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Date : 20150717


Dossier : T ‑550‑13

Référence : 2015 CF 882

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 juillet 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

PAUL ABI‑MANSOUR

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur sollicite, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, le contrôle judiciaire d’une décision en date du 6 mars 2013 par laquelle le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) a rejeté la plainte d’abus de pouvoir déposée par le demandeur en vertu de l’alinéa 77a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22 (la Loi), relativement à un processus de nomination interne organisé par le ministère des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (le Ministère).

[2]               Le demandeur allègue qu’en utilisant des méthodes d’évaluation inappropriées et en nommant des candidats qui n’étaient pas qualifiés ou qui étaient moins qualifiés que lui, le Ministère a agi de façon discriminatoire à son endroit en raison de sa race et de son origine nationale ou ethnique, et a ainsi abusé de son pouvoir au sens de l’alinéa 77a) de la Loi.

[3]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

I.                   Contexte

A.                Le processus de nomination en litige

[4]               En juin 2010, le Ministère lancé un processus en vue de doter un poste d’analyste des opérations en ressources humaines de niveau AS‑04 et d’établir un bassin de candidats qualifiés pour de futurs postes semblables. Le demandeur était l’une des 26 personnes qui avaient soumis leur candidature à ce poste. L’annonce de possibilité d’emploi et l’énoncé des critères de mérite relatifs à ce poste d’analyste AS‑04 énuméraient les qualifications essentielles ainsi que les qualifications constituant un atout :

[traduction]

Qualifications essentielles :

Être titulaire d’un diplôme d’études collégiales ou avoir une combinaison acceptable d’études, de formation et d’expérience;

Posséder deux ans d’expérience de l’utilisation de PeopleSoft (version 8 ou 8. 9) ou d’un système équivalent;

Posséder deux ans d’expérience dans des activités visant à garantir l’intégrité des données telle que la vérification des données;

Posséder deux ans d’expérience dans l’utilisation du système de production de rapport de PeopleSoft ou un d’un système équivalent.

Qualifications constituant un atout :

Expérience de l’utilisation de PeopleSoft (version 8 ou 8. 9) ou d’un système équivalent;

Expérience en matière de prestation ou en animation de séances de formation sur PeopleSoft;

Expérience en matière d’analyse des opérations des ressources humaines et en définition des répercussions sur les systèmes;

Expérience en gestion de projets.

[5]               L’annonce de possibilité d’emploi avisait les candidats qu’ils pouvaient [traduction« être tenus de satisfaire aux qualifications constituant un atout ou aux besoins organisationnels selon les exigences du poste spécifique à doter ». Sous la section « besoins organisationnels », l’annonce de possibilité d’emploi prévoyait que la sélection des candidats pourrait [traduction« être limitée aux candidats ayant déclaré appartenir à l’un des groupes visés par l’équité en matière d’emploi suivants : Autochtones et membres de minorités visibles ».

[6]               Les candidats étaient également informés de la nécessité de soumettre, à l’appui de leur dossier de candidature, un curriculum vitæ et une lettre de présentation expliquant en quoi ils répondaient aux exigences du poste à doter. L’annonce de possibilité d’emploi fournissait les détails des renseignements que la lettre de présentation devait contenir :

[traduction]

Dans leur lettre de présentation, les candidats doivent utiliser, en guise de rubriques, les qualifications essentielles relatives à l’expérience et aux études qui se trouvent dans l’énoncé des critères de mérite, puis donner des exemples concrets qui démontrent en quoi ils répondent à chacune de ces exigences. Le curriculum vitæ servira à valider les renseignements liés à l’expérience et aux études qui se trouvent dans la lettre de présentation. Le fait de ne pas fournir suffisamment de renseignements pourrait entraîner le rejet de leur candidature. Dans leur lettre de présentation, les candidats doivent également préciser les qualifications constituant un atout qu’ils possèdent et donner des exemples qui le démontrent. Une personne peut être nommée au poste même si elle ne possède pas toutes les qualifications constituant un atout ou même si elle n’en possède aucune. Cependant, il est souhaitable de satisfaire à ces critères, car ils peuvent constituer un facteur déterminant dans le choix de la personne qui sera nommée.

[7]               Sur les 26 candidats qui ont participé au processus de nomination, onze, dont le demandeur, ont franchi l’étape de la présélection. L’évaluation au mérite de ces onze candidats consistait en un examen de leur demande de candidature, une entrevue devant un comité composé de trois membres et une vérification des références. À la suite de ce processus, il a été déterminé que six personnes, dont le demandeur, possédaient les qualifications essentielles pour le poste d’analyste AS‑04 et leur nom a donc été inscrit dans un bassin de candidats. Les cinq autres personnes inscrites dans le bassin de candidats étaient M. St‑Georges et Mmes Privalova, Morin, Verner et Chauret.

B.                 Les nominations et les plaintes

[8]               M. St‑Georges, un Autochtone, a été la première personne à être nommée au poste d’analyste AS‑04 à partir du bassin. Cette nomination n’a pas été contestée. Mmes Privalova, Morin et Verner ont ensuite également été nommées à des postes d’analystes AS‑04 à la Direction générale des services de ressources humaines et du milieu de travail (DGSRHMT) du Ministère, de sorte que le demandeur et Mme Chauret étaient les seuls candidats restants dans le bassin.

[9]               Le demandeur a contesté les trois nominations en question en saisissant le Tribunal de deux plaintes, qui ont par la suite été jointes. Il reprochait au Ministère d’avoir abusé de son pouvoir en faisant preuve de discrimination à son endroit. Voici comment le Tribunal a résumé les plaintes d’abus de pouvoir du demandeur :

[traduction]

a. Au cours de l’entrevue, un des membres du comité d’évaluation lui a posé des questions en utilisant une technique dont on se sert normalement lorsqu’on croit que l’interlocuteur ment, et un autre membre du comité a agi de façon intimidante à son endroit;

b. Le processus d’évaluation était entièrement subjectif, de sorte de sorte qu’il a obtenu des notes plus faibles que ce qu’il aurait dû obtenir, ce qui a permis au comité d’évaluation de justifier sa décision de nommer d’autres candidats que lui; un examen écrit objectif lui aurait permis de démontrer ses forces de façon objective;

c. La vérification de référence ne constitue pas une méthode valide pour évaluer des qualifications et ne devrait être utilisée que dans les dernières étapes du processus de sélection et non comme un outil de sélection de base comme c’était le cas en l’espèce;

d. Les questions relatives aux qualités personnelles étaient fondées sur la « culture locale » du Ministère, une culture qu’il connaissait très peu, puisqu’il n’avait jamais travaillé à ce ministère;

e. La correspondance électronique entre un des membres du comité d’évaluation et une conseillère principale en ressources humaines du Ministère démontre que le Ministère cherchait des moyens d’éliminer sa candidature;

f. Parmi les six personnes faisant partie du bassin de candidats, seuls M. St‑Georges et le demandeur satisfaisaient au besoin organisationnel énoncé dans l’annonce de possibilité d’emploi prévue par le plan d’équité en emploi du Ministère et seul le demandeur appartenait à un groupe sous‑représenté du Ministère; par conséquent, le fait de nommer M. St‑Georges et non pas lui ne cadrait pas avec le plan, tout comme la nomination de Mmes Privalova, Morin et Verner, les trois femmes blanches qui ne répondaient pas au besoin organisationnel établi dans l’annonce de possibilité d’emploi;

g. Son expérience technique, ses études et ses compétences techniques et analytiques étaient supérieures aux qualifications des trois personnes nommées; de plus, les curriculum vitæ, les références, les guides de notation et les justifications de nomination des trois personnes en question ne permettaient pas de savoir avec certitude de quelle manière elles répondaient aux qualifications de leur nomination : Mme Privalova mentionnait très peu PeopleSoft dans son curriculum vitæ et les renseignements fournis par ses répondants ne démontraient pas qu’elles possédaient l’expérience mentionnée dans la justification de sa nomination; quant à Mme Verner, elle n’avait aucun bagage technique ou expérience approfondie en ressources humaines et la vérification de ses références n’appuyait pas la justification de sa nomination suivant laquelle elle possédait de l’expérience en formation sur PeopleSoft ou en analyse des opérations des ressources humaines;

h. Mme Verner a été nommée en représailles au dépôt de la plainte [du demandeur] au sujet de la nomination de Mme Privalova et de Mme Morin;

i. Les rapports démontraient que, dans la plupart des exemples tirés d’un échantillon de 64 nominations effectuées au Ministère, les documents versés au dossier ne permettaient pas de déterminer si toutes les qualifications avaient été évaluées ou s’il existait un lien clair entre les qualifications et l’évaluation. Les rapports démontraient également que le Ministère avait élaboré un plan d’équité en emploi pour s’assurer que ces systèmes d’embauche étaient équitables et que son effectif était représentatif, de manière à respecter les exigences de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, L.C. 1995, ch. 44 et pour supprimer les obstacles auxquels sont confrontées les minorités visibles en particulier et pour réduire l’écart entre la représentation des minorités visibles et leur disponibilité au sein de la population active.

[10]           Comme ses plaintes soulevaient une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6, le demandeur a, comme l’article 78 de la Loi l’exigeait, informé la Commission canadienne des droits de la personne de l’existence de cette question. La Commission a toutefois informé le Tribunal qu’elle n’avait pas l’intention de participer à l’instance introduite par le demandeur.

[11]           Par la suite, deux autres personnes – Mme V et M. B – ont obtenu des postes AS‑04 à la DGSRHMT pour remplacer Mme Privalova et Mme Morin. La première a été mutée à partir d’un autre poste et l’autre a été nommée à l’issue d’un autre processus de nomination. Au même moment, le demandeur a été éliminé d’un autre processus de nomination lancé par le Ministère pour un poste EC‑04.

[12]           Le demandeur a affirmé devant le Tribunal que le Ministère avait nommé ces deux personnes qui ne faisaient pas partie du bassin de candidats pour éviter de devoir le nommer à un poste d’analyste AS‑04. En particulier, il soutenait que, si Mme Chauret n’avait pas été nommée en remplacement de Mme Privalova ou de Mme Morin, c’était parce qu’il aurait été trop évident qu’il était le seul candidat du bassin à ne pas avoir été nommé. Il affirmait enfin que la décision de l’éliminer de cet autre processus de nomination constituait une mesure de représailles à son endroit.

C.                Décision du Tribunal

[13]           Le Tribunal a examiné les trois questions suivantes :

a. Quel est le rôle du Tribunal à l’égard des préoccupations du plaignant concernant l’équité en matière d’emploi?

b. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir au motif qu’il aurait agi de façon discriminatoire à l’endroit du plaignant en raison de sa race et de son origine nationale ou ethnique?

c. L’intimé a‑t‑il pris des mesures de représailles contre le plaignant parce que celui‑ci avait déposé des plaintes?

