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Date : 20150723


Dossier : IMM-6986-14

Référence : 2015 CF 897

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

NAGWANG JENPA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], qui vise la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a conclu que M. Nagwang Jenpa [le défendeur] avait qualité de réfugié au sens de la Convention.

II.                Le contexte

[2]               Le défendeur allègue qu’il est né au Tibet et qu’il est devenu moine après avoir terminé l’école primaire. En 1991, il a quitté le Tibet et il s’est rendu en Inde en raison des restrictions quant aux pratiques religieuses qui avaient été mises sur pied par les autorités chinoises.

[3]               Le défendeur allègue aussi qu’il a d’abord poursuivi sa vie de moine en Inde, mais qu’il a par la suite renoncé à la vie religieuse et qu’il s’est marié. Il allègue qu’il a participé à des manifestations en Inde en faveur d’un Tibet libre, et que l’Inde avait l’intention de l’expulser en Chine en raison de ces activités politiques. Le défendeur soutient qu’il n’a pas le droit d’obtenir la citoyenneté en Inde.

[4]               Le défendeur est entré au Canada le 11 août 2012, et il a présenté une demande d’asile le 13 septembre 2012, laquelle est fondée sur sa crainte d’être persécuté pour ses opinions politiques et ses croyances religieuses.

III.             La décision contestée

[5]               La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le défendeur est un ressortissant tibétain et qu’il n’a pas, tout comme les autres Tibétains, le droit d’obtenir un statut en Inde, de sorte qu’il existe une possibilité qu’il soit renvoyé en Chine dans l’éventualité de son renvoi en Inde.

[6]               La SPR a aussi conclu que la preuve documentaire objective mentionnait, parmi les autres risques, que les autorités chinoises procèdent en ce moment à une répression de nature culturelle et religieuse sur le territoire tibétain et qu’elles se livrent à des violations des droits fondamentaux des personnes d’origine ethnique tibétaine.

[7]               La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le défendeur serait exposé à la persécution s’il était renvoyé en Chine et que la protection de l’État ne lui serait pas offerte. Par conséquent, la SPR a conclu que le défendeur avait qualité de réfugié au sens de la Convention et elle a accueilli sa demande d’asile.

[8]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SPR et il fait valoir que l’omission de cette dernière de tenir compte des éléments du critère applicable en matière d’octroi de l’asile constitue une erreur déterminante.

IV.             La question en litige

[9]               La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions en litige suivantes :

a)         La SPR a‑t‑elle commis une erreur en omettant de tenir compte des éléments du critère applicable en matière d’octroi de l’asile?

V.                La norme de contrôle applicable

[10]           La norme de contrôle applicable en l’espèce est la raisonnabilité.

VI.             Analyse

[11]           Les parties conviennent que le pays de référence est la Chine et non l’Inde. Les parties conviennent aussi que la SPR a commis une erreur en affirmant que, même si le défendeur « ne [respecte] pas les principes de base nécessaires pour obtenir le statut de réfugié », le droit canadien prévoit que les ressortissants tibétains sont apatrides et qu’ils doivent être déclarés réfugiés au Canada s’ils sont capables de prouver leur identité. Le demandeur soutient que cette erreur est déterminante quant à la présente demande.

[12]           Le défendeur soutient que la mauvaise description du droit applicable faite par la SPR ne porte pas un coup fatal à la décision, puisque les erreurs de droit ne sont pas toutes fatales à la décision d’un tribunal administratif (citant les arrêts Ramirez c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 CF 306, 89 DLR (4th) 173 (CAF) [Ramirez] et Schaaf c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1984] 2 CF 334 [1984] ACF no 157 (QL) (CAF) [Schaaf]). Le défendeur est d’avis que l’affirmation de la SPR était générale et qu’elle ne portait pas précisément sur sa demande d’asile, et il prétend que la SPR a fait une appréciation raisonnable de la preuve et qu’elle n’a pas fondé sa décision favorable sur sa compréhension erronée du droit en ce qui concerne le statut d’apatride des Tibétains.

[13]           La Cour est d’accord avec les parties pour dire que les précédents judiciaires canadiens n’appuient pas la thèse de la SPR selon laquelle les ressortissants tibétains doivent se voir accorder le statut de réfugié s’ils ont établi leur identité. De plus, les précédents invoqués par le défendeur se distinguent de l’espèce et ne s’appliquent pas. Dans Ramirez, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il était difficile de déterminer quel critère juridique la SPR avait appliqué et, aussi, que la cause de l’appelant, laquelle était fondée sur un dossier bien étoffé, n’était pas du tout un cas limite. Dans l’arrêt Schaaf, la Cour d’appel fédéral était saisie d’une affaire se rapportant à une omission en matière procédurale, et elle a conclu que la conduite du demandeur et de son avocat dans cette affaire démontrait qu’une allégation n’était pas contestée, de sorte que toute omission ne constituait pas un élément au sujet duquel le demandeur se plaignait.

VII.          Conclusion

[14]           La Cour convient avec le demandeur que l’erreur de droit commise par la SPR était au cœur même de l’analyse, ce qui soulevait des doutes quant à la portée de l’analyse, y compris la possible omission de tenir compte de l’ensemble de la preuve et de mener une analyse adéquate. Bien que l’omission de la SPR d’inclure l’ensemble des arguments, des dispositions législatives, des précédents judiciaires et des autres détails auxquels la cour de révision aurait pu donner préséance n’est pas déterminant en soi, je conclus que l’absence de ces éléments dans les motifs pourrait bien être le résultat d’une issue prédéterminée de la SPR qui reposait sur un principe de droit erroné.

[15]           La Cour convient aussi avec le demandeur que le fait que la SPR se soit fondée sur cette thèse incorrecte démontre que le fondement même de sa décision était erroné et que la SPR avait mal compris le critère auquel le défendeur devait satisfaire.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre tribunal de la SPR pour nouvelle décision quant à la demande d’asile du défendeur.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6986-14

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c NAGWANG JENPA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 30 JUIN 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

lE JUGE ANNIS

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

lE 23 JUILLET 2015

 

COMPARUTIONS :

Amy King

POUR LE DEMANDEUR

 

D. Clifford Luyt

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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