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Date: 20150728


Dossier : IMM-1304-14

Référence : 2015 CF 927

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

FAN LI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUDGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [Loi], de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié [la Commission] le 28 janvier 2014 [la décision] et par laquelle elle a conclu que le demandeur avait perdu son statut de réfugié au sens de la Convention, en application du paragraphe 108(2) de la Loi.

II.                LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Chine. En juin 2004, il s’est vu accorder l’asile au Canada au motif qu’il craignait d’être persécuté du fait de ses activités en tant qu’adepte du Falun Gong.

[3]               En septembre 2013, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a constaté que le demandeur revenait de son deuxième ou troisième séjour en Chine en deux ans.

[4]               En octobre 2013, le défendeur a présenté une demande voulant que le demandeur perde son droit d’asile. Il a soutenu que ce dernier s’était réclamé de nouveau et volontairement de la protection de la Chine.

III.             LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[5]               Le 28 janvier 2014, la Commission a conclu que le demandeur avait cessé d’être un réfugié parce qu’il s’était réclamé de nouveau et volontairement de la protection de la Chine.

[6]               La Commission avait plusieurs réserves quant à la crédibilité du demandeur. Elle a mentionné que celui‑ci avait souvent hésité avant de répondre à des questions simples, qu’il avait fait fi des directives de la Commission voulant qu’il fasse une pause de façon à ce qu’une interprétation exacte puisse être faite et qu’il n’avait pas témoigné d’une façon qui était franche et convaincante. La Commission a aussi mentionné que le témoignage du demandeur avait changé. Par exemple, ce dernier avait déclaré qu’il s’était rendu en Chine en 2013 pour assister au mariage de son frère. Dans ses observations finales, il a affirmé avoir effectué ce voyage parce que son grand‑père était malade. La Commission a conclu qu’il s’agissait d’un embellissement et que cela rendait le demandeur encore moins crédible.

[7]               Selon la Commission, le fait que le demandeur se soit réclamé de nouveau de la protection de la Chine a été établi de deux façons : il a renouvelé son passeport chinois à deux reprises depuis qu’il a obtenu l’asile, et il a fait des allers‑retours entre le Canada et la Chine où il a souvent séjourné pendant de longues périodes. La Commission a admis que le renouvellement de passeport n’est peut‑être pas un élément de preuve suffisant en soi, mais elle a conclu que les allers‑retours en question ont été faits « à maintes reprises » et que le demandeur a séjourné « longuement » en Chine.  

[8]               C’est grâce au témoignage du demandeur et à des cachets apposés sur son passeport il a été établi que celui-ci s’était rendu en Chine :

         En 2005, le demandeur a passé un mois en visite dans sa famille. Il croyait que son statut de réfugié lui donnait le droit de se réclamer de la protection de la Chine. Il a appris que ce n’était pas le cas, en mars 2006.

         En 2007, le demandeur a séjourné pendant trois mois en Chine où il s’est marié, a fait un voyage de noces et a passé du temps avec la famille de son épouse.

         En 2009, le demandeur a passé deux mois avec son épouse.

         En 2011, le demandeur a voyagé d’abord pour passer du temps avec sa grand‑mère malade. Il affirme que son séjour s’est prolongé de cinq mois parce qu’il attendait d’obtenir le visa lui permettant de revenir au Canada.

         En 2013, le demandeur est resté deux mois en Chine pour assister au mariage de son frère.

[9]               La Commission a conclu que les voyages démontraient que le demandeur s’était réclamé de nouveau et volontairement de la protection de la Chine. Elle a précisé que le seul voyage qui semblait motiver par une urgence était celui qu’il avait fait pour rendre visite à sa grand‑mère malade. La Commission a conclu qu'il est difficile de croire que le demandeur a réellement cru que son statut de réfugié lui assurait la protection de la Chine. Elle a rejeté l’allégation du demandeur selon laquelle il ne savait rien au sujet de l’asile parce que le défendeur avait omis de lui fournir un manuel de directives lorsque le demandeur avait obtenu le statut de réfugié. Selon la Commission, même si elle a reconnu qu’il s’agissait d’une erreur de compréhension de la part du demandeur, ce dernier a reconnu avoir appris en 2006 qu’il s’était trompé.

[10]           La Commission a également examiné une décision de la Section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SAI] dans laquelle celle-ci s’est penchée sur la décision d'un agent des visas de refuser la demande présentée un demandeur en vue de parrainer son épouse. Ce dernier a témoigné devant la SAI que si son parrainage échouait, il retournerait en Chine pour démarrer une entreprise. Selon la Commission, ces propos ont démontré une absence de crainte subjective.

[11]           La Commission a conclu que la demandeur avait perdu son statut de réfugié.   

IV.             LA QUESTION EN LITIGE

[12]           Le demandeur soulève deux questions en l’espèce :

1.      Le demandeur a-t-il eu droit à une audience équitable, compte tenu du fait qu’il n’était pas représenté par un conseiller juridique devant la Commission?