[14]           En ce qui concerne la première question, le Tribunal a conclu que, même s’il n’avait pas compétence pour déterminer si un ministère s’est acquitté des responsabilités qui lui incombent aux termes de la Loi sur l’équité en matière d’emploi – un rôle confié à la Commission canadienne des droits de la personne – des questions liées à l’équité en matière d’emploi pouvaient tout de même s’avérer pertinentes lors de l’examen des plaintes présentées en vertu de l’article 77 de la Loi lorsqu’elles entrent en jeu en tant que besoins organisationnels au titre du sous‑alinéa 30(2)b)(iii) de la Loi. Le Tribunal a jugé qu’en pareil cas, il était compétent pour établir si, au moment de la sélection d’un candidat pour un poste déterminé, le Ministère en cause avait tenu compte des besoins organisationnels définis.

[15]           Sur la deuxième question, appliquant les critères élaborés dans la jurisprudence relative aux droits de la personne, le Tribunal a conclu que le demandeur avait apporté une preuve prima facie de discrimination. Il a notamment conclu que la preuve du demandeur si on lui ajoutait foi, en l’absence de réplique du Ministère, montrait que ce dernier : (i) avait essayé d’éliminer de façon inéquitable sa candidature du processus de nomination lorsqu’un des répondants était indisponible, (ii) qu’il avait utilisé des outils d’évaluation très subjectifs, (iii) qu’il avait nommé des personnes non qualifiées qui n’étaient pas originaires du Moyen‑Orient ou du Liban ni membres d’une minorité visible, (iv) qu’il avait placé sa candidature dans un bassin sans toutefois avoir l’intention de le nommer à un poste, (v) qu’il avait nommé des femmes, qui n’étaient pas sous‑représentées au sein du Ministère, plutôt qu’un membre d’une minorité visible, (vi) qu’il avait recruté des personnes ne faisant pas partie du bassin plutôt que de le nommer, (vii) qu’il avait refusé de nommer Mme Chauret pour faire en sorte que le demandeur ne soit pas le dernier candidat du bassin à ne pas être nommé.

[16]           Jugeant être en présence d’une preuve prima facie de discrimination, le Tribunal a déclaré qu’il incombait au ministre de réfuter les allégations sur lesquelles elle reposait. Le Tribunal a conclu que le Ministère s’était acquitté avec succès de ce fardeau étant donné qu’il avait présenté une preuve convaincante établissant que la race ou l’origine nationale ou ethnique du demandeur n’avaient pas joué dans sa décision de nommer d’autres personnes que lui. En particulier, la preuve démontrait, selon le Tribunal, que le demandeur n’avait pas été nommé au poste d’analyste AS‑04 parce qu’il ne possédait pas d’expérience de l’utilisation du logiciel PeopleSoft et qu’il n’avait pas réussi à démontrer, dans son dossier de candidature, qu’il possédait les qualifications constituant un atout dont le Ministère pouvait légitimement tenir compte pour effectuer les nominations en litige.

[17]           Enfin, en ce qui concerne la troisième question, le Tribunal a conclu que les allégations de représailles formulées par le demandeur étaient soit non fondées, soit entièrement hypothétiques.

II.                Questions en litige

[18]           Le demandeur affirme que la présente demande de contrôle judiciaire soulève les quatre questions suivantes :

a. Le Tribunal a‑t‑il manqué à l’équité procédurale en refusant d’examiner l’allégation selon laquelle il y avait eu abus de pouvoir en procédant à la nomination de candidats qui ne possédaient pas les qualifications essentielles, faisant ainsi preuve de partialité et de manque de rigueur et de neutralité?

b. Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur touchant la compétence en concluant qu’il n’avait pas compétence pour se prononcer sur la question de l’équité en matière d’emploi?

c. Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur dans l’examen de l’allégation de discrimination?

d. Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur dans l’examen de l’allégation de représailles?

[19]           Le Ministère affirme que la seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si la décision du Tribunal suivant laquelle le demandeur n’avait pas réussi à démontrer l’existence d’un abus de pouvoir, et notamment que le processus de nomination en litige n’était pas entaché de discrimination, est raisonnable.

[20]           Abstraction faite de l’allégation de partialité, je suis d’accord pour dire que pour répondre aux questions soulevées par le demandeur il faut de fait déterminer si la décision du Tribunal est raisonnable.

[21]           Les parties ont également soulevé plusieurs questions préliminaires dont je vais traiter en premier lieu.

III.             Analyse

A.                Questions préliminaires

(1)               Intitulé de la cause

[22]           Le Ministère demande que l’intitulé de la cause soit modifié de façon à substituer au « ministère des Affaires autochtones » le « procureur général du Canada », et ainsi le constituer  seul et unique défendeur. Il soutient que les ministères ne sont pas des entités juridiques et qu’ils ne doivent pas être constitués parties dans les instances introduites devant la Cour. Le demandeur n’a pas répondu à cette requête préliminaire.

[23]           Le Ministère a raison : les ministères gouvernementaux ne constituent pas des entités juridiques, de sorte qu’ils ne peuvent régulièrement être désignés comme parties (Gravel c Canada (Procureur général), 2011 CF 832 au paragraphe 6; Mahmood c Canada (1998), 154 FTR 102 au paragraphe 14, 82 ACWS (3d) 898). Étant donné qu’aux termes de l’alinéa 303(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑196 (les Règles), il ne convient pas de désigner le Tribunal à titre de défendeur dans le cadre de la présente instance, le procureur général du Canada sera donc substitué au Ministère, comme le prévoit le paragraphe 303(2) des Règles. L’intitulé de la cause sera modifié en conséquence.

(2)               Avis de question constitutionnelle

[24]           Moins d’une semaine avant l’ouverture de l’audience, le demandeur a signifié au Ministère un avis de question constitutionnelle dans lequel il soulevait des questions se rapportant à la Charte canadienne des droits et libertés. Le Ministère s’est opposé au dépôt de cet avis tant en raison de sa tardiveté que de son manque de précision. À l’audience, j’ai accueilli l’objection du Ministère. Voici les motifs de ma décision.

[25]           Le dépôt de l’avis de question constitutionnelle se heurte en l’espèce à au moins deux obstacles insurmontables. En premier lieu, aucun moyen constitutionnel n’a été plaidé devant le Tribunal. Dans le jugement Boshra c Canada (Procureur général), dossier T ‑789‑10, 21 décembre 2011, la Cour a jugé que les questions constitutionnelles ne devaient pas être considérées dans le cadre d’un contrôle judiciaire lorsqu’elles n’avaient pas déjà été soulevées devant le tribunal administratif (Boshra, au paragraphe 7). Cette conclusion découle du principe bien établi suivant lequel les questions constitutionnelles, et en particulier les questions relatives à la Charte, ne doivent pas – et ne devraient pas – être tranchées dans un vide factuel (Worthington c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1546, 258 FTR 102 aux paragraphes 24‑25; conf. par 2006 CAF 30).

[26]           En second lieu, l’avis n’était pas conforme au paragraphe 57(2) de la Loi sur les Cours fédérales qui exige qu’il soit déposé au moins dix jours avant la date à laquelle la question constitutionnelle qui en fait l’objet doit être débattue. L’obligation de signifier un avis est impérative, sous réserve de deux exceptions possibles : lorsque les procureurs généraux donnent leur consentement, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, ou lorsqu’un avis de facto a été donné, ce qui, là encore, n’est pas le cas en l’espèce. Exception faite de ces circonstances limitées, la Cour ne peut ignorer ou lever cette exigence.

[27]           Dans le cas qui nous occupe, non seulement aucun avis de question constitutionnelle n’a été signifié et déposé dans le délai prescrit, mais cet avis ne fournissait aucun détail quant au fondement de la contestation constitutionnelle. Ce manque total de précision est fatal, car « la Cour ne peut statuer sur des arguments constitutionnels soulevés d’une manière improvisée et non structurée » (Canada (Procureur général) c Misquadis, 2003 CAF 473, [2004] 2 RCF 108 au paragraphe 38). À tout le moins, les avis de question constitutionnelle doivent énoncer les faits essentiels ainsi que le fondement juridique de la question constitutionnelle (Gitxsan Treaty Society c Hospital Employee’s Union, [2001] 1 CF 135 (CAF), [1999] ACF no 1192 (QL) au paragraphe 11).

[28]           Dans le cas qui nous occupe, l’avis de question constitutionnelle ne satisfait à aucune de ces deux exigences, et il n’a pas été déposé dans le délai de dix jours prescrit par l’article 57(2) de la Loi sur les Cours fédérales. Il ne pouvait donc pas être admis pour dépôt.

(3)               Affidavits déposés par le demandeur à l’appui de la présente espèce

[29]           Le Ministère affirme que certaines parties des deux affidavits déposés par le demandeur – qui agit pour son propre compte – à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire débordent le cadre de l’exposé des faits et renferment des arguments et des opinions. Il affirme que c’est le cas des paragraphes 8, 14, 17, 18, 20, 23, 24, 25, 26, 27 et 28 de l’affidavit du 14 juin 2013 et des paragraphes 8, 14, 21, 22, 24, 25, 28, 29, 30, 31, 32, 33 et 34 de l’affidavit du 28 août. Le Ministère demande la radiation des paragraphes en question.

[30]           Suivant le paragraphe 81(1) des Règles, les affidavits doivent se limiter aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle. Les affidavits ne constituent pas un moyen approprié pour exprimer une opinion ou pour plaider la cause. La réparation habituelle, dans le cas d’un affidavit qui renferme des opinions ou des arguments, est la radiation des passages où on les retrouve. Il est également loisible à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire en n’accordant aucun poids ou aucune valeur probante aux opinions et aux arguments contenus dans un affidavit (McEwing c Canada (Procureur général), 2013 CF 525, 433 FTR 59 au paragraphe 107).

[31]           En l’espèce, je suis d’avis que tous les paragraphes des affidavits du demandeur qui, suivant le Ministère, constituent l’expression d’une opinion ou d’arguments renferment effectivement des opinions ou des arguments. J’ai choisi de ne leur accorder aucun poids ou aucune valeur probante.

(4)               Pièces jointes à l’affidavit du Ministère

[32]           À l’appui de la thèse qu’il défend dans la présente instance, le Ministère a déposé un affidavit souscrit par Mme Isabelle Larose, l’une de ses conseillères principales en dotation. Le demandeur affirme que les pièces jointes à cet affidavit devraient être radiées étant donné qu’elles font double emploi avec les pièces qu’il a annexées à sa propre plainte et qu’elles ne sont donc pas pertinentes parce qu’il s’agit de liste de décisions jurisprudentielles.

