseignements

Accuracy, etc., of information

24. (1) Le Service est tenu de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets.

24. (1) The Service shall take all reasonable steps to ensure that any information about an offender that it uses is as accurate, up to date and complete as possible.

[…]

Rapports avec l’extérieur

[…]

Contacts and visits

71. (1) Dans les limites raisonnables fixées par règlement pour assurer la sécurité de quiconque ou du pénitencier, le Service reconnaît à chaque détenu le droit, afin de favoriser ses rapports avec la collectivité, d’entretenir, dans la mesure du possible, des relations, notamment par des visites ou de la correspondance, avec sa famille, ses amis ou d’autres personnes de l’extérieur du pénitencier.

71. (1) In order to promote relationships between inmates and the community, an inmate is entitled to have reasonable contact, including visits and correspondence, with family, friends and other persons from outside the penitentiary, subject to such reasonable limits as are prescribed for protecting the security of the penitentiary or the safety of persons.

Objets permis lors de visites

Visitors’ permitted items

(2) Dans chaque pénitencier, un avis donnant la liste des objets que les visiteurs peuvent garder avec eux au-delà du poste de vérification doit être placé bien en vue à ce poste.

(2) At each penitentiary, a conspicuous notice shall be posted at the visitor control point, listing the items that a visitor may have in possession beyond the visitor control point.

Possession d’objets non énumérés

Where visitor has non-permitted item

(3) L’agent peut mettre fin à une visite ou la restreindre lorsque le visiteur est en possession, sans son autorisation ou celle d’un autre agent, d’un objet ne figurant pas dans la liste.

(3) Where a visitor has in possession, beyond the visitor control point, an item not listed on the notice mentioned in subsection (2) without having previously obtained the permission of a staff member, a staff member may terminate or restrict the visit.

[16]           Quant au Règlement, les dispositions pertinentes se retrouvent à ses articles 90 et 91. Elles se lisent comme suit :

90. (1) Tout détenu doit, dans des limites raisonnables, avoir la possibilité de recevoir des visiteurs dans un endroit exempt de séparation qui empêche les contacts physiques, à moins que :

90. (1) Every inmate shall have a reasonable opportunity to meet with a visitor without a physical barrier to personal contact unless

a) le directeur du pénitencier ou l’agent désigné par lui n’ait des motifs raisonnables de croire que la séparation est nécessaire pour la sécurité du pénitencier ou de quiconque;

(a) the institutional head or a staff member designated by the institutional head believes on reasonable grounds that the barrier is necessary for the security of the penitentiary or the safety of any person; and

b) il n’existe aucune solution moins restrictive.

(b) no less restrictive measure is available.

(2) Afin d’assurer la sécurité du pénitencier ou de quiconque, le directeur du pénitencier ou l’agent désigné par lui peut autoriser une surveillance du secteur des visites, par un agent ou avec des moyens techniques, et cette surveillance doit se faire de la façon la moins gênante possible dans les circonstances.

(2) The institutional head or a staff member designated by the institutional head may, for the purpose of protecting the security of the penitentiary or the safety of any person, authorize the visual supervision of a visiting area by a staff member or a mechanical device, and the supervision shall be carried out in the least obtrusive manner necessary in the circumstances.

(3) Le Service doit veiller à ce que chaque détenu puisse s’entretenir avec son avocat dans un local assurant à l’entrevue un caractère confidentiel.

(3) The Service shall ensure that every inmate can meet with the inmate’s legal counsel in private interview facilities.

91. (1) Sous réserve de l’article 93, le directeur du pénitencier ou l’agent désigné par lui peut autoriser l’interdiction ou la suspension d’une visite au détenu lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire :

91. (1) Subject to section 93, the institutional head or a staff member designated by the institutional head may authorize the refusal or suspension of a visit to an inmate where the institutional head or staff member believes on reasonable grounds

a) d’une part, que le détenu ou le visiteur risque, au cours de la visite :

(a) that, during the course of the visit, the inmate or visitor would

(i) soit de compromettre la sécurité du pénitencier ou de quiconque,

(i) jeopardize the security of the penitentiary or the safety of any person, or

(ii) soit de préparer ou de commettre un acte criminel;

(ii) plan or commit a criminal offence; and

b) d’autre part, que l’imposition de restrictions à la visite ne permettrait pas d’enrayer le risque.

(b) that restrictions on the manner in which the visit takes place would not be adequate to control the risk.

