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Date : 20150729


Dossier : T-1332-14

Citation : 2015 CF 925

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

CLAUDETTE BROSNAN

demanderesse

et

LA BANQUE DE MONTRÉAL

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Claudette Brosnan a présenté une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F‑7. Mme Brosnan conteste la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) de rejeter sa plainte en application du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (la Loi).

[2]               Mme Brosnan affirme que la Banque de Montréal (la Banque) a omis d’enquêter sur sa plainte selon laquelle la Banque n’avait pas pris les mesures d’adaptation raisonnables à l’égard de sa déficience lorsqu’elle était revenue au travail. Elle soutient également que l’enquêteur de la Commission (l’enquêteur) a omis d’interroger deux témoins clés.

[3]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que l’enquêteur de la Commission avait omis d’examiner la plainte de Mme Brosnan selon laquelle la Banque n’avait pas pris des mesures d’adaptation raisonnables à l’égard de la déficience de Mme Brosnan. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie en partie, et l’affaire sera renvoyée à la Commission afin que celle‑ci enquête sur cet aspect de la plainte de Mme Brosnan.

II.                Le contexte

[4]               Mme Brosnan a commencé à travailler à la Banque en 1991. Elle a été promue à un certain nombre de reprises et elle a en fin de compte exercé les fonctions de directrice adjointe des produits en 2007.

[5]               Le 17 juillet 2009, Mme Brosnan est partie en congé d’invalidité après avoir reçu un diagnostic d’anxiété et de dépression. Aucune date de retour n’avait été établie. En juillet 2010, la Banque a doté le poste de directeur adjoint des produits de Mme Brosnan de façon permanente en nommant un autre employé. À un certain moment en août ou septembre 2010, Mme Brosnan a été jugée médicalement apte à retourner au travail sans restriction, et elle a informé la Banque en conséquence.

[6]               Le 4 octobre 2010, Mme Brosnan est retournée travailler à temps partiel; cependant, elle assumait des fonctions différentes à un endroit différent. En juin 2011, la Banque a informé Mme Brosnan que son nouveau poste serait supprimé [traduction] « sans motif » en raison d’une restructuration de l’entreprise. En août 2011, l’emploi de Mme Brosnan à la Banque a pris fin.

[7]               Mme Brosnan a déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne à la Commission le 14 novembre 2011, dans le cadre de laquelle elle prétend avoir été victime de discrimination fondée sur la déficience, ce qui constitue une infraction prévue aux articles 7 et 14 de la Loi. La plainte alléguait trois pratiques discriminatoires de la part de la Banque : a) différence préjudiciable de traitement; b) défaut d’offrir un milieu de travail exempt de harcèlement; c) cessation d’emploi. Mme Brosnan a également prétendu que la Banque avait omis d’offrir des mesures d’adaptation à l’égard de son état de santé, ce qui a causé une détérioration importante de sa santé mentale.

[8]               En avril 2013, après une tentative infructueuse de médiation, la Commission a confié l’examen de la plainte de Mme Brosnan à l’enquêteur. Le 15 avril 2013, l’enquêteur a écrit à l’avocat de Mme Brosnan et l’a invité à formuler des commentaires relativement à la défense de la Banque par rapport à l’allégation. Dans les observations présentées le 21 mai 2013, l’avocat de Mme Brosnan a consacré 10 paragraphes au sujet [traduction] « omission de prendre des mesures d’adaptation ».

[9]               En février 2014, l’enquêteur a publié le rapport. Mme Brosnan et la Banque ont reçu une copie du rapport et ont été invitées à formuler des commentaires sur ses conclusions. L’avocat de Mme Brosnan a répondu en présentant une observation de 11 pages qui mettait principalement l’accent sur l’omission de l’enquêteur d’examiner la plainte de Mme Brosnan selon laquelle la Banque n’avait pas rempli son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la déficience de Mme Brosnan.

