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Date : 20150727


Dossier : IMM-7531-14

Référence : 2015 CF 914

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

JASMINE FLORE GOULE TAPIQUE

ERIC ARMAND NJANGA

demandeurs

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Jasmine Flore Goule Tapique et Eric Armand Njanga (les demandeurs) sollicitent, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR ou la Loi), le contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente d’immigration (l’agente) a rejeté leur demande de résidence permanente présentée pour des motifs d’ordre humanitaire.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.                Contexte

[3]               Mme Jasmine Flore Goule Tapique (la demanderesse) et son époux, M. Eric Armand Njanga (le demandeur) sont des citoyens du Cameroun. La demanderesse est initialement partie du Cameroun pour aller étudier à l’université en Belgique et pendant qu’elle se trouvait là-bas, elle a obtenu de nombreux visas de visiteur pour venir au Canada entre 2004 et 2008, et sa venue la plus récente au Canada remonte à octobre 2007. Le demandeur est entré au Canada le 31 août 2005, après avoir obtenu un visa d’étudiant, mais son statut d’immigration est devenu irrégulier suivant l’expiration de son visa en 2006. Les demandeurs ont trois jeunes enfants qui sont nés au Canada et qui étaient âgés respectivement de six ans, deux ans et sept mois lors de la période pertinente.

[4]               La demanderesse a demandé l’asile en janvier 2008, en alléguant qu’elle craignait de retourner au Cameroun parce que son père avait consenti à un mariage forcé pour elle, dont elle prétend avoir été mise au courant en juin 2007; il s’agirait là de la raison pour laquelle elle s’est enfuie au Canada. Le demandeur a demandé l’asile en août 2009, en alléguant qu’il craignait de retourner là-bas du fait de son appartenance à un groupe social particulier (la famille de la demanderesse). Leur demande d’asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) le 21 avril 2010, au motif que la SPR avait des réserves au sujet de leur crédibilité, de leur crainte fondée de persécution et du risque personnalisé auquel ils s’exposaient.

[5]               Les demandeurs ont présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), qui a été refusée le 20 octobre 2010. Ils ont présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision relative à l’ERAR, demande que la Cour a rejetée le 13 septembre 2011.

[6]               Ensuite, le 2 février 2011, les demandeurs ont présenté leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, à l’égard de laquelle une décision défavorable a été rendue le 18 mars 2013. Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision leur a été accordée le 19 mars 2014.

[7]               Le 7 juillet 2014, les demandeurs ont présenté des observations complémentaires dans le but de mettre à jour leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire; ils affirmaient dans ces observations qu’ils s’étaient établis au Canada, qu’ils étaient autonomes sur le plan financier et qu’il était dans l’intérêt supérieur de leurs enfants de demeurer au Canada. Ils ont également précisé, en cas de retour, que la demanderesse courait le risque d’être forcée de se marier.

III.             La décision contestée

[8]               La demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été rejetée le 16 octobre 2014.

[9]               En ce qui concerne la question de l’établissement, l’agente a conclu que les demandeurs n’avaient pas présenté une preuve documentaire suffisante pour étayer leur allégation selon laquelle ils ne pourraient pas trouver du travail au Cameroun compte tenu de leurs connaissances et de leur expérience. L’agente a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré que le fait de quitter leurs emplois actuels leur causerait des difficultés ou qu’ils ne seraient pas en mesure d’assurer un soutien financier aux membres de leur famille au Cameroun. L’agente a reconnu que leurs emplois, leur autonomie financière et leurs efforts d’intégration au Canada constituaient des facteurs favorables, mais que ces facteurs n’étaient pas suffisants pour justifier une dispense, et que le fait de couper les liens avec le Canada pourrait être décrit comme des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

[10]           L’agente a ensuite abordé la question de l’intérêt supérieur des enfants. Elle a conclu qu’il n’avait pas été démontré que les documents sur la situation du pays s’appliqueraient aux enfants ou que, vu leur niveau de scolarité et leurs antécédents professionnels, les demandeurs seraient incapables de prendre soin de leurs enfants au Cameroun. L’agente a conclu qu’il n’était pas déraisonnable de s’attendre à ce que les enfants puissent s’adapter avec l’aide de leurs parents.

[11]           L’agente a conclu que les enfants ne perdraient pas leur citoyenneté canadienne parce qu’ils pourraient choisir, à l’âge de 21 ans, de maintenir leur nationalité canadienne ou leur nationalité camerounaise. Rien n’avait permis de démontrer en quoi le fait que le Cameroun ne reconnaît pas la double citoyenneté compromettrait leur avenir et leur développement.

[12]           En termes de risque, l’agente n’était pas convaincue que les enfants seraient exposés à un risque de mariage forcé ou d’enlèvement, ou qu’ils ne pourraient pas avoir accès aux systèmes d’éducation ou de soins de santé au Cameroun, puisqu’ils vivraient avec leurs parents qui ne sont pas en faveur de telles pratiques et qui leur assureraient une protection et des possibilités de s’épanouir.