2.      La Commission a-t-elle manqué à l’équité procédurale lorsqu’elle n’a pas ajourné l’audience pour permettre au demandeur de consulter un conseiller juridique avant de présenter ses observations finales?

V.                LA NORME DE CONTRÔLE

[13]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’est pas nécessaire de procéder à l’analyse relative à la norme de contrôle applicable dans tous les cas. Ainsi, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question particulière dont la cour de révision est saisie a été établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, il est loisible à la cour de révision de l’adopter. Ce n’est que dans les cas où cette recherche se révèle infructueuse, ou que la jurisprudence pertinente semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire, que cour de révision procédera à l'examen des quatre facteurs qui constituent l'analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[14]           Le demandeur soutient que la question en litige est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : Costeniuc c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1495 [Costeniuc]; Mervilus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1206 [Mervilus]; Nemeth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 590 [Nemeth]. Cependant, la question que doit trancher la Cour n’est pas particulièrement assujettie à la norme de la décision correcte. La Cour doit tout simplement déterminer si le demandeur a eu droit ou non à une audience équitable : Ha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CAF 49, au paragraphe 42.

VI.             LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[15]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Rejet

Rejection

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

(a) the person has voluntarily reavailed themself of the protection of their country of nationality;

[…]

[…]

Perte de l’asile

Cessation of refugee protection

(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).

(2) On application by the Minister, the Refugee Protection Division may determine that refugee protection referred to in subsection 95(1) has ceased for any of the reasons described in subsection (1).

Effet de la décision

Effect of decision

(3) Le constat est assimilé au rejet de la demande d’asile.

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected.

[…]

[…]

Conseil

Right to counsel

167. (1) L’intéressé qui fait l’objet de procédures devant une section de la Commission ainsi que le ministre peuvent se faire représenter, à leurs frais, par un conseiller juridique ou un autre conseil.

167. (1) A person who is the subject of proceedings before any Division of the Board and the Minister may, at their own expense, be represented by legal or other counsel.

Représentation

Representation

(2) Est commis d’office un représentant à l’intéressé qui n’a pas dix-huit ans ou n’est pas, selon la section, en mesure de comprendre la nature de la procédure.

 

(2) If a person who is the subject of proceedings is under 18 years of age or unable, in the opinion of the applicable Division, to appreciate the nature of the proceedings, the Division shall designate a person to represent the person.

VII.          L’ARGUMENTATION

A.                Le demandeur

[16]           Le demandeur prétend qu’il n’a pas eu droit à une audience équitable devant la Commission, parce qu'il n’était pas représenté par un conseil : Mervilus, précitée, au paragraphe 17; Siloch c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 151 NR 76 (CAF). La tenue d’une audience équitable est le principe fondamental de l’équité procédurale : Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643; Austria c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 423. La Cour doit tenir compte des facteurs suivants pour déterminer si le demandeur a eu droit ou non à une audience équitable : la nature de l’instance, la complexité de l’instance et la gravité des allégations.

[17]           Le demandeur reconnaît qu’il n’existe pas de droit absolu à la présence d’un conseil : Costeniuc, précitée, aux paragraphes 10‑14 et 16. Cependant, il mentionne que l’importance du droit à un conseil est reconnue à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11, à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, LC 1960, c 44, et à l’article 167 de la Loi. Le demandeur reconnaît également avoir avisé la Commission qu’il était prêt à poursuivre sans la présence d’un conseil. Cependant, il ajoute que la Commission était tenue de lui donner une autre occasion de retenir les services d’un conseil dès que la complexité de l’affaire et que les questions juridiques en cause sont devenues évidentes : Bulut c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1627; Yusuf c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 629 (CA); Kumar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] 2 CF 14 (CA); Quiroa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 271. Le demandeur affirme qu’il n’a pas sciemment, volontairement ou intentionnellement renoncé à son droit à la présence d’un conseil et qu’il n’était pas en mesure de s’y retrouver, sans aide, dans de telles procédures complexes. 

[18]           Le demandeur affirme également que la Commission a commis une erreur en n’ajournant pas l’audience pour lui laisser le temps de consulter un conseil avant de présenter ses observations finales.

B.                 Le défendeur

[19]           Le défendeur fait valoir qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale. La Cour ne dispose d’aucun élément de preuve lui donnant à penser que le fait de se représenter soi‑même a une incidence sur le droit du demandeur à une audience équitable. Le fait que le conseil aurait pu être en mesure d’avancer des arguments différents n’entraîne pas un manquement à l’équité procédurale.

VIII.       L’ANALYSE

[20]           Le demandeur affirme qu’il n’y a qu’une seule question en litige : un manquement à l’équité procédurale occasionné par la tenue d’une audience sans que le demandeur soit représenté par un conseiller juridique. Cependant, dans son mémoire, le demandeur mentionne l’omission d’ajourner l’audience comme une deuxième question possible à trancher. Il peut vouloir dire la même chose.