(2) Lorsque l’interdiction ou la suspension a été autorisée en vertu du paragraphe (1) :

(2) Where a refusal or suspension is authorized under subsection (1),

a) elle reste en vigueur tant que subsiste le risque visé à ce paragraphe;

(a) the refusal or suspension may continue for as long as the risk referred to in that subsection continues; and

b) le directeur du pénitencier ou l’agent doit informer promptement le détenu et le visiteur des motifs de cette mesure et leur fournir la possibilité de présenter leurs observations à ce sujet.

(b) the institutional head or staff member shall promptly inform the inmate and the visitor of the reasons for the refusal or suspension and shall give the inmate and the visitor an opportunity to make representations with respect thereto.

[17]           Il importe aussi de mentionner les directives administratives du commissaire du SCC applicables en matière de VFP, soit la Directive 770 [DC 770] ainsi que celle qui l’a remplacée en date du 14 avril 2014, la Directive 710-8 [DC 710]. Ces deux directives précisent notamment que ne sont pas admissibles aux VFP les détenus qui « présentent un risque de violence familiale » (article 8 a) de la Directive 710-8); la version préalable qui était contenue à l’article 23 de la Directive 770 était au même effet et parlait des détenus qui risquent « de se livrer à des actes de violence familiale ».

VI.             Prétentions des parties

[18]           M. Dupperon soumet en premier lieu que la sous-commissaire a agi de façon contraire à la Loi et au Règlement en refusant de manière arbitraire et injustifiée sa demande de VFP. L’article 71 de la Loi reconnaît le droit des détenus de participer à des visites familiales, tandis que les articles 90 et 91 du Règlement expliquent quant à eux les motifs et circonstances autorisant la direction d’un établissement à retirer ce droit. Selon M. Dupperon, bien que le droit aux visites ne soit pas absolu, la jurisprudence rappelle son importance pour le détenu et l’obligation du SCC de trouver des alternatives s’il a des raisons de croire que les visites ne devraient pas être approuvées pour des raisons de sécurité (Flynn c Canada (Procureur général), 2007 CAF 356, au para 12 [Flynn]).

[19]           M. Dupperon soutient que son EGC à l’Établissement La Macaza a donc contrevenu à ses obligations légales en ne suggérant aucune solution alternative moins restrictive lors du refus de sa demande de VFP seul avec sa conjointe, comme le prescrit expressément l’alinéa 90(1)b) du Règlement.

[20]           M. Dupperon rappelle par ailleurs que tant l’ancienne Directive 770 que la nouvelle Directive 710-8 soulèvent une même exception au droit d’un détenu à être admis au programme de VFP, à savoir le risque de violence familiale. Cette exception aux VFP est aussi reconnue dans la jurisprudence (Edwards c Canada (Procureur général), 2003 CF 1441, aux paras 26-28 [Edwards]; Russell c Canada (Procureur général), 2007 CF 1162, au para 19 [Russell]). Or, M. Dupperon affirme que l’évaluation en vue d’une décision de juin 2013 ne démontre pas qu’il risque de se livrer à des actes de violence familiale, et que la décision refusant son droit aux VFP n’est donc pas justifiée compte tenu de son dossier.

[21]           M. Dupperon soumet en second lieu que la décision de la sous-commissaire contrevient aux libertés fondamentales puisqu’elle ne respecte pas l’équité procédurale. M. Dupperon avance d’abord que la sous-commissaire s’est fondée sur de l’information qui n’était ni sûre ni convaincante dans la rédaction de sa décision et a ainsi enfreint les règles de l’équité procédurale. En effet, le paragraphe 24(1) de la Loi oblige le SCC à utiliser une information à jour, exacte et complète. Or, dans sa décision, la sous-commissaire fait référence à l’évaluation en vue d’une décision réalisée en juin 2013, qui réfère à l’enquête communautaire de mars 2011. M. Dupperon allègue que, ce faisant, la sous-commissaire n’a pas tenu compte de l’information plus à jour dans son dossier démontrant que sa conjointe connaît maintenant les détails de son passé criminel (Tehrankari c Canada (Service correctionnel), 2000 ACF no 495, aux paras 41, 51 [Tehrankari]; Brown c Canada (Procureur général), 2006 CF 463, au para 28 [Brown]). M. Dupperon réfère plus précisément ici à deux lettres échangées en juillet et août 2013 avec sa conjointe, dans lesquelles ils parlaient de ses antécédents criminels et délits.

[22]           Dans ses représentations orales, le procureur de M. Dupperon a aussi mentionné que la sous-commissaire avait omis de tenir compte de la preuve au dossier portant sur le comportement et la situation de M. Dupperon avant sa libération conditionnelle en 2009 et 2010.