[13]           En ce qui concerne le système d’éducation, rien dans les documents présentés ne démontre que les enfants ne pourraient pas y avoir accès. En outre, le gouvernement a pris des mesures pour améliorer l’accès à l’éducation. L’agente a souligné que leurs parents avaient pu fréquenter l’université et étudier à l’étranger, et que rien dans le dossier n’indique que les enfants ne pourraient pas jouir d’occasions similaires.

[14]           Pour ce qui est de l’accès des enfants au système de santé, l’agente a souligné que les enfants n’ont eu aucun problème d’ordre médical depuis la naissance et elle a conclu qu’il n’a pas été démontré que le système de santé au Cameroun est inefficace. De plus, il n’a pas été démontré que les enfants requièrent des soins de santé particuliers ou qu’ils seraient incapables d’avoir accès à des soins médicaux au besoin.

[15]           En ce qui a trait aux risques allégués de préjudice au Cameroun, l’agente a accordé peu de poids aux documents portant sur les affirmations des demandeurs concernant le mariage forcé. Elle a conclu que la preuve qu’ils ont présentée ne permet pas de réfuter les conclusions de la SPR voulant que cette allégation ne soit pas crédible et qu’elle ne permette pas de démontrer l’existence des craintes alléguées. Elle a reconnu les risques qui existent au Cameroun en raison de la situation générale au pays (stabilité économique, violations des droits de la personne, inégalité des sexes, violence à l’endroit des femmes et l’impunité), mais elle a conclu qu’il n’avait pas été démontré en quoi cette preuve s’appliquait à leur situation. L’agente a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils éprouveraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives en raison de leurs profils respectifs ou de la situation générale au Cameroun.

IV.       Les questions en litige

[16]           Les demandeurs ont soulevé les questions suivantes dans la présente demande :

1.      L’agente a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de l’intérêt supérieur des enfants?

2.      L’agente a‑t‑elle commis une erreur dans sa conclusion sur l’établissement?

3.      L’agente a‑t‑elle appliqué le mauvais critère juridique dans son appréciation des difficultés?  

IV.             Norme de contrôle

[17]           La norme de contrôle applicable à la décision de l’agente d’immigration concernant la dispense pour des raisons d’ordre humanitaire est la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47, Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 RCF 360, au paragraphe 18).

V.                Analyse

A.                L’agente a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants?

[18]           Les demandeurs soutiennent que l’intérêt supérieur des enfants doit être pris en compte et soupesé au moyen de la formule établie dans la décision Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166, 212 ACWS (3d) 207 et dans l’arrêt Canada c Hawthorne (Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, [2003] 2 CF 555. Il y a lieu de tenir compte dans la décision du non‑respect de la formule en deux volets exposée dans la décision Williams seulement si la Cour craint que l’intérêt supérieur des enfants n’ait pas été adéquatement pris en compte. Tel n’est pas la situation en l’espèce où la Cour conclut que l’agente a été [traduction] « réceptive, attentive et sensible » à cet intérêt et y a accordé l’importance que cette dernière se devait d’accorder, ce qui a été expliqué de façon détaillée dans des motifs justifiés, transparents et intelligibles (Baker c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193, au paragraphe  75).

[19]           Il ressort clairement des motifs de l’agente que celle‑ci s’est fondée sur le niveau de scolarité et l’expérience professionnelle des parents ainsi que sur la cellule familiale solide et bienveillante qu’ils avaient créée avec leurs enfants comme facteur prépondérant pour s’opposer aux arguments des demandeurs selon lesquels l’État camerounais a de la difficulté à protéger les droits des enfants et à répondre à leurs besoins en matière d’éducation, de santé et de droits civils.

[20]           Le demandeur détient un baccalauréat en mathématiques appliquées de l’université de Douala et a étudié à l’Université de Montréal. Il a travaillé au Cameroun en tant que représentant commercial pour Cameroon Airlines et, au Canada, il a travaillé comme programmeur Web pour diverses entreprises et a créé sa propre entreprise. La demanderesse a commencé ses études au Cameroun à l’université de Douala et les a poursuivies en Belgique à l’École Supérieure de Communication et de Gestion; elle a aussi obtenu un certificat d’aide en soins de santé de la Haute École Francisco Ferrer. Elle a assumé différentes fonctions comme [traduction] « aide ménagère », préposée aux soins personnels, préposée à l’entretien, femme de ménage et vendeuse; puis, elle est restée à la maison pour prendre soin de ses enfants et faire du bénévolat.

