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Date : 20150213


Dossier : T‑1754‑14

Référence : 2015 CF 180

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 février 2015

En présence de monsieur le juge Harrington

ACTION RÉELLE EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ

ENTRE :

AQUAVITA INTERNATIONAL S.A.

demanderesse

et

LE NAVIRE NM PANTELIS,

LES PROPRIÉTAIRES AINSI QUE TOUTES LES AUTRES PERSONNES INTÉRESSÉES DANS LE NAVIRE NM PANTELIS, ET PANTELIS SHIPPING LTD.

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une affaire concernant le manque de combustible de soute. Aquavita, sous-sous‑affrêteur à temps du navire NM Pantelis, prétend avoir été la propriétaire du combustible de soute sur le navire lorsque celui‑ci a été livré à nouveau à l’armateur disposant, Zhenhua Translink Shipping Co. Elle allègue que le combustible de soute a ensuite été détourné par la propriétaire réelle du Pantelis à ce moment-là, soit Pantelis Shipping Ltd. (qui est toujours propriétaire du navire), et que cette dernière a utilisé le carburant de soute sans son autorisation ou sans lui verser une indemnité.

[2]               Le Pantelis a été mis en état de saisie‑arrêt à Vancouver dans le cadre de la présente action, présentée à la fois à titre réel et à titre personnel à l’encontre de ses propriétaires, pour enrichissement injustifié et détournement. Les propriétaires, après avoir versé le cautionnement, ont présenté requête visant la radiation de l’action et l’annulation de la saisie‑arrêt, et ce, pour le seul motif que la Cour [traduction« n’a pas compétence pour trancher l’affaire ». À la fin de l’audience, j’ai dit aux parties que je rejetterais la requête en radiation et que je rendrais mes motifs par écrit. Voici les motifs en question.

[3]               Les propriétaires ont invoqué, à l’appui de leur requête, l’alinéa 208d) et l’article 221 des Règles des Cours fédérales :

208. Ne constitue pas en soi une reconnaissance de la compétence de la Cour la présentation par une partie :

208. A party who has been served with a statement of claim and who brings a motion to object to

[…]

d) d’une requête contestant la compétence de la Cour.

(d) the jurisdiction of the Court,

does not thereby attorn to the jurisdiction of the Court.

221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant;

(b) is immaterial or redundant,

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

d) qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder;

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

e) qu’il diverge d’un acte de procédure antérieur;

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

(2) Aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête invoquant le motif visé à l’alinéa (1)a).

(2) No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).

[4]               Bien que l’alinéa 221(1)a) des Règles, combiné au paragraphe 221(2), prévoit qu’aucune preuve ne doit être produite, ce qui, selon moi, se rapporte à la preuve de la partie requérante, la jurisprudence a dégagé une exception lorsqu’il s’agit de faits relatifs à la compétence (MIL Davie Inc c Société d’exploitation et de développement Hibernia Ltée, [1998] ACF no 614, 226 NR 369 (QL)). C’est pour ce motif que les propriétaires ont déposé un affidavit souscrit par Alexandros Kapellaris, un cadre des gestionnaires des propriétaires. Pour sa part, Aquavita soutient que l’affidavit n’est pas pertinent à ce stade‑ci, puisque celui‑ci ne traite pas de la compétence de la Cour, mais plutôt du bien‑fondé de la réclamation, laquelle n’est pas encore en litige.

I.                   Les faits

[5]               Selon la déclaration et l’affidavit portant demande de mandat souscrit par Mark Seward, un avocat de Londres qui représentait Aquavita en arbitrage contre Zhenhua, Aquavita a pris des dispositions pour que le Pantelis soit ravitaillé en carburant de soute avant de le remettre à Zhenhua. Au moment où Zhenhua a initialement remis le Pantelis à Aquavita, il restait une certaine quantité de mazout et de carburant diesel à bord. Aquavita avait l’obligation de procéder à la livraison avec la même quantité, ou à tout le moins approximativement, de carburant de soute. Lorsqu’elle a procédé à la livraison, il manquait un peu de carburant. Il y avait un différend entre Aquavita et Zhenhua relativement à un certain nombre de points, notamment quant à la main‑d’œuvre payée en trop et le carburant de soute. Aquavita a obtenu 216 780 $US en arbitrage, en plus des intérêts et des dépens. Les arbitres sont parvenus à ce chiffre après avoir établi que le manque à gagner de carburant de soute en faveur de Zhenhua s’élevait à 3 829,65 $US. Par conséquent, Aquavita a été déclarée avoir contrevenu à sa charte‑partie avec Zhenhua en ce qui a trait au carburant de soute.