[21]           Pour des raisons que le demandeur ne précise pas, il n’a pas fourni à la Cour un affidavit personnel. Par conséquent, la Cour ne dispose pas d’un fondement probatoire complet qui lui permettrait de vérifier les affirmations du demandeur selon lesquelles il y a manquement à l’équité procédurale.

[22]           Les parties conviennent que le demandeur n’avait pas un droit absolu aux services d’un conseil et que le commissaire de la Commission a raison lorsqu’il dit que « M. Li, s’est vu demander s’il était disposé à aller de l’avant avec cette demande sans l’aide d’un conseil, et il a répondu par l’affirmative » (dossier certifié du tribunal [DCT], à la page 4).

[23]           Je ne dispose d’aucun élément de preuve selon lequel le demandeur était désorienté ou ne comprenait pas, ou, encore, selon lequel il n’a pu d’aucune façon présenter son point de vue à l’audience. L’avocat actuel du demandeur affirme simplement ce qui suit (dossier du demandeur, à la page 178) :

[traduction]

Quoi qu’il en soit, la question est de savoir si, compte tenu de la complexité d’une telle affaire et des questions juridiques en cause, et compte tenu de ce qui pouvait s’être passé à mesure que l’audience progressait, il incombait au tribunal de procéder à un examen plus approfondi de l’affaire, de faire des mises en garde au demandeur, de s’assurer qu’il avait parfaitement compris la nature de l’instance et peut‑être d’ajourner l’audience, dans l’intérêt de la justice naturelle, afin de lui donner une dernière possibilité raisonnable de retenir les services d’un conseiller juridique.

[24]           Seul le demandeur peut nous dire s’il a trouvé l’affaire complexe, s’il a eu des problèmes lors de l’audience ou s’il avait besoin d’un ajournement. Il n’a fourni aucun élément de preuve à cet égard. Les prétentions d’un conseiller juridique selon lesquelles l’audience pourrait avoir été inéquitable ne constituent pas une preuve d’un manquement à l’équité procédurale.

[25]           Une demande de contrôle judiciaire n’est pas rejetée du revers de la main en raison de l’absence d’un affidavit personnel de la part d’un demandeur. Les affidavits provenant de tiers peuvent être utilisés tant qu’ils se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle. Voir, par exemple, l’arrêt Wang c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 CF 165 (CA) [Wang], où la Cour d’appel fédérale a statué qu’un demandeur doit certifier ses éléments de preuve « à moins que l’erreur qui entacherait la décision de nullité ressorte du dossier » (à 170). Dans l’arrêt Wang, la demande était étayée par un affidavit personnel du demandeur.

[26]           La Cour d’appel fédérale a confirmé l’arrêt Wang dans l’arrêt Moldevenau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 235 NR 192 (CAF) dans lequel la demande était étayée par un affidavit signé par un technicien en droit du cabinet juridique de l’avocat représentant le demandeur. Selon la Cour d’appel fédérale (au paragraphe 15) :

La pratique proposée par la Cour dans l’arrêt Wang v. Canada (Minister of Employment and Immigration) et suivie par les juges de la Section de première instance, qui consiste à exiger que l’aspirant immigrant présente lui-même la preuve dans les affaires relatives aux décisions d’agents des visas « à moins que l’erreur qui entacherait la décision de nullité ressorte du dossier », est, selon nous, empreinte de beaucoup de sagesse.

(note en bas de page omise)

Voir également Nelson c Le Commissaire du Service correctionnel (1996), 206 NR 180 (CAF), au paragraphe 5.

[27]           Dans la décision Turcinovica c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 164 [Turcinovica], la juge Dawson a résumé ainsi le droit applicable :

[11]      Au début des plaidoiries, l’avocat du ministre a déclaré que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée parce qu’elle n’était pas appuyée par un affidavit adéquat. Mme Turcinovica n’avait déposé aucun affidavit et la demande était appuyée par l’affidavit de l’assistant de l’avocat de Mme Turcinovica. Selon l’avocat du ministre, l’obligation de la demanderesse de produire un affidavit fondé sur ses connaissances personnelles n'était pas remplie. En conséquence, il estimait que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée parce qu’elle n’était pas appuyée par un affidavit adéquat.

[12]      Selon la jurisprudence, lorsqu’une demande de contrôle judiciaire n’est pas appuyée par des affidavits fondés sur la connaissance personnelle du demandeur, il n’en résulte pas automatiquement un rejet de la demande : voir les décisions suivantes : Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 788 (C.F. 1re inst.); Moldeveanu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 235 N.R 192 (C.A.F.); Ominayak c. Nation indienne du lac Lubicon, [2000] A.C.F. no 247, infirmée sans commentaires sur cet aspect, (2000) 267 N.R. 96 (C.A.F.).

[13]      En l’espèce, je suis convaincue que l’affidavit présenté à la Cour suffit à établir l’existence de la demande de résidence permanente ainsi que son rejet. Je ne suis donc pas disposée à rejeter sur ce fondement la demande de contrôle judiciaire.