[10]           Le 23 avril 2014, la Commission a adopté les conclusions de l’enquêteur et a rejeté la plainte de Mme Brosnan en application du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi. Le 29 avril 2014, la Commission a informé Mme Brosnan que sa plainte avait été rejetée. La courte lettre faisait seulement état des observations des parties et du fait que la Commission avait examiné le rapport et qu’elle avait décidé de rejeter la plainte, étant donné qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer les allégations de Mme Brosnan. Par conséquent, la Commission a conclu qu’il n’était pas justifié que le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) mène une autre enquête.

III.             La décision de la Commission

[11]           Lorsque la Commission fournit seulement de brefs motifs à l’appui d’une décision d’examen préalable aux termes du paragraphe 44(3) de la Loi, un rapport de l’enquêteur peut être considéré comme étant les motifs complets de la Commission aux fins de contrôle de la décision (Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404 (Sketchley), aux paragraphes 37 et 38; Syndicat canadien de la fonction publique (division du transport aérien) c Air Canada, 2013 CF 184 (SCFP), au paragraphe 72). Par conséquent, la décision de la Commission comprend la lettre datée du 29 avril 2014 de David Langtry, président par intérim, et le rapport de l’enquêteur.

[12]           Le rapport faisait état de quatre questions soulevées par les allégations de discrimination contenues dans la plainte de Mme Brosnan : la question de savoir si la Banque (i) avait traité Mme Brosnan de manière différente et préjudiciable; (ii) avait privé Mme Brosnan de possibilités d’emploi; (iii) avait omis de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement; (iv) avait mis fin à l’emploi de Mme Brosnan, et ce, sur le fondement d’une déficience (dépression et anxiété).

[13]           Le rapport a commencé par un examen de l’allégation de Mme Brosnan selon laquelle elle avait été traitée d’une manière différente et préjudiciable parce que son poste avait été doté de façon permanente alors qu’elle était en congé de maladie et qu’elle n’avait reçu aucune aide pour trouver un poste comparable à son retour. Mme Brosnan a également prétendu avoir reçu peu de formation, voire aucune, relativement à son nouveau poste. L’enquêteur n’a pas été en mesure d’interroger Katherine Archdekin, gestionnaire de Mme Brosnan, alors qu’elle était en congé d’invalidité. Néanmoins, l’enquêteur a constaté que, bien que la Banque ait omis de fournir suffisamment d’aide à Mme Brosnan, cela n’a pas semblé avoir causé un retard important quant à son retour au travail. En outre, l’enquêteur a conclu que Mme Brosnan avait reçu la même formation [traduction] « en cours d’emploi » que d’autres personnes dans des situations similaires lorsqu’elle avait occupé ses nouvelles fonctions. L’enquêteur a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier une analyse approfondie de cet aspect de la plainte.

[14]           L’enquêteur a ensuite examiné la plainte de Mme Brosnan selon laquelle la Banque l’avait privée de possibilités d’emploi. Mme Brosnan a prétendu qu’elle avait postulé pour des emplois dans un certain nombre de succursales de la région du Grand Toronto, mais que, malgré le fait qu’elle soit une candidate qualifiée, elle n’avait reçu qu’une offre d’emploi. L’enquêteur a conclu que Mme Brosnan avait postulé pour quatre postes et qu’elle avait été choisie pour l’un de ceux‑ci. L’enquêteur a conclu que les candidats choisis pour les autres postes étaient plus qualifiés que Mme Brosnan.

[15]           L’enquêteur a ensuite abordé l’allégation de Mme Brosnan selon laquelle elle avait été victime d’intimidation et de violence verbale et traitée de manière irrespectueuse par d’autres employés au sein de la succursale où elle travaillait à la suite de son retour au travail après son congé d’invalidité. L’enquêteur a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer l’allégation de Mme Brosnan selon laquelle la Banque avait omis d’offrir un milieu de travail exempt de harcèlement.