[23]           M. Dupperon ajoute enfin que la sous-commissaire n’a pas justifié suffisamment sa décision. Aux dires de M. Dupperon, la décision de la sous-commissaire se contente de référer aux décisions sur le grief au premier palier et sur le grief final sans expliquer pourquoi le risque de M. Dupperon ne peut pas être géré. Ceci, selon M. Dupperon, ne respecte pas l’obligation légale d’étayer sa décision, rendant du même souffle la décision déraisonnable (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au para 43).

[24]           En défense, le Procureur général du Canada [le PGC] rétorque que l’article 71 de la Loi encadre les visites familiales et que l’alinéa 91(1)a) du Règlement autorise le directeur d’un établissement à refuser une VFP lorsqu’il a des craintes en matière de sécurité, pour le pénitencier ou pour quiconque. Selon le PGC, la Cour d’appel fédérale a clairement indiqué dans l’affaire Flynn, au para 12, que les dispositions de la Loi et du Règlement sur les VFP n’octroient pas au détenu un droit absolu ni un droit strict aux visites contacts, mais plutôt un droit relatif dans les limites jugées raisonnables.

[25]           Le PGC soutient que l’enquête communautaire de mars 2011 concluait que la conjointe de M. Dupperon pouvait être un atout dans son cheminement, mais que sa connaissance limitée au sujet de la criminalité de M. Dupperon était alarmante, un état de choses que l’évaluation en vue d’une décision avait confirmé en juin 2013. Quant à l’évaluation psychologique de juillet 2013, elle concluait qu’aucune mesure de surveillance ne suffisait à pallier le risque que représente le détenu et que le contexte dans lequel se trouvait M. Dupperon (suite aux nouvelles accusations d’agression sexuelle portées contre lui en 2010) pouvait favoriser le passage à un acte délictuel de nature sexuelle.

[26]           Le PGC soumet que la réponse du palier national a considéré les arguments de M. Dupperon et les a mis en opposition avec les faits du dossier pour conclure qu’il serait prématuré de lui octroyer les VFP seul avec sa conjointe. Selon le PGC, la décision de la sous-commissaire est raisonnable en ce qu’elle reprend les éléments retenus dans les évaluations et recommandations précédentes pour conclure que les VFP seul avec sa conjointe ne devraient pas être octroyées à M. Dupperon. Le PGC soutient aussi qu’il n’y a eu aucun manquement aux règles d’équité procédurale.

VII.          Norme de contrôle

[27]           Il est bien reconnu que la norme de contrôle applicable à une décision de la sous-commissaire est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au para 47 [Dunsmuir]; McDougall c Canada (Procureur général), 2011 CAF 184, au para 24 [McDougall]; Riley c Canada (Procureur général), 2011 CF 1226, au para 14 [Riley]; Harnois c Canada (Procureur général), 2010 CF 1312, au para 20). Ce caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au para 47).

[28]           De la même manière, les conclusions mixtes de fait et de droit tirées dans le cadre du processus de règlement des griefs du SCC et de la Loi sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Yu c Canada (Procureur général), 2012 CF 970, au para 15; Crawshaw c Canada (Procureur général), 2011 CF 133, aux para 24 à 27). Dans ce contexte, la Cour doit faire preuve de retenue envers la décision de la sous-commissaire et ne peut lui substituer ses propres motifs (Korn c Canada (Procureur général), 2014 CF 590, au para 14). Elle peut toutefois, au besoin, examiner le dossier pour mesurer et apprécier le caractère raisonnable de la décision (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au para 15 [Newfoundland Nurses]).

[29]           Quant à la détermination de la conformité de la décision de la sous-commissaire avec les principes d’équité procédurale, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique (Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, au para 43; Hall c Canada (Procureur général), 2013 CF 933, au para 24; McDougall, aux para 24, 260).

VIII.       Analyse

A.                 La sous-commissaire a-t-elle agi de façon contraire à la Loi, au Règlement et aux directives en vigueur?

[30]           Je suis d’avis que, dans le cas qui nous occupe, la sous-commissaire n’a pas agi de façon contraire à la Loi, au Règlement ou aux directives en place, et que la décision est raisonnable. En fait, la décision est tout à fait conforme au cadre législatif et administratif qui régit l’octroi des VFP en milieu carcéral.

[31]           L’article 71 de la Loi décrit et encadre le droit des détenus aux visites familiales. Cet article doit être lu conjointement avec les articles 90 et 91 du Règlement, qui expliquent les motifs autorisant la direction d’un établissement carcéral à retirer ce droit, ainsi qu’avec les directives administratives applicables à cet égard. Les articles 90 et 91 du Règlement prévoient notamment que le droit aux VFP peut être interdit ou suspendu pour assurer « la sécurité du pénitencier ou de quiconque ». Par ailleurs, la DC 770 et la DC 710 mentionnent pour leur part que les détenus qui présentent un « risque de violence familiale » ne sont pas admissibles aux VFP. 