[14]       Il importe de souligner que, lorsqu’aucune preuve fondée sur la connaissance personnelle n’est produite au soutien d’une demande de contrôle judiciaire, toute erreur alléguée par le demandeur doit être manifeste au vu du dossier. Voir l’affaire Moldeveanu, précitée, au par. 15.

[15]      C’est ce que prescrit la règle 81(1) des Règles de la Cour fédérale, 1998, selon laquelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête, les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle.

Voir également la décision Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1152, aux paragraphes 4 et 5 [Zheng].

[28]           La demande de contrôle judiciaire a été rejetée dans la décision Turcinovica comme dans la décision Zheng. Toutefois, dans plusieurs affaires, la Cour a fait droit à la demande de contrôle judiciaire malgré l’absence d’affidavit personnel de la part du demandeur : voir Koky c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1407 [Koky]; Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 224 [Patel]; Sarmis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 110 [Sarmis]; Ly c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1184 [Ly]. Il ressort dans chacun de ces affaires que la Cour a limité son examen aux erreurs qui étaient évidentes à première vue. Par exemple, dans la décision Patel, la Cour a fait droit à la demande de contrôle judiciaire parce que la décision n’était pas conforme à la jurisprudence de la Cour fédérale. Dans les décisions Koky et Sarmis, la Cour a fait droit à la demande de contrôle judiciaire, parce que la Commission avait appliqué un critère juridique erroné. Dans la décision Ly, la Cour a fait droit à la demande de contrôle judiciaire parce que la Commission a tiré des conclusions de fait qui n’étaient pas compatibles avec la preuve du demandeur, malgré l’absence d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[29]           Compte tenu de la jurisprudence susmentionnée, j’ai également examiné la transcription de l’audience pour voir si, à première vue, il y a preuve de confusion, d’incompréhension ou d’iniquité.

[30]           La jurisprudence générale concernant la question de savoir si un demandeur a eu droit à une audience équitable devant la Commission a été résumée récemment par la Cour dans la décision Navaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 274 [Navaratnam] :

[36]      Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que la Commission a manqué à son obligation de veiller de plus près aux intérêts des demandeurs lors de l’audition de leur demande d’asile, étant donné qu’ils se représentaient eux-mêmes. Au soutien de cette prétention, les demandeurs invoquent les jugements Nino, Austria, Mervilus, Siloch et Nemeth.

[37]      La Cour a statué de nombreuses fois dans des affaires d’immigration que le droit à l’avocat n’est pas absolu (Mervilus, aux paragraphes 17 à 25). Mme la juge Danièle Tremblay‑Lamer a affirmé, dans la décision Austria, au paragraphe 6, que « [c]e qui est absolu, toutefois, c’est le droit à une audience équitable. Pour qu’une audience se déroule équitablement, le demandeur doit être capable de « participer utilement à l’instance » (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Fast, 2001 CFPI 1269, [2002] 3 CF 373, aux paragraphes 46 et 47).

[38]      Dans la décision Nino, bien que la Cour ait statué qu’un ajournement devrait être accordé, c’était parce que l’avocat de la demanderesse avait demandé un ajournement, mais la Commission avait procédé à la tenue de l’audience en l’absence de l’avocat. De même, dans l’affaire Mervilus, un ajournement avait été demandé en raison de la non-disponibilité de l’avocate, et la Commission avait commis une erreur en n’accordant pas l’ajournement demandé. Aussi, dans la décision Siloch, la Cour a statué que le rejet par la Commission de la demande d’ajournement du demandeur était déraisonnable, parce que la Commission avait commis une erreur lorsqu’elle avait pénalisé la demanderesse pour la conduite répréhensible antérieure de son avocat. Ces affaires peuvent être distinguées de la présente affaire au plan des faits parce qu’en l’espèce, il n’y a eu aucune demande d’ajournement.

[39]      En ce qui concerne la décision Austria, aux paragraphes 8 et 9, la Cour a statué que la Commission n’avait pas manqué à l’équité procédurale en permettant à un demandeur d’asile de procéder sans avocat après que la Commission eut confirmé que le demandeur d’asile était prêt et après lui avoir expliqué le processus d’audience. Cette décision n’étaye d’aucune façon les arguments des demandeurs.

[40]      Dans la décision Nemeth, la Cour a fait droit à la demande de contrôle judiciaire et a expliqué, au paragraphe 10, que « [l]a Commission savait que les Nemeth avaient été représentés jusqu’à quelques jours avant l’audience », mais elle n’était pas « consciente de la possibilité que les revendicateurs fussent mal préparés pour présenter eux-mêmes leur cas ». M. le juge James O’Reilly a conclu qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale parce qu’« [e]u égard aux circonstances, la Commission avait l’obligation de s’assurer que les Nemeth comprenaient la procédure, qu’ils avaient une possibilité raisonnable de produire des preuves au soutien de leurs revendications et qu’ils avaient l’occasion de persuader la Commission que leurs revendications étaient fondées ».