[21]           Par conséquent, je juge qu’il était raisonnable de la part de l’agente de conclure que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils ne seraient pas en mesure de prendre soin de leurs enfants au Cameroun et de soutenir ceux‑ci dans leur développement social, économique, émotionnel et intellectuel, et qu’ils n’avaient pas fourni d’explications à cet égard. J’estime que sa conclusion selon laquelle les demandeurs seraient probablement en mesure de travailler à leur retour au Cameroun et, donc, qu’ils pourraient continuer à subvenir aux besoins de leurs enfants, était elle aussi raisonnable.

[22]           Les demandeurs affirment que l’agente n’avait pas pris en considération le fait que leurs enfants ne pourraient pas acquérir la citoyenneté camerounaise, parce que le Cameroun ne reconnaît pas la double nationalité. Cependant, même si les demandeurs se plaignaient du fait que l’agente n’avait pas tenu compte des problèmes auxquels les enfants pourraient être exposés pendant qu’ils vivraient au Cameroun, du fait qu’ils ne détiendront que des visas touristiques, aucun élément de preuve n’a été fourni pour étayer de telles allégations ou pour décrire de façon détaillée les difficultés que cela pourrait causer aux enfants. Il incombe aux demandeurs de présenter des éléments de preuve convaincants, y compris des documents sur la situation dans le pay,s pour appuyer leurs arguments sur cette question (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 RCF 63, aux paragraphes  5, 8 et 9.

[23]           Les demandeurs font aussi valoir que l’agente a commis une erreur en concluant qu’il ne serait pas contraire à l’intérêt supérieur des enfants de renoncer à leur citoyenneté canadienne. Cela déforme les motifs de l’agente, qui précisent que ce sont les demandeurs qui avaient affirmé que leurs enfants risquent de perdre leur citoyenneté canadienne et qu’elle a conclu que les enfants ne perdront pas leur citoyenneté canadienne, parce que, après avoir atteint l’âge adulte, ils pourront choisir la citoyenneté qu’ils souhaitent garder.

[24]           Les demandeurs contestent également la conclusion de l’agente selon laquelle les enfants pourront s’adapter plus facilement aux changements à leur retour dans le pays d’origine de leurs parents, parce qu’ils sont jeunes et qu’ils auront le soutien de leurs parents. J’estime, en faisant référence à l’âge des enfants, à la connaissance des langues officielles du Cameroun et au soutien que ceux‑ci recevront de leurs parents bienveillants et instruits, que le raisonnement de l’agente est raisonnable. Cette dernière n’a décelé aucun élément portant qu’il pourrait y avoir une rupture de l’unité familiale si la famille retournait au Cameroun.

[25]           Je suis convaincu que l’agente a raisonnablement tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants des demandeurs.

B.                 L’agente a‑t‑elle commis une erreur dans sa conclusion sur l’établissement?

[26]           Les demandeurs soutiennent que l’agente n’est parvenue à aucune conclusion concernant leur établissement. J’estime que ce n’est pas le cas, parce que, après avoir noté les aspects positifs qui ressortaient de leurs éléments de preuve relatifs à leur établissement, l’agente a déclaré ce qui suit : [traduction] « Je conclus que le degré d’établissement et d’intégration des demandeurs au Canada n’est pas suffisant en soi pour justifier une exemption ».

[27]           Les demandeurs s’opposent en particulier à l’affirmation de l’agente selon laquelle, parce qu’ils ont décidé de rester au Canada après le rejet de leur demande d’asile en 2010 puis de la présentation ultérieure de leur demande fondée sur des motifs humanitaires, ils ne devraient pas être en mesure d’affirmer que les difficultés sont inhabituelles, injustifiées ou excessives. Les demandeurs soutiennent qu’ils n’ont pu quitter le Canada parce que l’ASFC ne pouvait obtenir un visa de touriste pour leurs enfants. Les éléments de preuve concernant la personne responsable des retards dans l’obtention des visas, ou dans le renvoi au Cameroun, comme, par exemple, celui occasionné par l’épouse qui est tombée enceinte, sont discutables. Quoi qu’il en soit, j’estime qu’il s’agit d’une question connexe qui n’a pas d’incidence sur la décision définitive de l’agente.  

[28]           Dans l’ensemble, la Cour est convaincue que l’agente a examiné l’établissement des demandeurs de façon raisonnable.

C.                 L’agente a-t-elle appliqué le mauvais critère juridique dans son appréciation des difficultés? 

[29]           Je ne considère pas que l’agente a appliqué le mauvais critère relativement à la situation en général en confondant une analyse des risques selon l’article  97 avec celle des difficultés dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs humanitaires. L’agente a procédé à une appréciation approfondie de tous les facteurs et sa décision de rejeter la demande des demandeurs répond à la norme de la raisonnabilité énoncée dans l’arrêt Dunsmuir.

VI.             Conclusion

[30]           La demande est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’il n’y a aucune question à certifier.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7531‑14

 

INTITULÉ :

JASMINE FLORE GOULE TAPIQUE ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 juillet 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 juillet 2015

 

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Charles J. Jubenville

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard Wazana

Avocat

Wazana Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William  F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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