[32]           La jurisprudence a clairement établi que le droit des détenus aux visites familiales n’est pas absolu, mais qu’il est plutôt relatif et qualifié (Flynn, au para 12; Riley, au para 16). En fait, ce droit est plus de la nature d’un privilège consenti aux détenus à certaines conditions. Entre autres, la sécurité du public et des personnes impliquées et le risque de violence familiale du détenu sont des considérations primordiales dans les décisions portant sur l’octroi de VFP. Dans l’affaire Russell, la juge Tremblay-Lamer rappelait ces principes dans les termes suivants, aux paras 16-20 :

16 Afin de déterminer si la décision en litige est raisonnable, on doit absolument délimiter le pouvoir discrétionnaire accordé en matière d'autorisation à la participation au PVFP. Le pouvoir discrétionnaire en cause dans le cadre des décisions en matière de participation au PVFP est mentionné dans la Loi, dans la Directive du Commissaire (DC) 770 et dans l'instruction permanente (IP) 700-12.

17 Premièrement, en ce qui a trait aux sentences qui doivent être purgées, la Loi précise clairement que l'un des principaux objectifs visés par le système correctionnel est d'aider à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale (article 3). Dans l'exécution de ce mandat, le Service veille à ce que le délinquant continue à jouir des droits et privilèges reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou restriction est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée (alinéa 4e)). La protection de la société demeure le critère prépondérant (alinéa 4a)).

18 De plus, le paragraphe 71(1) de la Loi prévoit que le détenu a le droit d'entretenir des relations avec ses amis et sa famille « dans les limites raisonnables fixées par règlement pour assurer la sécurité de quiconque ou du pénitencier ».

19 La DC 770 prévoit que tous les détenus sont admissibles aux visites familiales privées sauf ceux qui risquent en ce moment de se livrer à des actes de violence familiale. De plus, la IP 700-12 énumère les facteurs dont on doit tenir compte afin de déterminer si un détenu est admissible au PVFP. Ces facteurs pertinents comprennent les antécédents du contrevenant en matière de comportement violent contre d'autres personnes ainsi que la question de savoir si, dans le plan correctionnel du détenu, la violence familiale a été reconnue comme étant un facteur et que ce problème n'a pas encore été traité.

20 Par conséquent, il est évident que la réinsertion sociale du contrevenant ainsi que la sécurité du public constituent les considérations prédominantes dont on doit tenir compte lorsque l'on décide d'autoriser ou le non le contrevenant à participer au PVFP. Dans la décision Edwards, précitée, au paragraphe 16, le juge Von Finckenstein a judicieusement énuméré les facteurs dont on doit tenir compte dans le cadre de l'application des dispositions de la Loi relatives aux visites familiales :

Dans tous ces programmes, la sécurité du public est toujours une considération prédominante. Bien sûr, dans le cas des visites familiales, la sécurité des personnes qui rendent visite au délinquant entre en ligne de compte

Par conséquent, la sécurité de l'épouse du demandeur doit être une considération prédominante.

[33]           Dans la décision, la sous-commissaire fait d’ailleurs expressément référence à l’article 91 du Règlement et à ses éléments portant sur la sécurité du public et des personnes impliquées, ainsi qu’à la DC 710 et au risque de violence familiale qui suffit pour disqualifier un détenu du programme de VFP.

[34]           Dans la présente affaire, M. Dupperon a eu recours à plusieurs niveaux de plaintes et de griefs avant que la décision ne soit rendue le 29 mai 2014. La sous-commissaire indique dans sa décision avoir examiné les documents pertinents au grief, soit les présentations précédentes de M. Dupperon et les réponses correspondantes, les lois et les politiques applicables, et avoir suivi le cheminement de M. Dupperon pour contester le refus de ses demandes de VFP. En l’espèce, je suis d’avis que la sous-commissaire a examiné la totalité du dossier et en est arrivé à la même conclusion que les décisions antérieures en se basant sur plusieurs facteurs, parmi lesquels figuraient 1) la connaissance limitée de la conjointe sur les antécédents criminels de M. Dupperon, 2) l’évaluation en vue d’une décision de juin 2013, 3) l’évaluation psychologique de juillet 2013 ainsi que 4) l’enquête communautaire de mars 2011. Une revue de la décision et du dossier du SCC me convainc que la décision de la sous-commissaire découle raisonnablement des faits et opinions relatés dans le dossier.