[16]           Finalement, l’enquêteur a examiné l’allégation de Mme Brosnan selon laquelle elle avait été congédiée en raison de sa déficience. L’enquêteur a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve donnant à penser que la décision de la Banque de mettre fin à l’emploi de Mme Brosnan était liée à sa déficience. La preuve donnait plutôt à penser que l’élimination du poste de Mme Brosnan était liée à la restructuration de l’entreprise.

[17]           À la suite de son examen, la Commission a décidé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer la plainte de Mme Brosnan et qu’il n’était pas justifié que le Tribunal effectue une autre enquête.

IV.             Les questions en litige

[18]           Mme Brosnan a soulevé un certain nombre de questions à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, mais elle a ultimement mis l’accent sur les questions suivantes :

A.    la question de savoir si la Commission a omis de traiter la plainte de Mme Brosnan selon laquelle la Banque n’avait pas pris les mesures d’adaptation nécessaires à l’égard de la déficience de Mme Brosnan;

B.     la question de savoir si la décision de la Commission de rejeter la plainte était déraisonnable, étant donné que l’enquêteur de la Commission n’a pas recueilli le témoignage de deux témoins clés.

V.                Analyse

[19]           Les questions d’équité procédurale, y compris celle de savoir si l’enquête de la Commission était suffisamment approfondie et si elle a abordé tous les aspects d’une allégation, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Khela c Établissement de Mission, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Joshi c Banque Canadienne Impériale de Commerce, 2015 CAF 92, au paragraphe 6).

[20]           En l’absence d’un manquement à l’équité procédurale ou d’une erreur de droit, la décision de la Commission de ne pas déférer une plainte au Tribunal est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10 (Halifax), au paragraphe 17; voir également Alkoka c Canada (Procureur général), 2013 CF 1102, aux paragraphes 37 à 39). La Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).

[21]           Si les conclusions de fait de la Commission sont raisonnables, l’analyse porte alors sur la question de savoir si le rejet de la plainte par la Commission était également raisonnable. Il faut faire montre de retenue à l’égard de la décision de la Commission, quoique la Cour doive être consciente qu’une décision rendue par la Commission de rejeter une plainte est une décision définitive qui met fin à la possibilité de recours du plaignant (Attaran c Canada (Procureur général), 2015 CAF 37, au paragraphe 14; Moors c Ministre du Revenu national, 2015 CF 446, au paragraphe 19).

A.                La question de savoir si la Commission a omis de traiter la plainte de Mme Brosnan selon laquelle la Banque n’avait pas pris les mesures d’adaptation nécessaires à l’égard de la déficience de Mme Brosnan.

[22]           Mme Brosnan soutient que la Commission a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale en omettant de traiter sa plainte concernant l’obligation de la Banque de prendre des mesures d’adaptation. Il est bien établi qu’un rapport d’enquête sur lequel se fonde la Commission doit être neutre et complet, et que les parties doivent avoir eu la possibilité d’y répondre (Canada (Procureur général) c Davis, 2010 CAF 134, au paragraphe 6; Vos c Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2010 CF 713, au paragraphe 44; Carroll c Canada (Procureur général), 2015 CF 287 (Carroll), au paragraphe 60). Une appréciation de la rigueur d’une enquête comprend un examen de la question de savoir si le rapport subséquent traite des questions les plus fondamentales soulevées dans la plainte du demandeur (Carroll, au paragraphe 61). La rigueur implique également que la Commission doit, par équité procédurale, répondre aux observations qui vont au cœur des conclusions de l’enquêteur (Carroll, aux paragraphes 68 à 71, citant l’arrêt Sketchley, au paragraphe 37; voir également Canada (Procureur général) c Davis, 2009 CF 1104, au paragraphe 56, et Herbert c Canada (Procureur général), 2008 CF 969 (Herbert), au paragraphe 26).