[6]               Au même moment où Aquavita a remis le Pantelis à Zhenhua, le Pantelis a été remis à ses propriétaires selon la hiérarchie de la charte‑partie. Aquavita n’a pas pu procéder au recouvrement auprès de Zhenhua, de sorte qu’elle a présenté une réclamation à l’encontre de ses propriétaires. Elle réclame uniquement le montant qui lui a été attribué à l’arbitrage, sans égard au fait que la valeur du carburant de soute s’élevait à plus d’un million en devises américaines. Pour sa part, M. Kapellaris amorce son exposé à l’autre extrémité de la chaîne. Les propriétaires du Pantelis l’avaient affrété à l’affréteur principal, Hong Xiang Shipping Holding (Hong Kong) Co. Ltd., qui l’avait apparemment sous-affrété à Zhenhua. Aquavita soutient que je ne devrais pas tenir compte de l’affidavit de M. Kapellaris pour les besoins de la présente requête. Je souscris à sa prétention.

[7]               L’affidavit de M. Kapellaris traite du bien‑fondé de la réclamation et non de la compétence de la Cour. Comme cela était devenu évident lors des plaidoiries, je n’étais pas convaincu que la Cour n’avait pas compétence. Les avocats des propriétaires ont fait valoir que, sans regard à la question de l’absence de compétence de la Cour, l’action devrait aussi être radiée conformément aux alinéas 221(1)c) et f) des Règles, du fait qu’elle est scandaleuse, frivole ou vexatoire et qu’elle constitue autrement un abus de procédures. Même si l’affidavit de M. Kapellaris est irrecevable au titre de l’alinéa 221(1)a) des Règles, il l’était conformément aux alinéas c) et f). Effectivement, dans leurs observations écrites, les propriétaires ont renvoyé aux alinéas 221(1)a), c) et f) des Règles et n’ont pas traité des autres dispositions.

[8]               Je ne peux pas souscrire à cette observation. Aquavita devait répondre aux allégations contenues dans l’avis de requête, ni plus ni moins. L’avis de requête restait muet quant au caractère scandaleux, frivole ou vexatoire de l’action, ou au fait qu’elle constituait autrement un abus de procédure. Pour reprendre les mots de monsieur le juge Létourneau, Aquavita n’était pas obligée de jouer au détective avec les observations écrites ainsi qu’avec l’affidavit de M. Kapellaris et les pièces jointes à celui‑ci, pour établir s’il existait d’autres motifs possibles à l’appui du rejet de l’action (Remo Imports Ltd c Jaguar Cars Ltd, 2007 CAF 258, [2007] ACF no 999 (QL), au paragraphe 20). Il ne s’agit pas non plus d’une requête en jugement sommaire, laquelle aurait obligé Aquavita à présenter ses meilleurs arguments.

II.                La compétence de la Cour fédérale

[9]               L’action d’Aquavita est certes peu orthodoxe. Aquavita, après avoir été déclarée par les arbitres être responsable à l’égard de son armateur disposant, Zhenhua, d’avoir remis le Pantelis avec un manque à gagner de carburant de soute à bord, a transformé un montant attribué en arbitrage n’ayant pas été recouvré en une action à l’encontre des propriétaires. Aquavita a eu gain de cause en arbitrage, mais ce n’était pas en raison du carburant de soute : c’était plutôt en raison d’un trop‑payé de main‑d’œuvre, entre autres. Si le montant accordé en arbitrage n’avait pas été de 216 780 $US, mais plutôt de, disons, 400 000 $US, on présume que c’est ce montant qui aurait été réclamé aux propriétaires. Elle affirme qu’elle ne peut pas réclamer la valeur intégrale du carburant de soute utilisé par les propriétaires, parce que dans ce cas, elle s’enrichirait injustement. On se demande si Aquavita a adopté la thèse selon laquelle Pantelis est garante des obligations de Zhenhua.