[35]           Dans sa décision, la sous-commissaire relate d’abord l’évaluation en vue d’une décision complétée par l’EGC en juin 2013; cette évaluation faisait référence à l’enquête communautaire de mars 2011 et notait que la conjointe de M. Dupperon n’avait toujours pas toutes les connaissances requises et devait être informée, sous supervision, de l’ensemble de son dossier criminel pour effectuer un choix éclairé dans sa décision de s’investir auprès de lui. Le rapport concluait que le « degré de surveillance exercé » dans le cadre des VFP n’était pas suffisant pour gérer le « risque de violence conjugale » de M. Dupperon à ce moment-là. La décision mentionne que l’EGC n’avait alors pas recommandé les VFP seul avec la conjointe de M. Dupperon. La sous-commissaire note donc que la décision de l’établissement de juillet 2013 suite à la recommandation de l’EGC était de ne pas accorder les VFP.

[36]           La sous-commissaire mentionne ensuite dans sa décision que M. Dupperon a porté plainte à l’Établissement La Macaza suite à la décision de l’établissement lui refusant les VFP. Dans la justification rejetant la plainte de M. Dupperon, datée du 26 septembre 2013, il y était expliqué que M. Dupperon aurait mentionné à son agente de libération que, s’il était reconnu coupable d’agression sexuelle pour la plainte portée contre lui en 2010, son risque de suicide augmenterait. La sous-commissaire ajoute qu’on y mentionnait aussi que l’évaluation psychologique de juillet 2013 avait conclu que M. Dupperon était à risque de récidive sexuelle élevé et à risque de récidive de violence modéré-élevé. Il était donc considéré prématuré de lui octroyer des VFP seul avec sa conjointe puisque le risque n’était pas jugé comme étant « assumable ».

[37]           La sous-commissaire fait aussi état du fait que, si les VFP avaient été agréées avec les parents de M. Dupperon et sa conjointe pour l’Établissement Drummond, ils ne l’avaient pas été pour M. Dupperon seul avec sa conjointe.

[38]           Dans la décision, la sous-commissaire discute enfin du grief au premier palier logé par M. Dupperon en octobre 2013, qui a également été refusé, et du fait que M. Dupperon avait été avisé qu’une demande de VFP avec ses parents et sa conjointe pouvait aussi être faite et considérée. La décision fait ensuite spécifiquement référence à l’article 91 du Règlement, lequel permet au directeur du pénitencier de notamment refuser les visites d’un détenu lorsque le détenu risque, au cours de la visite, de compromettre la sécurité du pénitencier ou de quiconque. La décision refusant le grief au premier palier de M. Dupperon précisait effectivement que le rejet de la demande était basé sur le risque de sécurité que représentait alors M. Dupperon, à l’automne 2013.

[39]           Dans la décision, la sous-commissaire a donc résumé le cheminement du grief dans les diverses étapes du processus du SCC, l’essentiel des observations de M. Dupperon ainsi que les différents motifs qui ont amené les autorités carcérales à refuser la demande de M. Dupperon. Il ressort de la décision que les préoccupations quant au risque de violence familiale de M. Dupperon et à la sécurité du public et de la conjointe de M. Dupperon transpiraient de l’ensemble des documents mentionnés par le décideur.

[40]           M. Dupperon insiste sur le fait qu’il a eu droit à six VFP avec ses parents et sa conjointe à l’Établissement Drummond et que, puisque ces visites s’étaient bien déroulées, il aurait dû être admis au programme de VFP seul avec sa conjointe. Dans ses représentations orales devant la Cour, le procureur de M. Dupperon a fait valoir que le SCC avait en quelque sorte promis à M. Dupperon que, si tout se passait bien dans les VFP avec ses parents, il aurait droit aux VFP seul avec sa conjointe. Je ne suis pas d’accord avec cette interprétation. Lorsque considérés dans leur ensemble, les documents au dossier indiquent seulement que l’Établissement Drummond avait l’intention d’autoriser les VFP de M. Dupperon avec sa conjointe si tout se passait bien avec ses parents et sa conjointe. Il n’y a pas, à mon avis, d’élément de preuve indiquant de façon convaincante que cette autorisation avait été effectivement accordée par les autorités carcérales avant le transfert de M. Dupperon vers l’Établissement La Macaza, et que les VFP seul avec sa conjointe pouvaient être considérées comme approuvées. De plus, il était raisonnable que l’Établissement La Macaza revoie en détail le dossier de M. Dupperon suite à son transfert et détermine par la suite qu’il pourrait représenter un risque pour sa conjointe puisqu’elle ne connaissait pas entièrement sa dynamique criminelle et que les nouvelles accusations pourraient le déstabiliser s’il recevait le statut de délinquant dangereux.