[23]           La Banque fait valoir que l’enquêteur a examiné avec rigueur l’ensemble des allégations de fait de Mme Brosnan relativement à la plainte de différence préjudiciable de traitement portée par cette dernière. L’enquêteur a conclu que rien ne donnait à penser que la décision de la Banque de doter le poste de Mme Brosnan de façon permanente durant son congé d’invalidité, la nature de l’aide pour assurer un autre emploi à Mme Brosnan au sein de l’organisation, le traitement de Mme Brosnan dans ses nouvelles fonctions ou la cessation définitive de son emploi étaient de nature discriminatoire.

[24]           Selon la Banque, le retour d’un employé au travail n’est pas une forme de mesure d’adaptation en soi. La question relative aux mesures d’adaptation raisonnables est soulevée seulement lorsqu’un employé retourne au travail et que ses limitations ou ses restrictions nécessitent des mesures d’adaptation afin de lui permettre d’exécuter les fonctions liées à son travail. En l’espèce, Mme Brosnan est retournée travailler sans restriction ni limitation; par conséquent, la Banque affirme que la question relative à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’a jamais été soulevée. En termes simples, la Banque dit que la plainte de Mme Brosnan ne concernait pas l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation.

[25]           La Banque s’appuie sur Tutty c Canada (Procureur général), 2011 CF 57 (Tutty). En l’espèce, le juge Barnes a conclu que l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation n’exigeait pas que la restructuration de l’entreprise soit mise en suspens en attendant la remédiation à la déficience d’un employé touché :

[26] […] Étant donné l’abolition de son poste, M. Tutty n’aurait pu demander d’autres mesures d’accommodement pour ses limitations apparemment non résolues que s’il avait accepté un nouveau poste tout en maintenant qu’il continuait son plan de retour au travail, auquel il restait des étapes. Étant donné la restructuration légitime de l’entreprise, M. Tutty n’avait pas de [traduction] « droit » spécial d’être maintenu à son poste existant du simple fait que la mesure d’accommodement qu’il recevait n’était pas encore parvenue à son terme. […]

[26]           La décision Tutty appuie l’argument de la Banque selon lequel l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’exige pas qu’un employeur maintienne un poste existant pour un employé alors que l’entreprise subit une restructuration. Cependant, la plainte de Mme Brosnan portait également sur la façon dont elle a été réintégrée dans l’effectif et le traitement qu’elle a subi à son nouveau poste. Bien que la Banque puisse avoir des arguments solides à formuler en ce qui concerne l’application élargie de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation en l’espèce, il n’en demeure pas moins que l’enquêteur n’a pas abordé cet aspect de la plainte de Mme Brosnan dans le rapport.

[27]           Le rapport a reconnu que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation était un aspect de la plainte de Mme Brosnan : [traduction] « La plaignante déclare qu’elle n’a eu aucun problème de rendement et que les problèmes relatifs à son aptitude à assumer ses fonctions concernaient l’omission de la Banque de prendre des mesures d’adaptation à son retour au travail. » Malgré cette déclaration, l’enquêteur n’a pas examiné cet aspect de la plainte de Mme Brosnan en ce qui concerne les éléments suivants : a) la décision de la Banque de doter le poste de Mme Brosnan de façon permanente pendant son congé d’invalidité; b) le refus de la Banque de créer un poste comparable, malgré le fait qu’elle aurait promis de le faire; c) l’omission de la Banque d’aider Mme Brosnan à obtenir un nouveau poste au sein de l’organisation; d) la décision de la Banque de mettre fin à l’emploi de Mme Brosnan.