[41]      En l’espèce, les demandeurs soutiennent que la Commission a manqué à l’équité procédurale : 1) la Commission n’a pas expliqué la procédure; 2) elle ne les a pas aidés à naviguer dans le processus; 3) elle n’a pas veillé à ce que les demandeurs comprennent toujours la procédure; 4) elle les a invités à formuler des observations finales; 5) elle n’a pas proposé un ajournement.

[42]      En l’espèce, je ne pense pas que la Commission ait dirigé l’audience d’une manière qui porte atteinte à l’équité procédurale. Premièrement, je suis convaincu que la Commission a effectivement expliqué le processus aux demandeurs. Le dossier démontre que la Commission a aidé les demandeurs à plusieurs occasions à naviguer au cours de l’audience, par exemple à la page 159, au début de l’audience, et à la page 201, vers la fin de l’audience. Deuxièmement, bien que la Commission ait prié les demandeurs de clarifier et d’expliquer leurs réponses à plusieurs reprises au cours de l’audience, l’audience prise dans son ensemble, tel qu’il appert du dossier, ne montre pas que les demandeurs n’ont pas compris la procédure. Troisièmement, j’estime que, lorsque la Commission a invité les demandeurs à formuler des observations finales au soutien de leur demande, la Commission tentait de guider les demandeurs dans le cadre du processus, et elle ne posait pas un acte inapproprié, comme les demandeurs l’ont allégué. Enfin, en l’absence d’une demande d’ajournement, la Commission n’est pas tenue d’offrir un ajournement chaque fois qu’elle se trouve devant un demandeur d’asile qui se représente lui-même. À mon avis, conclure le contraire imposerait un fardeau considérable à la Commission et au processus relatif aux demandes d’asile. En l’espèce, comme dans l’affaire Austria, la Commission s’est acquittée de son obligation en confirmant que les demandeurs étaient prêts à procéder sans avocat (dossier certifié du tribunal, à la page 158). Par conséquent, l’audience était équitable, et la conduite de la Commission n’a pas porté atteinte à l’équité procédurale.

[31]           Le demandeur invoque un certain nombre de décisions pour démontrer que la Commission est tenue de s’assurer qu’il avait droit à une audience équitable. La Cour fait état de certaines d’entre elles dans la décision Navaratnam. Je vais examiner les décisions en question d’une manière plus détaillée.

[32]           Dans la décision Mervilus, précitée, la Cour a jugé que les facteurs suivants devaient être pris en compte lorsque la demande d’ajournement d’un demandeur en vue de faire appel à un conseil est refusée : 

[25]      On peut donc dégager les principes suivants de la jurisprudence : bien que le droit à l’avocat ne soit pas absolu dans une procédure administrative, le fait de refuser au justiciable la possibilité de se constituer un avocat en n’accordant pas une remise est susceptible de contrôle judiciaire si les facteurs suivants sont en jeu : la cause est complexe, les conséquences de la décision sont graves, le justiciable n’a pas les ressources, qu’il s’agisse de capacité intellectuelle ou de connaissances juridiques, pour bien représenter ses intérêts.

[26]      Tous ces facteurs sont présents en l’espèce. L’audience avait pour but de démontrer que le demandeur avait rempli les conditions du sursis. Elle était également, à l’insu apparemment du demandeur, une audience pour décider de l’appel de l’ordonnance d’expulsion. Le commissaire a fait ressortir les lacunes du dossier; personne n’a plaidé les points positifs. Le demandeur a appris juste la veille de l’audience qu’il comparaîtrait seul. Les conséquences sont très graves : en éloignant le demandeur du Canada, on l’éloigne de la seule famille qu’il a, puisqu’il n’a plus de famille à Haïti. On l’éloigne en outre de ses enfants. La première décision en 1997 parlait des faibles capacités intellectuelles du demandeur, d’ailleurs un obstacle à son intégration facile à la vie sociale. On ne peut, en lisant la transcription, croire un instant que le demandeur a eu droit à une audience équitable, puisqu’il est incapable de plaider sa cause. En outre, j’ajouterais que le demandeur avait une expectative raisonnable d’obtenir une remise, puisqu’il avait toujours comparu accompagné d’un avocat.

[27]      Le demandeur avait pris certaines mesures pour régler la dette de la sécurité sociale. Il avait un emploi, disait-il, mais aucune preuve. Le demandeur ne pouvait s’exprimer correctement ni organiser sa présentation. Il n’avait pas en main les preuves qu’il avait remises à son avocate. Depuis six ans, il avait eu droit à un sursis de l’exécution de la mesure de renvoi, grâce notamment à la représentation des avocats qui avaient plaidé sa cause à chaque année. Il était manifestement absolument dépourvu pour aborder la question de l’appel, qui se décide alors qu’il n’en paraît pas conscient. Il ne prend contact avec un avocat qu’après réception de la décision écrite, le 13 octobre (alors que la décision est rendue oralement le 16 septembre). Difficile de croire qu’il ait saisi sur le coup le sens des mots prononcés par le commissaire :

Le sursis est donc annulé et l’appel est rejeté et la mesure d’expulsion est donc exécutoire. Alors, je vous remercie, je vous souhaite une bonne fin de journée.