[41]           Les décisions citées par le procureur de M. Dupperon pour appuyer ses positions peuvent également être distinguées de la présente affaire. Ainsi, dans l’affaire Edwards, le détenu n’avait pas été reconnu coupable d’une infraction sexuelle dans le passé et n’avait jamais été considéré comme une personne qui risquait de commettre des actes de violence familiale, contrairement au cas de M. Dupperon où sa déclaration antérieure de culpabilité à des infractions sexuelles a influencé la décision de la sous-commissaire et des autorités carcérales qui ont refusé sa demande de VFP. Il est aussi établi dans l’affaire Russell que la directive applicable aux VFP « prévoit que tous les détenus sont admissibles aux visites familiales privées sauf ceux qui risquent en ce moment de se livrer à des actes de violence familiale » (au para 19). Or, en l’espèce, M. Dupperon a déjà été reconnu coupable de tels actes de violence.

[42]           Incidemment, contrairement à ce qu’avance M. Dupperon dans ses représentations, il y a dans la décision de la sous-commissaire des références directes au risque de violence familiale de la part de M. Dupperon, un élément expressément reconnu par la DC 710 et la DC 770 pour rendre un détenu inadmissible aux VFP. En effet, tant l’évaluation en vue d’une décision de juin 2013 que l’évaluation psychologique de juillet 2013 mentionnent explicitement ce risque.

[43]           Par ailleurs, il importe de rappeler que la Loi impose au SCC de rechercher un équilibre entre les facteurs dits positifs et négatifs contenus au dossier d’un détenu, afin de soupeser les intérêts et les droits du détenu avec les intérêts et la sécurité du public. L’obligation d’assurer la protection du public, y compris celle des personnes impliquées dans les VFP, y est primordiale. J’estime que ces principes de proportionnalité et de recherche d’un équilibre entre les intérêts de M. Dupperon et ceux relatifs à la protection de la société (et plus particulièrement de la conjointe de M. Dupperon visée par la demande de VFP) ont dûment été respectés par la sous-commissaire dans la décision, le tout conformément aux exigences de la Loi et au mandat du SCC.

[44]           Le procureur de M. Dupperon a aussi insisté sur le fait que, contrairement au texte explicite de l’article 91 du Règlement à cet égard, le SCC (et la sous-commissaire dans sa décision) n’auraient pas pris en considération les conditions moins restrictives possibles avant de refuser à M. Dupperon les VFP seul avec sa conjointe. Je ne partage pas cet avis. Je suis plutôt d’accord avec le procureur du PGC à l’effet que cette préoccupation ressort implicitement de la décision. En effet, la décision indique que M. Dupperon a été avisé, suite au refus de son grief au premier palier, qu’il pouvait faire une demande de VFP avec ses parents et sa conjointe, demande qui avait d’ailleurs déjà été acceptée à l’Établissement Drummond. Je rappelle que l’article 90 du Règlement traitant des VFP réfère à la possibilité pour les détenus de « recevoir des visiteurs dans un endroit exempt de séparation qui empêche les contacts physiques ». Dans le cas de M. Dupperon, les autorités carcérales y ont dit non pour les VFP seul avec sa conjointe, mais ont laissé ouverte la possibilité de les avoir avec ses parents et sa conjointe. Je suis d’avis que cela témoigne d’un souci d’offrir une solution moins restrictive qu’un simple refus catégorique à M. Dupperon d’avoir des VFP. La décision respecte ainsi les exigences de l’article 91 du Règlement.

[45]           Je conclus donc que l’analyse effectuée par la sous-commissaire démontre un examen approfondi du dossier du M. Dupperon, et est tout à fait raisonnable et justifiée dans les circonstances. Les arguments avancés par M. Dupperon et son procureur invitent en fait la Cour à donner davantage de poids à certains aspects de la preuve qu’à ceux retenus par la sous-commissaire dans sa décision. Ce n’est pas le rôle de cette Cour, mais plutôt celui de la sous-commissaire, de déterminer le poids à conférer aux divers éléments de preuve (Khosa, au para 59). Après avoir examiné la décision, il m’est impossible de conclure que la sous-commissaire a erré dans son appréciation des faits. Au contraire, elle a clairement expliqué pourquoi M. Dupperon n’a pas été admis aux VFP seul avec sa conjointe, en raison des risques de violence familiale et des risques pour la sécurité de sa conjointe.

[46]           Par conséquent, compte tenu des antécédents de M. Dupperon en matière de violence, de l’impact des nouvelles accusations d’agression sexuelle et des différentes évaluations au dossier, le tout conjugué avec la question primordiale de la sécurité du public qui fait partie intégrante du cadre législatif, la décision de rejeter la demande de VFP de M. Dupperon est amplement raisonnable, et la Cour ne doit pas intervenir.