[28]           Lorsque la Commission n’aborde pas les observations qui vont au cœur de la plainte faisant l’objet de l’examen, cela a des répercussions sur l’équité procédurale de l’enquête et la décision qui en résulte. Comme le juge Zinn l’a expliqué dans la décision Herbert :

[26] […] Lorsque les parties, dans leurs observations au sujet du rapport, ne contestent pas les conclusions de fait tirées par l’enquêteur, mais présentent simplement des arguments pour obtenir une conclusion différente, il n’est pas inapproprié pour la Commission de fournir une réponse courte sous forme de lettre type. Cependant, lorsque ces observations font état d’omissions importantes ou substantielles dans l’enquête et étayent ces affirmations, la Commission doit mentionner ces divergences et préciser pourquoi, à son avis, elles ne sont pas importantes ou ne suffisent pas à mettre en doute la recommandation de l’enquêteur; sinon, on ne peut que conclure que la Commission n’a pas du tout pris en considération ces observations. […]

[Non souligné dans l’original.]

[29]           En plus de soulever l’obligation de prendre des mesures d’adaptation dans la plainte initiale de Mme Brosnan, son avocat a souligné l’omission de l’enquêteur d’aborder cette question dans les observations ultérieures à la Commission. Malgré les objections de Mme Brosnan, la Commission n’a fait aucune référence à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation dans sa décision de rejeter la plainte.

[30]           Rien ne démontre que la Commission a tenu compte des préoccupations de Mme Brosnan concernant le fait qu’il a été omis d’aborder l’obligation de la Banque de prendre des mesures d’adaptation dans le rapport. Rien dans la décision de la Commission ne répond aux observations de Mme Brosnan. Il semble qu’elles aient simplement été écartées. Cela constituait sans l’ombre d’un doute une violation du droit de Mme Brosnan à l’équité procédurale. Comme le juge Mosley l’a déclaré dans la décision Carroll :

[traduction]

[67]      La jurisprudence établit clairement qu’une enquête qui n’aborde pas le fond d’une plainte, qui n’examine pas une question pertinente ou qui ne tient pas compte d’éléments de preuve essentiels est inéquitable parce qu’elle n’est pas complète. Ce manque d’équité se traduit par une décision éventuelle de rejet rendue par la Commission. La question de savoir si le plaignant a été en mesure de présenter des observations n’est pas pertinente. Si les observations ont été présentées, mais écartées, cela ne donne pas plus de profondeur à l’enquête, bien au contraire.

[31]           Ce manque de profondeur mine la décision de la Commission (Herbert, aux paragraphes 26, 30 et 31; Carroll, au paragraphe 85), et l’affaire doit donc être renvoyée à la Commission pour nouvel examen.

B.                 La question de savoir si la décision de la Commission de rejeter la plainte était déraisonnable, étant donné que l’enquêteur de la Commission n’a pas recueilli le témoignage de deux témoins clés

[32]           Mme Brosnan se plaint que l’enquêteur a omis d’interroger Katherine Archdekin, qui était sa gestionnaire au moment de son congé d’invalidité et de son retour au travail. Mme Brosnan a également fait part de préoccupations concernant l’omission de l’enquêteur d’interroger Sandy Kwan, qui était la superviseure de Mme Brosnan pendant une partie du congé d’invalidité de celle‑ci. Mme Kwan a été remplacée par Mme Archdekin à un certain moment entre mars et juin 2010 avant que Mme Brosnan retourne travailler. Étant donné que les allégations de Mme Brosnan concernent principalement son retour au travail et les incidents subséquents, il semble que le témoignage de Mme Kwan n’aurait pas été un élément essentiel quant au règlement de la plainte. Il faut souligner que Mme Kwan n’était pas inscrite dans la liste de témoins fournie par Mme Brosnan à l’enquêteur.