[33]           Cet argument est mal fondé. Le fait que des pièces soient produites plus d’une fois devant le Tribunal ne justifie pas leur radiation. Les renseignements relatifs au processus de plainte devaient être pertinents étant donné que le demandeur lui‑même en parle dans ses propres affidavits. De plus, à défaut de transcription de l’audience qui s’est déroulée devant le Tribunal et compte tenu de la nature de la contestation de la décision du Tribunal par le demandeur, ces renseignements sont à mon avis pertinents. Enfin, je ne trouve dans les pièces jointes à l’affidavit de Mme Larose rien qui ressemble à une liste de décisions jurisprudentielles. Je ne puis que supposer que le demandeur fait allusion à la liste de décisions jurisprudentielles dont il est question aux volumes VI et VII du « dossier du défendeur », ce qui, là encore, ne constitue pas un motif de supprimer ces documents du dossier.

B.                 Cadre législatif

[34]           Les nominations au sein de la fonction publique fédérale sont du ressort exclusif de la Commission de la fonction publique (la CFP), qui peut déléguer ce pouvoir aux administrateurs généraux des ministères fédéraux qui, à leur tour, peuvent autoriser quiconque à exercer les attributions que leur confère la CFP (articles 11, 15 et 24 de la Loi).

[35]           Le paragraphe 30(1) de la Loi prévoit que les nominations à la fonction publique « sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique ». Ces principes constituent la pierre d’angle du processus de nomination au sein de la fonction publique fédérale (Samatar c Canada (Procureur général), 2012 CF 1263, [2014] 2 RCF 43 au paragraphe 83). Le paragraphe 30(2) précise ce qui constitue une nomination fondée sur le mérite. En voici le libellé :

Définition du mérite

Meaning of merit

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

(2) An appointment is made on the basis of merit when

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

(a) the Commission is satisfied that the person to be appointed meets the essential qualifications for the work to be performed, as established by the deputy head, including official language proficiency; and

b) la Commission prend en compte :

(b) the Commission has regard to

(i) toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,

(i) any additional qualifications that the deputy head may consider to be an asset for the work to be performed, or for the organization, currently or in the future,

(ii) toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,

(ii) any current or future operational requirements of the organization that may be identified by the deputy head, and

(iii) tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

(iii) any current or future needs of the organization that may be identified by the deputy head.

[36]           La Loi prévoit que la CFP ou la personne investie du pouvoir délégué de dotation peut définir divers critères géographiques, organisationnels ou professionnels pour les « groupes désignés » au sens de l’article 3 de la Loi sur l’équité en matière d’emploi (article 34 de la Loi). Les « groupes désignés » au sens de la Loi sur l’équité en matière d’emploi sont les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les personnes qui font partie des minorités visibles.

[37]           Pour déterminer si une personne possède les qualifications mentionnées à l’alinéa 30(2)a) et au sous‑alinéa 30(2)b)(i), précités, la CFP – ou la personne qui est investie du pouvoir délégué de dotation – peut avoir recours à toute méthode d’évaluation – notamment prise en compte des réalisations et du rendement antérieur, examens ou entrevues – qu’elle estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications visées à l’alinéa 30(2)a) et au sous‑alinéa 30(2)b)(i) (article 36 de la Loi).

[38]           Dans le jugement Kilbray et Wersch c Canada (Procureur général), 2009 CF 390, 344 FTR 203, la Cour explique qu’en vertu du régime législatif, « l’administrateur général se voit confier un pouvoir discrétionnaire considérable en matière de dotation et de nomination » (Kilbray et Wersch, au paragraphe 39). Elle explique ensuite, au paragraphe 41, l’objectif de la réforme dont la Loi a fait l’objet en 2003 :

L’objectif de la nouvelle LEFP était de procéder à une réforme du régime antérieur de dotation de la fonction publique parce qu’il était devenu trop complexe et lent. Le nouveau système de dotation vise à permettre aux gestionnaires de doter en temps utile les postes vacants de personnes qualifiées. Selon le nouveau système, on n’utilise plus les concours et l’approche du mérite relatif. On met plutôt l’accent sur la recherche d’une personne apte à accomplir le travail. Cette décision est prise par l’administrateur général de chaque ministère dont les pouvoirs ont été délégués par la Commission de la fonction publique. L’administrateur général peut ensuite déléguer ses pouvoirs aux directeurs ou aux gestionnaires du ministère.

[39]           La nouvelle philosophie de la Loi est exposée dans son préambule, qui dispose : « le pouvoir de dotation devrait être délégué à l’échelon le plus bas possible dans la fonction publique pour que les gestionnaires disposent de la marge de manœuvre dont ils ont besoin pour effectuer la dotation, et pour gérer et diriger leur personnel de manière à obtenir des résultats pour les Canadiens » (voir également Procureur général du Canada c Lahlali, 2012 CF 601, 411 FTR 245 au paragraphe 16 et 17).

[40]           L’article 77 de la Loi prévoit qu’une personne peut présenter une plainte à la Commission au motif qu’elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination en raison d’un « abus de pouvoir » de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2).

[41]           La Loi ne donne pas de définition exhaustive de la notion d’« abus de pouvoir », mais elle précise : « [i]l est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par “abus de pouvoir” la mauvaise foi et le favoritisme personnel » (paragraphe 2(4)). Suivant l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Kane c Canada (Procureur général), 2011 CAF 19 au paragraphe 66, « en restreignant la compétence du Tribunal pour statuer sur les plaintes d’abus de pouvoir des employés, le législateur entendait certainement réduire les délais des processus de dotation et limiter la surveillance trop poussée engendrée par ce qui revenait en fait à un examen de novo en appel sous le régime de l’ancienne loi ». Bien que la notion d’abus de pouvoir ne se limite pas aux cas d’inconduites graves frappés d’un opprobre moral ou exigeant un élément d’intention, il nécessite plus qu’une erreur ou une omission ou même une conduite irrégulière (Lavigne c Sous‑ministre de la Justice et Commission de la fonction publique, 2009 CF 684 au paragraphe 62; Lahlali, précitée, au paragraphe 38).

[42]           Les plaintes d’abus de pouvoir sont instruites par un membre agissant seul « qui procède, dans la mesure du possible, sans formalisme et avec célérité » (article 98). Lorsqu’il juge la plainte fondée, le Tribunal peut ordonner à la CFP ou à l’administrateur général de révoquer la nomination ou de ne pas faire la nomination, selon le cas, et de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées. Le Tribunal n’est cependant pas habilité à ordonner à la Commission d’effectuer une nomination ou d’entreprendre un nouveau processus de nomination (articles 81 et 82).

[43]           La Loi prévoit certaines interactions avec la Loi canadienne sur les droits de la personne. L’article 80 autorise le Tribunal à interpréter et à appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne pour décider si la plainte présentée en vertu de l’article 77 est fondée. L’article 3 de cette Loi énumère les motifs de distinction illicites, notamment la race et l’origine nationale ou ethnique, et l’article 7 prévoit que constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects, de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu ou de le défavoriser en cours d’emploi.

[44]           Les réparations prévues à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne peuvent également être accordées par le Tribunal lorsqu’il ordonne à la Commission de prendre des mesures correctives (paragraphe 81(2)). Enfin, le plaignant qui soulève une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne doit en donner avis à la Commission canadienne des droits de la personne (article 78). Une fois avisée, la Commission a le droit de présenter ses observations au Tribunal relativement à la question ainsi soulevée (paragraphe 79(2)).

C.                Norme de contrôle

[45]           Dans une contestation analogue introduite par le demandeur à l’encontre d’une décision de nomination du ministère des Affaires étrangères (Abi‑Mansour c Ministère des Affaires étrangères, 2013 CF 1170), le juge Richard Boivin (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale), a conclu, aux paragraphes 54 et 55, que la norme de la décision raisonnable s’appliquait aux questions concernant l’abus de pouvoir, notamment lorsqu’une discrimination était à l’origine du présumé abus de pouvoir :

En ce qui a trait aux trois (3) autres questions, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique. Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a décidé qu’une cour de révision n’a pas à effectuer une analyse de la norme de contrôle lorsque la jurisprudence a déjà établi de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à la question dont la cour est saisie (arrêt Dunsmuir, précité, paragraphe 62). Les trois (3) questions relatives à l’abus de pouvoir peuvent être considérées comme des questions mixtes de fait et de droit. Elles concernent l’interprétation de la LEFP de même que les dispositions de la LCDP relatives à la discrimination dans l’emploi, que le TDFP est explicitement autorisé à interpréter et qui sont liées de près à sa fonction. Selon la jurisprudence, les décisions de cette nature rendues par le TDFP font l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Lavigne c Canada (Sous‑ministre de la Justice), 2009 CF 684, paragraphes 42, 45, 46 et 50, [2009] ACF no 827 [Lavigne]; Alexander c Canada (Procureur général), 2011 CF 1278, au paragraphe 44, [2011] ACF no 1560 (QL) [Alexander]; Kilbray c Canada (Procureur général), 2009 CF 390, paragraphe 33, [2009] ACF no 531 (QL); [Kilbray]; Kane c Canada (Procureur général), 2011 CAF 19, paragraphe 40, [2011] ACF no 79 (QL); Jalal c Canada (Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CF 611, au paragraphe 31, [2013] ACF no 640 (QL); Canada (Procureur général) c Lahlali, 2012 CF 601, paragraphes 22 et 23, [2012] ACF no 591 (QL) [Lahlali]; Smith c Canada (Procureur général), 2011 CF 1401, paragraphe 21, [2011] ACF no 1709 (QL).

La Cour rappelle que le rôle de la cour de révision, lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, n’est pas de réévaluer la preuve qui avait été soumise au décideur. En effet, elle doit se limiter à vérifier la « […] justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel » et statuer sur l’« appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, précité, paragraphe 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (CT), 2011 CSC 62, paragraphes 15 et 16, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses]).

[46]           Dans un jugement rendu le 29 mai 2015 (Abi‑Mansour c Sous‑ministre des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, 2015 CAF 135), la Cour d’appel fédérale a confirmé le jugement du juge Boivin. Sur la question de la norme de contrôle en particulier, la Cour d’appel a déclaré, au paragraphe 6, que la question de l’abus de pouvoir et celle de la discrimination avaient à bon droit été contrôlées selon la norme de la décision raisonnable.

[47]           Voilà qui règle en grande partie la question. En particulier, cela tranche l’argument du demandeur suivant lequel il y a lieu de faire preuve de déférence envers le Tribunal lorsque ce dernier examine une plainte de discrimination au motif qu’il n’est pas compétent sur des questions touchant les droits de la personne.

[48]           Dans la mesure où le demandeur a soulevé des préoccupations en ce qui concerne l’équité procédurale, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Abi‑Mansour c Sous‑ministre des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, précitée, au paragraphe 6). Les parties s’entendent sur ce point.