[28]      Il m’apparaît tout à fait injuste de clore le dossier de façon définitive en ne lui accordant pas la chance de se faire entendre par un tribunal impartial.

[33]           Dans la décision Austria, précitée, la Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire parce qu’elle a jugé que le demandeur avait bien compris les questions en jeu et qu’il avait eu droit à une audience équitable. Le demandeur était au départ représenté par un conseil. Ce dernier s’était retiré un jour avant l’audience prévue. Le demandeur s’est vu accorder un ajournement afin de pouvoir faire appel à un conseil. Il s’est présenté seul à la nouvelle audience et a affirmé qu’il était disposé à poursuivre sans conseil. En rejetant la demande de contrôle judiciaire, la Cour a souligné ce qui suit :

[8]        Je signale tout d’abord qu’il ressort clairement des notes sténographiques que le demandeur a indiqué sans l’ombre d’un doute qu’il était prêt à procéder sans avocat à l’audience du 20 avril 2005. Par ailleurs, aucun ajournement n’a été demandé et, contrairement à ce que laisse entendre le demandeur, rien n’indique qu’il a subi des pressions quelconques pour procéder. Il ne peut pas se plaindre maintenant de son choix, alors qu’il a eu toutes les chances possibles de le faire à l’audience.

[9]        J’estime en outre que la Commission a pris les précautions nécessaires pour que le demandeur puisse participer utilement à l’instance et que l’audience s’est déroulée équitablement. En effet, un interprète était présent. Le président de l’audience a expliqué en termes fort simples et directs la manière de procéder, le fardeau de la preuve, les cinq motifs prévus par la Convention et la définition d’une personne à protéger, de même que l’importance de la crédibilité. À l’audience, la Commission a pris le temps qu’il fallait pour s’assurer que le demandeur comprenait les documents, comme son formulaire de renseignements personnels. La Commission a pris note des éléments de preuve que l’avocat précédent du demandeur avait soumis antérieurement. Elle a également donné au demandeur la possibilité d’introduire ses propres preuves documentaires. Enfin, à plus d’une occasion, elle a demandé au demandeur s’il comprenait ce qu’on lui demandait, ce à quoi il a systématiquement répondu par l’affirmative

[10]      En résumé, les notes sténographiques montrent que l’on a veillé spécialement à ce que le demandeur comprenne bien les questions en jeu et que, en tant que demandeur non représenté, il a eu une audience équitable.

[34]           Dans la décision Conseillant c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 49, la Cour a fait droit à la demande de contrôle judiciaire parce que la demanderesse n’avait pas eu droit à une audience équitable. La demanderesse était analphabète et n’avait pas examiné les documents; elle avait mentionné à la Commission qu’elle ne comprenait pas les règles procédurales et qu’elle n’avait pas été en mesure de se préparer, et avait ajouté qu’elle aimerait être représentée par un avocat, mais qu’elle ignorait comment obtenir l’aide d’un avocat et qu’elle recourrait aux services d’un avocat si l’aide juridique lui en fournissait un. Le conseil du ministre a proposé un ajournement parce que la demanderesse n’avait présenté aucun document ou n’avait même pas correctement rempli son formulaire de renseignements personnels. Le ministre a déclaré que les renseignements manquants étaient essentiels pour l’audience. L’instance n’avait pas été ajournée auparavant. La Commission a rejeté la demande et a tenu l’audience. La Cour a conclu que la demanderesse n’avait pas eu droit à une audience équitable compte tenu du fait qu’elle était de toute évidence mal préparée et qu’elle n’avait pas compris la nature de l’instance.

[35]           Dans la décision Costeniuc, précitée, le demandeur était représenté par une avocate. La Commission a accordé un ajournement parce que l’avocate n’avait pas pu se présenter à l’audience prévue pour des raisons de santé. Le jour précédant la nouvelle audience, l’avocate a demandé un autre ajournement parce qu’elle ne pouvait, encore une fois, être présente pour des raisons de santé. La SAI n’a pas donné suite à la demande. Elle a demandé au demandeur s’il acceptait que l’appel soit instruit en l’absence de son avocate et il a répondu par l’affirmative. Toutefois, il a également dit ce qui suit à la SAI :

[10]      […] qu’il n’avait pas parlé à son conseil, qu’il n’avait pas vu ou examiné le dossier de 300 pages (sauf pendant l’ajournement de cinq minutes que la SAI lui a accordé), qu’il n’avait fait entendre que sa conjointe de fait comme témoin (Me Ritter avait prévu faire entendre 10 témoins), qu’il ne comprenait pas la différence entre contester le bien‑fondé de la décision de la SI et invoquer des motifs d’ordre humanitaire et qu’il ne savait pas ce qu’il pouvait dire pour défendre sa cause. Lors de ses observations finales, il a simplement déclaré qu’il s’était senti blessé par les observations négatives présentées par l’avocat du ministre. Il a essayé de fournir des explications à ce sujet, mais le tribunal lui a répondu que ce n’était pas le moment d’en parler. Cependant, la Commission a donné à M. Costeniuc l’occasion de déposer des éléments de preuve documentaire supplémentaires après l’audience.