[33]           Selon le rapport, l’enquêteur a tenté de s’entretenir avec Mme Archdekin, qui n’était plus une employée de la Banque, en l’appelant à son domicile et en laissant des messages à deux occasions. Mme Archedkin n’a jamais rappelé l’enquêteur. Par conséquent, l’enquêteur a abordé ainsi les allégations de Mme Brosnan à l’encontre de Mme Archdekin :

[traduction]

La plaignante allègue que sa gestionnaire, Mme Archdekin, ne l’a pas aidée dans ses tentatives de trouver un emploi comparable. Les tentatives faites par l’enquêteur pour s’entretenir avec Mme Archdekin ont été infructueuses. Cependant, selon le témoignage de Mme Pirani [consultante en gestion de la santé chez Sun Life], la Banque a coopéré dans le cadre du retour au travail de la plaignante. De plus, la preuve donne à penser que la plaignante est retournée travailler le 4 octobre 2010 (c.‑à‑d. un peu plus d’un mois après avoir informé la Banque qu’elle serait en mesure de retourner travailler). Par conséquent, bien que Mme Archdekin n’ait pas aidé la plaignante à trouver un autre poste, il semble que cela n’ait pas retardé le retour au travail de la plaignante. Il semble donc qu’il n’y ait pas suffisamment d’éléments de preuve pour donner à penser qu’une autre analyse doive être menée quant à cet aspect de l’allégation.

[34]           La Commission possède un pouvoir discrétionnaire étendu et un « degré remarquable de latitude » dans l’exécution de sa fonction d’examen préalable des plaintes, et il ne faut pas intervenir à la légère (Bell Canada c SCEP, [1999] 1 CF 113 (CAF), au paragraphe 38; SCFP, au paragraphe 63). La conclusion tirée par un tribunal administratif est raisonnable dès lors qu’elle a « un fondement rationnel » (Halifax, au paragraphe 47). Cependant, la décision de rejeter une plainte en se fondant sur une enquête lacunaire sera elle‑même lacunaire, car, « [s]i les rapports sont défectueux, il s’ensuit que la Commission ne disposait pas d’un nombre suffisant de renseignements pertinents pour exercer à bon droit son pouvoir discrétionnaire » (Grover c Canada (Conseil national de recherches), 2001 CFPI 687 (CF 1re inst) (Grover), au paragraphe 70).

[35]           Dans la décision Grover, le juge Heneghan a déclaré ce qui suit au sujet de la nécessité de l’interrogation d’un témoin clé par l’enquêteur :

[71]      Le large pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission lorsqu’il s’agit de déterminer si une plainte doit être rejetée ou si elle doit être renvoyée à l’arbitrage devant un tribunal ne permet pas à la Commission, à mon avis, de contourner la procédure d’enquête et de ne faire aucun cas d’un témoin nécessaire. De fait, l’omission d’interroger une personne qui est liée d’une façon cruciale au présumé acte discriminatoire peut nous amener à inférer que l’enquêteur a préjugé de l’affaire.

[36]           Dans la décision Singh c Canada (Procureur général), 2001 CFPI 198 (CF 1re inst) (Singh), conf. par 2002 CAF 247, le juge McKeown a déclaré ce qui suit :

[23] […] toute enquête relative à une pratique discriminatoire doit, à tout le moins, déterminer l’identité du décideur et comporter quelques questions sur les raisons pour lesquelles le décideur a pris la décision qu’il a prise. En l’espèce, cela signifie que l’enquêteur aurait dû tenter de savoir qui, dans les faits, a pris la décision de ne pas renouveler le contrat de la demanderesse et pourquoi. Le décideur aurait dû être interrogé sur les allégations de discrimination de la demanderesse et sur sa thèse selon laquelle le ministère a inventé des prétextes après coup pour cacher la raison du non-renouvellement de son contrat.