D.                La conclusion du Tribunal suivant laquelle le demandeur n’a pas démontré que le Ministère avait abusé de son pouvoir au cours du processus de nomination en litige est raisonnable.

[49]           Ainsi que le Ministère le souligne à juste titre, dans le cadre d’une analyse du caractère raisonnable, il ne suffit pas de se dire en désaccord avec les conclusions du Tribunal. Le demandeur doit démontrer que la conclusion du Tribunal suivant laquelle le Ministère n’a pas abusé de son pouvoir au cours du processus de nomination en litige n’est pas rationnellement étayée par la preuve. Plus particulièrement, il doit démontrer que la conclusion du Tribunal suivant laquelle le Ministère a réfuté les allégations sur lesquelles le demandeur a fait reposer sa propre preuve prima facie de discrimination en expliquant de façon convaincante que le demandeur n’a pas démontré qu’il possédait des qualifications requises par le Ministère pour les postes en cause, notamment de l’expérience quant à l’utilisation du logiciel PeopleSoft, n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[50]           Il vaut la peine de signaler que lorsqu’on procède à une analyse du caractère raisonnable, on doit tenir compte que, lorsqu’il statue sur une plainte, le Tribunal doit analyser le processus d’évaluation, mais qu’il ne lui appartient pas de réévaluer les candidats ou de refaire le processus de nomination (Lahlali, précitée, aux paragraphes 39 et 42).

[51]           Tout comme dans l’affaire Abi‑Mansour c Ministère des Affaires étrangères, précitée, le demandeur invoque une foule d’arguments pour contester la décision du Tribunal.

[52]           Il soutient en premier lieu que le Tribunal a refusé d’exercer sa juridiction en ne considérant pas les préoccupations qu’il avait soulevées au sujet de l’équité en matière d’emploi comme une question distincte de celle de la discrimination. Il affirme ensuite que le Tribunal a commis une série d’erreurs justifiant l’intervention de la Cour dans son évaluation des explications fournies par le Ministère pour démontrer que la race ou l’origine nationale ou ethnique du demandeur n’avait pas joué dans sa décision de nommer d’autres personnes que lui. Le demandeur soutient essentiellement à cet égard que la décision contestée est déraisonnable dans la mesure où le Tribunal :

-          a ignoré des éléments de preuve montrant que le pouvoir discrétionnaire fondé sur le principe de la « bonne personne pour le poste » est habituellement exercé pour commettre une discrimination déguisée;

-          a conclu qu’une personne qui a posé sa candidature dans le cadre d’un processus de nomination n’est pas qualifiée si elle ne possède pas les qualifications constituant un atout qui, par définition, sont choisies arbitrairement par l’employeur;

-          a jugé que la demande du demandeur avait été évaluée de façon objective et régulière;

-          a conclu que Mme Morin possédait les qualifications essentielles pour les postes en question;

-          n’a pas tenu compte qu’il était un candidat plus solide que Mmes Morin, Privalova et Verner et les deux personnes nommées qui ne faisaient pas partie du bassin créé par suite du processus de nomination en question;

-          n’a accordé aucun poids au fait que le Ministère n’avait pas considéré les besoins organisationnels malgré l’existence d’écart dans la représentation des minorités visibles au sein de ses effectifs;

-          a conclu qu’il n’avait pas démontré que le Ministère avait pris des mesures de représailles contre lui parce qu’il avait porté plainte auprès du Tribunal.

(1)               L’argument relatif à la compétence

[53]           Le demandeur affirme que le Tribunal devait traiter de l’équité en matière d’emploi de façon distincte et non, comme il l’a fait en l’espèce, dans le cadre de son analyse de la discrimination. Le demandeur affirme qu’en ne procédant pas à une analyse distincte de la question de l’équité en matière d’emploi, le Tribunal a refusé d’exercer sa compétence, commettant ainsi une erreur de compétence fatale.

[54]           Cet argument ne saurait être retenu. Certes, il est juste de dire que, dans l’arrêt Lincoln c Bay Ferries Ltd. , 2004 CAF 204, la Cour d’appel fédérale a bien précisé que la Loi sur l’équité en matière d’emploi est une loi censée s’appliquer indépendamment de la Loi canadienne sur les droits de la personne et que cette loi impose aux employeurs qu’elle vise « les obligations précises qu’elle prévoit, obligations qui doivent être respectées conformément à la loi et qui ne sont pas reliées à une plainte en vertu de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne » (Lincoln, au paragraphe 27).

[55]           Le Tribunal n’est pas pour autant obligé d’en faire plus que ce que la Loi exige en matière d’équité d’emploi. À mon avis, le Tribunal a, en l’espèce, correctement décrit son rôle à cet égard. Il a tout d’abord rappelé que la mission de faire appliquer la Loi sur l’équité en matière d’emploi avait été confiée par le législateur à la Commission canadienne des droits de la personne et non au Tribunal, de sorte que le Tribunal n’a pas compétence pour déterminer si un ministère s’est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. En second lieu, il a déclaré que, même s’il appartenait à la Commission canadienne des droits de la personne de faire appliquer la Loi sur l’équité en matière d’emploi, des questions d’équité pouvaient tout de même s’avérer pertinentes lors de l’examen des plaintes présenté au Tribunal en vertu de l’article 77 de la Loi lorsqu’un ministère inclut des besoins organisationnels dans les critères de mérite au titre de l’alinéa 30(2)b)(iii). En pareil cas, le Tribunal est autorisé, par l’alinéa 77(1)a) de la Loi, à déterminer si le Ministère a tenu dûment compte ou non des besoins organisationnels lors du processus de nomination.

[56]           Contrairement à ce que prétend le demandeur, cette thèse correspond à celle adoptée par le Tribunal dans la décision Brown c Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2011 TDFP 0015. Dans cette décision, le Tribunal a proposé des balises utiles au sujet de l’interaction entre la Loi et la Loi sur l’équité en matière d’emploi:

[68] Il est tout de même utile d’examiner l’objet de la LEE et son application pour mieux comprendre le lien entre celle‑ci et le processus de nomination en cause. L’objet de la LEE, énoncé à l’article 2, est de corriger les désavantages subis, dans le domaine de l’emploi, par les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les personnes issues des minorités visibles (les groupes désignés). La LEE, à l’article 5, établit d’ailleurs plusieurs obligations que l’employeur doit respecter pour atteindre ces buts, notamment l’obligation de déterminer et de supprimer les obstacles à la carrière des membres des groupes désignés et d’instaurer des règles et des usages positifs pour que le nombre de membres des groupes désignés dans chaque catégorie professionnelle de son effectif reflète leur représentation au sein de la population apte au travail au pays. Aux termes de l’article 22 de la LEE, la CCDP est responsable de la mise en application de la LEE, ce qu’elle fait au moyen de contrôle d’application. Selon l’article 25(2), en cas de non‑observation de la LEE, la CCDP peut ordonner à l’employeur de prendre des mesures correctives. Ce dernier, en vertu de l’article 28(1), peut présenter une demande de révision à un tribunal de l’équité en matière d’emploi constitué par le président de la CCDP.

[69] La LEE et la LEFP sont coordonnées de manière à assurer que les nominations respectent l’équité en matière d’emploi et le mérite. Aux termes de l’article 30(2)b)(iii) de la LEFP, l’administrateur général peut inclure des besoins organisationnels dans les critères de mérite. Personne ne conteste le fait que l’équité en matière d’emploi peut faire partie des besoins organisationnels et que, dans le processus de nomination visé, le besoin organisationnel suivant était mentionné : « membre d’un groupe d’équité en matière d’emploi ». La LEFP contribue à l’atteinte des objectifs d’équité en matière d’emploi en permettant à l’administrateur général, aux termes de l’article 34, de restreindre la zone de sélection à des groupes désignés ou encore de l’élargir pour permettre l’inclusion de ces groupes. La LEE favorise le respect du mérite dans les nominations, étant donné que, aux termes de l’article 6c), l’employeur n’est pas tenu d’embaucher une personne qui ne satisfait pas aux critères de mérite au sens de la LEFP, dans un contexte où le mérite s’applique.

[57]           Le Tribunal a bien précisé, dans la décision Brown, au paragraphe 71, qu’il doit vérifier si l’employeur a tenu compte ou non des besoins organisationnels uniquement s’il s’agit de critères de mérite. Cette façon de voir est conforme à la jurisprudence de notre Cour selon laquelle le paragraphe 30(2) de la Loi accorde aux administrateurs généraux le pouvoir discrétionnaire de faire de besoins actuels ou à venir des critères de mérite (Abi‑Mansour c Ministère des Affaires étrangères, précitée, au paragraphe 87).

[58]           En d’autres termes, les préoccupations relatives à l’équité en matière d’emploi relève de la compétence du Tribunal uniquement lorsque l’équité en matière d’emploi entre en jeu en tant que besoin organisationnel au titre du paragraphe 32(2) de la Loi dans le cadre d’un processus de nomination faisant l’objet d’une plainte en vertu de l’article 77 de la Loi. Par conséquent, je ne vois aucune raison d’intervenir en ce qui concerne l’approche retenue par le Tribunal pour examiner les préoccupations exprimées par le demandeur au sujet de l’équité en matière d’emploi.

(2)               Réfutation de la preuve prima facie de discrimination par le Ministère

[59]           Le Tribunal a jugé que le Ministère avait présenté des preuves convaincantes démontrant que la race ou l’origine nationale et ethnique du demandeur n’avait pas joué dans sa décision de nommer d’autres personnes que lui. En particulier, le Tribunal a conclu que le Ministère avait démontré que, si le demandeur possédait les qualifications essentielles pour les postes annoncés, il ne possédait aucune expérience de l’utilisation de PeopleSoft et il n’avait pas démontré dans son dossier de candidature qu’il possédait les autres qualifications constituant un atout dont le Ministère avait légitimement tenu compte pour effectuer les nominations en question.