[10]           Cependant, la question que la Cour doit trancher n’est pas celle de savoir si l’action est fondée, mais plutôt celle d’établir si la Cour a compétence pour entendre et trancher l’affaire sur le fond.

[11]           L’affaire est fondée sur le paragraphe 22(1) de la Loi sur les Cours fédérales et sur la définition du terme « droit maritime canadien » prévue au paragraphe 2(1) de cette loi. Ces dispositions sont libellées ainsi :

22. (1) La Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, dans les cas — opposant notamment des administrés — où une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien ou d’une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande, sauf attribution expresse contraire de cette compétence.

22. (1) The Federal Court has concurrent original jurisdiction, between subject and subject as well as otherwise, in all cases in which a claim for relief is made or a remedy is sought under or by virtue of Canadian maritime law or any other law of Canada relating to any matter coming within the class of subject of navigation and shipping, except to the extent that jurisdiction has been otherwise specially assigned.

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2. (1) In this Act,

[…]

« droit maritime canadien » Droit — compte tenu des modifications y apportées par la présente loi ou par toute autre loi fédérale — dont l’application relevait de la Cour de l’Échiquier du Canada, en sa qualité de juridiction de l’Amirauté, aux termes de la Loi sur l’Amirauté, chapitre A‑1 des Statuts revisés du Canada de 1970, ou de toute autre loi, ou qui en aurait relevé si ce tribunal avait eu, en cette qualité, compétence illimitée en matière maritime et d’amirauté.

“Canadian maritime law” means the law that was administered by the Exchequer Court of Canada on its Admiralty side by virtue of the Admiralty Act, chapter A‑1 of the Revised Statutes of Canada, 1970, or any other statute, or that would have been so administered if that Court had had, on its Admiralty side, unlimited jurisdiction in relation to maritime and admiralty matters, as that law has been altered by this Act or any other Act of Parliament;

[12]           Le paragraphe 22(2) de la Loi fait par la suite mention de situations précises dans lesquelles la Cour a compétence. Les propriétaires soutiennent que le fait d’Aquavita se fonde sur l’alinéa 22(2)m), portant que la Cour a compétence dans les cas concernant « une demande relative à des marchandises, matériels ou services fournis à un navire pour son fonctionnement ou son entretien, notamment en ce qui concerne l’acconage et le gabarage » (actions relatives aux approvisionnements) n’est pas approprié, car elle n’était pas un fournisseur de carburant de soute, mais qu’elle s’acquittait plutôt de son obligation contractuelle envers son armateur disposant au titre d’une charte‑partie.

[13]           Cela peut ou non être vrai. Cependant, il suffit d’examiner l’arrêt de principe rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire ITO‑International Terminal Operators Ltd c Miida Electronics Inc, [1986] 1 RCS 752, [1986] ACS no 38 (QL) (le Buenos Aires Maru). L’objet du litige était la compétence de la Cour concernant une réclamation contre un agent de transit pour la perte d’une cargaison après le déchargement d’un navire, mais avant la livraison. La Cour suprême du Canada a expressément conclu que la réclamation ne relevait pas du paragraphe 22(2), mais plutôt du paragraphe 22(1), qui, à cette fin, se confond plus ou moins avec la compétence du Parlement relativement « à la navigation et aux bâtiments ou navires » aux termes du paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[14]           La Cour suprême du Canada, en confirmant la compétence de la Cour sur le navire Buenos Aires Maru, a réitéré que la nature maritime de cette affaire reposait sur trois facteurs importants. Le premier est la proximité des activités d’acconage par rapport à la mer. Le deuxième est le rapport entre les activités de l’acconier dans le port de Montréal et le contrat de transport maritime. Le troisième était que l’objet du litige était entreposé à court terme en attendant la livraison finale. En l’espèce, l’objet du litige est le carburant à bord du bateau, lequel, on suppose, aurait été utilisé pour propulser le navire sur l’océan. Il n’y a rien de plus maritime que cela.