B.                 La décision contrevient-elle à l’équité procédurale?

[47]            M. Dupperon allègue dans un deuxième temps que la sous-commissaire aurait manqué aux principes d’équité procédurale en omettant de motiver sa décision adéquatement, en ignorant certains éléments de preuve et en considérant d’autres éléments dépourvus de fiabilité. Ce serait notamment contraire à l’article 24 de la Loi qui oblige le SCC à utiliser des renseignements « à jour, exacts et complets ». Je ne peux souscrire à ces arguments. Je suis plutôt d’avis qu’il n’y a eu aucune entorse aux règles de justice naturelle et d’équité procédurale dans le traitement de la demande de M. Dupperon.

[48]           M. Dupperon soumet que la sous-commissaire n’aurait pas tenu compte de sa récente correspondance avec sa conjointe où il l’a informé de son passé criminel. Dans ses représentations orales devant cette Cour, le procureur de M. Dupperon a d’ailleurs longuement et habilement référé à la lettre envoyée le 18 juillet 2013 par M. Dupperon à sa conjointe, et à la réponse de cette dernière en date du 28 août. Il prétend que cet échange de correspondance démontre que M. Dupperon y avait expliqué ses antécédents criminels, que sa conjointe était désormais au courant de sa dynamique criminelle, et qu’en les ignorant dans la décision, la sous-commissaire a contrevenu à l’équité procédurale.

[49]           Je ne partage pas l’avis du procureur de M. Dupperon à ce sujet. Il est exact que M. Dupperon a envoyé une lettre à sa conjointe en juillet 2013 lui résumant ses antécédents criminels, et que la décision de la sous-commissaire n’y réfère pas expressément. Cependant, il est admis que ces correspondances étaient en possession de l’office fédéral et faisaient bel et bien partie de son dossier. Or, le fait que la sous-commissaire ne les ait pas mentionnées dans la décision ne signifie pas qu’elle ne les a pas considérées ou ne s’en est pas servie.

[50]           Il est admis depuis l’arrêt Newfoundland Nurses que la Cour peut, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, examiner le dossier pour évaluer si une décision est raisonnable; si le dossier montre qu’il y a une assise raisonnable pour la décision, la Cour se doit d’y déférer. Comme le soulignait la Cour suprême dans Newfoundland Nurses, au para 16 :

Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l'analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n'est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale.

[51]           Dans la même veine, la Cour peut aussi combler les lacunes ou omissions d’une décision ou « tirer les conclusions qu’il est raisonnable de tirer du dossier et qui sont étayées par celui-ci » (Pathmanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 353, au para 28).

[52]           Dans la mesure où la Cour peut trouver dans la preuve un fondement raisonnable aux conclusions de la sous-commissaire, elle ne doit pas intervenir et doit laisser subsister ces conclusions, même si la décision ne fait pas explicitement référence à la preuve en question dans sa décision, ou ne l'y analyse que partiellement (Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1379, aux para 30-34). En l’espèce, ce n’est pas un cas où les motifs de la sous-commissaire passent sous silence un élément essentiel à sa décision. Il s’agit plutôt d’un cas où la Cour peut, avec les éléments qui apparaissent clairement du dossier, comprendre et confirmer les conclusions de la sous-commissaire sur la connaissance limitée de la conjointe de M. Dupperon  (Komolafe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 431, aux paras 10-11).

[53]           En effet, à la lecture du dossier, je note qu’il n’y a aucun document mis en preuve indiquant qu’une discussion « sous supervision » a eu lieu entre M. Dupperon et sa conjointe sur sa dynamique criminelle, comme l’avait pourtant recommandé l’évaluation en vue d’une décision de juin 2013. Je suis aussi d’avis qu’il était raisonnable pour la sous-commissaire de ne pas voir dans ces deux lettres échangées entre M. Dupperon et sa conjointe le reflet d’une connaissance « approfondie » par cette dernière des délits et de la dynamique criminelle de M. Dupperon, susceptible de modifier les constats précédents tirés de l’évaluation en vue d’une décision. En effet, la réponse de la conjointe de M. Dupperon tend plutôt à appuyer, à mon avis, son peu de connaissances du passé criminel de M. Dupperon. Enfin, je souligne que la connaissance limitée de la conjointe de M. Dupperon n’était qu’un de plusieurs éléments identifiés par la sous-commissaire à l’appui de sa décision.