[60]           Pour arriver à cette conclusion, le Tribunal a tenu compte des éléments de preuve suivants :

  1. Le processus de nomination en cause avait été précédé d’un processus infructueux pour lequel l’expérience de l’utilisation de PeopleSoft avait était considérée comme une qualification essentielle. Par conséquent, la qualification essentielle relative à PeopleSoft avait été modifiée et le Ministère demandait désormais deux années d’expérience de l’utilisation de PeopleSoft « ou d’un système équivalent »;
  2. Le Ministère avait établi les quatre qualifications constituant un atout relatif à l’expérience suivantes : (i) expérience de l’utilisation de PeopleSoft (version 8 ou 8. 9) ou d’un système équivalent; (ii) expérience en matière de prestation ou en animation de séances de formation sur PeopleSoft; (iii) expérience en matière d’analyse des opérations des Ressources humaines et de définition des répercussions sur les systèmes; (iv) expérience en gestion de projets. Quelques‑unes, mais pas nécessairement toutes, des qualifications constituant un atout étaient requises pour certains des postes à doter;
  3. Même s’il était prêt, au besoin, à embaucher une personne possédant une expérience de travail de l’utilisation d’un autre système d’information sur les ressources humaines, le Ministère préférait embaucher une personne possédant une expérience de l’utilisation de PeopleSoft qui « pourrait atteindre rapidement sa vitesse de croisière », parce qu’il s’agit du seul système de ressources humaines utilisé au Ministère et qu’il faudrait environ deux à trois ans pour former quelqu’un pour qu’il devienne un analyste des opérations entièrement qualifié sachant utiliser PeopleSoft;
  4. Le système MariTime, que le demandeur connaissait, est un système distinct du système PeopleSoft, même s’il tire certaines données de ce dernier; le demandeur n’avait aucune expérience avec PeopleSoft, suivant son dossier de candidature;
  5. Le demandeur a expliqué qu’il avait oublié de fournir des renseignements sur les qualifications constituant un atout dans son dossier de candidature et avait admis qu’il n’avait pas lu la partie de l’annonce de possibilité d’emploi où il était précisé que les candidats pouvaient être tenus de posséder les qualifications constituant un atout ou de répondre aux besoins organisationnels pour être nommés à un poste spécifique d’analyste AS‑04.

[61]           Le Tribunal a conclu qu’il incombait au demandeur de fournir tous les renseignements demandés dans l’annonce de possibilité d’emploi et que le Ministère n’était pas tenu de déduire qu’un candidat possédait certaines qualifications ni de chercher à obtenir auprès des candidats des renseignements supplémentaires, d’autant plus que l’annonce de possibilité d’emploi précisait bien qu’il appartenait au candidat de fournir ces renseignements.

[62]           Le Tribunal a donc jugé que le demandeur n’avait pas démontré qu’il possédait les qualifications constituant un atout supplémentaire que le Ministère recherchait pour effectuer les nominations en question et que le demandeur n’avait pas démontré que le Ministère avait abusé de son pouvoir en concluant qu’il n’était pas la « bonne personne » pour doter les postes au moyen du processus en question.

[63]           Il ne m’appartient pas d’évaluer ou de soupeser à nouveau la preuve ou de substituer mes conclusions personnelles à celles du Tribunal. Le rôle de la Cour se borne à déterminer si la conclusion du Tribunal suivant laquelle le Ministère a réfuté les allégations sur lesquelles reposait la preuve prima facie de discrimination en expliquant de façon convaincante que le demandeur n’avait pas démontré qu’il possédait les qualifications recherchées pour les postes en cause, notamment qu’il possédait de l’expérience d’utilisation du logiciel PeopleSoft, appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Cette norme de contrôle reconnaît qu’il peut exister plus d’une issue raisonnable lorsqu’il s’agit de répondre à des questions mixtes de fait et de droit.

[64]           En l’espèce, je suis d’avis que la conclusion du Tribunal suivant laquelle le Ministère a démontré de façon convaincante que le demandeur n’avait pas établi qu’il possédait les qualifications recherchées pour les postes en litige est rationnellement étayée par la preuve versée au dossier et qu’elle appartient par conséquent aux issues possibles acceptables. Il incombait en dernière analyse au demandeur de démontrer dans son dossier de candidature qu’il possédait les qualifications essentielles requises ainsi que les qualifications constituant un atout, et qu’il s’était conformé aux instructions énoncées dans l’annonce de possibilité d’emploi (Abi‑Mansour c Ministère des Affaires étrangères, au paragraphe 88). Le Tribunal a conclu que le Ministère avait démontré de façon convaincante que le demandeur n’avait pas fait cette preuve. Le demandeur conteste vigoureusement la conclusion du Tribunal, mais il en faut plus pour démontrer que celle‑ci est déraisonnable.

(3)               Les erreurs reprochées

[65]           J’estime mal fondées les allégations du demandeur suivant lesquelles le Tribunal a commis les erreurs que j’ai résumées au paragraphe 52.

a)                  Le pouvoir discrétionnaire de choisir « la bonne personne »

[66]           Le demandeur soutient tout d’abord que le Tribunal n’a pas tenu compte des éléments de preuve visant à établir que le pouvoir discrétionnaire de choisir la « bonne personne » est généralement utilisé pour se livrer à une discrimination déguisée. Cela n’enlève toutefois rien au principe suivant lequel chaque cas est un cas d’espèce. Dans le cas qui nous occupe, le Tribunal a conclu que le demandeur avait établi une preuve prima facie de discrimination. Il a ensuite examiné les explications fournies par le Ministère en vue de réfuter cette preuve prima facie de discrimination et il a jugé que ces explications étaient raisonnables et n’étaient pas simplement un prétexte utilisé pour camoufler un acte discriminatoire contre le demandeur. En tirant cette conclusion, le Tribunal a appliqué le bon critère juridique et a attentivement examiné les preuves dont il disposait. Comme je l’ai déjà expliqué, vu les faits de la présente affaire, j’estime raisonnable la conclusion du Tribunal suivant laquelle les explications fournies par le Ministère ne dissimulaient pas une conduite par ailleurs discriminatoire. Le fait que le pouvoir discrétionnaire de choisir « la bonne personne » puisse servir de prétexte pour commettre un acte discriminatoire dans d’autres cas n’est pas pertinent dans les circonstances de la présente affaire.

b)                 Le rôle des qualifications constituant un atout

[67]           J’estime par ailleurs mal fondé l’argument du demandeur selon lequel le Tribunal a commis une erreur en concluant que le candidat à un processus de nomination n’a pas les qualifications requises s’il ne possède pas aussi les qualifications constituant un atout. Comme le Tribunal l’a souligné à juste titre, le paragraphe 30(2) de la Loi permet à la personne investie du pouvoir délégué de dotation de prendre en compte toute qualification supplémentaire qu’elle considère comme un atout pour le travail à accomplir. Le Ministère pouvait donc légitimement tenir compte des qualifications constituant un atout pour déterminer qui, parmi les candidats qualifiés, était la bonne personne à nommer dans le cadre du processus de nomination en cause. Cette façon de procéder est conforme au libellé du paragraphe 30(2) ainsi qu’avec l’objectif principal de la Loi, qui consiste à assurer aux gestionnaires de la fonction publique la marge de manœuvre dont ils ont besoin en matière de dotation et pour gérer et diriger leur personnel de manière à obtenir des résultats pour les Canadiens.

c)                  Les méthodes d’évaluation

[68]           Je ne vois non plus aucune raison de modifier les conclusions tirées par le Tribunal au sujet de la candidature du demandeur. Tout d’abord, il était loisible au Tribunal de conclure, selon l’article 36 de la Loi, que le Ministère n’était nullement tenu d’exiger un examen écrit pour évaluer objectivement les candidatures. D’ailleurs, le texte de l’article 36 est clair : il prévoit que les administrateurs généraux peuvent avoir recours à « toute méthode d’évaluation » qu’ils « estime[nt] indiquée » pour décider si une personne possède les qualifications pour un poste déterminé. Il n’impose aucune obligation d’utiliser une méthode particulière. Suivant la preuve dont disposait le Tribunal à cet égard, le Ministère considérait l’examen des curriculum vitæ comme un outil d’évaluation objectif, étant donné que leur contenu émanait des candidats eux‑mêmes. Les renseignements contenus dans les curriculum vitæ étaient ensuite confirmés par une vérification des références et, bien que le Ministère ait admis que la troisième méthode d’évaluation utilisée pour le processus de nomination en litige – les entrevues – pourrait être considérée comme subjective, le Tribunal a fait observer que le comité d’évaluation avait mis au point un guide de cotation qui établissait un lien entre chaque question posée lors de l’entrevue et une qualification de l’énoncé des critères de mérite.

[69]           Deuxièmement, le Tribunal a conclu que rien n’exigeait que la vérification des références se fasse uniquement dans les dernières étapes du processus d’évaluation, ajoutant qu’elle pouvait donc intervenir dès le début du processus d’évaluation pour vérifier l’exactitude des renseignements fournis par les candidats dans leur dossier de candidature, leur curriculum vitæ et leur entrevue. Le Tribunal a conclu que, contrairement à ce que prétendait le demandeur, le Guide de la CFP, lorsqu’on le lit dans son ensemble, permet effectivement à la personne investie du pouvoir délégué de dotation de procéder à la vérification des références à diverses étapes du processus de nomination pour évaluer les qualifications et vérifier les renseignements fournis par les candidats.

[70]           Enfin, le Tribunal a conclu que le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve pour appuyer son affirmation selon laquelle les répondants, dans la présente affaire, avaient de façon générale manqué d’intégrité ou fait preuve de partialité en fournissant des renseignements faux ou trompeurs lors de la vérification des références.

[71]           Le demandeur n’a pas réussi à démontrer que la conclusion du Tribunal suivant laquelle les méthodes d’évaluation utilisées par le Ministère étaient appropriées et qu’elles n’avaient pas entraîné un résultat discriminatoire en l’espèce était déraisonnable. Cette conclusion est rationnellement étayée par la preuve et par la loi.

d)                 Évaluation de la candidature du demandeur

[72]           Quant à l’évaluation de la candidature du demandeur, le Tribunal a conclu que les affirmations du demandeur suivant lesquelles on avait tenté de façon inéquitable d’éliminer sa candidature ou que le Ministère n’avait pas communiqué avec son principal répondant n’étaient pas fondées. Selon moi, il était loisible au Tribunal de tirer cette conclusion. Les courriels sur lesquels le demandeur se fonde pour prétendre qu’on a essayé d’éliminer sa candidature du processus de nomination peuvent raisonnablement être interprétés comme concernant son principal répondant et non lui, étant donné qu’il semble que ce répondant n’était pas disponible lorsqu’on a tenté pour la première fois de le joindre pour recueillir ses réponses. De plus, suivant les éléments de preuve dont disposait le Tribunal, malgré le fait que le principal répondant du demandeur ne semblait pas être disponible comme le laissait entendre le message « d’absence du bureau » indiquant qu’il ne serait de retour au bureau que deux semaines plus tard, ce répondant principal prenait effectivement connaissance de ses courriels malgré le fait qu’il était à l’extérieur du bureau et il avait proposé de fournir les renseignements demandés.

[73]           Le demandeur reproche également aux membres du comité d’évaluation qui l’ont interrogé d’avoir fait preuve d’intimidation envers lui. Le Tribunal a également conclu que ce reproche n’était pas justifié. Là encore, je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion.