[37]           Les décisions Grover et Singh ont traité de situations où l’enquêteur avait omis de tenir compte de questions qui étaient fondamentales pour les plaintes des demandeurs. Dans la décision Singh, la demande de contrôle judiciaire a été accueillie parce que l’enquêteur avait omis d’examiner la question de savoir si les motifs de congédiement étaient un prétexte pour user de discrimination. Cependant, en l’espèce, les questions que Mme Archdekin aurait pu aider à élucider ont été explicitement abordées dans le rapport. Dans la décision Grover, aucune tentative n’a été faite pour interroger le témoin clé. Cependant, en l’espèce, des efforts raisonnables ont été déployés par l’enquêteur pour communiquer avec Mme Archdekin. Étant donné que celle‑ci n’était plus employée par la Banque, celle‑ci ou la Commission ne pouvait pas faire grand-chose pour la contraindre à participer à l’enquête. Au lieu de cela, la Banque a fourni des renseignements supplémentaires sur les circonstances entourant le retour au travail de Mme Brosnan, au moyen de réponses écrites à des questions en date du 4 juin 2013. Ces réponses comprennent ce qui suit :

[traduction]

La Banque était en mesure [selon ses politiques] de doter le poste de façon permanente après une absence de la plaignante pendant 12 semaines, mais [la Banque] a choisi de redistribuer le travail de la plaignante et de garder le poste de celle‑ci vacant jusqu’à ce qu’il soit devenu nécessaire de doter le poste de façon permanente.

La Banque a décidé de doter le poste de la plaignante de façon permanente le ou vers le 22 avril 2010, après avoir appris de la Sun Life qu’il n’y avait pas de date prévue pour le retour au travail, en raison de l’état de la plaignante à l’époque. Au moment où cette décision a été prise, la gestionnaire de la plaignante a communiqué avec elle par téléphone et elle l’a informée que son poste serait doté durant son absence et qu’elle serait appuyée pour trouver un autre poste lorsqu’elle serait prête et apte à retourner au travail.

[38]           Les réponses de la Banque ont également fourni des précisions sur la nature de l’aide offerte à Mme Brosnan pour lui trouver un autre emploi et sur la formation qui est habituellement donnée aux personnes qui exercent les fonctions de directeur adjoint de succursale pour la première fois. Sauf en ce qui concerne Mme Archdekin et Mme Kwan, l’enquêteur a été en mesure de parler directement aux témoins qui avaient été impliqués dans les incidents qui étaient pertinents quant aux plaintes de Mme Brosnan.

[39]           Par conséquent, je suis convaincu que l’enquêteur a déployé des efforts raisonnables pour établir la raison pour laquelle la Banque avait décidé de doter le poste de Mme Brosnan de façon permanente alors qu’elle était en congé d’invalidité, ainsi que la façon dont la Banque avait aidé Mme Brosnan à trouver un autre poste au sein de l’organisation. En fait, Mme Brosnan avait été en mesure de trouver un nouveau poste dans le mois après avoir fait part de sa volonté de retourner au travail. À cet égard, les conclusions tirées par la Commission avaient un « fondement rationnel » et étaient donc raisonnables. 

VI.             Conclusion

[40]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie en partie. La plainte de Mme Brosnan est renvoyée à la Commission afin que celle‑ci enquête sur son allégation selon laquelle la Banque a omis de prendre des mesures d’adaptation raisonnables à l’égard de sa déficience.

[41]           Étant donné que les parties ont toutes les deux eu partiellement gain de cause quant à la demande de contrôle judiciaire, aucuns dépens ne leur sont adjugés.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie. La plainte de Mme Brosnan est renvoyée à la Commission afin que celle‑ci enquête sur son allégation selon laquelle la Banque a omis de prendre des mesures d’adaptation raisonnables à l’égard de sa déficience. Aucuns dépens ne sont adjugés aux parties.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1332-14

 

INTITULÉ :

CLAUDETTE BROSNAN c BANQUE DE MONTRÉAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto, ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 20 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge fothergill

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

le 29 JUILLET 2015

COMPARUTIONS :

Craig Colraine

pour la demanderesse

 

Frank Cesario

POUR la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Birenbaum, Steinberg, Landau Savin and Colraine, LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Hicks Morley Hamilton Stewart Storie, LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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