[15]           Bien que je n’ai aucune hésitation à conclure que la Cour a compétence pour trancher la présente action sur le fond, la question dont je suis saisi au titre de l’article 221 des Règles est celle de savoir si il est « évident et manifeste » qu’Aquavita n’a pas de véritable cause d’action (Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959, [1990] ACS no 93 (QL) et Operation Dismantle Inc c Canada, [1985] 1 RCS 441, [1985] ACS no 22 (QL)).

[16]           Sans égards à la question du droit d’appel du propriétaire, l’affaire ne s’arrête pas là. Dans la décision Toney c Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2011 CF 1440, [2011] ACF n1740 (QL), la partie demanderesse avait présenté une action en dommages-intérêts à l’encontre de la Province de l’Alberta en raison de la mort de leur fille et de leur sœur dans un accident de bateau. Il était allégué que l’Alberta était propriétaire d’un bateau de sauvetage qui avait été exploité avec négligence. J’ai conclu, conformément à l’article 221 des Règles, qu’il n’était pas « manifeste et évident » que la Cour n’avait pas compétence. Ma décision a été confirmée en appel, 2012 CAF 167, [2012] ACF no 705 (QL). Par la suite, l’Alberta a soumis une question de droit à la Cour, à savoir si la Cour avait compétence ou non relativement à cette affaire. Madame la juge Mactavish a confirmé que c’était le cas, 2012 CF 1412, [2012] ACF no 1691 (QL). Cependant, sa décision a été annulée en appel, 2013 CAF 217, [2013] ACF no 1011 (QL) (les juges Near et Webb étaient majoritaires, la juge Sharlow était dissidente). Bien qu’il ait été conclu que la cause d’action était maritime, les juges majoritaires ont statué que la Cour n’avait pas compétence, parce que l’Aberta n’avait pas renoncé à l’immunité de la Couronne. Cependant, ce qu’il faut retirer de cette affaire est qu’une décision « évidente et manifeste » n’est pas une décision définitive.

[17]           Par conséquent, sans égards au droit des propriétaires d’interjeter appel, selon l’article 221 des Règles, du moins selon son interprétation et son libellé actuels, la question de la compétence de la Cour reste à trancher.

III.             Les autres questions

[18]           Subsidiairement, les propriétaires ont demandé à ce que l’affaire fasse l’objet d’une gestion spéciale et qu’Aquavita, à titre de non‑résidente, soit visée par une ordonnance de présentation d’une garantie pour les besoins des dépens. J’ai conclu qu’il était prématuré de trancher ces questions, mais j’ai convenu de la tenue d’une conférence de gestion de l’instance, pour me renseigner à savoir comment les parties souhaitent procéder pour la suite des choses.

[19]           Dans les circonstances, je rejetterai la requête, sans frais.


ORDONNANCE

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI‑DESSUS;

LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée, sans frais.

« Sean Harrington »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1754‑14

INTITUTLÉ :

AQUAVITA INTERNATIONAL S.A. c LE NAVIRE NM PANTELIS, LES PROPRIÉTAIRES AINSI QUE TOUTES LES AUTRES PERSONNES INTÉRESSÉES DANS LE NAVIRE NM PANTELIS, ET PANTELIS SHIPPING LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE VANCOUVER (C.‑b.) ET QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 FÉVRIER 2015

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS ET DE L’ORDONNANCE :

LE 13 FÉVRIER 2015

COMPARUTIONS :

John O’Connor

POUR LA DEMANDERESSE

Thomas Hawkins

David Jarrett

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Langlois Kronström Desjardins

Avocats

Québec (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

Bernard LLP

Avocats

Vancouver (C.‑B.)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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