[74]           Quant à l’issue de l’évaluation de la candidature du demandeur, le Tribunal a conclu que le Ministère avait réussi à démontrer que le demandeur ne possédait pas les qualifications constituant un atout pour les postes à doter. Comme je l’ai déjà expliqué, cette conclusion appartenait tout à fait selon moi aux issues possibles acceptables.

e)                  Mme Morin

[75]           Le demandeur affirme également que Mme Morin ne possédait pas les qualifications essentielles pour le poste d’analyste AS‑04 en cause étant donné qu’elle n’a pas réussi son entrevue sur l’un des aspects de ses qualités personnelles. Il affirme par conséquent que sa candidature aurait dû être éliminée du processus de dotation et que, comme elle ne l’a pas été, sa nomination aurait dû être annulée par le Tribunal. Suivant la preuve dont disposait le Tribunal, le comité d’évaluation n’avait pas procédé à la vérification des références de Mme Morin, et il avait effectivement envisagé la possibilité d’éliminer Mme Morin du processus, mais la conseillère en ressources humaines du Ministère lui avait ensuite conseillé de faire la vérification étant donné que cela pourrait amener le comité à changer d’idée quant à la note négative attribuée au départ. À la suite de la vérification des références, le comité d’évaluation a conclu que Mme Morin devait recevoir la note de passage pour cette qualité personnelle et elle a par conséquent été incluse dans le bassin de candidats.

[76]           Le demandeur aurait peut‑être eu raison si l’évaluation des candidats s’était limitée à une entrevue. Comme nous l’avons vu, ce n’est pas le cas, et il n’y avait donc rien d’illégal ou d’irrégulier à évaluer la candidature de Mme Morin au moyen des trois méthodes – examen des dossiers de candidature et des curriculum vitæ, entrevue et vérification des références – que le Ministère avait choisies pour le processus de nomination en litige. Le demandeur affirme en outre que les répondants de Mme Morin n’avaient pas confirmé les qualifications constituant un atout qui avait été retenues par le comité d’évaluation pour justifier sa nomination. Bien que le Tribunal ait relevé certaines divergences entre les références fournies par Mme Morin, il a néanmoins conclu qu’il disposait de suffisamment d’éléments de preuve pour confirmer la conclusion du comité d’évaluation que Mme Morin possédait les qualifications constituant un atout mentionnées dans la justification de sa nomination. Le demandeur n’a pas démontré que la conclusion tirée par le Tribunal à cet égard n’était pas rationnellement étayée par la preuve et qu’elle justifiait l’intervention de la Cour.

f)                   Les autres personnes nommées

[77]           Le Tribunal a également conclu que Mmes Privalova, Verner et V et M. B possédaient les qualifications essentielles ainsi que les qualifications constituant un atout recherchées pour les postes auxquels ils avaient été nommés. Contrairement au demandeur, Mme Morin possédait d’importantes qualifications constituant un atout, tandis que Mmes Privalova, Verner et V et M. B possédaient tous une expérience de l’utilisation de PeopleSoft. Le Tribunal a conclu que ces précisions expliquaient de façon raisonnable et non discriminatoire la décision de ne pas nommer le demandeur aux postes en cause.

[78]           Le demandeur affirme toutefois qu’il était un candidat plus solide que ces personnes et qu’il aurait dû par conséquent être nommé à l’un des postes en question. Cet argument ne lui est d’aucun secours. Dans la décision Lahlali, précitée, la Cour a souligné que, selon le nouveau régime de dotation établi par la Loi, la personne investie du pouvoir délégué de dotation n’est plus tenue de nommer à un poste le candidat le plus qualifié :

[18] Le législateur s’est également éloigné du régime antérieur en privilégiant une version du principe du mérite axée sur le mérite individuel plutôt que sur le mérite comparatif, tel qu’en fait foi l’article 30 de la LEFP. Dorénavant, un gestionnaire ne sera donc plus tenu de nommer à un poste le candidat le plus qualifié; il suffira qu’une personne possède les qualifications essentielles établies par l’administrateur général pour pouvoir être nommée à un poste. L’alinéa 30(2)b) de la LEFP précise que la Commission de la fonction publique (la Commission) peut également tenir compte de toute qualification supplémentaire considérée comme un atout pour le travail à accomplir, des besoins actuels ou futurs de l’administration ainsi que de toute exigence opérationnelle actuelle ou future.

[79]           Il est donc évident que, même si le demandeur devait être considéré comme étant plus qualifié pour occuper les postes en question que les personnes qui y ont été nommées, le Ministère n’avait aucune obligation de le nommer à l’un de ces postes, dès lors qu’il pouvait raisonnablement expliquer que ces candidats étaient les bonnes personnes pour l’organisation. Comme nous l’avons vu, le Tribunal a conclu que Mmes Morin, Privalova, Verner, V et M. B possédaient tous les qualifications essentielles ainsi que les qualifications constituant un atout dont le Ministère avait tenu légitimement compte pour procéder aux nominations en cause, et que le demandeur n’avait pas été nommé parce qu’il n’avait pas d’expérience avec le logiciel PeopleSoft et qu’il ne possédait pas les autres qualifications consistant un atout. Comme je l’ai déjà expliqué, cette conclusion est rationnellement étayée par la preuve.

[80]           Au cours de l’instance qui s’est déroulée devant le Tribunal, le demandeur a insisté pour qu’on lui communique les évaluations de rendement des personnes qui avaient été nommées et de celles qui avaient occupé ces postes avant elles en faisant valoir que ces renseignements [traduction« pouvaient être pertinents » pour démontrer que les explications du Ministère suivant lesquelles certaines habiletés considérées comme un atout étaient essentielles pour bien exécuter les postes en question n’étaient qu’un [traduction« prétexte ou un mensonge flagrant ». Le Tribunal a rejeté la requête du demandeur dans des ordonnances provisoires prononcées en cours d’instance au motif que la requête du demandeur reposait sur de simples soupçons que les examens de rendement des employés en question pouvaient contenir des renseignements pertinents, et qu’en tout état de cause ces renseignements n’étaient pas pertinents étant donné que les qualifications constituant un atout n’avaient pas été évaluées dans le cadre d’évaluations de rendement.

[81]           Aux termes du paragraphe 17(2) du Règlement concernant les plaintes relatives à la dotation dans la fonction publique, DORS/2006‑6, pris en application de l’article 109 de la Loi, le prononcé d’une ordonnance prescrivant la communication des renseignements en question était subordonné à ce que le demandeur fournisse la preuve que les renseignements en question étaient pertinents au regard de l’affaire et ne constituaient pas une simple « recherche à l’aveuglette ». Je suis d’avis que le Tribunal a bien exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère cette disposition pour déterminer si les renseignements sont pertinents ou non, et qu’il n’y a donc aucune raison de modifier sa décision à cet égard.

g)                  Besoins organisationnels

[82]           Le demandeur affirme également que le Tribunal n’a accordé aucun poids au fait que le Ministère n’avait pas tenu compte des besoins organisationnels malgré l’existence d’écarts dans la représentation des groupes visés par l’équité en matière d’emploi au sein de ses effectifs, notamment les minorités visibles. En premier lieu, ainsi que le Tribunal l’a souligné à juste titre, l’annonce de possibilité d’emploi déclarait clairement que le Ministère « pouvait » accorder la préférence aux Autochtones et aux membres des minorités visibles. Le Ministère n’était nullement tenu de limiter la sélection des candidats à des personnes appartenant à l’un ou l’autre des groupes désignés. Le paragraphe 30(2) de la Loi prévoit dans les termes les plus nets que les gestionnaires chargés de l’embauche ont le pouvoir discrétionnaire de tenir compte, à partir du moment où il est confirmé qu’un demandeur possède les qualifications essentielles relatives à un poste, « d’autres qualifications qui pourraient constituer des atouts pour le présent ou l’avenir » (Abi‑Mansour c Ministère des Affaires étrangères, précitée, au paragraphe 87).

[83]           Suivant la preuve dont disposait le Tribunal, le libellé de l’annonce de possibilité d’emploi indiquait qu’il ne s’agissait pas d’un processus de nomination « ciblé » et que, par conséquent, il n’était pas obligatoire de donner la priorité aux personnes appartenant à l’un des groupes visés par l’équité en matière d’emploi bien que le besoin organisationnel avait pour but de départager, le cas échéant, deux candidats possédant les mêmes qualifications. Je suis donc d’avis que la conclusion du Tribunal suivant laquelle le Ministère a expliqué de façon raisonnable sa décision de ne pas tenir compte du besoin organisationnel mentionné dans l’annonce de possibilité d’emploi en l’espèce appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[84]           Ainsi que le Tribunal l’a également souligné à juste titre, même si la prise en compte des besoins organisationnels mentionnés dans l’annonce de possibilité d’emploi avait été obligatoire, le demandeur ne possédait pas les qualifications constituant un atout qui auraient fait de lui la bonne personne à nommer pour les postes visés en l’espèce. Cette conclusion s’accorde parfaitement avec les dispositions de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, qui prévoient que l’obligation de mise en œuvre de l’équité en matière d’emploi n’oblige pas l’employeur, en ce qui concerne le secteur public, à engager ou à promouvoir des personnes sans égard au mérite, dans les cas où la Loi sur l’emploi dans la fonction publique exige que la sélection soit faite au mérite (alinéa 6c) de la Loi sur l’équité en matière d’emploi).

[85]           Le Tribunal a ensuite examiné les rapports produits par le demandeur, et notamment le plan d’équité en emploi du Ministère ainsi que le plan des ressources humaines de la DGSRHMT à l’appui de l’argument voulant que le Ministère ait commis un abus de pouvoir en ne tenant pas compte des besoins organisationnels dans le cadre du processus de nomination en litige compte tenu des écarts constatés dans la représentation des groupes visés par l’équité en matière d’emploi au sein de ces effectifs. Le Tribunal a fait observer que le Ministère reconnaît qu’il y a un écart entre le nombre des employés faisant partie des minorités visibles et les autres, mais que, grâce aux mesures qu’il avait prises conformément à son plan d’équité en emploi, cet écart avait été ramené à 0,65 % au 30 juin 2012, tandis que le taux de représentation des trois autres groupes visés par l’équité en matière d’emploi – Autochtones, personnes handicapées, femmes – dépassait leur taux de disponibilité au sein de la population active. Le Tribunal a également signalé que, notamment au sein de la DGSRHMT, où la totalité, sauf une, des nominations en litige avait été effectuée, les personnes issues des minorités visibles et les Autochtones, qui comptent chacun trois représentants, représentaient 40 % de son équipe. Le Tribunal a conclu, à partir de ces éléments de preuve, que la discrimination contre les minorités visibles n’était pas un facteur qui avait joué dans le processus de nomination en cause.