[54]           Je suis donc d’avis qu’à la lumière de l’ensemble des éléments au dossier de la sous-commissaire pour appuyer sa décision de ne pas octroyer de VFP seul avec sa conjointe à M. Dupperon, le fait de ne pas avoir fait expressément référence à ces deux lettres ne suffit pas pour conclure à une violation des règles d’équité procédurale ou pour rendre la décision déraisonnable.

[55]           M. Dupperon soumet aussi que la sous-commissaire n’aurait pas tenu compte des événements et des rapports de la période pendant laquelle M. Dupperon était en libération conditionnelle, en 2009 et 2010. Je note que l’on parle ici de documents antérieurs au rapport de l’enquête communautaire de mars 2011 et à l’évaluation en vue d’une décision de juin 2013 prise en compte par la sous-commissaire. Il était donc clairement acceptable (et en fait éminemment correct) que la sous-commissaire se réfère d’abord à ces informations plus à jour sur M. Dupperon qu’à celles de 2009 et 2010 datant de l’époque où M. Dupperon était en libération conditionnelle. Incidemment, la situation de M. Dupperon a sensiblement changé depuis cette période puisque M. Dupperon a perdu sa libération conditionnelle après une plainte d’agression sexuelle portée contre lui en 2010, alors qu’il était déjà en couple avec sa conjointe.

[56]           Je vois mal comment l’absence de référence à des éléments de fait datant de 2009 et 2010 pourrait être contraire à l’article 24 de la Loi, lequel stipule que le SCC doit s’assurer que les « renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets ». Les informations précédant la libération conditionnelle de M. Dupperon ne sont assurément pas des renseignements « à jour ». À l’inverse, il ressort à l’évidence du dossier que les renseignements sur lesquels est basée la décision de la sous-commissaire, soit l’évaluation en vue d’une décision de 2013, l’enquête communautaire de 2011, l’évaluation psychologique de 2013 et les décisions antérieures sur les griefs, contenaient des informations à jour, exactes et complètes conformément aux exigences de l’article 24 de la Loi (Tehrankari, aux paras 41, 51).

[57]           M. Dupperon n’a d’ailleurs pas démontré qu’il y avait, comme il le prétend, des renseignements faux et arbitrairement maintenus dans les informations détenues à son sujet par le SCC et utilisés par la sous-commissaire dans la décision. Contrairement à la jurisprudence citée par M. Dupperon sous l’article 24 (Tehrankari, Brown), il ne s’agit pas ici d’une situation où M. Dupperon a fait valoir que des informations inexactes ou préjudiciables devaient être corrigées ou retirées de son dossier.

[58]           Il est manifeste ici que la sous-commissaire a considéré et pris connaissance de toutes les informations au dossier, et que M. Dupperon a pu faire toutes les représentations qu’il souhaitait faire au fil du cheminement de ses plaintes et griefs. Je conclus donc que la sous-commissaire a respecté les principes d’équité procédurale et de justice naturelle à l’égard de M. Dupperon.

[59]           Enfin, il ne fait aucun doute à mes yeux que la sous-commissaire a produit une décision suffisamment justifiée dans les circonstances. Encore une fois, l’arrêt Newfoundland Nurses de la Cour suprême précise que « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (au para 14). La Cour ne doit donc pas substituer ses motifs pour ceux de la sous-commissaire, mais doit plutôt examiner le contenu du dossier pour apprécier le caractère raisonnable de la décision. En d’autres termes, « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s'ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland Nurses, au para 16). La norme qu’il convient d’appliquer est le caractère raisonnable, et non le caractère parfait de la décision.

[60]           Je suis d’avis que, considérée dans son ensemble, la décision a tenu compte de tous les facteurs pertinents. Le décideur n’était tenu que de mentionner ceux sur lesquels il a fondé sa décision.  Dans l’ensemble, la décision est étayée par une explication défendable et on peut y voir le mode d’analyse par lequel la sous-commissaire en est arrivée à la conclusion raisonnable en question. À ce titre, je n’ai relevé aucune erreur susceptible de contrôle par cette Cour. J’estime plutôt que les motifs de la sous-commissaire sont transparents, intelligibles et reflètent un examen de l’ensemble de la preuve au dossier.

IX.             Conclusion

Pour l’ensemble des motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Dupperon est rejetée. Cependant, compte tenu du contexte de ce dossier, j’exerce ma discrétion et aucuns dépens ne sont accordés.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      Aucuns dépens ne sont accordés.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-1655-14

INTITULÉ :

STÉPHANE DUPPERON c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 mai 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 29 JUIN 2015

COMPARUTIONS :

Me Pierre Tabah

Pour le demandeur

Me Toni Abi Nasr

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Labelle, Côté, Tabah et associés

Avocat(e)s

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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