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Date : 20150730


Dossier : IMM-6581-14

Référence : 2015 CF 933

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 30 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

RAJIC CAVIN DOWANSINGH (ALIAS RAJIV CAVIN DOWANSINGH) ET TAMARA DAMARIS DOWANSINGH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire concernant le refus, par la Section d’appel des réfugiés (la SAR), de l’appel interjeté par les demandeurs au titre de l’article 110 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27) (la Loi). Les demandeurs, Rajiv et Tamara Dowansingh, sont un couple marié de la Jamaïque craignant d’être persécutés par des partisans du Parti travailliste jamaïcain [JLP] parce qu’ils ont refusé de voter pour le parti lors des élections tenues à l’échelle nationale et à l’échelle locale en 2011.

[2]               La SAR a confirmé le rejet de la demande d’asile par la Section de la protection des réfugiés (la SPR), concluant qu’il n’y avait pas eu « d’erreur manifeste et dominante » en ce qui avait trait aux conclusions quant à la crédibilité tirées par la SPR.

[3]               Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que la décision de la SAR (la décision) était raisonnable, et je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II.                Conclusions de la SPR quant à la crédibilité

[4]               Les demandeurs sont des citoyens de la Jamaïque qui n’ont pas voté lors de l’élection nationale tenue dans ce pays en décembre 2011, ni lors de l’élection locale, tenue en mars 2011. Ils allèguent que le quartier où ils habitaient était aux prises avec des gangs organisés associés au JLP,  qui a été défait aux élections par le Parti national du peuple (PNP).

[5]               Monsieur Dowansingh allègue qu’il a été attaqué, en novembre 2012, par les hommes de main du JLP pour avoir omis de voter, et avoir ainsi aidé à porter le PNP au pouvoir. Il a supposément signalé l’incident à la police, mais aucune mesure n’a été prise.

[6]                En première instance, la SPR a souligné l’existence, dans l’exposé circonstancié des demandeurs, de plusieurs irrégularités importantes qui minaient leur crédibilité.

[7]               Par exemple, les demandeurs d’asile se sont procuré des visas canadiens temporaires qu’ils ont utilisés pour venir en visite au Canada du 9 au 26 octobre 2012 et du 22 mars au 14 avril 2013. Fait à noter, la seconde visite a eu lieu après la attaque dont M. Dowansingh a prétendu avoir été victime, mais celui-ci n’a pas présenté de demande d’asile avant janvier 2014, soit un mois après son arrivée au Canada lors d’une troisième visite. De plus, lorsque les demandeurs sont repartis en Jamaïque après leur second voyage, en avril 2013, ils ne se sont réinstallés que lors de leur dernière entrée au Canada, en décembre 2013.  Ils sont plutôt restés dans la même maison, dans le même district où l’attaque avait eu lieu, même s’ils avaient des membres de la famille proche qui vivaient dans d’autres districts et qu’ils disposaient de moyens financiers suffisants pour se soustraire au danger (dossier de la demande (DD), aux pages 50 et 51).

[8]               M. Dowansingh a également présenté une lettre de la police faisant état de l’attaque dont il prétend avoir été victime en novembre 2012, mais la SPR a établi qu’il ne s’agissait [traduction] « pas d’un document digne de foi » pour divers motifs (DD, page 53). Le document ne renfermait pas de signature originale à l’encre, il ne contenait pas de numéro de dossier, l’écusson semblait avoir été imprimé à l’aide d’une imprimante à jet d’encre et le document portait une date ultérieure à celle de la demande d’asile (DD, page 50).

III.             Analyse

[9]               L’argument des demandeurs selon lequel la décision de la SAR était déraisonnable repose sur le fondement suivant : la SAR a commis une erreur en appliquant la norme d’intervention de l’« erreur manifeste et dominante » dans le cadre de son examen des conclusions de la SPR.

[10]           Plus précisément, le décideur aurait dû procéder à une évaluation indépendante de la lettre de la police présentée par les demandeurs et rendre une décision de façon indépendante quant à la question de savoir si la lettre était authentique. Le fait que la SAR ne l’ait pas fait a entaché les conclusions restantes quant à la crédibilité, puisque la SAR aurait pu employer un autre ton dans son avis exprimé au sujet de l’exposé circonstancié des demandeurs si elle avait cru à la véracité de l’attaque survenue en novembre 2012.