[86]           Je suis d’avis que cette conclusion était rationnellement étayée par la preuve, et je ne vois pas la nécessité de la modifier bien que, là encore, la question de savoir si un employeur a rempli son obligation de supprimer les obstacles à l’emploi des employés faisant partie des groupes désignés et de mettre en place des politiques et des pratiques qui assureront une certaine représentation aux groupes en question au sein de ces effectifs est d’abord et avant tout une question qui relève de la Loi sur l’équité en matière d’emploi ainsi que du ressort exclusif de la Commission canadienne des droits de la personne.

[87]           Le demandeur soutient de plus que la conclusion que le Tribunal a tirée à cet égard aurait pu être différente s’il avait ordonné, comme il le lui avait demandé, qu’on lui communique le rapport de vérification établi par la Commission canadienne des droits de la personne au sujet des processus de dotation en personnel du Ministère. Le Tribunal a refusé d’ordonner la communication de ce rapport de vérification au motif que la Commission canadienne des droits de la personne n’était pas « partie » à l’instance introduite devant elle et qu’il n’avait donc pas le pouvoir, en vertu de l’article 17 du Règlement concernant les plaintes relatives à la dotation dans la fonction publique, précité, de rendre une telle ordonnance. L’article 17 autorise le Tribunal à ordonner la communication de renseignements « [s]i l’une des parties refuse de communiquer des renseignements ». Le Règlement définit comme suit le mot « partie » : « [q]uiconque a le droit de se faire entendre en vertu du paragraphe 65(3), de l’article 75, du paragraphe 79(1) ou de l’article 85 de la Loi ». La Commission canadienne des droits de la personne ne possède pas ce droit bien que, comme nous l’avons vu, elle ait le droit, en vertu de l’article 79(2) de la Loi, de présenter ses observations au Tribunal relativement à une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, après avoir été avisé qu’une telle question est soulevée dans le cadre d’une instance introduite devant le Tribunal. Dans le cas qui nous occupe, comme nous l’avons également vu, la Commission canadienne des droits de la personne a été avisée de l’existence des plaintes du demandeur, mais elle a refusé de présenter des observations.

[88]           Par conséquent, suivant le libellé clair de l’article 17 du Règlement concernant les plaintes relatives à la dotation dans la fonction publique, le Tribunal avait le droit de refuser d’ordonner à la Commission canadienne des droits de la personne de communiquer le rapport de vérification réclamé par le demandeur. Le demandeur soutient toutefois que la décision rendue par le Tribunal à cet égard est viciée étant donné que l’alinéa 99e) de la Loi autorise le Tribunal à « obliger, en tout état de cause, toute personne à produire les documents ou pièces qui peuvent être liés à toute question dont il est saisi ». L’article 109 de la Loi prévoit que le Tribunal peut, par règlement, régir la communication de renseignements obtenus dans le cadre d’un processus de nomination ou de l’instruction d’une plainte dans le cadre de la Loi. L’article 17 semble être la disposition réglementaire édictée par le Tribunal en application de l’alinéa 99e) de la Loi. Dans la mesure où le demandeur a réclamé une copie du rapport de vérification en soumettant une demande de communication en vertu de l’article 17 du Règlement concernant les plaintes relatives à la dotation dans la fonction publique, il doit accepter le fait que le Tribunal n’avait pas le pouvoir, en vertu de cette disposition, de forcer par ordonnance la Commission canadienne des droits de la personne à fournir ces renseignements.

[89]           Quoi qu’il en soit, même en supposant qu’il était loisible au Tribunal de contraindre la Commission canadienne des droits de la personne à produire ce rapport de vérification en vertu de l’alinéa 99e) de la Loi, on se demande quelle pertinence directe il aurait pu avoir avec les questions que le Tribunal était appelé à trancher en l’espèce. J’estime qu’il n’y en a aucune. En premier lieu, on ne trouve au dossier aucune indication permettant de penser que le rapport renferme des observations au sujet du processus de nomination en cause. Le demandeur insiste pour dire qu’il aurait pu trouver dans ce rapport des éléments de preuve appuyant son allégation d’abus de pouvoir, car on y trouve certaines mentions du plan d’équité en emploi du Ministère qu’il avait antérieurement obtenu grâce à une demande de renseignements présentée en vertu de l’article 17 du Règlement concernant les plaintes relatives à la dotation dans la fonction publique. Cette démarche tient manifestement d’une recherche à l’aveuglette. En second lieu, ce rapport de vérification a selon toute vraisemblance été rédigé dans le contexte de la mise en application de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, qui, comme je l’ai déjà expliqué, n’a aucune incidence directe sur l’application de la Loi ou sur la compétence du Tribunal.

[90]           Je conclus donc que, même s’il était loisible au Tribunal de contraindre le Ministère à produire le rapport de vérification réclamé par le demandeur, le fait qu’il ne l’a pas produit ne tire pas à conséquence étant donné que le rapport en question n’était pas pertinent en ce qui concerne la question que le Tribunal devait trancher, en l’occurrence celle de savoir si le Ministère avait abusé de son pouvoir dans le cadre du processus de nomination en cause et en procédant aux nominations en litige.

h)                 Mesures de représailles

[91]           Enfin, je suis d’avis que la conclusion du Tribunal suivant laquelle le demandeur n’a pas démontré que le Ministère avait pris des mesures de représailles contre lui parce qu’il avait porté plainte est raisonnable. Le demandeur alléguait devant le Tribunal qu’à la suite du dépôt des plaintes en question, le Ministère avait [traduction« pris toutes les mesures possibles pour s’assurer qu’il n’obtienne jamais un poste au Ministère », comme le démontrait, selon lui, la nomination de Mmes Verner, V et de M. B, qui étaient des candidats qui [traduction« n’ont rien de plus que ce que j’ai » et le fait que sa candidature avait été éliminée d’un autre processus de nomination à l’étape de la présélection.

[92]           Le demandeur affirme que le Tribunal [traduction« ne s’est pas prononcé sur tous les éléments que j’ai invoqués à l’appui de [s]on allégation de mesures de représailles ». Cette affirmation soulève deux problèmes : tout d’abord, le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, au paragraphe 16) ou, comme le souligne le Ministère, d’énumérer chacun des facteurs inimaginables qui ont pu influencer une décision (McEvoy c Canada (Procureur général), 2013 CF 685 aux paragraphes 79 à 84).

[93]           En l’espèce, le Tribunal s’est de nouveau appuyé sur les éléments de preuve suivant lesquels Mmes Verner et V et M. B avaient été nommés parce qu’ils étaient les bonnes personnes pour un poste qui requérait de l’expérience de l’utilisation de PeopleSoft, une qualification constituant un atout que, selon ce qu’il avait été démontré, le demandeur ne possédait pas. Le Tribunal a également rejeté l’argument du demandeur que M. B avait été nommé à la place de Mme Chauret pour éviter toute apparence de discrimination envers lui, car sinon été il aurait le seul candidat du bassin à ne pas avoir été nommé. Cet argument a été rejeté au motif qu’on trouvait au dossier des éléments de preuve non contredits démontrant qu’il avait été question de nommer Mme Chauret lorsque Mmes Privalova et Morin avaient quitté leur poste, mais que Mme Chauret avait répondu qu’elle avait reçu une autre offre et qu’elle ne souhaitait plus être nommée à l’un des postes visés. Enfin, le Tribunal a jugé que l’argument du demandeur que sa candidature avait été éliminée du processus de nomination à l’étape préliminaire pour des raisons non pertinentes était entièrement hypothétique et que, s’il croyait qu’il avait été éliminé de ce processus de nomination de façon inéquitable, il disposait d’autres recours en vertu de la Loi.

[94]           Ces conclusions satisfont aux critères de la transparence, de l’intelligibilité et de la justification et elles appartiennent aux issues possibles acceptables.

[95]           L’autre problème que soulève la proposition du demandeur voulant que le Tribunal n’ait pas tenu compte de certains de ses arguments est le fait qu’il ne précise nulle part dans ses observations écrites quels sont les « éléments » dont le Tribunal n’a pas tenu compte. La Cour en est donc réduite à émettre des hypothèses à cet égard, ce qui cadre mal avec le principe selon lequel il appartient au demandeur de démontrer que la décision du Tribunal est déraisonnable. Dans le cas qui nous occupe, le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait à cet égard.

[96]           Le demandeur affirme également que la façon dont le Tribunal a abordé la question des mesures de représailles est entachée de lacunes. Il soutient que, comme les représailles constituent une forme de discrimination, le Tribunal avait l’obligation de déterminer d’abord s’il y avait une preuve prima facie de discrimination et de déterminer, seulement une fois cette étape franchie, si les explications du Ministère étaient raisonnables, ce qu’il n’a pas fait.

[97]           Dans l’arrêt Lincoln, précité, la Cour d’appel fédérale a jugé que, même si le Tribunal canadien des droits de la personne avait adopté une approche erronée pour décider s’il existait une preuve prima facie de discrimination, la preuve appuyait la « conclusion générale » du Tribunal selon laquelle l’intimé avait, dans cette affaire, fourni une explication raisonnable pour justifier sa décision de ne pas embaucher l’appelant et avait démontré que cette explication n’était pas un simple prétexte visant à justifier une conduite discriminatoire, de sorte que l’intervention de la Cour n’était pas justifiée (Lincoln, au paragraphe 23).

[98]           En l’espèce, le Tribunal a au final conclu que le Ministère avait fourni une explication raisonnable pour démontrer que sa décision de nommer Mmes Verner et V et M. B plutôt que le demandeur aux postes en litige ne constituait pas une mesure de représailles et que ces nominations n’étaient donc pas un simple prétexte visant à justifier une conduite discriminatoire. L’argument du demandeur suivant lequel le Tribunal a tiré cette conclusion sans vérifier d’abord s’il avait établi, par une preuve prima case, avoir été victime de discrimination est, dans ces conditions, sans importance.

[99]           En somme, je conclus que les conclusions du Tribunal suivant lesquelles le demandeur n’a pas établi que le Ministère a abusé de son pouvoir au cours du processus de nomination en litige ou pris des mesures de représailles contre lui parce qu’il avait déposé des plaintes au sujet de ce processus étaient raisonnables.

E.                 Les allégations de partialité

[100]       Le demandeur affirme que le Tribunal [traduction« voulait seulement donner gain de cause à Sa Majesté » comme en fait foi sa décision. Il affirme que lorsqu’on l’examine du point de vue de la personne éclairée, l’affaire suscite une crainte raisonnable de partialité.

[101]       Dans une décision rendue dans le présent dossier le 21 novembre 2014 en réponse à une question préliminaire, la Cour d’appel fédérale a conclu que les « allégations de partialité non fondées [du demandeur] constituent un abus de procédure » (Abi‑Mansour c Ministère des Affaires autochtones, 2014 CAF 272 au paragraphe 14). Pour reprendre les propos de la Cour d’appel fédérale, les allégations du demandeur ne fournissent qu’un autre exemple de « personnes qui demandent l’aide de la Cour en sa qualité d’arbitre indépendant et qui ensuite se plaignent à répétition de sa partialité lorsque les décisions de la Cour ne répondent pas à leurs attentes » (idem).