[11]      À mon avis, les circonstances de l’espèce sont semblables à celles qui sont visées dans les affaires Mervilus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1206, et Nemeth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 590, dans lesquelles la Cour reconnaissait l’obligation fondamentale de garantir une audience équitable aux demandeurs non représentés.

[12]      En l’espèce, la SAI n’a pas abordé expressément la possibilité d’un ajournement. Maître Ritter en avait demandé un par écrit, mais la SAI n’a pas tenu compte de cette demande. Elle a simplement demandé à M. Costeniuc s’il était prêt à ce que l’appel soit instruit en l’absence de son conseil.

[13]      De plus, l’affaire dont était saisie la SAI était grave. Le droit de M. Costeniuc de continuer à résider au Canada avec sa conjointe et leur enfant était menacé.

[14]      Ajoutons que des questions juridiques complexes entraient en ligne de compte, dont le bien-fondé de la décision de la SI de même que les divers motifs d’ordre humanitaire en jeu : l’établissement de M. Costeniuc au Canada, notamment ses activités commerciales et sa situation financière; l’intérêt supérieur d’un enfant né au Canada; et les difficultés auxquelles chacun des membres de la famille serait exposé si M. Costeniuc était renvoyé du Canada.

[15]      Après avoir lu la transcription, j’ai constaté que M. Costeniuc n’était pas en mesure d’aborder sérieusement ces questions. Il n’avait eu aucune rencontre avec son conseil. Il avait été expressément amené à croire, vu plusieurs engagements pris à son égard, que son conseil serait présente à l’audience ou qu’elle trouverait quelqu’un pour la remplacer. N’ayant reçu aucun avis à l’effet contraire, il s’attendait tout naturellement à ce qu’elle soit présente ou qu’elle se fasse remplacer. Étant donné qu’elle avait été absente lors de plusieurs autres audiences, M. Costeniuc n’aurait pas été surpris qu’elle ne soit pas en mesure de se présenter. Par ailleurs, à moins d’en avoir été avisé formellement, il n’aurait pas pu supposer qu’elle ne se présenterait pas ce jour‑là. Il semble que Me Ritter ait pris des démarches pour informer la SAI et l’avocat du ministre de sa situation, mais rien ne prouve qu’elle ait avisé M. Costeniuc.

[16]      Par conséquent, M. Costeniuc a droit à une nouvelle audience. S’il n’avait pas un droit absolu à la présence d’un conseil, il avait le droit indéniable à une audience équitable. Vu l’ensemble de l’instance, j’estime que ce droit lui a été refusé.

[36]           Dans le même ordre d’idées, dans la décision Nemeth, précitée, les demandeurs ont retenu les services d’un avocat peu avant la tenue de leur audience, mais ce dernier n’a pu y assister. L’avocat a demandé un ajournement, mais la Commission n’a pas répondu. La Cour a conclu que les demandeurs n’avaient pas eu droit à une audience équitable, étant donné qu’il était devenu évident, tout au long de l’audience, que les demandeurs étaient mal préparés pour cette dernière.

[37]           Selon mon examen de la jurisprudence, une audience est équitable tant que le demandeur comprend la nature de l’instance et est prêt à se représenter lui-même. Dans le cas des parties qui se représentent elles‑mêmes, la Commission peut être obligée d’expliquer le processus au demandeur et de préciser la nature de la décision rendue. Les conséquences de la décision et la complexité de l’affaire peuvent avoir une incidence lorsqu’il s’agit de décider si une audience est équitable.

[38]           À mon avis, un examen du dossier me permet de conclure que le demandeur a eu droit à une audience équitable. Bien que les conséquences de la décision puissent être très graves pour le demandeur, le dossier révèle que ce dernier était préparé pour l’instance et qu’il avait bien compris la nature de la question et les principes que la Commission doit appliquer pour déterminer s’il s’était réclamé de nouveau de la protection de la Chine.

[39]           Le dossier révèle que la présente instance n’est pas d’une grande complexité et qu’aucune nouvelle question n’a été soulevée tout au long de l'audience. La Commission et le conseil du ministre ont expliqué ce qu’il faudrait que la Commission prenne en considération pour déterminer si le demandeur s’était réclamé de nouveau de la protection de la Chine. Il lui faudrait notamment examiner la jurisprudence applicable, les principes et les documents d’orientation, et fournir des explications dans [traduction] « un langage clair » (DCT, aux pages 250‑256).

[40]           La Commission a également donné la possibilité au demandeur de présenter des éléments de preuve documentaires, même si la date limite était passée depuis longtemps. Le demandeur a d’abord refusé, puis il a finalement présenté une copie de son passeport (DCT, aux pages 233‑234), parce qu’il croyait, a‑t‑il mentionné, que la copie fournie dans les documents du ministre contenait des erreurs. Il semble donc évident que le demandeur avait examiné la trousse de documentation en vue de l’audience. 