[11]           D’entrée de jeu, je reconnais que l’authenticité d’un document doit faire l’objet d’une évaluation indépendante par la SAR. Celle-ci ne devrait pas s’en remettre aux conclusions de la SPR sur ces aspects, parce que la SPR n’est pas mieux placée que la SAR pour évaluer ces documents (Njeukam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 859 au paragraphe 14; Kurtzmalaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1072 au paragraphe 35; Sow c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 295, au paragraphe 13).

[12]           Même si la SAR a appliqué la norme de l’« erreur manifeste et dominante » dans le cadre de son examen intégral de la décision de la SPR, elle semble avoir examiné le rapport de police et avoir établi une évaluation indépendante à l’égard de ce rapport :

[19] « [….] la SPR n’a pas accepté le rapport de police comme étant digne de foi en raison des nombreuses incohérences qu’il contient et de sa qualité en général. Dans ses motifs, la SPR a clairement fait état des doutes qu’elle avait relativement au rapport de police. La SAR a examiné la preuve à cet égard concernant le rapport de police, où la SPR a conclu qu’il y avait de nombreuses anomalies, lesquelles sont clairement mentionnées dans ses motifs. Ainsi, la SAR estime que la conclusion de la SPR concernant la valeur du rapport de police est raisonnable dans les circonstances. » (DD, page 11, non souligné dans l’original)

[13]           En règle générale, plus la SAR fournit de détails dans ses motifs et au sujet de ses réflexions sur les questions les plus pertinentes à l’égard des documents personnalisés et de la situation du pays, et qu’elle joint une preuve de la situation au pays et énonce si elle est d’accord ou non avec l’appréciation de la SPR, plus une cour de révision est susceptible de conclure qu’une telle preuve a fait l’objet d’une appréciation indépendante par la SAR.

[14]           Cependant, cela ne veut pas dire que la SAR est forcée de faire appel à un processus mécanique l’obligeant à exposer en détail comment elle est parvenue à toutes ses conclusions indépendantes. Lorsque les conclusions de fait de la SPR sont nombreuses, tout à fait évidentes et clairement formulées, comme c’est le cas en l’espèce en ce qui concerne l’authenticité d’un document,  la reconnaissance succincte par la SAR de telles réserves peut alors s’avérer suffisante pour démontrer qu’elle a procédé à une évaluation indépendante.

[15]           En revanche, si les conclusions de la SPR reposent sur d’autres observations distinctes, des connaissances spécialisées et/ou de nouvelles conclusions, la SAR a alors besoin plus que jamais de préciser comment elle est parvenue à ses conclusions au sujet de la preuve. En pareils cas, se contenter de déclarer que la preuve a été examinée et de souscrire à l’avis de la SPR n’indique pas forcément qu’une appréciation indépendante a réellement été effectuée (Cepeda-Guiterrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 FTR 35; Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 500, au paragraphe 9; Mestre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 375, au paragraphe 15; Shahini c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 211, au paragraphe 15).

[16]           En l’espèce, la SAR a expressément mentionné dans ses motifs avoir examiné la preuve concernant la lettre de la police, et elle a souligné que la SPR avait « clairement [mentionné] dans ses motifs » que la lettre contenait « de nombreuses anomalies ». Dans les circonstances de l’espèce, cela me paraît vouloir dire que la SAR a examiné la preuve et qu’elle a eu les mêmes réserves que la SPR quant à son authenticité. Il ne sert à rien et il n’est pas nécessaire de répéter les propos du tribunal pour en arriver aux mêmes conclusions quant à la crédibilité.

[17]           Quoi qu’il en soit, les conclusions de la SPR relatives à la crédibilité des demandeurs reposaient sur d’autres assises que la simple authenticité du rapport de police présenté par les demandeurs. La SAR a conclu qu’il « n’y avait pas d’erreur manifeste et dominante concernant l’évaluation de la crédibilité effectuée par la SPR » et que « la SPR a tenu compte du départ tardif des appelants, de leur voyage au Canada et du fait qu’ils se sont réclamés de nouveau de la protection de la Jamaïque. Elle a conclu que leurs gestes témoignaient d’une absence de crainte subjective » (DD, page 11). Elle a en outre affirmé que les conclusions défavorables tirées par la SPR s’étendaient à l’article 97, puisqu’elles avaient trait « non seulement [aux] doutes liés à la crainte subjective, mais aussi [à] ceux liés à la crainte non subjective ».