[102]       Les allégations de partialité sont très graves parce qu’elles remettent en question l’intégrité de l’administration de la justice tout entière (Coombs c Canada (Procureur général), 2014 CAF 222 au paragraphe 14). Elles doivent être formulées explicitement et sans équivoque et ne peuvent reposer sur de « vagues insinuations ». Là encore, les allégations de partialité du demandeur ne sont pas fondées et elles constituent un abus de procédure.

IV.             Les dépens

[103]       Le demandeur réclame les dépens, indépendamment de l’issue de la cause, y compris tous ses débours ainsi qu’une indemnité pour le congé qu’il a dû prendre de son travail pour compléter le dossier. Il affirme que, comme il dispose de peu de moyens, on ne devrait pas s’attendre à ce qu’il paie les dépens, d’autant que la présente instance soulève des questions d’importance publique.

[104]       Le Ministère affirme que le demandeur devrait être condamné aux dépens, lesquels devraient être fixés à un taux plus élevé compte tenu des allégations injustifiées de parti pris formulées par le demandeur au cours de l’instance et des accusations non fondées de parjure qu’il a formulées contre les témoins du Ministère. Le Ministère réclame au total 9 551,00 $ en honoraires et débours.

[105]       L’article 400 des Règles des Cours fédérales confère à la Cour « le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer ». Pour exercer ce pouvoir discrétionnaire, la Cour doit tenir compte de divers facteurs tels que le résultat de l’instance et la conduite des parties. Elle peut également tenir compte de toute autre question qu’elle estime pertinente. Elle doit également tenir compte des objectifs de l’adjudication des dépens, à savoir l’indemnisation, l’incitation à régler et la dissuasion de comportements abusifs.

[106]       Dans le cas qui nous occupe, je conclus qu’il n’y a aucune raison de déroger au principe général suivant lequel les dépens suivent l’issue de la cause et devraient par conséquent être adjugés au défendeur. Aux termes de l’article 407 des Règles, les dépens sont taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B des Règles, sauf ordonnance contraire de la Cour. Le défendeur a utilisé la colonne IV du tableau du tarif B pour calculer ses honoraires. La colonne III, qui s’applique aux affaires d’une complexité moyenne ou ordinaire, se veut un compromis entre une pleine compensation de la partie gagnante et l’imposition d’un fardeau écrasant à la partie qui n’a pas eu gain de cause (Air Canada c Thibodeau (2007), 375 N.R. 195, 2007 CAF 115 au paragraphe 24). Compte tenu du fait qu’en l’espèce le demandeur a déjà été condamné par le juge Roy et par la Cour d’appel fédérale à payer respectivement 250 $ et 500 $ à titre de dépens, j’estime que les dépens devraient être calculés conformément à la colonne III du tableau du tarif B.

[107]       Il y a lieu d’envisager la possibilité d’ajouter un autre montant de 250 $ à titre de dépens. Le 22 août 2013, la protonotaire Aronovitch a condamné le demandeur à payer un montant global de 250 $ au titre des dépens d’une requête, peu importe l’issue de la cause. Le demandeur a interjeté appel de cette ordonnance en vertu de l’article 51 des Règles et l’appel a été entendu à l’ouverture de l’instruction de la présente demande de contrôle judiciaire.

[108]       Cette ordonnance découle de requêtes successives introduites par le demandeur en vue de mettre son dossier de demande en état, notamment en ce qui concerne le dépôt de son affidavit. La protonotaire Tabib a prorogé pour la première fois le délai qui était imparti au demandeur aux termes d’une ordonnance prononcée le 13 juin 2013. Le demandeur a été en mesure de respecter le délai prorogé.

[109]       Toutefois, quelques semaines plus tard, le demandeur a présenté une requête en vue d’être autorisé à présenter un affidavit modifié. Dans les documents joints à sa requête, il soutenait que [traduction« la présente requête a dû être présentée à cause de la protonotaire Tabib » et « aurait pu être évitée si un protonotaire raisonnable avait jugé le dossier à la place de la protonotaire Tabib ». Le Ministère s’est opposé à la requête du demandeur.

[110]       Dans son ordonnance, la protonotaire Aronovitch a fait droit à la requête même si, à son avis, elle était à peine fondée. Voici les motifs pour lesquels elle a condamné le demandeur aux dépens :

[traduction]

Je ne crois pas que le défendeur se soit opposé inutilement à la requête. Quoi qu’il en soit, les excès de langage dirigés contre l’avocat du défendeur sont déplacés, tout comme l’allégation sans fondement d’abus de pouvoir formulé contre la Cour et, à mon avis, cette attitude mérite une sanction sous la forme d’une condamnation aux dépens. Je constate par ailleurs que le demandeur a déjà été averti à ce propos (Abi‑Mansour c Commission de la fonction publique, motifs de l’ordonnance sur la requête, 2013 CAF 116).

Suivant le paragraphe 410(1) des Règles, sauf ordonnance contraire de la Cour, les dépens afférents à la modification d’un acte de procédure fait par une partie sans autorisation sont à la charge de cette partie. Dans ces conditions, je ne vois aucune raison d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de manière à déroger à l’application du principe général.

[111]       Il est de jurisprudence constante que les ordonnances des protonotaires ne doivent pas être modifiées à moins que les questions soulevées dans la requête aient une influence déterminante sur l’issue du principal ou que l’ordonnance soit manifestement erronée parce qu’elle est entachée d’une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits (Merck & Co. c Apotex Inc, 2003 CAF 488, [2004] 2 RCF 459).

[112]       Il est évident que l’appel du demandeur ne soulève pas une question qui a une influence déterminante sur l’issue du principal. Il est également évident qu’en condamnant le demandeur aux dépens, la protonotaire Aronovitch n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits. Comme le défendeur le souligne, en citant à l’appui l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Sun Indalex Finance c Syndicat des Métallos, 2013 CSC 6, l’attribution de dépens est essentiellement une décision discrétionnaire et elle ne doit être annulée en appel que si le juge de première instance « a commis une erreur de principe ou si cette attribution est nettement erronée » (Sun Indalex Finance, au paragraphe 247).

[113]       En l’espèce, bien qu’on ne sache pas avec certitude si le paragraphe 410(1) des Règles s’applique aux modifications apportées à un affidavit avec l’autorisation de la Cour, il est clair que l’adjudication des dépens de la protonotaire Aronovitch, lorsqu’on lit l’ordonnance dans son ensemble, faisait suite aux accusations d’abus non fondées formulées contre la Cour. C’était, pour reprendre la formule employée par le défendeur, le point central de l’adjudication des dépens et les Règles justifiaient amplement cette ordonnance. Suivant la protonotaire Aronovitch, la requête en modification de l’affidavit du demandeur était à peine justifiée. Ajouter à ce qu’elle considérait à juste titre mon avis comme un comportement abusif de la part du demandeur, la protonotaire Aronovitch était en droit, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, de condamner le demandeur aux dépens.

[114]       Indépendamment du paragraphe 410(1) des Règles, il lui était loisible, dans ses conditions, de condamner la partie « qui obtient gain de cause » aux dépens, conformément au paragraphe 400(6) des Règles et d’utiliser son pouvoir discrétionnaire pour adjuger les dépens de manière à réprimer un comportement abusif et une conduite inacceptable, comme l’article 400 le lui permettait manifestement (Air Canada, précité, au paragraphe 24; Jean‑Pierre c Agence des Services frontaliers du Canada, 2014 CF 637 au paragraphe 21; McMeekin c Canada (Ressources humaines et Développement des compétences), 2011 CAF 165 au paragraphe 32).

[115]       Le demandeur affirme que l’ordonnance relative à l’adjudication des dépens de la protonotaire Aronovitch devrait être infirmée parce que le défendeur n’a pas réclamé de dépens sur ce point précis. Une partie n’est pas obligée de demander des dépens de cette manière. Le défendeur a effectivement réclamé ses dépens relativement à la requête du demandeur, ce qui suffisait pour faire intervenir le « pouvoir discrétionnaire » de la protonotaire Aronovitch d’adjuger les dépens sur la requête en question.

[116]       Enfin, le demandeur prétend que l’adjudication des dépens par la protonotaire Aronovitch ne peut être confirmée [traduction« étant donné qu’elle soumettra les plaideurs à une pression indue lorsqu’ils rédigent leur mémoire de crainte d’être condamnés aux dépens simplement parce que leur choix de mots ne plaît pas au protonotaire, empêchant ainsi les plaideurs de défendre, vigoureusement et sans crainte, leurs points de vue ».

[117]       Le demandeur passe à côté de la question. La seule limite imposée à la capacité d’un plaideur de défendre, vigoureusement et sans crainte, son point de vue, que ce soit devant notre Cour ou devant toute autre cour, est l’abus de procédure. Là encore, les propos inacceptables que le demandeur a tenus au sujet de la protonotaire Tabib, et qui ont donné lieu à la condamnation aux dépens contestée, ne sont qu’un autre exemple des tentatives faites par le demandeur pour chercher à obtenir l’aide de la Cour en sa capacité d’arbitre indépendant des litiges pour ensuite attaquer sans relâche ses membres lorsque les décisions de la Cour ne répondent pas à ses attentes. Le demandeur a été averti à de nombreuses reprises que cette façon d’agir constituait un comportement abusif, ce qui ne devrait pas être toléré.

[118]       L’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de l’ordonnance d’adjudication des dépens de la protonotaire Aronovitch est par conséquent rejeté, et les dépens, qui sont établis au montant de 250 $, sont adjugés au défendeur.


JUGEMENT

LA COUR :

1.      MODIFIE l’intitulé de la cause de façon à substituer au « ministère des Affaires autochtones » le « procureur général du Canada », et ainsi le constituer seul et unique défendeur;

2.      REJETTE la demande de contrôle judiciaire et ADJUGE au défendeur les dépens, qui devront être taxés conformément à la colonne III du tableau du tarif B;

3.      REJETTE l’appel de l’ordonnance du 22 août 2013 de la protonotaire Aronovitch, et ADJUGE au défendeur les dépens, qui sont fixés à 250 $.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T ‑550‑13

INTITULÉ :

PAUL ABI‑MANSOUR c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 NOVEMBRE 2014

jugement et motifs :

le juge LEBLANC

DATE DU JUGEMENT :

LE 17 JUILLET 2015

COMPARUTIONS :

Paul Abi‑Mansour

Le demandeur

(pour son propre compte)

Christine Langill

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Paul Abi‑Mansour

LE demandeur

(pour son propre compte)

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE défendeur

 

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