[41]           L’indice le plus clair démontrant que le demandeur a bien compris la nature de l’instance se trouve dans les observations finales de ce dernier. Il n’a pas contesté le fait qu’il avait effectué les voyages en question (ils ont été attestés par les cachets apposés sur son passeport et son témoignage de vive voix), de sorte que la seule question que devait trancher la Commission était de savoir si les voyages aller‑retour en Chine permettaient d’établir que le demandeur se réclamait de nouveau de la protection de ce pays. Le demandeur a présenté des observations au sujet de la question de savoir si ses antécédents de voyage permettent de conclure qu’il s’est de nouveau réclamé de la protection de la Chine (DCT, aux pages 258‑261). Il a expliqué que ce n’était par choix qu’il avait fait les voyages. Il a expliqué les circonstances entourant chaque voyage, en précisant que, dans tous les cas, il s’agissait de situations d’urgence ou d’affaires familiales urgentes. Il a également présenté des observations selon lesquelles il continuait de craindre la persécution en Chine, malgré les voyages qu’il y avait faits, et qu'il avait pris des mesures pour assurer sa sécurité pendant qu’il était en Chine. Il a également répondu aux observations du ministre. Cela me porte à croire que le demandeur a bien compris la nature de l’instance, les principes directeurs et les éléments de preuve sur lesquels la Commission s’est fondée pour rendre sa décision. Il était loisible à la Commission de conclure que les voyages permettaient d’établir que le demandeur se réclamait de nouveau de la protection de la Chine. Le fait que le demandeur n’accepte pas la conclusion de la Commission ne veut pas dire qu’il ne s’est pas vu accorder une occasion raisonnable de faire valoir ses arguments.

[42]           Rien dans la transcription n’indique que le demandeur n’a pas compris certains éléments de procédure ou la question en cause, ou encore que l’affaire était d’une complexité particulière. Malheureusement, sans un affidavit déposé par le demandeur, la Cour ne peut qu’examiner la transcription qui révèle que le demandeur avait bien compris la nature de l’instance et la question particulière de savoir s’il s’était réclamé de nouveau de la protection de la Chine.

[43]           Il est aussi à signaler que le demandeur lui-même n'a pas demandé un ajournement ou un report de l'audience, c’est le conseil du ministre qui l’a proposé. Après que la Commission a expliqué pourquoi elle n’était pas disposée à accorder au demandeur un ajournement, ce dernier a répondu qu’il avait bien compris et qu’il était entièrement d’accord avec l’idée de la Commission de faire une brève pause à la place (DCT, à la page 257).

[44]           En outre, rien n’indique que le demandeur a été représenté ou qu'il souhaitait l’être. En fait, lorsque la Commission a demandé au demandeur s’il était disposé à poursuivre sans conseil, celui‑ci a répondu sans équivoque [traduction] « oui ». Plus tard, au cours de l’audience, le demandeur a mentionné à la Commission que [traduction] «  Même si un avocat est présent [sic], je vais dire la même chose » (DCT, à la page 259), ce qui laisse entendre qu’il estimait ne pas avoir besoin d’un conseil pour présenter ses arguments.

[45]           Le demandeur était préparé; il avait manifestement examiné la trousse de documentation et examiné ses propres éléments de preuve; il a répondu aux questions qui lui ont été posées, a présenté des observations finales qui portaient sur le critère juridique et a répondu aux observations de la conseil de ministre. À mon avis, le demandeur a eu droit à une audience équitable devant la Commission.

[46]           Certes, la Cour partage les préoccupations de l’avocat du demandeur, à savoir que, malgré ce que celui‑ci a dit et fait, il peut tout de même ne pas avoir bien compris la pleine nature de l’instance ou ne pas s’être vu accorder une occasion raisonnable de faire valoir ses arguments. Je suis d’avis que les demandeurs sont toujours mieux servis lorsqu’ils sont représentés par un conseil compétent. Il semble aller de soi qu’une personne qui a vraiment bien compris la gravité d’une situation ne déciderait pas de se représenter elle‑même. Toutefois, en l’espèce, cette réserve instinctive peut avoir une réponse. Dans la demande de parrainage de son épouse, le demandeur a mentionné que si la demande était rejetée « il retournerait en Chine où il démarrerait peut‑être une entreprise avec [son épouse] » (DCT, à la page 193). Lors de son audience relative à la perte de l’asile, la Commission a demandé au demandeur si la SAI avait, à l’époque, énoncé de façon exacte ses intentions. Le demandeur a répondu [traduction] « oui » (DCT, à la page 245). Il semble donc que ce dernier n’est manifestement pas quelqu’un qui craint la persécution au point où il n’est pas prêt à retourner en Chine pour des raisons familiales.

[47]           Les avocats ont convenu qu’il n’y avait aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.      La demande est rejetée.

2.      Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1304‑14

 

INTITULÉ :

FAN LI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 AVRIL 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 28 JUILLET 2015

COMPARUTIONS :

Robert Israel Blanshay

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert Israel Blanshay Professional Corporation

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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