[18]           Je conclus que les conclusions de la SAR étaient raisonnables. Des conclusions défavorables rendues au titre de l’article 96 quant à la crédibilité peuvent également affecter la validité d’une demande d’asile présentée au titre de l’article 97, même si la crainte subjective ne fait pas partie de l’appréciation fondée sur ce deuxième article (Mahadeva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 415, au paragraphe 15). Bien que la SPR ait pu procéder à une analyse distincte fondée sur l’article 97, cela n’aurait pas fait une grande différence. Plus précisément, je suis d’accord avec la SAR quand elle dit que le comportement adopté par les demandeurs, y compris le temps qu’ils ont mis à présenter une demande d’asile et leur retour en Jamaïque, de même que les invraisemblances et les incohérences relevées dans leur exposé circonstancié, ont tellement miné leur crédibilité générale que ces conclusions s’appliquaient à la fois à l’article 96 et à l’article 97. La conclusion défavorable quant à la crédibilité, tirée en rapport avec l’article 96, a écarté la nécessité de prendre en considération la demande d’asile fondée sur l’article 97 (Restrepo Mejia c Canada (Citoyenneté et Immigration); 2010 CF 410, au paragraphe 20; Reza Gorostieta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 343, au paragraphe 32; Nyathi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1119, aux paragraphes 21 à 24; El Achkar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 472, aux paragraphes 38, 43 et 44).

[19]           Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur dans l’appréciation des conclusions de la SPR quant à la crédibilité selon la norme de l’« erreur manifeste et dominante ». Je souligne d’abord que certaines décisions dans la jurisprudence énoncent qu’il s’agit en fait de la norme d’intervention selon laquelle la SAR devrait examiner les conclusions quant à la crédibilité (voir, par exemple, Spasoja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 913, au paragraphe 40).

[20]           Dans la décision devenue prééminente en ce qui a trait à la norme d’intervention applicable par la SAR, le juge Phelan, au paragraphe 55 de la décision Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799, a conclu que la SAR peut « reconnaître et respecter la conclusion de la SPR sur des questions comme la crédibilité », mais qu’elle ne doit pas se borner « à intervenir sur les faits uniquement lorsqu’il y a une “erreur manifeste et dominante” ». J’ai souscrit à cette approche dans Brodrick c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 491, au paragraphe 34.

[21]           Les demandeurs soutiennent que la SAR aurait dû en l’espèce faire preuve de moins de retenue à l’égard des conclusions de la SPR quant à la crédibilité. Elle aurait dû « reconnaître et respecter » les conclusions de la SPR sur la crédibilité, et non pas les examiner en vue de déceler des [traduction] « erreurs manifestes et dominantes ». Autrement dit, la SAR ignorait qu’elle aurait pu intervenir dans les cas où la SPR avait commis, dans une conclusion quant à la crédibilité, une erreur qui n’était pas évidente (manifeste) ou d’une importance cruciale (dominante) (Canada c South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, au paragraphe 46).

[22]           Cependant, je ne vois pas ce que cela aurait changé en l’espèce. La Cour a maintes fois conclu qu’il convient clairement de faire preuve d’une certaine retenue à l’égard des conclusions tirées par la SPR quant à la crédibilité fondées sur des témoignages (Denbel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 629, au paragraphe 31; Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 500, au paragraphe 8; Ngandu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 423, au paragraphe 31). Étant donné les nombreuses incohérences et invraisemblances relevées dans l’exposé circonstancié des demandeurs, je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision de la SAR de ne pas intervenir.

[23]           Malgré l’argumentation habile présentée par l’avocat des demandeurs et tous les efforts déployés en vue de me convaincre de décider de renvoyer l’affaire pour un nouvel examen, rien ne justifie que je prenne une telle décision. Par conséquent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question n’est certifiée.

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6581-14

 

INTITULÉ :

RAJIC CAVIN DOWANSINGH (ALIAS RAJIV CAVIN DOWANSINGH) ET TAMARA DAMARIS DOWANSINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 JUILLET 2015

 

JUGeMENT et motifs :

le juge DINER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 30 JUILLET 2015

 

COMPARUTIONS :

Anthony Navaneelan

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Alex C. Kam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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